CA Papeete, ch. com., 9 avril 2015, n° 12/00215
PAPEETE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Intelart (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Thibault-Laurent
Conseillers :
Mme Teheiura, Mme Lassus-Ignacio
FAITS - PROCEDURE - DEMANDES DES PARTIES :
Vu les faits de la cause et la procédure antérieure exposés aux motifs du jugement entrepris du 17 juin 2011, auxquels la Cour se réfère expressément ;
Vu la requête d'appel de M. Jean T., visée le 5 avril 2012, portant constitution de Me E.-S., avocate, concernant le jugement rendu le 17 juin 2011 par lequel le Tribunal Mixte de Commerce de Papeete, dans une instance en paiement de sommes après retrait de la qualité d'associé d'une société en nom collectif, a :
- condamné la SNC INTELART à verser à Jean T. les sommes suivantes :
. 261.000 FCFP correspondant à la valeur de ses parts sociales à la date de son retrait ;
. 1.814.416 FCFP correspondant au solde créditeur de son compte courant à la date de son retrait ;
. 200.000 FCFP par application de l'article 407 du code de procédure civile ;
- rejeté les autres demandes ;
- condamné la SNC INTELART aux dépens comprenant les frais des deux expertises judiciaires ;
Vu l'assignation devant la Cour d'Appel en date des 29 et 30 mai 2012, délivrée à la requête de M. Jean T. à la SNC INTELART, M. Eric C. et M. Patrick P., portant signification de la requête d'appel ;
Vu la constitution de Me J., avocat, dans les intérêts de M. Patrick P. ;
Vu, en leurs moyens, les conclusions d'appel des parties, aux termes desquelles elles ont respectivement demandé à la Cour.
Monsieur Jean T., appelant qui limite son appel, de :
- Confirmer le jugement rendu par le tribunal mixte de commerce le 17 juin 2011, en ce qu'il a condamné la SNC INTELART aux dépens comprenant les frais des deux expertises judiciaires et à lui verser la somme de 1.814.416 FCFP au titre du remboursement de son compte courant d'associé ;
- L'infirmer pour le surplus et statuant à nouveau,
- Condamner solidairement M. C. et M. P. aux dépens y compris les frais des deux expertises et à lui verser la somme de 1.814.416 FCFP au titre du remboursement de son compte courant d'associé ;
- Condamner solidairement la SNC INTELART, M. C. et M. P. à lui verser les sommes suivantes :
. 3.530.000 FCFP au titre de la valeur des droits sociaux de M. T. ;
. 818.000 FCFP au titre du bénéfice distribuable dont il a été privé à raison de la rémunération ;
. 600.000 FCFP au titre des frais irrépétibles exposés lors des deux procédures de référé, de première instance et d'appel sur le fondement de l'application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie Française.
Monsieur Patrick P., intimé, qui forme appel incident, de :
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
- débouter M. Jean T. de l'ensemble de ses demandes ;
- le condamner au paiement à son profit d'une somme de 660.000 FCFP au titre des frais irrépétibles exposés lors des deux procédures de référé, de première instance et d'appel sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile ;
La Société INTELART et M. Eric C., régulièrement assignés, à personne habilitée et au Parquet de Monsieur le Procureur Général, n'ont pas constitué avocat et n'ont pas conclu ;
Il sera statué à leur encontre par arrêt contradictoire à signifier ;
Vu l'ordonnance de clôture du 30 janvier 2015 ;
MOTIFS DE LA DECISION,
Attendu qu'il est rappelé que à compter du 12 octobre 2001 les 200 parts de la SNC INTELART ont été réparties entre ses trois associés comme suit :
- Jean T. 68 parts ;
- Eric C. 66 parts ;
- Patrick P. 66 parts.
Qu'au cours d'une assemblée générale tenue le 19 décembre 2001 Jean T. a été révoqué de sa fonction de co-gérant. Les deux autres associés ont alors conservé leur qualité de dirigeant ;
Attendu que, par courrier recommandé du 10 juin 2005, Jean T., sur le fondement de l'article L 221-12 du Code de commerce, a exercé sa faculté de retrait de la qualité d'associé et a sollicité le remboursement de ses droits sociaux ;
Attendu qu'aucun accord amiable n'ayant pu être obtenu le juge des référés de Papeete, saisi par Jean T. a, par décision du 26 février 2007, ordonné une expertise et désigné Dominique B. pour la réaliser avec pour mission d'évaluer les droits sociaux de Jean T. début 2002 et début 2007 et de déterminer l'incidence sur le bénéfice distribuable du montant de la rémunération des gérants en utilisant une fourchette haute, moyenne et basse ;
Que l'expert B. a évalué le prix des droits sociaux de Jean T. à la somme de 145.248 FCP en 2001 et à la somme de 526.013 FCP en 2006 mais n'a pas calculé le bénéfice distribuable en fonction de la variation du salaire des gérants ;
Que Jean T. a obtenu, le 31 mars 2008, une nouvelle ordonnance du juge des référés prévoyant l'organisation d'une nouvelle expertise aux fins d'évaluer la valeur de ses droits sociaux le 10 juin 2005, date de son retrait, et de déterminer l'incidence sur le bénéfice distribuable du montant de la rémunération des gérants en utilisant une fourchette haute, moyenne et basse.
Attendu que l'expert Véronique M. a déposé son rapport le 6 avril 2010. Ses conclusions sur les droits de Jean T. à la date du retrait sont les suivantes :
fourchette haute (salaires réels 700.000 FCP/mois)
fourchette moyenne (salaires 630.000 FCP/mois )
fourchette basse (salaires 580.000 FCP/mois)
valeur des parts sociales
261.000 FCP
valeur des parts sociales
1.799.000 FCP
valeur des parts sociales
3.530.000 FCP
droit sur les bénéfices 0 FCP
droit sur les bénéfices 0 FCP
droit sur les bénéfices
818.000 FCP
Attendu que suivant acte en date des 1er et 6 octobre 2010, Jean T. a assigné la SNC INTELART, Eric C. et Patrick P. afin qu'ils soient condamnés solidairement à lui verser les sommes suivantes :
- 1.814.416 FCP correspondant au solde créditeur de son compte courant d'associé ;
- 3.530.000 FCP au titre de la valeur de ses parts sociales au moment de son retrait ;
- 818.000 FCP au titre des bénéfices distribuables au moment de son retrait ;
- 300.000 FCP par application de l'article 407 du code de procédure civile ;
- 714.580 FCP au titre des frais d'expertise.
Qu'à l'appui de ses demandes il soutenait que, par application de l'article L 221-12 du Code de commerce et des statuts de la société, il est en droit de revendiquer le paiement de la valeur de ses parts sociales à la date de son retrait ;
Qu'il estimait que cette valeur doit être déterminée en fonction de la fourchette basse retentie par l'expert c'est à dire en prenant en compte des salaires des gérants inférieurs à ceux réellement perçus compte tenu des résultats financiers de la société ;
Attendu que c'est à juste titre, et par des motifs pertinents, exacts et suffisants, exempts de toute erreur de Droit, que la Cour s'approprie, et qui seront ci-après reproduits, que les premiers juges, faisant droit partiellement aux demandes de Monsieur Jean T., ont statué comme sus-indiqué ;
Attendu en effet, que :
« 1) Sur la demande afférente au remboursement des droits sociaux au moment du retrait :
Jean T., par suite de la révocation le 19 décembre 2001 de ses fonctions de co-gérant, peut juridiquement, par application de l'article L 221-12 du Code de commerce, se retirer de la société et solliciter le remboursement de ses droits sociaux à la date de son retrait.
a) Sur l'exercice de la faculté de retrait :
Quatre années séparent la perte des fonctions de co-gérant de la demande de retrait présentée par Jean T..
Les défendeurs, s'appuyant sur l'article 19 des statuts de la SNC INTELART aux termes duquel en cas de révocation le retrait doit être notifié dans le mois de la révocation à chacun des associés, en déduisent que le retrait est juridiquement impossible.
Un tel moyen ne peut être accepté dans la mesure où, d'une part, les statuts ne prévoient pas de sanction en cas de non-respect du délai d'un mois prévu pour la notification du retrait et où, d'autre part et en toute hypothèse, les statuts ne peuvent supprimer à un associé, pour des motifs de pure forme, un droit qui lui est expressément reconnu par la loi sans condition de durée (cf article L 221-12 du Code de commerce).
b) Sur le droit au remboursement des droits sociaux :
En conformité avec la loi (article 221-12 du Code de commerce et article 1843-4 du Code civil ) et avec les statuts ( article 19) la détermination de la valeur des droits sociaux a été effectuée, à la date du retrait, par l'expert M. désigné par le juge des référés.
. Il est de principe (Civ 1 25 nov 2003, Bull n° 243) que, sauf erreur grossière de l'expert, l'évaluation de l'expert s'impose aux parties.
Reste qu'en l'espèce, conformément à la mission qui lui a été confiée par le juge des référés, l'expert a déterminé la valeur des droits sociaux dans trois hypothèses variant en fonction du montant des salaires alloués aux deux co-gérants.
Il appartient donc au tribunal de déterminer l'hypothèse à retenir pour fixer la valeur des droits sociaux.
Le tribunal retient la fourchette haute, correspondant à la détermination de la valeur des parts en fonction des salaires effectivement versés aux co-gérants, aux motifs d'une part qu'une juridiction ne peut s'immiscer, a posteriori, dans la gestion d'une société pour des motifs d'équité financière et, d'autre part et surtout, que les salaires ont été intégrés dans les comptes sociaux, lesquels ont été adoptés par l'assemblée générale de la société.
Il appartenait à Jean T. de contester judiciairement les délibérations de l'assemblée générale en temps opportun. A défaut de mise en oeuvre de cette contestation les rémunérations versées aux cogérants ne peuvent plus être remis en cause ainsi que les résultats financiers servant de base au calcul de la valeur des parts sociales.
En conséquence, il y a lieu de fixer à la somme de 261.000 FCP la valeur des parts sociales de Jean T. à la date de son retrait.
2) Sur la demande afférente aux bénéfices distribuables au moment du retrait :
Le résultat financier de la SNC INTELART, à la date du retrait, étant négatif Jean T. ne peut prétendre à l'attribution d'une part de bénéfice.
3) Sur la demande afférente au solde créditeur du compte courant :
La preuve de l'existence d'un solde créditeur d'un compte courant d'associé n'est soumise à aucune disposition légale.
Il résulte des travaux de l'expert B. que, dès l'année 2001, les comptes sociaux ont fait mention de l'existence d'un solde créditeur de compte courant d'un montant de 1.814.416 FCP au profit de Jean T..
Ce solde créditeur ayant été reporté sur les comptes de chaque exercice entre 2001 et 2005 et lesdits comptes ayant été approuvés par l'assemblée générale le tribunal considère que la preuve de l'existence du compte courant est rapportée.
En l'absence de convention particulière entre la société et l'associé ce dernier est fondé à réclamer à tout moment remboursement de son compte courant.
En conséquence, il y a lieu de faire droit à hauteur de la somme de 1.814.416 FCP à la réclamation de Jean T. présentée au titre du solde créditeur de son compte courant.
4) Sur le débiteur des sommes dues au titre des parts sociales et du compte courant :
Jean T. souhaite que la SNC INTELART et ses deux associés soient condamnés solidairement à lui verser les fonds qui lui sont dus.
Il ne peut être fait droit à cette demande. Seule la SNC INTELART, en l'état de la procédure, peut juridiquement faire l'objet d'une condamnation.
En effet, aux termes de l'alinéa 2 de l'article L. 221-1 du Code commerce, applicable aux sociétés en nom collectif, les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé, qu'après avoir vainement mis en demeure la société par acte extrajudiciaire.
A la lumière de cet article l'obligation de paiement des dettes sociales par l'associé est subsidiaire par rapport à l'obligation de la société. Il s'ensuit que le créancier ne peut, avant d'avoir fait constater la défaillance de la société dans le règlement de sa dette, solliciter la condamnation des associés.
En conséquence, en l'état de la procédure, seule la société INTELART est condamnée à verser à Jean T. les sommes à lui dues au titre de la valeur de ses parts sociales et de son compte courant créditeur.
5) Sur les frais irrépétibles et les dépens :
La SNC INTELART devra verser à Jean T., par application de l'article 407 du code de procédure civile, la somme de 200.000 FCP qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge.
Elle devra également supporter les dépens comprenant les frais des deux expertises judiciaires.'
Attendu que M. Jean T. et Monsieur Patrick P. n'apportent, au soutien de leurs appels, principal et incident, aucun moyen opérant, de nature à remettre en cause l'exacte appréciation, tant en fait qu'en Droit, des premiers juges, qui ont usé de leur pouvoir souverain d'appréciation, après expertise, quant à la détermination de la valeur des droits sociaux de M. T. et ont fort justement rejeté la demande afférente aux bénéfices distribuables au moment du retrait ;
Que d'autre part la condamnation solidaire des deux associés de la société INTELART avec elle ne saurait être recherchée, Monsieur T. n'ayant pas mis en demeure la société par acte extrajudiciaire conformément à l'alinéa 2 de l'article L. 221-1 du Code de Commerce, la signification du jugement entrepris ne pouvant être considérée comme une mise en demeure par acte extra-judiciaire ;
Attendu qu'il s'ensuit que la décision entreprise sera confirmée en toutes ses dispositions ; que l'équité et la situation économique des parties ne commandent pas de faire application en cause d'appel, de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire à signifier, en matière commerciale et en dernier ressort ;
DECLARE Monsieur Jean T. recevable mais mal fondé en son appel principal ;
DECLARE Monsieur Patrick P. recevable mais mal fondé en son appel incident ;
Les déboute de leurs appels ;
EN CONSEQUENCE,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
DIT n'y avoir lieu à application en cause d'appel de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
CONDAMNE la SNC INTELART aux entiers dépens.