CJUE, 3e ch., 25 octobre 2012, n° C-553/11
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bernhard Rintisch
Défendeur :
Klaus Eder
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Silva de Lapuerta
Juges :
M. Lenaerts (rapporteur), M. Juhász, M. von Danwitz , M. Šváby
Avocat général :
Mme Trstenjak
Avocat :
Me Douglas
LA COUR (troisième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 10, paragraphes 1 et 2, sous a), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Rintisch à M. Eder à propos de l’usage sérieux d’une marque, utilisée sous une forme qui diffère, par des éléments n’altérant pas son caractère distinctif, de la forme sous laquelle cette marque a été enregistrée, la forme utilisée étant elle-même enregistrée en tant que marque.
Le cadre juridique
Le droit international
3 L’article 5, C, paragraphe 2, de la convention pour la protection de la propriété industrielle, signée à Paris le 20 mars 1883, révisée en dernier lieu à Stockholm le 14 juillet 1967 et modifiée le 28 septembre 1979 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 828, no 11851, p. 305, ci-après la « convention de Paris »), dispose :
« L’emploi d’une marque de fabrique ou de commerce, par le propriétaire, sous une forme qui diffère, par des éléments n’altérant pas le caractère distinctif de la marque dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée dans l’un des pays de l’Union [constituée par les États auxquels s’applique la convention de Paris], n’entraînera pas l’invalidation de l’enregistrement et ne diminuera pas la protection accordée à la marque. »
Le droit de l’Union
4 Le douzième considérant de la directive 89/104 est libellé comme suit :
« Considérant que tous les États membres de la Communauté sont liés par la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle; qu’il est nécessaire que les dispositions de la présente directive soient en harmonie complète avec celles de la convention de Paris; que les obligations des États membres découlant de cette convention ne sont pas affectées par la présente directive; que, le cas échéant, l’article [267] deuxième alinéa [TFUE] s’applique».
5 L’article 10, paragraphes 1 et 2, sous a), de la directive 89/104, tel que repris sans modification à l’article 10 de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO L 299, p. 25), seule la numérotation des paragraphes dudit article ayant été modifiée, dispose sous l’intitulé « Usage de la marque » :
«1. Si, dans un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la procédure d’enregistrement est terminée, la marque n’a pas fait l’objet par le titulaire d’un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, ou si un tel usage a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans, la marque est soumise aux sanctions prévues dans la présente directive, sauf juste motif pour le non-usage.
2. Sont également considérés comme usage aux fins du paragraphe 1 :
a) l’usage de la marque sous une forme qui diffère par des éléments n’altérant pas son caractère distinctif dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée ».
Le droit allemand
6 L’article 26, paragraphe 3, de la loi sur la protection des marques et autres signes distinctifs (Gesetz über den Schutz von Marken und sonstigen Kennzeichen), du 25 octobre 1994 (BGBl. 1994 I, p. 3082, ci-après le « MarkenG »), dispose :
« L’usage de la marque dans une forme qui diffère de celle sous laquelle elle a été enregistrée est également considéré comme usage d’une marque enregistrée, à condition que les différences ne modifient pas le caractère distinctif de la marque. La première phrase s’applique même si la marque est enregistrée sous la forme sous laquelle elle est utilisée. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
7 M. Rintisch, requérant dans le litige au principal, est titulaire des marques verbales PROTIPLUS, enregistrée le 20 mai 1996 sous le numéro 395 49 559.8, et PROTI, enregistrée le 3 mars 1997 sous le numéro 397 02 429, ainsi que de la marque verbale et figurative Proti Power, enregistrée le 5 mars 1997 sous le numéro 396 08 644.6. Ces marques nationales sont notamment enregistrées pour des produits à base de protéines.
8 M. Eder, défendeur dans le litige au principal, est titulaire de la marque verbale postérieure Protifit, enregistrée le 11 février 2003 sous le numéro 302 47 818, pour des compléments alimentaires, préparations vitaminées et aliments diététiques.
9 M. Rintisch a introduit une action visant, premièrement, à obtenir que M. Eder consente à radier la marque Protifit et, deuxièmement, à interdire l’utilisation de celle-ci, en s’appuyant sur les droits résultant de ses marques antérieures. À ce titre, il a principalement fondé ses demandes sur la marque PROTI et, à titre subsidiaire, sur les marques PROTIPLUS et Proti Power. Il a également demandé la condamnation du défendeur à l’indemniser du dommage qu’il prétend avoir subi.
10 M. Eder a soulevé une exception tirée de l’absence d’usage de la marque PROTI par M. Rintisch. Ce dernier a rétorqué qu’il avait bien fait usage de cette marque par l’utilisation des dénominations « PROTIPLUS » et « Proti Power ». La juridiction de première instance a rejeté les prétentions de M. Rintisch, au motif que les droits tirés de la marque PROTI ne pouvaient être invoqués à l’encontre de la marque Protifit. Saisi en appel, l’Oberlandesgericht Köln a confirmé le rejet des prétentions de M. Rintisch.
11 Un recours en «Revision» ayant été introduit par M. Rintisch devant le Bundesgerichtshof, celui-ci relève, tout d’abord, que, conformément aux règles du droit procédural allemand, au stade actuel de la procédure, il y a lieu de considérer comme acquis le fait que, malgré les modifications qu’elles présentent par rapport à la marque PROTI, les dénominations «PROTIPLUS» et «Proti Power» n’altèrent pas le caractère distinctif de cette marque et que le requérant a fait un usage sérieux des marques PROTIPLUS et Proti Power avant la publication de l’enregistrement de la marque Protifit. Ainsi, la juridiction de renvoi se fonde sur la prémisse selon laquelle la marque PROTI doit être considérée comme ayant fait l’objet d’un usage sérieux au sens de l’article 26, paragraphe 3, du MarkenG.
12 Toutefois, la juridiction de renvoi s’interroge sur la question de savoir si et, le cas échéant, dans quelles circonstances l’article 26, paragraphe 3, seconde phrase, du MarkenG est conforme à l’article 10, paragraphes 1 et 2, sous a), de la directive 89/104.
13 C’est dans ces conditions que le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
«1) L’article 10, paragraphes 1 et 2, sous a), de la directive [89/104] doit-il être interprété en ce sens que cette disposition s’oppose en tout état de cause à une réglementation nationale en vertu de laquelle l’usage d’une marque (marque 1) est également constitué lorsque celle-ci (marque 1) est utilisée dans une forme qui diffère de celle sous laquelle elle a été enregistrée, sans que les différences altèrent le caractère distinctif de la marque (marque 1), et qu’elle est aussi enregistrée dans la forme sous laquelle elle est employée (marque 2)?
2) En cas de réponse négative à la première question :
La disposition nationale visée dans la première question est-elle compatible avec la directive [89/104] si elle fait l’objet d’une interprétation restrictive, qui écarte son application à une marque (marque 1) dont l’enregistrement n’a d’autre fin que de garantir ou d’élargir le champ de protection d’une autre marque enregistrée (marque 2), qui l’est dans la forme sous laquelle elle est utilisée ?
3) En cas de réponse positive à la première question ou de réponse négative à la deuxième question :
a) N’y a-t-il pas usage d’une marque enregistrée (marque 1), au sens de l’article 10, paragraphes 1 et 2, sous a), de la directive [89/104] :
– lorsque le titulaire fait usage d’un signe dans une forme qui diffère de celles sous lesquelles sont enregistrées la marque (marque 1) et une autre de ses marques (marque 2) par des éléments n’altérant pas le caractère distinctif des marques (marque 1 et marque 2) ;
– lorsque le titulaire fait usage des signes sous deux formes dont aucune ne correspond à la marque enregistrée (marque 1), mais dont la première (forme 1) concorde avec une autre marque enregistrée (marque 2) du titulaire et dont la seconde (forme 2) diffère des deux marques enregistrées (marque 1 et marque 2) par des éléments n’altérant par le caractère distinctif des marques, et que cette forme (forme 2) présente la plus grande similitude avec l’autre marque (marque 2) du titulaire ?
b) Une disposition nationale (en l’occurrence l’article 26, paragraphe 3, seconde phrase, du [MarkenG]) contraire à une disposition d’une directive [en l’occurrence l’article 10, paragraphes 1 et 2, sous a), de la directive [89/104]] peut-elle être appliquée par une juridiction d’un État membre à des situations qui étaient déjà acquises avant que la Cour de justice de l’Union européenne ne prononce un arrêt faisant pour la première fois ressortir des indices de l’incompatibilité de cette disposition nationale avec celle de la directive (en l’espèce, l’arrêt du 13 septembre 2007, Il Ponte Finanziaria/OHMI [...], C‑234/06 P, Rec. p. I‑7333), si cette juridiction nationale estime que la confiance que place une partie à la procédure juridictionnelle dans le maintien de ses droits constitutionnellement garantis prime l’intérêt à une transposition d’une disposition de la directive?»
Sur les questions préjudicielles
Sur la recevabilité
14 M. Eder soutient que la demande de décision préjudicielle est irrecevable, au motif qu’elle serait dénuée de pertinence pour l’issue du litige au principal dès lors que l’Oberlandesgericht Köln s’est prononcé sur les questions de fait et de droit lors de l’instance devant cette juridiction.
15 À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national. Il appartient de même au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêts du 12 avril 2005, Keller, C‑145/03, Rec. p. I‑2529, point 33; du 18 juillet 2007, Lucchini, C‑119/05, Rec. p. I‑6199, point 43, ainsi que du 11 septembre 2008, Eckelkamp e.a., C‑11/07, Rec. p. I‑6845, points 27 et 32).
16 Ainsi, le rejet par la Cour d’une demande de décision préjudicielle introduite par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, C‑618/10, point 77 et jurisprudence citée).
17 Or, force est de constater que tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, l’interprétation demandée de l’article 10, paragraphes 1 et 2, sous a), de la directive 89/104 est susceptible d’avoir une incidence sur le cadre juridique applicable au litige au principal et, partant, sur la solution que celui-ci appelle. Dès lors, la demande de décision préjudicielle doit être déclarée recevable.
Sur la première question et la troisième question, sous a)
18 Par sa première question et sa troisième question, sous a), qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 10, paragraphe 2, sous a), de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que le titulaire d’une marque enregistrée puisse, aux fins d’établir l’usage de celle-ci au sens de cette disposition, se prévaloir de son utilisation dans une forme qui diffère de celle sous laquelle cette marque a été enregistrée sans que les différences entre ces deux formes altèrent le caractère distinctif de cette marque, et ce nonobstant le fait que cette forme différente est elle-même enregistrée en tant que marque.
19 À cet égard, il y a lieu, d’une part, de rappeler que le caractère distinctif d’une marque, au sens des dispositions de la directive 89/104, signifie que cette marque permet d’identifier le produit pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et donc de distinguer ce produit de ceux d’autres entreprises (voir, par analogie, arrêts du 29 avril 2004, Procter & Gamble/OHMI, C‑468/01 P à C‑472/01 P, Rec. p. I‑5141, point 32; du 21 octobre 2004, OHMI/Erpo Möbelwerk, C‑64/02 P, Rec. p. I‑10031, point 42; du 8 mai 2008, Eurohypo/OHMI, C‑304/06 P, Rec. p. I‑3297, point 66, et du 12 juillet 2012, Smart Technologies/OHMI, C‑311/11 P, point 23).
20 Il convient, d’autre part, de relever qu’il ne découle aucunement du libellé de l’article 10, paragraphe 2, sous a), de la directive 89/104 que la forme différente sous laquelle la marque est utilisée ne peut pas elle-même être enregistrée comme marque. En effet, la seule condition énoncée à cette disposition est celle selon laquelle la forme utilisée ne peut différer de la forme sous laquelle cette marque a été enregistrée que par des éléments qui n’altèrent pas le caractère distinctif de cette dernière.
21 Quant à la finalité de l’article 10, paragraphe 2, sous a), de la directive 89/104, il y a lieu de relever que cette disposition, en évitant d’exiger une conformité stricte entre la forme utilisée dans le commerce et celle sous laquelle la marque a été enregistrée, vise à permettre au titulaire de cette dernière d’apporter au signe, à l’occasion de son exploitation commerciale, les variations qui, sans en modifier le caractère distinctif, permettent de mieux l’adapter aux exigences de commercialisation et de promotion des produits ou des services concernés.
22 Or, cette finalité serait compromise si, pour l’établissement de l’usage de la marque enregistrée, il était exigé une condition supplémentaire selon laquelle la forme différente sous laquelle cette marque est utilisée ne devrait pas avoir elle-même fait l’objet d’un enregistrement en tant que marque. En effet, l’enregistrement de nouvelles formes d’une marque permet, le cas échéant, d’anticiper les changements susceptibles d’intervenir dans l’image de la marque et, ainsi, de l’adapter aux réalités d’un marché en évolution.
23 En outre, il ressort du douzième considérant de la directive 89/104 que les dispositions de cette directive doivent être « en harmonie complète avec celles de la convention de Paris ». Dès lors, il y a lieu d’interpréter l’article 10, paragraphe 2, sous a), de ladite directive conformément à l’article 5, C, paragraphe 2, de cette convention. Or, rien dans cette dernière disposition ne laisse entendre que l’enregistrement d’un signe en tant que marque a pour conséquence que l’usage de celui-ci ne peut plus être invoqué pour établir l’usage d’une autre marque enregistrée dont il diffère seulement d’une manière telle que le caractère distinctif de cette dernière n’en est pas altéré.
24 Il s’ensuit que l’enregistrement en tant que marque de la forme sous laquelle une autre marque enregistrée est utilisée, forme qui diffère de celle sous laquelle cette dernière marque est enregistrée, tout en n’altérant pas le caractère distinctif de celle-ci, ne fait pas obstacle à l’application de l’article 10, paragraphe 2, sous a), de la directive 89/104.
25 Cette interprétation n’est pas en contradiction avec celle qui résulte de l’arrêt Il Ponte Finanziaria/OHMI, précité, et notamment avec le point 86 de celui-ci, mentionné dans la décision de renvoi.
26 Dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, la Cour était saisie d’un litige dans le cadre duquel une partie invoquait la protection d’une « famille » ou d’une « série » de marques similaires, aux fins de l’appréciation du risque de confusion avec la marque dont l’enregistrement était demandé. Ce litige relevait de l’article 15, paragraphe 2, sous a), du règlement no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), disposition qui correspondait, à la date des faits dudit litige, à l’article 10, paragraphe 2, sous a), de la directive 89/104, le libellé de ces dispositions étant en substance identique.
27 Ayant jugé, au point 63 de l’arrêt Il Ponte Finanziaria/OHMI, précité, que, en présence d’une «famille» ou d’une «série» de marques, le risque de confusion résulte plus précisément du fait que le consommateur peut se méprendre sur la provenance ou l’origine des produits ou des services couverts par la marque dont l’enregistrement est demandé, en estimant, à tort, que celle-ci fait partie de cette famille ou série de marques, la Cour a considéré que, afin d’établir l’existence d’une «famille» ou d’une «série» de marques, l’usage d’un nombre suffisant de marques susceptible de constituer cette «famille» ou cette «série» doit être démontré.
28 La Cour a poursuivi en jugeant, au point 64 de l’arrêt Il Ponte Finanziaria/OHMI, précité, que l’on ne saurait attendre d’un consommateur, en l’absence d’usage d’un nombre suffisant de marques susceptible de constituer une « famille » ou une « série », qu’il détecte un élément commun dans ladite famille ou série de marques et/ou qu’il associe à cette famille ou série une autre marque contenant le même élément commun. Dès lors, pour qu’il existe un risque que le public se méprenne quant à l’appartenance à une « famille » ou à une « série » de la marque dont l’enregistrement est demandé, les autres marques faisant partie de cette famille ou série devraient être présentes sur le marché.
29 C’est dans ce contexte particulier de la prétendue existence d’une «famille» ou d’une «série» de marques qu’il convient de comprendre l’affirmation de la Cour, au point 86 de l’arrêt Il Ponte Finanziaria/OHMI, précité, selon laquelle l’article 15, paragraphe 2, sous a), du règlement no 40/94, et partant l’article 10, paragraphe 2, sous a), de la directive 89/104, ne permet pas d’étendre, par la preuve de son usage, la protection dont bénéficie une marque enregistrée à une autre marque enregistrée, dont l’usage n’a pas été démontré, au motif que cette dernière ne serait qu’une légère variante de la première. En effet, l’usage d’une marque ne saurait être invoqué aux fins de justifier de l’usage d’une autre marque, dès lors que le but est d’établir l’utilisation d’un nombre suffisant de marques d’une même « famille ».
30 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question et à la troisième question, sous a), que l’article 10, paragraphe 2, sous a), de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que le titulaire d’une marque enregistrée puisse, aux fins d’établir l’usage de celle-ci au sens de cette disposition, se prévaloir de son utilisation dans une forme qui diffère de celle sous laquelle cette marque a été enregistrée sans que les différences entre ces deux formes altèrent le caractère distinctif de cette marque, et ce nonobstant le fait que cette forme différente est elle-même enregistrée en tant que marque.
Sur la deuxième question
31 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 10, paragraphe 2, sous a), de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une interprétation de la disposition nationale visant à transposer ledit article 10, paragraphe 2, sous a), en droit interne en ce sens que cette dernière disposition ne s’applique pas à une marque «défensive» dont l’enregistrement n’a d’autre fin que de garantir ou d’élargir le champ de la protection d’une autre marque enregistrée, qui l’est dans la forme sous laquelle elle est utilisée.
32 À cet égard, il convient de relever que rien ne permet de donner à l’article 10, paragraphe 2, sous a), de la directive 89/104 une interprétation qui écarterait l’application de cette disposition à un cas de figure tel que celui visé au point précédent. En effet, l’intention subjective qui préside à l’enregistrement d’une marque est dépourvue de toute pertinence aux fins de l’application de ladite disposition et, dans cette mesure, une telle notion de marques « défensives », auxquelles celle-ci ne s’appliquerait pas, ne trouve aucun fondement dans la directive 89/104 ni dans d’autres dispositions du droit de l’Union.
33 Il découle de ce qui précède qu’il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 10, paragraphe 2, sous a), de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une interprétation de la disposition nationale visant à transposer ledit article 10, paragraphe 2, sous a), en droit interne en ce sens que cette dernière disposition ne s’applique pas à une marque «défensive» dont l’enregistrement n’a d’autre fin que de garantir ou d’élargir le champ de la protection d’une autre marque enregistrée, qui l’est dans la forme sous laquelle elle est utilisée.
Sur la troisième question, sous b)
34 Par sa troisième question, sous b), la juridiction de renvoi s’interroge, en substance, sur la question de savoir dans quelles circonstances un arrêt de la Cour, tel que l’arrêt Il Ponte Finanziaria/OHMI, précité, ne devrait produire ses effets, ou certains de ceux-ci, que pour la période postérieure à la date à laquelle il a été prononcé.
35 La juridiction de renvoi pose la troisième question dans son ensemble, « en cas de réponse positive à la première question ou de réponse négative à la deuxième question ». En l’espèce, la réponse à la deuxième question relève de cette seconde hypothèse.
36 Toutefois, la troisième question, sous b), est fondée sur la prémisse selon laquelle il existerait une incompatibilité entre une disposition nationale, à savoir l’article 26, paragraphe 3, seconde phrase, du MarkenG, et une disposition d’une directive, en l’occurrence l’article 10, paragraphe 1 et 2, sous a), de la directive 89/104. Or, ni la réponse à la première question et à la troisième question, sous a), ni celle à la deuxième question ne correspondent à une telle prémisse.
37 Il résulte de ce qui précède qu’il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question, sous b).
Sur les dépens
38 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :
1) L’article 10, paragraphe 2, sous a), de la directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que le titulaire d’une marque enregistrée puisse, aux fins d’établir l’usage de celle-ci au sens de cette disposition, se prévaloir de son utilisation dans une forme qui diffère de celle sous laquelle cette marque a été enregistrée sans que les différences entre ces deux formes altèrent le caractère distinctif de cette marque, et ce nonobstant le fait que cette forme différente est elle-même enregistrée en tant que marque.
2) L’article 10, paragraphe 2, sous a), de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une interprétation de la disposition nationale visant à transposer ledit article 10, paragraphe 2, sous a), en droit interne en ce sens que cette dernière disposition ne s’applique pas à une marque «défensive» dont l’enregistrement n’a d’autre fin que de garantir ou d’élargir le champ de la protection d’une autre marque enregistrée, qui l’est dans la forme sous laquelle elle est utilisée.