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Décisions

Cass. 1re civ., 2 décembre 1997, n° 95-19.791

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lemontey

Rapporteur :

M. Chartier

Avocat général :

M. Sainte-Rose

Avocats :

SCP de Chaisemartin et Courjon, Me Garaud, SCP Piwnica et Molinié

Paris, du 30 juin 1995

30 juin 1995

Attendu que, un différend étant survenu entre la société L'Oréal, d'une part, et, d'autre part, le " groupe X... ", comprenant la société Annahold BV et MM. Jean et David X..., les parties, qui étaient associées dans le capital de la société Paravision International, décidèrent que le groupe X... céderait à L'Oréal toutes ses actions détenues dans Paravision ; que, le 11 juin 1990, elles ont adressé à M. Y... une lettre par laquelle elles l'informaient qu'elles " ont d'un commun accord décidé de (lui) confier, en application de l'article 1592 du Code civil, la détermination du prix de la participation du Groupe X... au sein de Paravision, étant entendu que votre décision formera la volonté des parties sur le prix de la participation du Groupe X... " ; que, soutenant que M. Y... avait avec la société L'Oréal des liens qu'il avait cachés, le conseil du groupe X... l'invita, par lettre du 25 juin 1990, à renoncer ; que, par lettre du 26 juin, M. Y... répondit qu'il ne se connaissait pas de " liens existant " avec la société L'Oréal ; qu'il rendit le lendemain sa décision relative à la fixation du prix ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal de M. Y..., pris en ses sept branches :

Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir annulé sa désignation en qualité de " tiers arbitre " chargé de fixer le prix de vente des actions, et, par voie de conséquence, sa décision déterminant ce prix, et d'avoir invité les parties à désigner un nouveau " tiers arbitre " à défaut de quoi la partie la plus diligente pourrait saisir à cette fin le juge des référés, et de l'avoir condamné à restituer la somme de 600 000 francs reçue par lui à titre d'honoraires, alors, selon le moyen, que : 1o la vente ne pouvant exister sans la fixation du prix par les parties ou le tiers qu'elles ont désigné à cette fin, l'acquéreur ne pouvait poursuivre l'annulation de la seule fixation indépendamment de celle de la vente elle-même, et qu'en déclarant recevable et en accueillant une telle demande, la cour d'appel a violé ensemble les dispositions des articles 1304, 1591 et 1592 du Code civil ; 2o la nullité fondée sur un vice du consentement ne peut plus être demandée lorsque l'acte a été confirmé ou ratifié ; qu'il suffit à cet effet que l'obligation soit exécutée volontairement après l'époque à laquelle l'obligation pouvait être valablement confirmée ou ratifiée, cette exécution volontaire emportant renonciation aux moyens que l'on pouvait opposer contre cet acte, que la cour d'appel relève elle-même que les parties ont exécuté la vente aux conditions fixées par M. Y... début juillet 1990, soit à une époque où le groupe X... avait une parfaite connaissance de la situation qu'il avait lui-même invoquée dès le 27 juin au soutien d'une demande de récusation de M. Y... devant le juge des référés, les réserves faites lors de la réception du prix étant inopérantes dès lors qu'est établie, comme le constate la cour d'appel, la volonté des parties de ne pas remettre en cause la vente elle-même, et que la cour d'appel ne pouvait en conséquence prononcer la nullité de la fixation du prix, emportant nécessairement la nullité de la vente elle-même, sans violer l'article 1338, alinéas 2 et 3, du Code civil ; 3o le dol n'est une cause de nullité de la convention que s'il émane de la partie envers laquelle l'obligation est contractée ; que M. Y... n'étant pas partie au contrat de vente qui le désignait pour fixer le prix, la cour d'appel ne pouvait annuler cette " désignation " sans violer l'article 1116 du Code civil ; 4o le dol, cause de nullité, ne peut résulter que de faits antérieurs à l'acte qu'il entache ; que la cour d'appel, qui ne relève aucun fait imputable à M. Y... antérieurement au contrat du 11 juin 1990 le désignant et qui n'a été porté à sa connaissance qu'une fois signé des parties, ne pouvait donc prononcer la nullité de sa désignation sur le fondement de faits postérieurs sans violer l'article 1116 du Code civil ; 5o le silence d'une partie sur une circonstance ne constitue une réticence dolosive que s'il a été conservé intentionnellement pour tromper le cocontractant et le déterminer à conclure ; que la cour d'appel, qui ne relève pas que le silence reproché à M. Y... aurait été conservé intentionnellement par lui pour tromper le groupe X... a entaché sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 1116 C. civ. ; 6o la réticence dolosive n'est une cause de nullité de la convention que s'il est établi qu'elle a été déterminante du consentement des parties ;

que la cour d'appel, qui ne constate pas que le groupe X... aurait refusé de consentir à la désignation de M. Y... en connaissance de sa situation exacte, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du Code civil ; 7o la vente n'est parfaite que par l'accord des parties sur la chose et sur le prix ; qu'après avoir annulé la désignation du tiers nominativement choisi par les parties, la cour d'appel ne pouvait décider qu'à défaut d'accord sur la désignation d'un nouveau tiers, celui-ci pourrait être désigné judiciairement, sans violer les articles 1591 et 1592 du Code civil ;

Mais attendu que le contrat de vente conclu entre le cédant et l'acquéreur, et le mandat donné par ceux-ci à un tiers pour évaluer le prix, sont distincts ; que l'arbitre n'est partie qu'à ce second contrat ; qu'étant un tiers par rapport au premier, M. Y... est irrecevable en ses première, deuxième, et septième branches ;

Et attendu, sur les autres branches, que la cour d'appel retient exactement que si, aux termes de l'article 1592 du Code civil, le prix de la vente peut être laissé à l'arbitrage d'un tiers, il importe que ce mandataire commun des cocontractants ait véritablement la qualité de tiers, c'est-à-dire qu'il ne soit pas sous la dépendance de l'une des parties ; qu'elle constate que M. Y... avait exercé, auprès du président d'une société du groupe L'Oréal, la société L'Oréal Finances, de 1987 à la fin de l'année 1989, des fonctions de consultant en matière financière et que ces fonctions avaient donné lieu au paiement d'honoraires facturés pour un montant trimestriel hors taxes de 125 000 francs ; qu'elle en déduit à bon droit que M. Y..., qui ne rapportait pas la preuve de la notoriété de ces liens, devait en révéler l'existence à la partie qui l'ignorait, et que, faute de cette révélation, le consentement donné par le groupe X... n'a pas été exprimé librement ;

D'où il suit que le moyen, qui est pour partie irrecevable, est mal fondé pour le surplus ;

Sur le moyen du pourvoi principal de M. Y..., en tant que la société L'Oréal déclare le faire sien :

Attendu qu'en déclarant faire sien le moyen de M. Y..., et en demandant à la Cour de Cassation de " casser et annuler l'arrêt attaqué en toutes ses dispositions sur le moyen de cassation du pourvoi principal de M. Y... ", la société L'Oréal n'en modifie pas les termes et ne fait qu'en appuyer les griefs, qui ont été écartés par les motifs ci-dessus énoncés ; que le moyen de la société L'Oréal doit donc être, également, rejeté ;

Sur les deux moyens réunis du pourvoi provoqué de la société L'Oréal :

Attendu que la société L'Oréal fait grief à l'arrêt d'avoir invité les parties à désigner, dans le mois de sa signification, un " tiers-arbitre " chargé, en application de l'article 1592 du Code civil, de fixer le prix de la participation vendue à la société L'Oréal, et dit qu'à défaut de désignation dans le délai spécifié, il appartiendra à la partie la plus diligente de demander cette désignation au juge des référés du tribunal de grande instance de Paris, alors que si l'exécution du contrat de vente au prix fixé par le tiers-arbitre que, d'un commun accord, les parties au contrat avaient désigné à cette fin dans les termes de l'article 1592 du Code civil, ne fait pas obstacle, en cas de dol du tiers-arbitre, à ce que les parties ou l'une d'entre elles demande qu'il soit procédé à une nouvelle fixation du prix, celle-ci, ni prévue ni organisée par le contrat, ne peut résulter que de l'expertise instituée par le juge qui fait droit à la demande, d'où il suit qu'en se déterminant comme elle l'a fait, la cour d'appel a, selon le premier moyen, dénaturé le contrat qui faisait la loi des parties, selon le second moyen, méconnu ses pouvoirs et l'étendue de sa saisine en violation de l'article 12 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que la disposition, critiquée seulement en ce qu'elle invite les parties à désigner un autre " arbitre ", ne consiste qu'en une invitation à laquelle la société L'Oréal est libre de ne pas donner suite, de sorte qu'elle ne peut lui faire grief ;

D'où il suit que les moyens sont irrecevables ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.