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Décisions

Cass. crim., 3 mai 2001, n° 00-82.880

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

M. Challe

Avocat général :

Mme Fromont

Avocat :

SCP Vier et Barthélemy

Aix-en-Provence, du 16 févr. 2000

16 février 2000

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 175 du Code pénal ancien, 112-1, 432-12, 432-17 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Lucienne X... Y... coupable du délit de prise illégale d'intérêts et l'a condamnée à la peine de 10 000 francs d'amende ;

" aux motifs que, le 22 janvier 1993, la commune d'Auriol, et les 9 février 1993 et 10 novembre 1994, le syndicat intercommunal d'assainissement de la Haute Vallée de l'Huveaunne (SIAHVH), ayant respectivement pour maire et présidente la même personne, en l'occurrence Lucienne Y..., avaient conclu avec la SARL SACEA, gérée par Roger Y..., fils de la prévenue, trois marchés publics à appels d'offres ouverts relatifs à des travaux d'extension, pose et entretien des réseaux d'adduction d'eau et assainissement ; que lesdits marchés publics étaient renouvelables par tacite reconduction et qu'à ces occasions Lucienne Y... n'avait pas fait cesser les situations illicites qui lui sont reprochées ; qu'il importait peu que la prévenue ait retiré ou non un bénéfice quelconque des opérations visées à la prévention, dès lors qu'elle avait, de fait, une entière connaissance des situations incriminées et que, dans son principe, la loi applicable tend à prévenir les abus éventuels, par une interdiction absolue de situation de prise et de conservation d'intérêt par une personne dotée d'un mandat électif chargée de présider une commission d'attribution de marchés publics ; que l'acte de prise illégale d'intérêts se rapporte non pas à la prise de participation en octobre 1992 du fils de la prévenue dans la gestion de la SARL SACEA mais à la prise illégale d'un intérêt, ou la conservation de cet intérêt, par la personne mise en cause ès qualités de dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public dans une opération ou entreprise dont elle avait " au moment de l'acte " la charge d'assurer la surveillance ; que le pouvoir de surveillance ou d'administration de la personne mise en cause se rapporte non pas à l'entreprise bénéficiaire de l'opération litigieuse mais à l'opération elle-même ; que l'extension du champ d'application du délit d'ingérence par la nouvelle rédaction de l'article 432-12 du Code pénal qui devient ainsi un délit continu puisqu'est désormais incriminé, non seulement le fait de prendre ou de recevoir un intérêt dans une entreprise ou une opération, mais également le fait de conserver un tel intérêt, ne signifie pas pour autant que tout fait d'ingérence ou prise illégale d'intérêts commis avant l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal échappe à la répression sur le fondement de l'article 432-12 du Code pénal, dès lors que la personne en cause a conservé, comme c'est le cas en l'espèce où les marchés en cause étaient tous renouvelables par tacite reconduction, après l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal, un intérêt illégalement perçu ou reçu avant cette date et avait au moment de l'acte la charge d'assurer la surveillance ou l'administration de l'entreprise ou opération litigieuse ; que la prise illégale d'un intérêt, ne serait-ce que moral, par la prévenue lors de l'attribution des deux marchés en 1993, comme lors de l'attribution du marché passé avec la SARL SACEA le 10 novembre 1994, est caractérisée en l'espèce, par la participation de la prévenue en sa qualité de maire de la commune ou présidente du SIAHVH à un vote au sein des commissions ayant attribué ces marchés à l'entreprise SACEA, gérée par son fils ; que l'existence de ce lien de filiation commandait que la prévenue ne participe pas, en sa qualité de maire de la commune, aux décisions de passation de marchés avec l'entreprise gérée par son fils ;

que la participation d'un maire d'une collectivité territoriale ou membre d'un organe délibérant de celle-ci, lorsque la délibération porte sur une affaire dans laquelle il a un intérêt, fut-il exclusif de toute rémunération ou contrepartie financière, et même si cette décision était partagée avec d'autres, vaut surveillance ou administration de l'opération ou entreprise au sens de l'article 175, ancien, et 432-12 du Code pénal ; qu'il convient de faire une application plus modérée de la loi pénale, la prévenue n'ayant pas d'antécédents judiciaires et n'ayant pas agi dans un but d'enrichissement personnel, mais dans le souci de préserver l'emploi local ;

" alors, d'une part, que le délit d'ingérence ou de prise illégale d'intérêts n'est punissable qu'autant que son auteur a agi dans un intérêt personnel direct ou indirect ; qu'en l'espèce, Lucienne X... Y... insistait sur le fait qu'elle n'avait jamais eu le moindre intérêt direct ou indirect, à quelque titre ou à quelque période que ce soit, dans la société SACEA, gérée par son fils ; qu'en retenant la participation de Lucienne X... Y... en sa qualité de maire de la commune ou présidente du SIAHVH à un vote au sein des commissions ayant attribué ces marchés à l'entreprise SACEA, gérée par son fils, sans expliquer en quoi le lien familial caractérisait la prise illégale d'intérêts, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

" alors, d'autre part, que le délit de prise illégale d'intérêts est un délit intentionnel ; qu'en l'espèce, la cour d'appel qui ne s'est aucunement expliquée sur l'élément intentionnel, comme elle y était pourtant expressément invitée, n'a pas caractérisé l'intention coupable de Lucienne X... Y... et a privé derechef sa décision de base légale au regard des mêmes textes ;

" alors, de troisième part, que le délit d'ingérence, prévu et réprimé par l'article 175 du Code pénal ancien était un délit instantané ; qu'ainsi la cour d'appel ne pouvait appliquer à Lucienne X... Y..., déclarée coupable du délit d'ingérence pour les faits commis, comme elle l'a expressément constaté, les 22 janvier et 9 février 1993, une peine prévue par l'article 432-12 du nouveau Code pénal applicable aux seuls faits commis après le 1er mars 1994 ;

" alors, de quatrième part, que l'article 175 du Code pénal ancien prévoit que l'amende ne peut excéder le quart des restitutions et des indemnités, ni être au-dessous du douzième, ce dont il résulte qu'aucune amende ne peut être prononcée sans une évaluation préalable des indemnités et restitutions ; que cette disposition, moins sévère que celle de l'article 432-12 du Code pénal qui prévoit une peine d'amende de 500 000 francs quelles que soient les indemnités et restitutions, était seule applicable à ceux des faits de l'espèce, commis antérieurement à l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal, à savoir l'attribution des deux marchés à la société SACEA les 22 janvier et 9 février 1993 ; qu'en prononçant une peine d'amende sans évaluer le montant total des restitutions et indemnités, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

" alors, enfin, que la conservation d'une prise illégale d'intérêts n'est punissable que depuis l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal ; que les ingérences commises, selon l'arrêt attaqué, le 22 janvier et le 9 février 1993 étaient des infractions instantanées et qu'à supposer que Lucienne X... Y... y eût trouvé un quelconque intérêt, la conservation de cet intérêt n'était pas punissable ; que l'infraction n'ayant ainsi pas commencé avant le 1er mars 1994, elle n'a pu se continuer après cette date ; qu'en condamnant cependant Lucienne X... Y... au motif notamment qu'elle aurait conservé un intérêt illégalement pris, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 432-12 du Code pénal " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, le 22 janvier 1993, la ville d'Auriol, dont le maire, Lucienne Y..., présidait la commission d'appel d'offres, puis les 9 février 1993 et 10 novembre 1994, le syndicat intercommunal de la haute vallée de l'Huveaume (SIAHVH), dont elle était la présidente, ont attribué à la société SACEA, gérée par son fils, Roger Y..., selon la procédure d'appel d'offres restreint, trois marchés publics relatifs à des travaux d'extension et d'entretien des réseaux d'adduction d'eau et d'assainissement ; qu'elle est poursuivie pour avoir reçu et conservé directement ou indirectement un intérêt quelconque dans des opérations ou des entreprises dont elle avait, au moment de l'acte, la charge d'assurer la surveillance ;

Attendu que, pour la déclarer coupable de prise illégale d'intérêts, les juges retiennent " que la prise illégale d'un intérêt, ne serait-ce que moral, par la prévenue, lors de l'attribution des deux marchés en 1993, comme lors de l'attribution du marché passé avec la société SACEA, le 10 novembre 1994, est caractérisée, en l'espèce, par la participation de la prévenue en sa qualité de maire de la commune ou de présidente du SIAHVH, à un vote au sein des commissions ayant attribué ces marchés à l'entreprise SACEA gérée par son fils " ;

Que les juges relèvent que lesdits marchés étaient renouvelables par tacite reconduction et que la prévenue n'avait pas fait cesser les situations illicites qui lui sont reprochées, peu important qu'elle ait retiré ou non un bénéfice quelconque des opérations visées à la prévention, dès lors qu'elle avait connaissance de leur caractère illicite ; qu'ils ajoutent qu'elle a conservé, après l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal, un intérêt illégalement pris ou reçu avant cette date et avait au moment de l'acte la charge d'assurer la surveillance ou l'administration de l'opération litigieuse ;

Attendu qu'en cet état, la cour d'appel a justifié sa décision ;

Que, d'une part, il n'est pas soutenu que les délits instantanés de prise illégale d'intérêts commis à l'occasion des opérations des 22 janvier et 9 février 1993 sont prescrits ;

Que, d'autre part, la conservation d'un intérêt dont la prise illégale n'était pas prescrite à la date d'entrée en vigueur du nouveau Code pénal peut être poursuivie après le 1er mars 1994, en application de l'article 432-12 du Code pénal ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.