Cass. crim., 9 février 2005, n° 03-85.697
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
M. Challe
Avocat général :
Mme Commaret
Avocats :
SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Coutard et Mayer
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Jules Paul X..., alors président du conseil général de Haute-Corse, est intervenu dans l'attribution de deux marchés de travaux publics, l'un, pour l'élargissement d'un pont sur la route départementale 81, à la société Corse européenne d'entreprise (CEE) et l'autre, pour l'extension du port de Centuri, à la société Corse travaux maritime (CTM), ces deux sociétés ayant pour cogérants ses enfants Pierre X... et Marie-Dominique X..., épouse Y... ; qu'il a présidé la commission d'appel d'offres ayant déclaré attributaire du premier marché la société CEE et a donné délégation de signature à un chef de service pour signer le second marché avec la société CTM ;
Attendu que, poursuivis devant le tribunal correctionnel pour prise illégale d'intérêts et recel, les prévenus ont été relaxés ;
que, sur appel du ministère public, la cour d'appel a confirmé la décision de relaxe concernant l'attribution du second marché à la société CTM, mais a déclaré Paul Jules X... coupable de prise illégale d'intérêts s'agissant de l'attribution du premier marché à la société CEE ;
En cet état,
Sur le premier moyen de cassation, proposé pour Jules Paul X..., pris de la violation des articles 121-1 et 432-12 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jules Paul X... coupable de prise illégale d'intérêts ;
"aux motifs qu'au regard des éléments constitutifs du délit, rappelés dans la rédaction de la poursuite, il est constant que Jules Paul X... exerçait au moment des faits un mandat électif ; de même il avait un intérêt moral, en l'espèce familial, dans le fait que ce marché puisse bénéficier à une entreprise gérée par ses enfants ; enfin, quelle qu'ait été son attitude de retrait - dont il est précisément attesté par d'autres membres de la commission d'appel d'offres, élus comme administratifs - il n'en demeure pas moins qu'il a présidé les deux commissions des marchés, ce qui constitue un acte positif et conscient d'exercice de ses attributions avec les conséquences que ceci pouvait avoir ; en outre, s'il a pu être surpris de la découverte du dossier à la première réunion, il pouvait prendre les mesures nécessaires pour ne pas présider la seconde ; il convient donc de retenir Jules Paul X... dans les liens de la prévention pour ces faits ;
"alors, d'une part, que nul n'est responsable pénalement que de son propre fait ;
qu'étant membre d'organes collectifs délibérants, Jules Paul X... n'a pu se voir imputer personnellement l'élément intentionnel du délit de prise illégale d'intérêt ;
"alors, d'autre part, subsidiairement, que seule la participation d'un élu à un organe surveillant une opération dans laquelle il a intérêt peut constituer le délit de prise illégale d'intérêts ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué a constaté que Jules Paul X... n'avait pas pris part aux votes litigieux et avait eu une " attitude de retrait ", ce en quoi il n'a pas caractérisé en quoi Jules Paul X... aurait commis le délit incriminé" ;
Attendu que, pour déclarer Jules Paul X... coupable de prise illégale d'intérêts lors de l'attribution du premier marché, l'arrêt relève que le prévenu a présidé la première réunion de la commission d'appel d'offres du 22 août 1995, au cours de laquelle a eu lieu l'ouverture des plis, puis la seconde réunion du 7 novembre 1995, à l'issue de laquelle la société CEE a été déclarée attributaire du marché ; que les juges ajoutent qu'il a pris un intérêt moral, en l'espèce familial, du fait que ce marché a bénéficié à une entreprise gérée par ses enfants ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, et dès lors que le président du conseil général a seul l'administration de l'ensemble des affaires du département, en application de l'article L. 3221-3 du Code général des collectivités territoriales, notamment celles relevant de ses pouvoirs de préparation et d'exécution des décisions de la commission d'appel d'offres qu'il préside, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le moyen unique de cassation proposé par le procureur général, pris de la violation des articles 121-3 et 432-12 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs ;
Vu les article 432-12 et 121-3 du Code pénal ;
Attendu que, selon le premier de ces textes, se rend coupable de prise illégale d'intérêts la personne investie d'un mandat électif public qui prend un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, la charge d'assurer la surveillance ou l'administration ;
Attendu que, pour relaxer Jules Paul X... du chef de prise illégale d'intérêts, Pierre X... et Marie-Dominique X..., épouse Y..., du chef de recel, s'agissant de l'attribution du second marché, l'arrêt relève que, si le prévenu a pris un intérêt moral, en l'espèce familial, dans cette entreprise, en revanche, il n'est pas établi qu'il ait pris une part quelconque, de façon directe ou indirecte, dans le processus de décision comme dans l'ensemble des opérations relatives à ce marché ; que les juges énoncent que, si celui-ci a été signé par un délégataire du président du conseil général et son paiement effectué par les services de cette collectivité territoriale, on ne saurait néanmoins déduire du seul fonctionnement régulier d'un organisme administratif l'existence de l'élément intentionnel requis par l'article 121-3 du Code pénal ; qu'ils ajoutent que le délit n'étant pas établi en la personne de l'auteur principal, le recel n'est pas constitué à l'encontre de Marie-Dominique Y... et Pierre X... ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que, nonobstant la délégation de signature donnée à un chef de service du conseil général, Jules Paul X... avait conservé la surveillance ou l'administration de la conclusion du marché avec la société CTM et accompli sciemment l'acte constituant l'élément matériel du délit, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bastia, en date du 9 juillet 2003, mais en ses seules dispositions ayant, d'une part, relaxé Jules Paul X... du chef de prise illégale d'intérêts et Marie-Dominique X..., épouse Y..., et Pierre X... du chef de recel, s'agissant du marché d'extension du port de Centuri, d'autre part, prononcé sur la peine, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans les limites de la cassation intervenue :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.