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Décisions

CA Paris, Pôle 2 ch. 2, 6 février 2020, n° 18/01549

PARIS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cesaro Pautrot

Conseillers :

Mme Lefevre, Mme Chaintron

Avocat :

Me Cagneaux Dumont

CA Paris n° 18/01549

5 février 2020

EXPOSE DU LITIGE

Le 19 janvier 2012, Mme J F C M a acquis une maison d'habitation située à Lagny sur Marne, ...

M. E Y A L (et non comme indiqué par erreur dans le jugement déféré 'M. Y A L E' ainsi qu'en atteste la fiche Insee versée aux débats), qui exerçait sous l'enseigne commerciale Entreprise RBT, une activité d'entreprise de rénovation de bâtiment et de maçonnerie générale, a effectué des travaux de rénovation au domicile de Mme C M.

Mme C M a procédé au règlement d'une facture n° 113/2012 du 20 mai 2012 d'un montant de 12.574,76 euros.

Par exploit d'huissier en date du 11 décembre 2012, M. E Y A L a assigné Mme C M devant le président du tribunal de grande instance de Meaux statuant en référé aux fins d'obtenir le paiement d'une provision et, à titre subsidiaire, de voir ordonnée une expertise ayant pour objet d'examiner et de décrire les travaux récents effectués dans l'immeuble litigieux.

Par ordonnance du 30 janvier 2013, le juge des référés a rejeté les demandes de provision, fait droit à la demande d'expertise et a désigné M. H pour y procéder avec mission de 'dire si des travaux récents ont été effectués sur l'immeuble acquis par la défenderesse le 19 janvier 2012, en distinguant les opérations qui procèdent de la facture non contestée et déjà réglée du 20 mai 2012, et d'éventuels travaux complémentaires ; décrire ces travaux, les évaluer en comparant les coûts retenus avec la facture contestée du 5 octobre 2012".

Par ordonnance du 11 avril 2013, M. Z a été désigné en remplacement de M. I

L'expert a remis son rapport le 5 janvier 2015.

Le 3 décembre 2014, le tribunal de commerce de Bobigny a prononcé l'ouverture d`une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de M. E Y A L.

Par exploit d'huissier en date du 20 avril 2015, Me Jeanne agissant en qualité de mandataire liquidateur de M. E Y A L a fait assigner Mme C M devant le tribunal de grande instance de Meaux aux fins d'obtenir le paiement de la somme de 52.212,83 euros au titre d'une facture de travaux.

Par jugement rendu le 23 novembre 2017, le tribunal de grande instance de Meaux a :

- condamné Mme C M à payer à Me Jeanne, mandataire liquidateur agissant en qualité de mandataire liquidateur de M. Y A L E exerçant sous l'enseigne entreprise RBT la somme de 51.884,83 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 17 octobre 2012 ;

- rejeté la demande de dommages et intérêts formulée par Me Jeanne, mandataire liquidateur agissant en qualité de mandataire liquidateur de M. Y A L E exerçant sous l'enseigne entreprise RBT ;

- rejeté la demande de dommages et intérêts formulée par Mme C M ;

- condamné Mme C M à payer à Me Jeanne, mandataire liquidateur agissant en qualité de mandataire liquidateur de M. Y A L E exerçant sous l'enseigne entreprise RBT la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné Mme C M au paiement des entiers dépens en ceux compris les frais d'expertise; - rejeté la demande d'exécution provisoire.

Par déclaration du 11 janvier 2018, Mme C M a relevé appel des chefs de ce jugement lui faisant grief. Elle a fait signifier à Me Jeanne sa déclaration d'appel et ses conclusions d'appelante n° 1 par actes d'huissier respectivement délivrés les 26 mars 2018 et 5 avril 2018 à l'étude de Me Jeanne, de même que ses conclusions n° 2, par acte d'huissier du 30 juillet délivré à personne morale.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 novembre 2019.

Par conclusions d'appelante n° 3, notifiées par voie électronique le 6 novembre 2019, postérieurement au prononcé de l'ordonnance de clôture, Mme C M demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions critiquées,

Statuant à nouveau,

- débouter Me Jeanne en qualité de mandataire judiciaire à la liquidation de M. Y A L de ses prétentions fondées sur l'existence d'un contrat d'entreprise et, subsidiairement, sur la gestion d'affaires ou sur l'enrichissement sans cause,

A titre subsidiaire,

- fixer l'indemnité due à Me Jeanne en qualité de mandataire judiciaire à la liquidation de M. Y A L sur le fondement de l'enrichissement sans cause à la somme de 12.156,71 euros,

En tout état de cause,

- dire et juger n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, et, en tant que de besoin, la décharger de toute condamnation de ce chef,

- dire que les dépens de première instance et d'appel seront partagés par moitié entre les parties en ceux compris les frais d'expertise.

Ces conclusions ont été signifiées à Me Jeanne en son étude par exploit d'huissier du 8 novembre 2019.

Par dernières écritures notifiées par voie électronique le 25 novembre 2019, Mme C M a sollicité le report de l'ordonnance de clôture fixée au 6 novembre 2019, compte tenu du dysfonctionnement national du système RPVA qui l'a empêchée de communiquer via e barreau les 5 et 6 novembre 2019.

Me Jeanne, mandataire judiciaire, n'a pas constitué avocat.

MOTIFS

Sur la révocation de l'ordonnance de clôture

En application des dispositions de l'article 784 du code de procédure civile, l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue.

En l'espèce, Mme C M justifie du dysfonctionnement du système de communication électronique (RPVA) le jour du prononcé de l'ordonnance de clôture, notamment, par la production d'un mail de l'ordre des avocats du barreau de Meaux du 6 novembre 2019 qui précise que 'depuis le milieu de la matinée, les services du RPVA sont en panne'. Elle a par ailleurs régulièrement fait signifier à l'étude de Me Jeanne, par exploit d'huissier du 8 novembre 2019, ses dernières écritures communiquées par RPVA le 6 novembre 2019.

Mme C M justifie par conséquent d'une cause grave au sens des dispositions légales précitées.

Il y a donc lieu de faire droit à sa demande de révocation de l'ordonnance de clôture du 6 novembre 2019, de prononcer la clôture de l'instruction au 3 décembre 2019, date des plaidoiries, et de déclarer recevables ses conclusions numéro 3 notifiées par voie électronique le 6 février 2019.

Sur les demandes au titre du contrat d'entreprise

Mme C M critique le jugement déféré en ce qu'il a retenu l'existence d'un contrat d'entreprise conclu avec M. Y A L, son ancien concubin. Elle expose que dès lors que ce dernier soutient avoir réalisé les travaux litigieux en tant qu'entrepreneur, il doit justifier l'avoir informée préalablement à la conclusion du contrat de la nature et de l'ampleur de ces travaux, de leur prix et des garanties fournies. Elle allègue qu'il ne produit pas de contrat écrit, qu'il ne justifie pas de l'impossibilité morale d'établir un devis au sens de l'article 1348 du code civil et qu'il ne prouve pas le caractère onéreux de l'aide apportée à la réalisation des travaux.

En application des dispositions de l'article 1710 du code civil, le louage d'ouvrage est un contrat par lequel l'une des parties s'engage à faire quelque chose pour l'autre, moyennant un prix convenu entre elles. Par ailleurs, l'article 1779 de ce code dispose qu'il y a trois espèces principales de louage d'ouvrage et d'industrie, dont celui des entrepreneurs d'ouvrage.

Il est constant que le contrat de louage n'est soumis à aucun formalisme particulier, que la preuve du contrat d'entreprise peut être rapportée par tous moyens et que l'établissement d'un devis n'est pas nécessaire à son existence. Un accord préalable sur le montant exact de la rémunération n'est pas un élément essentiel du contrat d'entreprise.

Les dispositions du code de la consommation s'appliquent au contrat de louage d'ouvrage et d'industrie conclu entre un professionnel et un non professionnel. L'article L. 111-1 de ce code, dans sa version applicable à la cause, n'impose pas que l'information due par le professionnel prenne la forme d'un devis.

Par ailleurs, l'article 1315 du code civil, dans sa version en vigueur antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

Aux termes de l'article 1341, ancien, du code civil, il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes choses excédant une somme ou une valeur fixée par décret (1.500 euros). Toutefois, cette règle reçoit exception, en application de l'article 1348, ancien, de ce code lorsque l'une des parties, n'a pas eu la possibilité matérielle ou morale de se procurer une preuve littérale de l'acte juridique.

En l'espèce, il est constant que les parties ont entretenu des liens affectifs et de confiance dans le cadre d'une relation de concubinage et qu'elles ont envisagé les travaux dans le but de vivre ensemble dans la maison acquise par Mme C M.

Cependant, M. Y A L qui exerçait une activité d'entrepreneur, sous l'enseigne entreprise RBT, ne pouvait ignorer les précautions à prendre en matière de règles de preuve pour justifier de l'accord de Mme C M sur l'étendue des travaux entrepris et leur caractère onéreux, alors qu'il avait déjà effectué des travaux pour son compte dans un autre bien lui appartenant et avait à cette occasion établi un devis et une facture. La preuve de l'impossibilité matérielle ou morale d'établir un écrit n'est donc pas rapportée.

En revanche, la preuve du caractère onéreux des travaux réalisés par M. Y A L est rapportée par le règlement par Mme C M des sommes suivantes :

- 12.574,76 euros au titre d'une facture n° 113/2012 du 20 mai 2012, émise par l'entreprise RBT à la demande de l'appelante afin de lui permettre de bénéficier d'un crédit d'impôt, réglée le 15 juin 2012 par deux versements d'un montant respectif de 9.685 euros et 2.889,76 euros,

- 20.000 euros au titre des fournitures par deux chèques de 10.000 euros chacun les 17 février et 26 avril 2012,

- 400 euros au titre de la menuiserie,

- 500 euros au titre de la reprise des bavettes d'appuis.

Mme C M a donc réglé à M. Y A L au titre des travaux et des fournitures la somme totale de 33.474,76 euros mentionnée par l'expert dans son rapport.

Si les attestations versées aux débats par Mme C M précisent que les travaux étaient réalisés dans l'optique d'une vie commune future, elles ne permettent pas de considérer que M. Y A L intervenait à titre gratuit. Au contraire, le fils de Mme C M, M. B D K, indique'J'entendais ma mère lui dire que son budget était de 30.000 euros.'

Les pièces versées aux débats démontrent également que Mme C M ne pouvait ignorer l'étendue des travaux litigieux dès lors qu'ils ont été réalisés à son domicile, dont elle est l'unique propriétaire, et qu'elle y a participé avec son fils.

L'expert a précisément décrit les travaux effectués dans la maison de Mme C M et les a détaillés et chiffrés poste par poste.

Le rapport conclut que 'les travaux réalisés par l'entreprise RBT et les intervenants diligentés par Mme C M ont abouti à une réfection totale d'une maison d'habitation', qu'ils 'ne peuvent s'apparenter à des travaux uniquement d'embellissement', que 'la reprise totale de l'isolation, des menuiseries, de la couverture, de l'installation de plomberie et de chauffage concourt à une amélioration significative de l'habitation de Mme C M et par suite à une valorisation de ce bien immobilier.'

Il s'en déduit que c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que l'ampleur des travaux réalisés, tels que décrits par l'expert et la 'mobilisation' de l'unique membre de l'entreprise RBT du mois de février au mois de septembre 2012, ne sont pas compatibles avec des travaux réalisés uniquement à titre privé.

L'expert a estimé le montant total des travaux réalisés par M. Y A L, à l'exclusion de ceux effectués par le fils de Mme C M, à la somme de 85.359,59 euros TTC, duquel doit être déduite la somme totale réglée par Mme C M au titre des travaux et fournitures d'un montant de 33.474,76 euros, soit une somme restant due par l'appelante de 51.884,83 euros.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné, au titre du contrat d'entreprise liant les parties, Mme C M à payer à Me X G en qualité de mandataire liquidateur de M. Y A L la somme de 51.884,83 euros avec intérêts au taux légal à compter du 17 octobre 2012, date de la mise en demeure.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

L'équité commande de confirmer la décision déférée au titre des frais irrépétibles de première instance. En revanche, il n'y a pas lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Mme C M, partie perdante, supportera les entiers dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par décision de défaut, mise à disposition au greffe,

Révoque l'ordonnance de clôture du 6 novembre 2019 ;

Prononce la clôture de l'instruction au 3 décembre 2019 ;

Déclare recevables les conclusions n° 3 de Mme J C M notifiées par RPVA le 6 novembre 2019 ;

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Déboute Mme J C M de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne Mme J C M au paiement des dépens d'appel.