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Décisions

Cass. crim., 8 juillet 2020, n° 18-83.536

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

Mme Zerbib

Avocat général :

M. Petitprez

Avocats :

SARL Cabinet Munier-Apaire, SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, SCP Piwnica et Molinié

Paris, du 24 mai 2018

24 mai 2018

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Par jugement du 6 janvier 2011, le tribunal de commerce de Paris a ouvert la liquidation judiciaire de la société Alliance Designers, dont le dirigeant de droit est M. N..., et fixé la date de la cessation des paiements au 6 juillet 2009.

3. M. X... a déclaré ses créances au passif de la liquidation judiciaire et, par ordonnance du juge commissaire du 14 juin 2011, a été désigné contrôleur aux opérations de liquidation de la société Alliance Designers, de même que M. F... et un autre créancier.

4. Le 3 janvier 2014, M. X..., et M. O... F..., agissant en cette qualité, ont déposé plainte avec constitution de partie civile devant le juge d'instruction des chefs de banqueroute et recel de ce délit contre M.I... N..., la société Cadanor, la société Alliance 1995, et la SCI Helder Côte d'Azur.

5. Le ministère public a requis, le 2 juin 2014, l'ouverture d'une information judiciaire des chefs de banqueroute et recel commis courant 2008 à Paris.

6. Le 12 février 2016, M. F... s'est désisté de sa constitution de partie civile, sa créance ayant été rachetée par M. N..., et par ordonnance du 25 avril 2017, le juge d'instruction a dit irrecevable depuis la date du désistement la plainte avec constitution de partie civile de M. X... et déclaré recevables les plaintes avec constitution de partie civile des sociétés Holding Portugal Luxembourg, Financière Médicis et Sozan Holding déposées par voie d'intervention le 6 novembre 2015, soit postérieurement au réquisitoire introductif.

7. MM. N... et X... ont interjeté appel de cette ordonnance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la convention européenne des droits de l'homme, L654-2 et L 654-17 du code de commerce, 1382 du code civil devenu 1240 de ce même code, 2, 3, 85, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale.

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré recevables les constitutions de parties civiles de M. X... agissant en qualité de contrôleur des créanciers et des sociétés Holding Portugal Luxembourg, Financière Medecis et Sozan Holding, alors :

« 1°/ que seules peuvent se constituer partie civile, les personnes visées à l'article L 654-17 du code de commerce au titre desquelles figure « la majorité des créanciers nommés contrôleurs agissant dans l'intérêt collectif des créanciers » ; qu'un seul contrôleur des créanciers est irrecevable à se constituer partie civile dans l'intérêt collectif des créanciers ; que si une plainte est déposée par deux personnes en leur qualité de contrôleurs, le désistement par l'une des deux rend la constitution de partie civile, effectuée dans l'intérêt collectif des créanciers, irrecevable ; qu'en décidant le contraire, la chambre de l'instruction a méconnu les dispositions susvisées ;

2°/ que le désistement de la partie civile constitue un retrait de plainte et emporte renonciation à l'action initiale ; que M. F... s'est désisté de son action ès qualités de contrôleur des créanciers en établissant que « la poursuite de la plainte reviendrait à défendre des intérêts personnels » et non plus l'intérêt collectif des créanciers ; que M. F... a manifesté sans équivoque la volonté d'abandonner l'action engagée en qualité de contrôleur des créanciers ; que la chambre de l'instruction ne pouvait pas en déduire la recevabilité de la constitution de partie civile engagée à ce titre. »

Réponse de la Cour

10. Pour infirmer l'ordonnance du juge d'instruction en ce qu'il a déclaré irrecevable la plainte avec constitution de partie civile déposée par M. X... en qualité de contrôleur aux opérations de liquidation judiciaire de la société Alliance Designers, l'arrêt énonce notamment que le désistement de sa constitution de partie civile par l'un des deux contrôleurs à la liquidation judiciaire exprimé postérieurement au réquisitoire introductif est sans incidence sur la recevabilité de la plainte devant être examinée à la date à laquelle elle a été régulièrement déposée par la majorité des créanciers nommés contrôleurs agissant dans l'intérêt collectif des créanciers conformément à l'article L. 654-17 du code de commerce.

11. En l'état de ces seules énonciations, la chambre de l'instruction a justifié sa décision sans méconnaître aucun des textes visés au moyen.

12. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

13. Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la convention européenne des droits de l'homme, L. 654-2 et L. 654-17 du code de commerce, 1382 du code civil devenu 1240 de ce même code, 2, 3, 85, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale.

14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré recevables les constitutions de parties civiles de M. X... agissant en qualité de contrôleur des créanciers et des sociétés Holding Portugal Luxembourg, Financière Medecis et Sozan Holding", alors :

« 1°/ que la constitution de partie civile n'est recevable que pour les personnes qui ont personnellement souffert du préjudice découlant des faits dont est saisi le juge d'instruction ; qu'il résulte du réquisitoire introductif du 2 juin 2014 que sont visés des faits de banqueroute commis « courant 2008 » ; que les sociétés faisaient valoir la décision d'augmentation du capital prise au mois « d'août 2003 » et la procédure alors engagée aux fins de demander l'annulation de cette augmentation de capital ; qu'en estimant que les sociétés invoquaient ainsi un préjudice direct résultant de l'infraction tandis que les faits de banqueroute ont été commis postérieurement, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;

2°/ que le préjudice est le dommage résultant de l'infraction et ne consiste pas dans des faits qui sont la cause de l'infraction ; qu'en se fondant sur les termes de la plainte faisant valoir que « la privation des droits d'actionnaires des sociétés du groupe Sozan a rendu possible les détournements frauduleux et les comportements délictueux en matière comptable qui constituent le délit de banqueroute », la chambre de l'instruction qui en a déduit que les sociétés avaient ainsi été privées des informations nécessaires ce qui constituait leur préjudice, n'a pas caractérisé le dommage résultant des faits de banqueroute ;

3°/ que la chambre de l'instruction est tenue de répondre au moyen des parties ; que M. N... faisait valoir que les sociétés invoquaient la privation de droits d'information et de contrôle de la gestion du dirigeant concernant une opération dans laquelle elles ne possédaient pas ces droits ; qu'en s'abstenant de toute réponse à ce moyen établissant l'absence de préjudice pour les sociétés, la chambre de l'instruction n'a pas davantage justifié sa décision".

Réponse de la Cour

Vu les articles L.654-2 et 654-17 du code de commerce et 2 du code de procédure pénale.

15. Il résulte de ces textes que si l'article L. 654-17 du code de commerce n'interdit pas aux créanciers et actionnaires de se constituer partie civile par voie d'intervention dans le cadre d'une information judiciaire ouverte du chef de banqueroute, c'est à la condition qu'ils invoquent un préjudice distinct du montant de leur créance déclarée dans la procédure collective ouverte contre leur débiteur et résultant directement de l'infraction.

16.. Pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction en ce qu'elle a déclaré recevables les constitutions de parties civiles formées par voie d'intervention des sociétés intimées, l'arrêt énonce, parmi des faits de banqueroute susceptibles d'avoir porté préjudice aux sociétés actionnaires minoritaires de la société Alliance Designers et aux autres créanciers, des événements datés de 2008 par détournement supposé d'actifs au moyen de transfert des parts détenues par cette dernière au capital de la société Smalto qui ont fait l'objet d'une mise en examen de M. N..., parts transférées à trois sociétés contrôlées par celui-ci.

17. L'arrêt énonce aussi des faits de banqueroute, tels que visés par le réquisitoire introductif du 2 juin 2014, datés de 2006 et 2007, tenant à l'absence ou à l'irrégularité de comptabilité de la société Alliance, comptabilité fictive, absente, incomplète ou irrégulière.

18. L'arrêt précise encore que de tels faits pénalement qualifiables de banqueroute ont pu induire pour les sociétés intimées un préjudice ayant consisté à les priver d'informations financières fiables outre de tout regard et de tout contrôle sur la gestion de M. N... notamment en l'absence de convocation et participation à une assemblée générale d'approbation des comptes sociaux et à les laisser dans l'ignorance de la valeur de leurs titres.

19. En l'état de ces motifs qui ne précisent pas le préjudice susceptible d'avoir été occasionné aux sociétés actionnaires minoritaires et distinct du préjudice subi par la société Alliance Designers, la chambre de l'instruction n'a ainsi pas justifié sa décision.

20. D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef.

Portée et conséquence de la cassation

21. Les dispositions de l'article 618-1 du code de procédure pénale sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel. Le moyen de cassation du demandeur relatif à la constitution de partie civile de M. X... en sa qualité de contrôleur aux opérations de liquidation judiciaire de la société Alliance Designers agissant dans l'intérêt collectif des créanciers ayant été rejeté, il y a lieu de faire droit à la demande de ce dernier défendeur au pourvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour

CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 24 mai 2018, mais en ses seules dispositions ayant rejeté la demande tendant à voir constater l'irrecevabilité des plaintes avec constitutions de parties civiles des sociétés Financière Médicis, Portugal Luxembourg et Sozan Holding, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué dans la limite de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale en chambre du conseil.