CA Versailles, 12e ch., 3 décembre 2015, n° 13/09507
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rosenthal
Conseillers :
M. Leplat, Mme Soulmagnon
Par contrat daté de 1973 à effet au 1er janvier 1974, Monsieur Auguste M. et Madame Lucie C. épouse M. ont donné à bail à la SARL AU POT DE L'AMITIE une maison à usage de commerce et d'habitation située [...] pour une durée de neuf ans moyennant un loyer annuel de 15.000 francs aux fins d'exercer uniquement les activités de 'CAFE, HOTEL, MARCHAND DE VINS ET LIQUEURS, RESTAURANT, RECEPTIONS &TRAITEUR, DISCOTHEQUE'.
Monsieur Auguste M. est décédé le 10 mai 1994.
Sur demande des consorts M. arguant d'un défaut d'entretien de leur locataire, le juge des référés du tribunal de grande instance de Pontoise a le 13 décembre 1995 désigné un expert judiciaire aux fins à titre principal de constater les désordres, d'en déterminer les causes, de chiffrer le coût et la durée des travaux de remise en état, de donner des éléments sur le préjudice subi par les bailleurs. Le rapport d'expertise a été déposé le 27 novembre 1997.
La SARL AU POT DE L'AMITIE a cédé son fonds de commerce par acte sous-seing privé du 24 octobre 2003 à la SARL R.. Cet acte mentionne que suivant procès-verbal de conciliation en date du 5 juillet 1994 faisant état du renouvellement du bail à compter du 1er janvier 1993, les locaux donnés à bail appartiennent à Madame Sandrine L. née M., Madame Veuve Lucie M. née C., Monsieur M. Gérard et Madame B. Annick.
Sur l'assignation, au vu des conclusions expertales, de Madame Lucie M. née C. au nom de l'indivision M., le tribunal de grande instance de Pontoise a par jugement en date du 28 janvier 2008 devenu définitif, à titre principal, condamné la société AU POT DE L'AMITIE à lui verser la somme de 42.967,23€ au titre des travaux de remise en état des locaux générés par le défaut d'entretien de la société LE POT DE L'AMITIE.
C'est dans ce contexte que la société LE R. a assigné les bailleurs le 20 juillet 2011 devant le tribunal de grande instance de Pontoise aux fins de les voir condamner à faire exécuter les travaux de remise en état de la toiture, de la charpente et de la poutre maîtresse en chêne et à l'indemniser de ses préjudices.
Par jugement en date du 23 septembre 2013, le tribunal de grande instance de Pontoise a :
- Débouté la SARL LE R. de l'ensemble de ses demandes,
- Condamné la SARL LE R. à payer à Madame Lucie C. épouse M. et Madame Sandrine M. épouse L. la somme de 1.500 € à chacune, soit 3.000 € au total, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné la SARL LE R. aux dépens.
Par déclaration reçue et enregistrée le 26 décembre 2013, la SARL LE R. a interjeté appel de la décision à l'encontre de Madame Lucie C. épouse M. et à Madame Sandrine M. épouse L..
Par déclaration reçue le 5 février 2014 et enregistrée le 6 février 2014, la SARL LE R. a interjeté appel de ce jugement du 23 septembre 2013 à l'encontre de Monsieur Gérard M. et de Madame Annick M. épouse L..
Le conseiller de la mise en état a alors joint, par ordonnance en date du 3 juin 2014, les deux procédures sous le numéro 13/9507.
Par dernières conclusions signifiées par RPVA le 29 septembre 2015, la SARL LE R. demande à la cour:
Vu les dispositions des articles 1719 et suivants du code civil, de:
- DECLARER la société LE R. bien fondée et recevable en son appel.
- INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de PONTOISE le 23 septembre 2013 en toutes ses dispositions.
En conséquence et statuant à nouveau:
-S'entendre condamner solidairement Madame Lucie Marie Madeleine M., née C., Monsieur Gérard M., Madame Annick Clotilde Marie M. épouse B., et Madame Sandrine Odette Raymonde M., épouse L. à faire effectuer les travaux de remise en état de toute la toiture couvrant l'immeuble, de la charpente et de la poutre maitresse en chêne sous une astreinte de 500 € par jour de retard courant à dater du prononcé de la décision à intervenir.
- Condamner solidairement les consorts M. à payer à la société LE R. 30.000 € à titre de dommages intérêts toutes causes de préjudice confondues.
- Condamner sous la même solidarité les consorts M. à payer à la société LE R. 5000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
- Voir ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir de tous ces chefs y compris du chef de l'article 700 et des dépens.
- Condamner les consorts M. solidairement aux entiers dépens et AUTORISER la SCP P. M. H. à procéder à leur recouvrement par application de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions signifiées par RPVA le 27 août 2015, Madame Annick M. épouse B. prie la cour, de :
- CONFIRMER le jugement du 23 septembre 2013 en toutes ses dispositions.
- DEBOUTER la SARL LE R. de l'intégralité de ses demandes.
- CONDAMNER la SARL LE R. à verser à Madame M. épouse B., la somme de 4 000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
- CONDAMNER la SARL LE R. aux entiers dépens et autoriser Maître Claire R., à procéder à leur recouvrement par application de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions signifiées par RPVA le 20 mai 2014, Madame Lucie C. épouse M., Monsieur Gérard M. et Madame Sandrine M. épouse L. demandent à la cour,
Vu le jugement du Tribunal de Grande Instance de PONTOISE du 23 septembre 2013, Vu le bail commercial du 30 décembre 1973, Vu le rapport d'expertise du 27 novembre 1997,
Vu le jugement du Tribunal de Grande Instance de PONTOISE du 28 janvier 2008, Vu les articles 1719 et suivants du Code Civil, de:
A titre principal,
- CONFIRMER le jugement déféré en ce qu'il a jugé que le bailleur avait parfaitement respecté son obligation de délivrance,
faisant droit,
- DEBOUTER la SARL LE R. de l'ensemble de ses demandes,
A titre subsidiaire:
DIRE ET JUGER que la Société LE R. ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un préjudice,
En conséquence,
- DEBOUTER la Société LE R. de sa demande de dommages et intérêts,
Vu les articles 1142 et suivants du Code Civil,
-ACCORDER aux Consorts M. les plus larges délais pour procéder aux travaux de remise en état.
ajoutant,
- RAMENER à de plus justes proportions le montant de l'astreinte,
-CONDAMNER la Société LE R. à verser à Mesdames Lucie C. épouse M., Sandrine M. épouse L. et Monsieur Gérard M. la somme de 2.000,00 € chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile directement recouvrés entre les mains de Maître Sylvie D. D., conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure civile.
- STATUER ce que de droit sur les dépens.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux conclusions des parties et au jugement déféré conformément à l'article 455 du Code de Procédure Civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 1er octobre 2015 et l'affaire a été renvoyée à l'audience du 15 octobre 2015 pour y être plaidée.
MOTIFS
La SARL LE R. soutient, en application des articles 1719 et 1720 du code civil que les bailleurs sont tenus sur le fondement de l'obligation de délivrance aux travaux rendus nécessaires par les vices affectant la structure de l'immeuble, que cette obligation de délivrance perdure pendant toute la durée du bail, que les bailleurs ont manqué à cette obligation en ne s'assurant pas que les travaux de remise en état prévus par le jugement du 28 janvier 2008 ont été réalisés, qu'il est indifférent qu'ils n'aient pas perçu le montant de la condamnation prononcée à leur profit, que la clause inscrite dans la cession du fonds de commerce n'exonère pas les bailleurs de réaliser les travaux de remise en état qui leur incombent, que le jugement du 28 janvier 2008 a clairement indiqué que les bailleurs ne démontraient pas l'existence d'un défaut d'entretien de sa part, que puisque la société LE POT DE L'AMITIE a été condamnée à verser aux bailleurs la somme de 42.967,23€ au titre des travaux de remise en état des locaux, générés par son défaut d'entretien, il appartenait aux bailleurs de faire exécuter ces travaux.
En réplique, Madame Annick B. née B. conteste le caractère d'ordre public de l'obligation de délivrance, fait remarquer que le jugement du 28 janvier 2008 ne leur a pas ordonné d'effectuer les travaux de remise en état et qu'il n'est pas justifié que les désordres actuels proviennent de l'état de la toiture, de la charpente et de la poutre maîtresse. Madame Lucie C. épouse M., Monsieur Gérard M. et Madame Sandrine M. épouse L. ajoutent que le rapport d'expertise démontre que seul le défaut d'entretien est à l'origine des désordres constatés sur la toiture, et font valoir que cette absence d'entretien a nécessairement dévalorisé leur bien.
L'article 1719 du code civil dispose que 'le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière : 1° De délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant'.
En application de l'article 1720 du code civil: 'le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce. Il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives'.
Le contrat de bail de 1973 mentionne sous le titre 'Charges et Conditions' que Le présent bail est fait aux conditions ordinaires de droit, notamment sous les conditions particulières suivantes, que Madame G., Es qualité, s'engage et oblige la Société preneuse à exécuter et à accomplir, savoir :
1.De prendre les lieux loués dans l'état où ils se trouvent actuellement sans pouvoir demander aucun travaux, ni réparation de quelques natures que ce soit, ni à ce moment, ni pendant la durée du bail, alors même que ces travaux et réparations seraient nécessités par l'état de vétusté. Par suite, de faire à ses frais dans les lieux loués, pendant le cours du bail tous les travaux d'entretien, de réfection, de remplacement et les réparations de toutes natures qui seront nécessaires y compris celles des clôtures, de la toiture, des fermetures, rideaux de fers ou autres, des parquets, du carrelage, des cheminées et de leur conduit de fumée, de la robinetterie, des tuyaux de vidange, des appareils sanitaires de la serrurerie, des fenêtres, des escaliers intérieurs même celles prévus par l'article 606 du Code Civil restent à la charge du preneur de manière que le tout soit toujours en bon état.
2.De faire, à ses frais, la peinture de la devanture aussi souvent que besoin sera et au moins tous les trois ans de manière à ce qu'elle soit toujours en parfait état de propreté.
Comme conséquence, ci la fin du bail, les lieux loués devront être rendus en bon état de toutes réparations mises à la charge de la société preneuse. [...].
L'acte de cession du fonds de commerce du 24 octobre 2003 de la SARL AU POT DE L'AMITIE au profit de la SARL R., précise que l'acquéreur dispense le rédacteur de réitérer lesdites charges et conditions aux présentes, celui déclarant en avoir pris parfaite connaissance, une photocopie dudit renouvellement de bail étant annexée en fin d'acte et paraphée par les parties. Il est néanmoins extrait ce qui suit: le preneur prendra à sa charge tous les travaux tels que définis par l'article 606 du code civil, de façon à ce que les locaux soient toujours en bon état.
L'obligation de délivrance conforme à la destination du bail tient à la nature même du contrat et perdure certes pendant tout le cours du bail mais elle n'est pas d'ordre public et les parties peuvent y déroger.
En l'occurrence, la clause sur les travaux insérée dans le bail est claire et précise et détermine de manière expresse les obligations du locataire en ce qui concerne les travaux qui lui incombent. Certes cette clause doit être interprétée restrictivement, mais le contrat de bail de 1973 mentionne, outre le fait que le preneur prend les locaux dans l'état dans lequel ils se trouvent et qu'il est redevable des travaux d'entretien, que ce dernier est tenu des travaux de réfection, de remplacement et les réparations même en cas de vétusté et il détaille de manière exhaustive les travaux devant être effectués par le locataire pendant tout le cours du bail. Cette clause non univoque insérée dans le contrat de bail initial et à laquelle il est fait expressément référence dans l'acte de cession de fonds de commerce du 24 octobre 2003 s'impose à la SARL R., qui l'a acceptée en signant le contrat de cession.
Il en résulte que tant les travaux d'entretien que les réparations telles que détaillées dans le contrat de bail sont à la charge du locataire qui prend les locaux en l'état et il ne peut dès lors être demandé aux bailleurs de faire les travaux de toute la toiture, de toute la charpente et de la poutre maîtresse en chêne des locaux loués. Alors que la SARL R. qui est entrée dans les lieux en 2003 ne démontre nullement qu'elle ne peut exercer son activité et exploiter son commerce, qu'aucun état des lieux d'entrée n'a été dressé, que les procès-verbaux de constat d'huissier du 21 octobre 2004, 8 août 2007 et du 15 juin 2011 et le rapport non contradictoire de Monsieur S. du 5 janvier 2006 ne font que conforter les constats des désordres relevés dans l'expertise du 27 novembre 1997, que la locataire ne justifie pas avoir entretenu les locaux loués depuis 2003, ne produisant aucune facture à cet effet et que les attestations versées aux débats par la locataire ne font état que de constatations, il n'est pas caractérisé de manquement des bailleurs à leur obligation de délivrance des locaux loués.
Par ailleurs, si le tribunal de grande instance de Pontoise dans son jugement du 28 janvier 2008, a indiqué dans ses motifs que 'il ne peut être mis à la charge de la société LE R., qui ignorait tout des désordres, le coût des travaux et de remise en état des locaux. Madame M. ne démontre d'ailleurs pas l'existence d'un défaut d'entretien des locaux par la société LE R., qui est entrée dans les lieux en 2003" et a dans son dispositif 'condamné la société AU POT DE L'AMITIE à lui verser [ à Madame M.] la somme de 42.967,23€ au titre des travaux de remise en état des locaux générés par le défaut d'entretien de la société LE POT DE L'AMITIE', il n'a pas pour autant condamné Madame M. représentante de l'indivision à effectuer les travaux de remise en état. Dès lors, aucune obligation à ce titre ne peut être mise à la charge des bailleurs en vertu de ce jugement.
Par conséquent, il convient de rejeter la demande de la SARL R. de faire effectuer les travaux de remise en état par les bailleurs et sa demande subséquente en dommages et intérêts.
Le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dont il a fait une équitable application.
En cause d'appel, il convient de condamner la SARL R. à verser à chacun des intimés, soit à Madame Lucie M., née C., à Monsieur Gérard M., à Madame Annick M. épouse B., et à Madame Sandrine M., épouse L., la somme de 2.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens d'appel seront à la charge de la SARL R., avec distraction dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant par décision contradictoire
Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré,
Y ajoutant,
Condamne la SARL R. à payer à chacun des intimés, soit à Madame Lucie M., née C., à Monsieur Gérard M., à Madame Annick M. épouse B., et à Madame Sandrine M., épouse L., la somme de 2.000€, soit la somme globale de 8.000€ au titre des frais irrépétibles d'appel,
Rejette toutes les autres demandes des parties,
Condamne la SARL R. aux dépens d'appel et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.