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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 1 février 2001, n° 00/02591

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Mieral

Défendeur :

Podia France (SARL), Ordan (Epoux), Alcaraz

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Laporte

Conseillers :

M. Fedou, M. Coupin

Avoués :

SCP Keime-Guttin, SCP Lissarrague-Dupuis & Associes

Avocats :

Me Duguet, Me Leblond

CA Versailles n° 00/02591

31 janvier 2001

FAITS. PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES :

La société en nom collectif PODIA FRANCE qui a pour objet social I’exploitation d'un fonds de commerce de négoce d'équipements et d'instrumentation de podologie, a été constituée le 12 mars 1974 et transformée en société à responsabilité limitée le 30 septembre 1976. Par suite de leur divorce, les époux ALCARAZ-MIERAL se sont partagés la participation de 45% détenue par monsieur ALCARAZ, associé fondateur.

Diverses cessions de parts étant, par ailleurs, intervenues le capital social s'est trouvé reparti entre monsieur ALCARAZ 22,5%, madame MIERAL 22,5%, monsieur Michel ORDAN 45%, madame ORDAN 10%.

Selon délibération d'assemblée en date du 08 octobre 1998, la société à responsabilité limitée PODIA FRANCE a adopté la forme anonyme.

Monsieur Michel ORDAN est décédé, laissant pour héritier son épouse et deux enfants mineurs Fanny et Marie Amelie. Les consorts ORDAN et madame ORDAN ont cédé en février 1999 la totalité des actions qu'ils détenaient dans le capital de la société PODIA FRANCE.

Se plaignant de I'inexistence puis de I'insuffisance des dividendes distribués, madame Claudine MIERAL a saisi le tribunal de commerce de Nanterre pour voir prononcer I'annulation des assemblées générales ayant affecté les bénéfices des exercices 1984 à 1998 au compte de report à nouveau et ordonner la distribution des dividendes, subsidiairement prendre acte de son accord sur la proposition d'acquisition de sa participation et ordonner la matérialisation de la transaction.

Par jugement rendu le 23 février 2000, cette juridiction a déclaré madame MIERAL irrecevable en sa double demande principale au motif qu'une action identique engagée à l’encontre de la seule société PODIA FRANCE était pendante devant la cour d'appel. Elle a dit satisfactoire la proposition d'achat des actions de madame MIERAL par la société VECTEUR au prix de 1.250.000 francs et a donné acte à la demanderesse de son acceptation.

Madame MIERAL qui est appelante de la décision, soutient que les premiers juges ont fait une application inexacte des dispositions de I'article 101 du nouveau code de procédure civile en retenant l'irrecevabilité tirée de la connexité avec l'instance précédente. Contestant l'application de la régie "non bis in idem", elle demande à la cour de suspendre le sort de I'instance au résultat du premier procès et de ne pas déclarer son action irrecevable avant même qu'il n'ait été juge des mérites et de I'opportunité de la première.

S'opposant à la demande de mise hors de cause des consorts ORDAN, et soutenant que la prescription résultant de I'article 367 de la loi du 24 juillet 1966 (L. 235-9 du Code de Commerce) lui permet de contester toutes les assemblées postérieures au 1er septembre 1991, elle rappelle les dispositions de I'article 1832 du code civil et fait valoir que les 22,5% du capital qui lui ont été attribués le 25 juin 1984 pour une valeur de 47.250 francs ne lui ont pas permis de profiter de la prospérité de I'entreprise, alors qu'elle ne peut aucunement céder ses parts.

Elle soutient que l'absence de proposition de rachat amiable de ses parts justifie que soit retenue la notion d'abus de majorité et que soit prononcée la nullité rétroactive des assemblées générales concernées.

Elle explique avoir explicitement accepté la proposition d'achat à un prix de 1.120.000 francs faite par la société VECTEUR, qui s'est qualifiée de mandataire de monsieur ALCARAZ, mais ultérieurement et abusivement rétractée.

Elle conclut à la reformation du jugement, à l'annulation des délibérations d'assemblées affectant les résultats annuels des exercices courus depuis le 1er septembre 1991. Elle demande à la cour d'ordonner la distribution des dividendes bénéficiaires, de prendre acte de son accord sur la cession de ses parts sociales au prix de 1.120.000 francs, d'ordonner cette transaction et de condamner les défendeurs au paiement des participations ainsi vendues. Elle sollicite en outre une indemnité de procédure de 50.000 francs.

La société PODIA FRANCE fait valoir que madame MIERAL est irrecevable à présenter contre elle une demande identique à celle de la procédure pendante devant la cour d'appel. Madame ORDAN et les consorts ORDAN exposent qu'ils ont cédé à une société CE2M leurs participations, qu’ils ne sont plus actionnaires. Ils en concluent à I'irrecevabilité de l’appelante et sollicitent leur mise hors de cause.

Sur le fond, les intimes exposent que par I’effet de la prescription seules les assemblées postérieures au 14 juin 1996 peuvent être concernées par la demande et soulignent que madame MIERAL a reçu une somme de 45.000 francs au titre de dividendes pour chacun des exercices clos les 30 septembre 1995, 1996 et 1997. Ils contestant la réalité de tout abus de majorité dès lors que le report des bénéfices a été décidé pour des raisons liées à la politique économique de la société dans I'intérêt de celle-ci et non pas dans l'intention de nuire à I‘associée minoritaire.

Rappelant les différentes propositions infructueuses antérieurement faites, ils soulignent que madame MIERAL est mal fondée à exiger le rachat de sa participation à un prix qu'elle a elle-même déterminé.

Ils demandent, en conséquence, à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de mettre hors de cause madame et les consorts ORDAN en leur allouant une somme de 50.000 francs à titre de dommages et intérêts et une indemnité de procédure de 20.000 francs, de déclarer irrecevable la demande dirigée contre la société PODIA FRANCE en lui accordant une somme de 50.000 francs à titre de dommages et intérêts et une indemnité de procédure de 30.000francs, de dire que l’action de madame MIERAL est prescrite à l’égard des assemblées antérieures au 14 juin 1996. Subsidiairement, ils concluent au débouté de madame MIERAL de ses demandes en annulation des assemblées et tendant à ordonner la distribution des dividendes. Ils demandent de déclarer satisfactoire, en tant que de besoin, l’offre de la société VECTEUR mais de constater qu'elle ne les lie pas. Ils sollicitent la condamnation de madame MIERAL au paiement d'une somme de 150.000 francs à titre de dommages et intérêts et, à chacun, d'une indemnité de procédure de francs.

La procédure a été clôturée par une ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 09 novembre 2000 et l’affaire a été invoquée à l’audience du 05 décembre 2000.

MOTIFS DE LA DECISION

>- Sur la recevabilité de l’action

Considérant que le tribunal de commerce de Nanterre a, par jugement du 12 septembre 1997, déclaré madame MIERAL irrecevable en une demande en annulation d'assemblées générales qu'elle avait dirigé contre la seule société PODIA FRANCE, alors que le fondement d'abus de majorité qui la sous-tendait nécessitait la présence à la cause des associés auteurs prétendus de l’abus allégué ; que madame MIERAL a interjeté appel de ce premier jugement;

Considérant que madame MIERAL, par assignation du 14 juin 1999, a introduit devant le tribunal de commerce de Nanterre une nouvelle demande, identique à la précédente et sur les mêmes fondements, mais dirigée centre la société PODIA FRANCE et ses associés ; qu'à la date de l'exploit introductif d'instance, I’appel du jugement était pendant devant la cour; que l’effet dévolutif de I'appel résultant des dispositions des articles 561 et suivants du nouveau code de procédure civile a pour conséquence de rendre irrecevable, faute d’intérêt, I'action de madame MIERAL centre la société PODIA FRANCE ;

Que c’est à bon droit que les premiers juges ont déclaré madame MIERAL irrecevable à l’encontre de la société ;

Considérant qu’il n'a pas été soutenu une exception de connexité devant les premiers juges qui ne pouvaient, contrairement à ce que prétend madame MIERAL, renvoyer la deuxième instance devant la cour d'appel pour la lier à la première sans priver du premier degré de juridiction les consorts ORDAN et monsieur ALCARAZ ; que madame MIERAL ne peut arguer, pour la première fois devant la cour, des dispositions de l’article 101 du nouveau code de procédure civile et d'une prétendue connexité entre les deux demandes qu'elle a elle-même introduites;

Que l'appréciation de la recevabilité de I'action s'appréciant au jour de son introduction, il ne saurait être fait droit à la demande de madame MIERAL de suspendre le sort de la seconde instance au résultat du premier procès ;

Considérant que l’abus de majorité est, en l’espèce, recherché pour l'affectation, critiquée par madame MIERAL, des résultats bénéficiaires; que cette affectation résulte du vote de résolutions qui, s'il est avéré abusif, ne peut être reproche qu'à leurs auteurs; Qu'il s'ensuit que Madame ORDAN et ses deux filles venant aux droits de monsieur ORDAN sont mal fondées en leur demande de mise hors de cause au motif qu'elles ont récemment cédé à un tiers les participations qu'elles détenaient dans le capital de la société PODIA FRANCE ;

>- Sur la prescription de l’action

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 235-9 du Code de Commerce, les actions en nullité de délibérations se prescrivent par trois ans à compter du jour ou la nullité est encourue ;

Que madame MIERAL a, pour la première fois, formulée sa demande contre monsieur ALCARAZ, madame ORDAN et consorts par acte du 14 juin 1999 ; que la prescription ne saurait, à leur égard, avoir été suspendue par des demandes judiciaires formées à l’encontre de la société PODIA FRANCE ;

Qu’il en résulte que, dans la présente instance, ne peut être demandée I'annulation d'assemblées réunies antérieurement à la date du 14 juin 1996 ;

Que les assemblées litigieuses non prescrites sont donc celles de la société à responsabilité limitée du 19 août 1997 et du 18 mars 1998 statuant sur les comptes des exercices clos les 30 septembre 1996 et 1997, ainsi que I‘assemblée de la société sous sa nouvelle forme anonyme du 29 juin 1999 sur les comptes de I'exercice clos au 31 décembre 1998 ;

Considérant que madame MIERAL ne peut soutenir que le débat sur I'absence de distribution des dividendes mis en attente par une mesure inlassablement reconduite n'encourt aucune prescription, sans faire une interprétation inexacte des régies comptables relatives à I'annualité des résultats et de leur imputation; que l'approbation des comptes d'un exercice n'emporte pas réexamen de l'affectation des résultats précédents, même inscrits au compte de report à nouveau ; que I'inscription à un compte de réserve ou la mise en distribution de tout ou partie du solde antérieur du compte de report à nouveau nécessitent une nouvelle décision de l’assemblée des associés ;

>- Sur les reproches d'abus de majorité

Considérant que les procès-verbaux des deux assemblées de la société sous son ancienne forme à responsabilité limitée établissent que monsieur ALCARAZ, madame ORDAN et les consorts ORDAN détenaient ensemble 38.742 des 50.000 parts composant le capital social;

Considérant que l’assemblée du 19 août 1997 a approuvé les comptes de I'exercice clos le 30 septembre 1996 faisant apparaître un bénéfice de 753.719,29 francs ; que sur cette somme l’assemblée a décidé la mise en distribution un dividende de 200.000 francs ouvrant droit à avoir fiscal de la moitié ;

Que l’assemblée du 18 mars 1998 a constaté un bénéfice de 951.828,51 francs pour I'exercice 1996/1997 et a voté un dividende de francs majors de I'avoir fiscal ;

Que les comptes de I'exercice de quinze mois du 1er octobre 1997 au 31 décembre 1998 font ressortir un bénéfice de 838.515,94 francs ; qu'ils ont été approuvés par l’assemblée du 29 juin 1999 qui n'a pas décidé de distribution de dividendes ;

Considérant en conséquence que madame MIERAL qui détient 22,5% du capital a reçu, en exécution des délibérations des trois assemblées litigieuses, deux fois la somme de 45.000 francs qui correspond, compte tenu de l'avoir fiscal, à un revenu de 135.000 francs ;

Qu'elle ne saurait donc faire reproche aux associés minoritaires d'avoir méconnu les dispositions de I'article 1832 du code civil;

Considérant qu’une société commerciale a besoin, pour assurer son développement, d'un accroissement régulier de ses disponibilités financières; que le bénéfice comptable constate, chaque année, ne correspond pas nécessairement à un excèdent de trésorerie de même montant; qu'il ne peut être intégralement distribué sans que I'entreprise ne soit inévitablement exposée à des insuffisances périlleuses de son fond de roulement; qu'il est établi que le dirigeant de la société souffre d'une maladie chronique de nature à dévaloriser, faute d'assurance, la qualité de la garantie qu’il pourrait donner et à conduire, de ce fait, un établissement bancaire à refuser un concours pour un financement de trésorerie ; que I’inscription à un compte de réserve ou de report à nouveau de 85% du cumul des bénéfices de 2.544.063 francs des trois exercices incrimines ne constitue donc pas une atteinte à I'intérêt de la société ;

Considérant que ces décisions ne peuvent encourir le reproche d'avoir été prises dans I'unique dessein de favoriser les actionnaires majoritaires au détriment des minoritaires ; qu'il est en effet justifie par des documents sérieux émanant du commissaire aux comptes, de l'expert-comptable et d'un consultant que les rémunérations et avantages consentis aux dirigeants n'ont pas été anormaux, que I'activité de la seconde épouse du gérant est effective ; qu’il n’est en outre ni allégué ni établi que, depuis le décès de monsieur ORDAN, une rémunération a été attribuée à sa veuve et ses héritiers qui détenaient cependant 27.492 des parts ;

Que l'abus de majorité n'est pas établi; que madame MIERAL doit être déboutée de ses demandes de ce chef;

> Sur les demandes relatives à la cession des parts

Considérant que madame MIERAL demande à la cour de prendre acte de son accord pour agréer la proposition faite par la société VECTEUR, qui serait mandatée à cette fin par monsieur ALCARAZ, d'acquérir ses parts sociales au prix de 1.120.000 francs, de dire cette offre satisfactoire, de dire que cette transaction devra effectivement intervenir dans les quinze jours de I'arrêt et de condamner en tant que de besoin in solidum les défendeurs au paiement de ladite somme avec intérêts légaux;

Qu'a I‘appui de cette demande, elle verse aux débats une lettre, en date du 05 novembre 1999 réitérant une proposition de rachat de ses actions pour un prix de 1.120.000 francs émanant d'une société VECTEUR qui n'est pas dans la cause et que madame MIERAL qualifie de mandataire ;

Considérant toutefois que n'est pas rapportée la preuve de I'existence d'un mandat donne par monsieur ALCARAZ qui le conteste formellement; que la seule mention "avec I'accord de Monsieur ALCARAZ" portée sur la lettre de proposition ne présente à cet égard aucun caractère probant; qu’il est au contraire établi, notamment par la lettre du 03 juillet 1995, que la société VECTEUR, filiale du groups BPROP, avait fait connaitre de longue date son intention de prendre une participation minoritaire dans le capital de la société PODIA FRANCE pour accompagner son développement ; qu'elle a exprimé sa proposition pour son propre compte tout en faisant cependant valoir I'accord de principe du dirigeant dès lors que ne peut être ignore I'article 11 des statuts de la société sous sa nouvelle forme anonyme qui comporte une clause d'agrément préalable à toute cession d'actions;

Que madame MIERAL doit en conséquence être déclarés mal fondée en sa demande d'acquisition de ses actions en ce qu'elle est dirigée à l’encontre de monsieur ALCARAZ qui n'est pas lié par I'offre de la société VECTEUR et de sa demande corrélative en paiement du prix par ailleurs également formée à I'encontre de madame ORDAN et des consorts ORDAN qui sont étrangers aux propositions;

Considérant que monsieur ALCARAZ, madame ORDAN et les consorts ORDAN ne démontrent pas le caractère abusif du comportement de madame MIERAL, ni ne justifient du préjudice qu'ils allèguent;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à leur charge les frais qu'ils ont été contraints d'engager en cause d'appel; que madame Claudine MIERAL sera condamnée à payer à chacun une indemnité de 5.000 francs en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Considérant que I'appelante qui succombe dans I'exercice de son recours doit être condamnée aux dépens ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a déclaré madame Claudine MIERAL irrecevable en ses demandes dirigées à I'encontre de monsieur René ALCARAZ, madame Simone ORDAN, mademoiselle Fanny ORDAN et mademoiselle Marie Amelie ORDAN,

et statuant à nouveau de ce chef,

DECLARE madame Simone ORDAN, mademoiselle Fanny ORDAN et mademoiselle Marie Amelie ORDAN mal fondées en leur demande de mise hors de cause,

DECLARE madame Claudine MIERAL présente en ses demandes concernant les assemblées antérieures au 14 juin 1996,

DECLARE madame Claudine MIERAL mal fondée en ses demandes fondées sur un abus de majorité, I'en déboute,

DECLARE madame Claudine MIERAL mal fondée en sa demande en paiement de la somme de 1.120.000 francs dirigées contre monsieur René ALCARAZ, madame Simone ORDAN, mademoiselle Fanny ORDAN et mademoiselle Marie Amelie ORDAN,

CONDAMNE madame Claudine MIERAL à payer à chacun de monsieur René ALCARAZ, madame Simone ORDAN, mademoiselle Fanny ORDAN et mademoiselle Marie Amelie ORDAN la somme de 5.000 francs sur le fondement de I'article 700 du nouveau code de procédure civile,

CONDAMNE madame Claudine MIERAL aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés directement par la SCR LISSARAGUE-DUPUIS, société titulaire d’un office d'avoué, conformément aux dispositions de I'article 699 du nouveau code de procédure civile.