Cass. crim., 28 octobre 2015, n° 14-82.186
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
Mme de la Lance
Avocat général :
M. Bonnet
Avocats :
Me Carbonnier, SCP Foussard et Froger
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 2141-1 du code des transports, 321-1, 321-3, 321-9, 432-12 et 432-17 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, cassation par voie de conséquence ;
" en ce que la cour d'appel, infirmant le jugement entrepris, a renvoyé MM. Luc X... et Hervé X... des fins de la poursuite ;
" aux motifs que le délit de l'article 432-12 du code pénal qui dispose le fait pour une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public (...) de prendre directement ou indirectement un intérêt quelconque dans une opération, dont elle a au moment de l'acte, en tout ou partie la charge d'assurer la surveillance, l'administration, etc, est un délit obstacle ; que le délit suppose que soit établi que l'auteur a retiré, en qualité de personne chargée d'une mission de service public, dans le cadre d'une opération dont il a la charge d'assurer la surveillance (...) un intérêt direct ou indirect, ce sciemment ; qu'en l'espèce il est constant que le contrat litigieux a été conclu entre la société Mensia Conseils et " fret SNCF " et a été signé de MM. Luc et Hervé X..., entre lesquels existait un lien de parenté et alors que M. Luc X... avait été associé du cabinet Mensia jusqu'en 2005 ; que le tribunal pour entrer en voie de condamnation, au-delà de considérations morales dénuées de pertinence, a retenu que, dès lors que " fret SNCF " appartenait à un Epic, la SNCF, cette entité avait ipso facto une mission de service public ; qu'il convient au préalable de rechercher si la personne poursuivie, en l'espèce M. Luc X..., était par sa fonction en charge d'une mission de service public, s'agissant d'une personne qui, sans avoir reçu un pouvoir de décision ou de commandement dérivant de l'autorité publique, était chargée d'exercer une fonction ou d'accomplir des actes dont la finalité est d'accomplir l'intérêt général ; que la loi qui définit les missions de service public qui incombent à la SNCF a connu des évolutions historiques ; qu'en effet la transposition des directives dites " les paquets ferroviaires " ont, entre 1997 et 2007, peu à peu ouvert le trafic ferroviaire de marchandises à la concurrence ; que, si au cours de l'histoire les missions de la SNCF tant dans le transport de personnes que dans celui de marchandises revêtaient mission de service public, divers textes ont conduit à exclure l'activité de fret du service public ; que notamment l'article 21-2 de la loi du 30 décembre 1982 dite loi d'orientation des transports intérieurs, loi dite Loti, à la suite de la transposition de la directive 2004/ 51/ CE, a été abrogé pour être remplacé par l'article 18 désormais codifié ; qu'ainsi l'article L 2141-1 du code des transports dispose " l'établissement public et industriel dénommé " SNCF " a pour objet d'exploiter selon les principes du service public, les services de transport ferroviaire de personnes sur le réseau ferré national ; que d'exploiter d'autres services de transport ferroviaire, y compris internationaux ; que de gérer de façon non, discriminatoire les gares de voyageurs qui lui sont confiées par l'Etat ou d'autres personnes publiques et de percevoir à ce titre, des entreprises ferroviaires, toute redevance ; que d'assurer, selon les principes du service public, les missions de gestion des infrastructures ; Que les missions de service public de la SNCF se trouvent ainsi expressément limitées aux services de transport de voyageurs et aux missions de gestion des infrastructures ; Que la partie civile ne saurait tirer argument d'une décision en date du 18 décembre 2012 du conseil de la concurrence qui a condamné " fret SNCF " pour pratiques anticoncurrentielles non plus que de la notion de service d'intérêt économique général ; que le fait que l'amende prononcée par le conseil de la concurrence ait été en réalité payée par la SNCF, comme le souligne la partie civile, est sans lien avec le présent débat, et se justifie par le seul fait que " fret SNCF " n'a pas la personnalité morale ; que la notion même de service public ne se déduit pas de la structure juridique dans laquelle est exercée l'activité mais des impératifs propres à la mission dévolue à l'organisme ; que la partie civile ne saurait davantage fonder son raisonnement sur des notions purement organisationnelles ou structurelles ; qu'elle ne saurait affirmer, comme elle le fait en page 4 de ses écritures devant la cour, que dès lors que fret SNCF appartient à la branche SNCF Geodis, divisée en deux entités, voies ferrées locales et industrielles au demeurant soumise aux lois du marché et " fret SNCF ", filiale de la SNCF, capitalistiquement détenue à 100 % par la holding " SNCF participations ", fret SNCF est un EPIC assurant une mission de service public ; que le raisonnement tiré de ce que " fret SNCF " n'a aucune autonomie juridique ou financière par rapport à la maison mère SNCF ", qui procède de la même analyse, ne permet pas davantage de retenir que fret SNCF constitue, comme soutenu par la partie civile, " à part entière l'EPIC SNCF ", à savoir un établissement public en charge du service public ferroviaire ; surabondamment qu'à supposer, comme le soutient la partie civile, que M. Luc X... ait été chargé d'une mission de service public, encore faudrait il établir que les faits ont été commis à l'occasion de l'exercice d'une mission de service public ; que, si en fait M. Luc X..., qui avait été mis à disposition de " fret SNCF " à compter du 1er juin 2007 en qualité de directeur général adjoint, ne conteste pas avoir suivi le dossier des OFP, dont celui de la Rochelle particulièrement, et avoir signé le marché conclu avec Mensia Conseils, en vertu toutefois d'une délégation de pouvoirs et sous l'autorité hiérarchique, au sein de fret SNCF, de M. Z...; qu'il a signé le marché en sa seule qualité de membre de l'équipe de direction de " fret SNCF ", sur la base d'un contrat cadre liant le cabinet Mensia Conseils et la direction des achats de SNCF depuis 1998, soit très antérieurement à la prise de fonction de M. Luc X... au sein de " fret SNCF " ; qu'il y a lieu, faute de caractérisation de l'élément légal de l'infraction de prise illégale d'intérêt, de renvoyer M. Luc X..., des fins de la poursuite et par voie de conséquence M. Hervé X... du chef de recel de ladite infraction ;
" 1°) alors que doit être regardée comme chargée d'une mission de service public, au sens de l'article 432-12 du code pénal, toute personne chargée, directement ou indirectement, d'accomplir des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général, peu important qu'elle ne disposât d'aucun pouvoir de décision au nom de la puissance publique ; qu'il est constant que la SNCF est un établissement public industriel et commercial (EPIC), financé pour partie par des fonds publics, qui rempli une mission d'intérêt général tenant à l'exploitation du réseau ferré national ; que par application de l'article L. 2141-1 du code des transports, l'EPIC SNCF a notamment pour mission d'exploiter les autres services de transport ferroviaire dont le fret ferroviaire ; que la cour d'appel a constaté par elle-même que le service « fret SNCF » n'a pas la personnalité morale, d'où il s'évince que le service fret SNCF fait partie intégrante de l'EPIC SNCF ; qu'en décidant cependant de renvoyer M. Luc X... des fins de la poursuite au regard du fait que le service fret SNCF ne ferait pas partie à part entière de l'EPIC SNCF, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les dispositions susvisées ;
" 2°) alors que doit être regardée comme chargée d'une mission de service public, au sens de l'article 432-12 du code pénal, toute personne chargée, directement ou indirectement, d'accomplir des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général, peu important qu'elle ne disposât d'aucun pouvoir de décision au nom de la puissance publique ; que les premiers juges, ont constaté que, nonobstant l'ouverture à la concurrence, le transport ferroviaire de marchandise faisait partie intégrante de l'EPIC SNCF ; qu'ils en ont déduit que le fret SNCF, branche intrinsèque de l'établissement public SNCF, chargée du service public ferroviaire, devait être soumis aux mêmes règles que les autres branches de l'établissement public ; que la fédération nationale CGT, sollicitant la confirmation du jugement entrepris, reprenait le même argumentaire, faisant valoir au surplus que « via fret SNCF, l'EPIC SNCF répond ainsi aux exigences du service d'intérêt économique général, défini par la commission européenne dans son livre blanc sur les services d'intérêt général » ; qu'en décidant cependant d'infirmer le jugement entrepris et de renvoyer M. Luc X... des fins de la poursuite, sans s'expliquer sur l'intérêt général sous tendant l'exploitation du service de fret ferroviaire, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des dispositions susvisées ;
" 3°) alors que doit être regardée comme chargée d'une mission de service public, au sens de l'article 432-12 du code pénal, toute personne chargée, directement ou indirectement, d'accomplir des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général, peu important qu'elle ne disposât d'aucun pouvoir de décision au nom de la puissance publique ; que la cour d'appel a écarté l'application de l'article 432-12 du code pénal et renvoyé M. Luc X... des fins de la poursuite au regard du fait que l'activité de fret ferroviaire était ouverte à la concurrence ; qu'en ajoutant ainsi une condition non prévue par la loi, tenant à l'existence d'un monopole dans le domaine concerné, la cour d'appel a encore violé les dispositions susvisées ;
" 4°) alors que le délit prévu par l'article 432-12 du code pénal est caractérisé par la prise d'un intérêt matériel ou moral, direct ou indirect, et se consomme par le seul abus de la fonction indépendamment de la recherche d'un gain ou de tout autre avantage personnel ; que M. Luc X... a conclu pour le compte de la SNCF un marché avec la société Mensia Conseils dirigée par son frère ; que la fédération nationale CGT cheminots faisait valoir les circonstances particulièrement troubles entourant la conclusion de ce marché, à savoir l'absence de mise en concurrence contrairement à ce qui avait été prévu par l'article 5 de la convention financière entre la SNCF et le port autonome de la Rochelle, et l'utilisation de la société Mensia Conseils qui n'était référencée par la direction des achats de la SNCF que pour le contrôle de gestion selon le contrat cadre du 1er mars 2006 ; qu'en décidant cependant de renvoyer M. Luc X... des fins de la poursuite sans s'expliquer sur ces circonstances, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des dispositions susvisées ;
" 5°) alors que le délit prévu par l'article 432-12 du code pénal est caractérisé par la prise d'un intérêt matériel ou moral, direct ou indirect, et se consomme par le seul abus de la fonction indépendamment de la recherche d'un gain ou de tout autre avantage personnel ; que M. Luc X... a conclu pour le compte de la SNCF un marché avec la société Mensia Conseils, dirigée par son frère, pour une mission d'assistance et de conseil quant à la mise en place d'un opérateur ferroviaire de proximité au sein du Port autonome de la Rochelle ; qu'il résulte tant de l'audition de Mme A..., nouvelle directrice du fret SNCF ayant succédé à M. Luc X..., que de l'audition de M. Hervé X..., que ce sont les ports autonomes qui choisissent habituellement les cabinets de conseil avant de mettre en place un opérateur ferroviaire de proximité ; que les premiers juges étaient donc entré en voie de condamnation au regard des circonstances inhabituelles du marché, conclu par la SNCF en lieu et place des ports autonomes ; qu'en décidant cependant d'infirmer le jugement entrepris sans s'expliquer sur la dérogation aux procédures habituelles, décidée par M. Luc X... au profit du cabinet Mensia Conseils dirigé par son frère, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des dispositions susvisées ;
" 6°) alors que le délit prévu par l'article 432-12 du code pénal est caractérisé par la prise d'un intérêt matériel ou moral, direct ou indirect, et se consomme par le seul abus de la fonction indépendamment de la recherche d'un gain ou de tout autre avantage personnel ; qu'il résulte des déclarations du directeur des achats du Groupe SNCF que M. Luc X... avait sélectionné de son propre chef le cabinet Mensia conseil en application d'une délégation de pouvoir lui permettant d'engager la SNCF à hauteur de 8 millions d'euros ; qu'en décidant cependant que M. Luc X... aurait conclu le marché sous l'autorité hiérarchique de M. Z...et en sa seule qualité de membre de l'équipe de direction », la cour d'appel s'est placée en contradiction avec les éléments du dossier et n'a pas légalement justifié sa décision au regard des dispositions susvisées ;
" 7°) alors que la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; que la cour d'appel a estimé que la partie civile ne saurait davantage fonder son raisonnement sur des notions purement organisationnelles ou structurelles ; qu'elle a cependant fondé sa décision de relaxe sur l'organisation de Fret SNCF, relevant à cet égard que M. Luc X... a conclu le marché litigieux avec Mensia Conseils en vertu toutefois d'une délégation de pouvoirs et sous l'autorité hiérarchique, au sein de fret SNCF, de M. Z...; qu'en statuant par des motifs contradictoires qui s'annihilent, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des dispositions susvisées ;
" 8°) alors que la cassation à intervenir sur la base des précédentes branches du moyen doit entraîner, par voie de conséquence, la cassation au titre de la relaxe de M. Hervé X..., du chef de recel de prise illégale d'intérêts, qui résulte de la non caractérisation du délit de prise illégale d'intérêts " ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du code civil, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, cassation par voie de conséquence ;
" en ce que la cour d'appel, infirmant le jugement entrepris, a débouté la fédération nationale CGT des travailleurs, cadres et techniciens des chemins de fer français de toutes ses fins et conclusions sur l'action civile ;
" aux motifs qu'il y a lieu de confirmer la décision qui a déclaré recevable la constitution de partie civile de la fédération nationale CGT des travailleurs, cadres et techniciens des Chemins de fer français ; que du fait de la relaxe, la fédération nationale CGT des travailleurs, cadres et techniciens des Chemins de fer français sera déboutée de toutes ses fins et conclusions ;
" alors que la cassation à intervenir sur la base du premier moyen de cassation doit entraîner, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt attaqué sur le débouté des parties civiles au titre des condamnations civiles qui est la suite et la conséquence de la relaxe de MM. Luc et Hervé X... " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que M. Luc X... a été poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef de prise illégale d'intérêts pour avoir, en étant chargé d'une mission de service public en tant que directeur général adjoint " opérations " de fret SNCF, signé un contrat de prestations intellectuelles, pour l'étude de la mise en place d'un opérateur ferroviaire de proximité au port de La Rochelle, avec la société Mensia conseils ayant pour dirigeant son frère, M. Hervé X... ; que ce dernier a été lui-même poursuivi pour avoir recelé, en tant que président de la société précitée, la rémunération fixée au contrat passé avec la SNCF ; que les juges du premier degré ont déclaré les prévenus coupables des faits reprochés ; que les parties ont interjeté appel ;
Attendu que, pour infirmer le jugement déféré et relaxer les prévenus des faits reprochés, l'arrêt énonce que le trafic ferroviaire de marchandises a été, entre 1997 et 2007, peu à peu ouvert à la concurrence, que, selon les dispositions de l'article L. 2141-1 du code des transports, les missions de service public de la SNCF se trouvent expressément limitées aux services de transport de voyageurs et à la gestion des infrastructures excluant l'activité de fret et que M. Luc X... n'étant pas, par sa fonction au sein de " fret SNCF ", en charge d'une mission de service public, l'élément légal de l'infraction de prise illégale d'intérêts n'est pas caractérisé ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que l'article 18 de la loi d'orientation des transports intérieurs, modifié par la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 transposant les dispositions de la directive 2004/ 51/ CE, puis codifié en 2010 pour devenir l'article L. 2141-1 du code des transports, applicable au moment des faits, ayant supprimé la référence à la notion de service public pour l'exploitation des services de fret, le directeur général adjoint de " fret SNCF " ne peut être considéré comme chargé d'une mission de service public, au sens de l'article 432-12 du code pénal, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen ;
D'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.