Cass. com., 7 mars 2018, n° 16-10.727
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Avocats :
Me Le Prado, SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 19 novembre 2015) et les productions, que la société Shell chimie, devenue la société Montell puis la société H..., a souhaité organiser sa logistique portuaire en Europe, à partir de 1998, avec un seul client ; qu' a été créée à cette fin, en 1999, par les sociétés Filippi Nardi et Elite Palourme Forwaders NV, la société Elite Logistic Consultants Association NV (la société ELCA NV), devenue son seul client ; qu'en 2000, a été créée la société Elite Logistic Consultants Association (la société ELCA France) entre la société ELCA NV associée à hauteur de 51 %, la société Technotrans, commissionnaire de transports à Marseille, associée à hauteur de 24,5 % et M. X..., associé à hauteur de 24,5 % et par ailleurs salarié de la société Technotrans, la société ELCA NV confiant, en sous-traitance, à la société ELCA France, le transit, par Marseille, du client H... ; qu'un conflit est apparu entre les associés de la société ELCA France, à compter de 2005, à la suite de dysfonctionnements apparus au sein de la société ELCA France, ayant conduit la société H... à dénoncer le contrat la liant à la société ELCA NV à compter du 30 septembre 2006 ; que M. X... a démissionné le 28 décembre 2006 de la société Technotrans et créé une société concurrente ; que lors de l'assemblée générale extraordinaire de la société ELCA France du 19 juin 2017, la dissolution de la société, à laquelle seul M. X... s'est opposé, a été décidée ; que soutenant que cette délibération était constitutive d'un abus de majorité résidant dans la captation, par la société ELCA NV, du fonds de commerce de la société ELCA France dont 85 % de l'activité était réalisée avec la société H..., M. X... a engagé diverses procédures en annulation de la délibération prononçant la dissolution et en réparation de ses préjudices ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses première et troisième branches :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes fondées sur l'abus de majorité alors, selon le moyen :
1°/ que la résolution d'une assemblée d'actionnaires prise contrairement à l'intérêt social, dans l'unique dessein de favoriser des membres de la majorité au détriment de membres de la minorité, constitue un abus de majorité ; que, dans ses écritures d'appel M. X... a invoqué la prospérité de la société ELCA France au moment de la décision prise par les associés majoritaires de la dissoudre ; qu'il exposait que la dissolution de la société ELCA France était contraire à son intérêt social, étant précisé que, pour l'exercice 2006, ses comptes se soldaient par un bénéfice de 554 049 euros, bénéfice que l'assemblée générale du 19 juin 2007 avait affecté au compte « report à nouveau », porté à la somme de 1 074 227 euros ; qu'il ajoutait que la société ELCA France a toujours été bénéficiaire puisque la 2e résolution de l'assemblée du 19 juin 2007 fait état des distributions de dividendes des trois années précédentes dont les résultats étaient comparables à ceux de l'année 2006 ; qu'il en concluait que la société ELCA France n'était donc pas en difficulté et que sa situation économique et financière n'était en rien compromise, de sorte qu'il n'existait aucun motif sérieux de dissolution ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si la décision prise par les associés majoritaires de dissoudre une société pourtant prospère ne constituait pas un abus de majorité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
2°/ que la résolution d'une assemblée d'actionnaires prise contrairement à l'intérêt social, dans l'unique dessein de favoriser des membres de la majorité au détriment de membres de la minorité constitue, un abus de majorité ; que, dans ses écritures d'appel, M. X... a exposé que M. E... avait créé une société Elite Marseille, dont l'activité avait débuté le 24 septembre 2007 et qu'après la dissolution de la société ELCA France, par l'assemblée du 19 juin 2007, l'ensemble de son activité et la totalité de ses employés ont été transférés à cette société, laquelle a le même siège social que la société dissoute ; qu'il soutenait que la décision de dissoudre la société ELCA France, pourtant prospère, avait ainsi pour finalité la captation de son fonds de commerce au profit de la société Elite Marseille, ce qui l'avait privé de la valeur des parts sociales qu'il détenait dans son capital à hauteur de 24,5 %, captation que la mésentente entre associés ne pouvait justifier et qui procédait du transfert à la société ELCA NV, au travers de son établissement secondaire Elite Marseille, de tout le savoir-faire de la société dissoute en matière de négociation, de chaîne logistique au départ du Sud de la France, avec toute son organisation, son personnel et ses locaux, sans versement de la moindre contrepartie financière et sans que lui soient rachetées ses parts sociales dans le capital de la société dissoute ; qu'il rapportait que la société ELCA France réalisait l'essentiel de son chiffre d'affaires avec la société Montell, son principal client, soit, de janvier 2007 à fin septembre 2007, plus de 2 000 010 d'euros, selon un rapport d'expertise, ce client ayant été transféré à la société Elite Marseille, trois mois seulement après la décision de dissolution de la société ELCA France, dont la prise d'effet était fixée au 30 septembre 2007 ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans se prononcer sur le transfert de l'activité de la société ELCA France, après sa liquidation, à la société Elite Marseille, émanation de la société ELCA NV, associée de la société dissoute, propre à caractériser un abus de majorité au préjudice de M. X..., privé de la valeur de ses parts sociales, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient que si la société ELCA France n'était pas en difficulté financière en 2007, il ressort du rapport de gestion soumis à l'assemblée générale ordinaire du 29 juin 2006 qu'un conflit est apparu entre les associés à la suite de la baisse de volume d'affaires avec le client H... en 2004 puis de dysfonctionnements survenus en 2005 au sein de la société ELCA France dans l'exploitation suite à une reprise des affaires, ayant suscité, de la part du client H..., des plaintes auprès de la société ELCA NV et l'ayant amené à adresser à celle-ci un courrier du 28 mars 2006 concernant la résiliation conservatoire du contrat les liant à compter du 30 septembre 2006, prévoyant de rediscuter les conditions de la relation d'affaires ; que l'arrêt relève que M. E... précisait dans un rapport adressé aux associés que la poursuite de la relation commerciale avec la société H... risquait de se faire au détriment de la société ELCA France et que du fait de l'absence d'autres clients substantiels, la perte de ce client, qui représentait 85 % de l'activité de la société ELCA France, risquait d'entraîner sa cessation d'activité ; que l'arrêt constate qu'après l'assemblée générale du 29 juin 2006, la société Technotrans a offert le 28 novembre 2006 le rachat de l'intégralité des parts qu'elle détenait dans la société ELCA France aux deux autres associés, offre déclinée par la société ELCA NV le 20 décembre 2006, qui a elle-même dit vouloir céder ses parts, M. X... offrant, le 11 décembre 2006, d'acquérir les six parts détenues par la société Technotrans ; que l'arrêt constate encore que M. X... a démissionné de celle-ci le 28 décembre 2006 pour créer une société concurrente; que l'arrêt en déduit qu'il n'y avait donc plus d'affectio societatis entre les associés et relève que celui-ci avait disparu début 2005 selon M. X... lui-même; que l'arrêt retient encore que l'ordre du jour comportant dissolution de la société a été arrêté et adressé aux associés le 5 juin 2007, avant que M. X... ne demande le rachat de ses parts du fait de sa démission ultérieure et en déduit que la décision de dissolution n'a pas été prise pour éviter le rachat de ses parts; que l'arrêt relève, en ce qui concerne la captation de clientèle de la société ELCA France reprochée à la société ELCA NV au profit de son établissement de Marseille, que le transit, par Marseille, du client H... a été confié par la société ELCA NV à la société ELCA France qui, sous-traitante de la société ELCA NV, n'avait aucun contact direct avec la société H... laquelle n'était pas son client ; que l'arrêt observe que M. X..., en tant qu'associé de la société ELCA France, subit le même préjudice que les deux autres associés du fait de la dissolution, à savoir la perte de chance de percevoir des dividendes sur les bénéfices réalisés ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations faisant ressortir la conformité à l'intérêt social de la dissolution décidée et l'absence d'atteinte résultant de celle-ci portée aux droits de l'actionnaire minoritaire au seul profit de l'actionnaire majoritaire, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche invoquée aux première et troisième branches que ses appréciations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que M. X... fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen, que dans ses écritures d'appel, M. X... avait invoqué la responsabilité de M. E... en sa qualité de liquidateur ; qu'il soutenait que ce dernier avait capté, au lendemain de la prononciation de la dissolution de la société ELCA France en juin 2007 et sans attendre la date d'effet légal, l'entière activité de la société dissoute par son établissement créé à Marseille, la société Elite Marseille, dont il est le gérant ; qu'en s'abstenant de rechercher, si, à ce titre, M. E... n'avait pas engagé sa responsabilité, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant écarté, par des motifs vainement critiqués par le deuxième moyen, l'allégation de la captation du fonds de commerce de la société ELCA France, la cour d'appel, répondant par là-même aux conclusions prétendument omises, en a déduit que la responsabilité du liquidateur amiable de cette société ne pouvait être recherchée à ce titre ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le premier moyen et le deuxième moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches, réunis :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.