CA Reims, ch. civ. sect. 1, 26 juillet 2005, n° 04/01068
REIMS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
MUTUELLES DU MANS ASSURANCES IARD, SA ROMIDIS
Défendeur :
GRELET
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ruffier
Conseillers :
M. Perrot, M. Alesandrini
Avoués :
SCP THOMA-LE RUNIGO-DELAVEAU-GAUDEAUX , SCP DELVINCOURT - JACQUEMET
Avocats :
SCP GEORGE CHASSAGNON, SCP COLOMES VANGHEESDAELE
Vu le jugement rendu le 25 février 2004 par le Tribunal de Grande Instance de TROYES, ayant:
- dit que la SA ROMIDIS et LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES devront payer à Madame Sylvie GRELET la somme en principal de 3 308,02 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 13 décembre 2000 ;
- dit que la SA ROMIDIS et LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES devront payer a Madame Sylvie GRELET la somme de 1 000 euros, en application de t'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ;
- déboute ta SA ROMIDIS et LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES de I’ensemble de leurs demandes reconventionnelles;
- ordonne I'exécution provisoire du présent jugement;
- dit que la SA ROMIDIS et LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES devront supporter les entiers dépens, lesquels seront recouvrés par la SCPCOLOMES-VANGHEESDAELE, avocat conformément aux dispositions de I'article 699 du Nouveau Code de procédure civile :
Vu I’appel régulièrement interjeté centre cette décision le 30 avril 2004 par LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES et la SA ROMIDIS, et leurs conclusions déposées le 30 août 2004 ;
Vu, ensemble, la constitution d’avoue de Madame GRELET en date du 6 octobre 2004, ses conclusions du 31 décembre 2004, et celles, de reprise et responsives, régularisées le 10 février 2005 par les appelantes ;
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 17 mars 2005, fixant I'affaire pour plaidoirie à l’audience du 2 mai 2005 ;
Attendu que Madame GRELET, s’étant présentée, le 17 octobre 1999, à la station automatique de lavage du Centre Commercial LECLERC de ROMILLY SUR SEINE (10), y plaçait son véhicule RENAULT SUPER 5, insérait de la monnaie dans I’appareil, puis regagnait sa voiture dont sa tante était restée passagère ;
Attendu, la machine s'étant mise normalement en marche, mais ensuite brutalement arrêtée en cours de lavage, que Madame GRELET effectuait une marche arrière sur plusieurs mètres, actionnait les boutons de commandes, et obtenait la remise en marche de I’appareil, avant que I’un de ses balais ne se positionne de travers et qu’un bruit sourd ne se fasse entendre, puis que le portique de lavage ne s'effondre sur le véhicule, après que sa conductrice fut néanmoins parvenue à reculer en tentant ainsi une manœuvre de sauvetage, ayant permis d’éviter toute victime, sinon d’endommager sérieusement le véhicule ;
Attendu qu’à défaut d'indemnisation amiable de son préjudice, Madame GRELET faisait attraire, par exploits des 13 et 14 décembre 2000, tant la SA ROMIDIS, exploitante de la station de lavage, que I'assureur de cette dernière, la Compagnie LES MUTUELLES DU MANS, devant le Tribunal d'instance de ROMILLY SUR SEINE, en poursuivant leur condamnation solidaire en 21 699,18 F (3 308,02 euros) de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel, avec intérêts au taux légal depuis I’assignation, ainsi qu'en une indemnité de 5 000 F (762,25 euros), du chef de ses frais irrépétibles ;
Attendu que, pour s'opposer à de telles prétentions, la SA ROMIDIS et son assureur contestaient le fondement juridique de l'action entreprise, en arguant que la responsabilité d’un propriétaire de magasin libre-service était quasi-délictuelle, et que Madame GRELET avait en l'espèce commis une faute à l'origine du sinistre, pour solliciter reconventionnellement au visa de la loi du 5 juillet 1985, sa condamnation, I’assureur, subrogé dans les droits de son assurés, en 219 650 F (33 485,43 euros), et, l'assuré, en 12 044 F (1 836,10 euros), en réparation du préjudice matériel directement subi par celui-ci et à sa perte d’exploitation en étant résultée, ainsi qu’en 5 000 F (762,25 euros) en déduction de leurs frais non répétibles de procédure ;
Attendu qu’ensuite du jugement rendu le 14 septembre 2001 par le Tribunal d’instance de ROMILLY SUR SEINE, s'étant déclaré incompétent, au vu du montant des demandes reconventionnelles, au profit du Tribunal de grande instance de TROYES, puis de la réitération par les parties de leurs respectives prétentions devant cette juridiction de renvoi, les premiers juges devaient, dans les termes susvisés de la décision déférée, dire la SA ROMIDIS et LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES tenues de payer à Madame Sylvie GRELET un principal de 3 308,02 euros, avec intérêts au taux Iégal à compter du 13 décembre 2000, outre une indemnité de 1 000 euros, du chef de ses frais irrépétibles, en les déboutant de leurs demandes reconventionnelles, moyennant exécution provisoire, et en condamnant les mêmes aux entiers dépens ;
Attendu qu’il n’est pas sérieusement contestable, comme à bon droit retenu par le Tribunal, que le fondement de l'action diligentée par Madame GRELET revêt une nature éminemment contractuelle, en I’état d’une indéniable pollicitation de la part de l'exploitant, résultant de la présence même de l'appareil de lavage mis à disposition du public, et de l'acceptation de cette offre par le client, résidant dans le fait pour celui-ci d’y répondre en suivant la procédure requise pour la mise en marche de l'installation ;
Attendu ensuite, et nonobstant toutes prétentions contraires des appelantes, que cette convention ne consiste nullement en un louage de chose, au sens de l'article 1709 du Code Civil, mais s’analyse bien plutôt en un louage d’ouvrage ou contrat d'entreprise, dument caractérisé en l'ensemble de ses éléments constitutifs, dès l’instant que toutes les composantes en sont en l'occurrence réunies, en l'état d’un entrepreneur (l'exploitant de l'appareil), d'un maitre de l'ouvrage (le client), d’un travail que le premier s’engage à accomplir au profit du second par le truchement de la machine de lavage automatique lui appartenant, dont il détermine les conditions d’utilisation et de fonctionnement, et de I’acquittement par le client d’une rémunération de la prestation ;
Attendu qu’il est à cet égard indifférent que I'entrepreneur n’effectue pas lui-même le travail, ce dont il n’est jamais tenu au titre du contrat d’entreprise, et même qu’il ne prenne personnellement aucune part dans la fourniture de la prestation, puisqu’il demeure constant qu’en sa qualité d’exploitant de I’appareil, il prend néanmoins les risques d’un éventuel mauvais positionnement du véhicule sur celui-ci, à partir du moment où il accepte, par définition, que le client y place lui-même le véhicule, sans qu'aucune autre prestation soit fournie par ce dernier, mais par I'appareil automatique ;
Attendu qu’il s’en déduit que la responsabilité civile susceptible d'être engagés au titre de l’exécution d’un tel contrat d’entreprise doit s’apprécier au regard des articles 1788 et suivants du Code Civil, sachant en I’espèce que, dans la mesure ou I’entrepreneur ne fournit pas la matière, sa responsabilité est plus précisément déterminée par les articles 1789 et 1790 dudit Code ;
Or attendu qu’il est acquis que cette responsabilité procède en pareille hypothèse d’une obligation de résultat, dès I’instant que le principe même de I’utilisation de I’appareil automatique suffit à démontrer que l'opération peut être effectuée par quiconque, sans qualification ou compétence particulière, le système automatisé devant en effet censément prévenir tout aléa dans le cours des opérations, en garantissant I’obtention du résultat contractuellement promis ;
Attendu qu’il est ainsi admis que l’exploitant se doit de mettre à la disposition de son client un matériel en parfait état de fonctionnement, fiable et sûr, de nature à assurer le nettoyage de la surface de la carrosserie du véhicule en laissant la tôlerie et la peinture la recouvrant dans le même état qu’à son arrivée, de sorte que le seul défaut d’obtention de ce résultat fait peser sur I'exploitant une présomption de faute, dont il ne peut être admis à s’exonérer qu’en faisant la preuve de I’existence d’une cause étrangère ;
Attendu qu’il est dès lors erronément allégué par les appelantes que Madame GRELET n'établirait pas la défectuosité du matériel mis à sa disposition, puisque, I’entrepreneur étant présumé en faute, il ne revient nullement à I’intimée d’en démontrer la responsabilité, mais à celui-ci et son assureur de faire la preuve de I’existence d’une cause étrangère, seule susceptible de I’en exonérer ;
Attendu que I’entrepreneur et son assureur imputent encore à tort à Madame GRELET d’avoir commis une faute à I’origine du sinistre, en postulant que I’intéressée aurait, dès le début des opérations, mal positionné son véhicule dans le sabot de I'appareil prévu à cet effet, ce qui en aurait provoque I’arret soudain, apres mise en oeuvre de son système de sécurité, alors même qu’il y a tout lieu de penser que, si véritablement le véhicule avait été dès le départ mal placé dans I’appareil, celui-ci n’aurait déjà pas dû seulement démarrer, tandis qu’il est en I'espèce parfaitement avéré que la machine avait normalement débuté son programme de lavage avant de subitement I’interrompre ;
Et attendu que la SA ROMIDIS et LES MUTUELLES DU MANS font tout aussi vainement grief à Madame GRELET d’être remontée à bord de sa voiture au lieu de s'être tenue à proximité du panneau de commande, étant en effet non moins constant qu’aucune consigne de sécurité n’interdisait au client de regagner son véhicule avant le lavage et d’y demeurer pendant son déroulement, ni ne lui prescrivait autrement de rester aux abords du panneau de commande ;
Attendu en effet que les seules instructions fournies au client pour I’utilisation de la station de lavage automatique I'invitaient à protéger les accessoires du véhicule et à le placer sur I’aire de lavage jusqu'au sabot, en serrant le frein à main, sans contenir aucune interdiction ni même la moindre recommandation visant seulement à indiquer qu’il convenait de demeurer à I'extérieur du véhicule ;
Attendu des lors, et même si, en dépit de toutes assertions contraires de I’intimée, il n’est pas forcément si courant ni, surtout, très judicieux, de regagner son véhicule après avoir déclenché le processus de mise en route de I’appareil, pour y rester pendant l’exécution du programme de lavage, qu'aucune faute ne peut être pour autant reprochée à l'nteressée de ce chef, tant il est vrai aussi que, l’opération étant temporisée, et ne se déclenchant donc que dans un certain délai après I’introduction des pièces dans la machine et I’enclenchement du bouton de commande, il n’existe aucune impossibilité matérielle pour le client de regagner son véhicule, ni aucun inconvénient à ce qu'il y reste pendant le lavage, sauf, naturellement, son impossibilité pratique d’en sortir en cours de programme, et donc d’accéder aussi, en tant que de besoin, soit notamment en cas de nécessité, voire d’urgence, au panneau de commande pour arrêter prématurément le programme ;
Attendu par conséquent que, si I’éventuelle pratique consistant à regagner I’intérieur de son véhicule pour y rester pendant le lavage n’est certes pas, pour ces motifs, des plus recommandables, elle n’est pas pour autant proscrite par de quelconques instructions en ce sens, et ne s'impose pas non plus nécessairement à I’évidence, puisque, si tout se déroule normalement, comme l'on est encore raisonnablement en droit de I’espérer, aucun inconvénient ne peut résulter de cette pratique ;
Attendu par ailleurs, et en tout état de cause, que le seul fait que Madame GRELET fut demeurée dans son véhicule n’a pu avoir aucun rôle causal dans l’arrêt inopiné du système, cependant qu’en l’absence de toute instruction davantage dispensée au client sur la marche à suivre en pareille circonstance, I’intéressée n’encourt pas plus le moindre grief pour, après avoir, - comme elle I'indique, sans être sur ce point contredite -, attendu quelques minutes ou, du moins, quelques instants, afin de voir si I’appareil redémarrait, avoir procédé à une marche arrière jusqu'à accéder au panneau de commande pour enclencher de nouveau le système, des lors qu’il n'est pas démontré que cette manœuvre, à la supposer même seule et directement responsable de la torsion de la brosse horizontale, et de la chute de rentier portique s’en étant suivie, fut reprochable à la cliente ;
Attendu que l'absence de toute faute caractérisée de I’intimée est d’ailleurs d'autant plus acquise aux débats que le contrat d’entreprise fait peser sur I’exploitant de I’appareil les risques d’un mauvais positionnement du véhicule, puisqu'il accepte nécessairement, s’agissant d'une station de lavage entièrement automatisée, que le client y procède lui-même, à I’instar du garagiste lorsqu’il demande au client de placer lui-même son véhicule sur pont élevateur;
Attendu au surplus que I'entrepreneur, par ailleurs tenu d'une obligation de résultat, se doublant d’une obligation de sécurité, se doit de mettre à la disposition de ses clients un appareil doté des systèmes de sécurité nécessaires pour éviter précisément toutes conséquences dommageables résultant de toutes fausses manœuvres de leur part, restant au demeurant parfaitement prévisibles ;
Or attendu que Madame GRELET est par suite fondée à soutenir que le dispositif de sécurité aurait dû interdire tout fonctionnement de la machine, et donc la remise en route de ses balais de lavage, à partir du moment ou le véhicule était mal positionné, pour n'avoir alors pas rejoint le sabot, ce qu’elle n’avait précisément pas eu le temps de faire avant que la machine ne redémarre ;
Attendu que les premiers juges ont ainsi pertinemment relevé qu’aucune faute de Madame GRELET, ni davantage aucune autre cause étrangère, ne pouvait exonérer I’entrepreneur de sa responsabilité contractuelle, à raison d’un dysfonctionnement manifeste de I’appareil, d’abord en cours de lavage, puisque le programme, ayant bien pourtant débuté, devait brutalement s'interrompre, sans raison apparente ni même depuis lors élucidée, avant de se remettre en route alors même que le véhicule n’était plus cette fois-ci positionné sur le sabot, ainsi que pourtant prévu lors de la procédure de démarrage ;
Attendu que la méconnaissance par I’exploitant de son obligation de mettre à disposition de ses clients un matériel en parfait état de fonctionnement, fiable et sur, est donc en I’espèce de toute évidence consommée, sans qu’il parvienne à utilement se défendre de sa responsabilité découlant de ce seul constat ;
Attendu que le jugement sera par conséquent confirmé, pour avoir justement mis à la charge de la SA ROMIDIS et de son assureur la réparation du préjudice matériel subi par Madame GRELET, à hauteur de la somme dument justifiée de 3 308,02 euros, comprenant la valeur du véhicule, à présent à I'état d’épave, Ies frais de son remorquage, outre le préjudice inhérent à son immobilisation ;
Et attendu que Ies appelantes, ne pouvant être admises, pour Ies motifs précédents, à prêter à la convention la qualification de louage de chose, ne sauraient, partant, davantage prospérer à faire grief à Madame GRELET, sous couvert de lui imputer une faute, en réalité inexistante, d'un quelconque manquement à sa prétendue obligation de restituer la machine de lavage, constituant selon elles I’objet d’une telle convention, alors même que semblable obligation ne peut peser sur I’intimée en I'état du seul contrat de louage d’ouvrage ayant jamais été conclu, ce qui leur interdit donc de prétendre à I'indemnisation par I’intimée de leur préjudice matériel né de I’endommagement de I’appareil de lavage, et des pertes d’exploitation en étant résultées pour la SA ROMIDIS ;
Et attendu qu’elles ne peuvent plus utilement invoquer, au soutien de telles prétentions, les dispositions de la loi du 5 juillet 1985, aux motifs, à supposer même que celle-ci ait vocation à s’appliquer, - ce qui est déjà sujet à caution, en raison du contrat de louage d'ouvrage dont le véhicule était alors l'objet, sans être en circulation ni en stationnement sur une voie proprement dite, publique ou privée, mais en phase d’exécution de la prestation de service de lavage automatique -, qu’elles seraient en toute hypothèse inopérantes, en I’état de la seule faute commise par la SA ROMIDIS, qui viendrait encore à définitivement exclure son droit à réparation, au visa de I’article 5 de ladite loi, fût-elle même en toute hypothèse reconnue applicable au présent litige ;
Attendu qu’il s’ensuit que la décision déférée sera également confirmée du chef du débouté des appelantes de leurs demandes reconventionnelles, et donc en toutes ses dispositions, auxquelles il ne sera dès lors ajouté que pour condamner la SA ROMIDIS et son assureur, LES MUTUELLES DU MANS, mais toutefois seulement in solidum - sinon en effet solidairement, en l'absence ici de toute cause de solidarité légale ou conventionnelle -, à payer à Madame GRELET, au visa de I’article 700 du nouveau Code de procédure civile, I’indemnité de 1 500 euros par elle equitablement requise, en deduction des nouveaux frais irrépétibles d’appel qu’elles I’ont contrainte à légitimement exposer et qui ne sont pas compris dans les dépens y afférents, dont les mêmes seront, sous semblable condamnation in solidum, intégralement tenues, moyennant distraction au profit de la SCP DELVINCOURT JACQUEMET, Avoues à la Cour ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant publiquement et contradictoirement,
EN LA FORME,
DECLARE la SA ROMIDIS et la Compagnie LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES RECEVABLES en leur appel ;
AU FOND,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
DEBOUTE en conséquence la SA ROMIDIS et LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES de I'ensemble des fins de leur appel ;
ET AJOUTANT à la décision déférée,
CONDAMNE in solidum la SA ROMIDIS et LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES à payer à Madame GRELET, en vertu de I’article 700 du nouveau Code de procédure civile, une indemnité de 1 500 euros, en déduction de ses frais irrépétibles d’appel;
CONDAMNE enfin in solidum les mêmes aux entiers dépens moyennant distraction au profit de la SCP DELVIN Avoues a la Cour.