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Décisions

Cass. crim., 9 septembre 2020, n° 18-86.351

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

Mme Fouquet

Avocat général :

M. Salomon

Avocats :

SCP Rousseau et Tapie, SCP Waquet, Farge et Hazan

Bastia, du 19 sept. 2018

19 septembre 2018

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 16 janvier 2007, M. R... G... a déposé plainte pour escroquerie, des documents, qu'il avait fournis pour la souscription d'un prêt, ayant été utilisés à son insu pour l'obtention d'autres prêts à la consommation auprès de plusieurs sociétés de crédit.

3. Les investigations ont conduit à mettre en cause M. C... Y... comme ayant notamment participé à l'acquisition à crédit d'un véhicule à l'aide de documents au nom de M. G..., détournés et falsifiés.

4. Dans le même temps, une enquête a été menée à la suite de la liquidation de la société Sud BTP, dont M. Y..., malgré une interdiction de gérer, avait été désigné gérant de droit, depuis le 21 mars 2007, après en avoir assuré la gérance de fait.

5. Les investigations ont notamment mis en évidence que des factures avaient été émises au nom d'une fausse identité, F... X..., qui avait également été utilisée pour obtenir un faux passeport et constituer des dossiers de prêts.

6. Elles ont également révélé une comptabilité irrégulière et de nombreux détournements.

7. A l'issue de l'information judiciaire, ouverte sur l'ensemble de ces faits, M. Y... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel et reconnu coupable notamment des délits d'escroquerie, faux et usage, association de malfaiteurs et banqueroute.

8. M. Y... et le procureur de la République ont formé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

9. Le moyen est pris de la violation des articles 450-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale,

10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré M. Y... coupable d'association de malfaiteurs et l'a condamné à deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve de trois ans, une amende de 100 000 euros et à l'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale pour une durée de dix ans, alors :

« 1°/ que l‘association de malfaiteurs suppose un groupement formé ou une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un ou plusieurs crimes ou d'un ou plusieurs délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement ; que l'obtention, par un prévenu, auprès de tierces personnes, des moyens nécessaires à la commission d'un délit, ne suffit pas à caractériser entre eux une entente en vue d'agir en commun; qu'en retenant que « les faits d'escroqueries reprochés n'ont pu être réalisés que parce que M. Y... s'est au préalable sciemment rapproché d'un ou des individus en mesure de lui procurer des faux documents d'identité » et que les faits ont nécessité des complicités, l'arrêt se fonde sur des motifs impropres à caractériser une résolution d'agir en commun entre lesdits individus et M. Y... ;

2°/ que des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elle concomitantes ; qu'en retenant, pour retenir la culpabilité de M. Y... du chef d'association de malfaiteurs, que « la procédure démontre qu'il s'agissait d'une équipe bien rodée, active et rapide qui a permis très rapidement de monter des dossiers de prêts, d'obtenir les crédits rapidement et procéder à l'achat et à la vente des véhicules tout aussi rapidement», alors que ces faits n'étaient pas distincts ou dissociables de ceux retenus au titre des escroqueries dont il était également déclaré coupable, la cour d'appel a méconnu le principe sus-énoncé. »

Réponse de la Cour

11. Pour déclarer le prévenu coupable de participation à une association de malfaiteurs, l'arrêt attaqué, par motifs propres et adoptés, après avoir relevé que M. Y... a reconnu avoir acheté auprès d'un ami de M. V..., auquel il a fourni une photo et des documents, un faux passeport au nom de X..., retient que les faits d'escroqueries qui lui sont reprochés n'ont pu être réalisés que parce qu'il s'est au préalable sciemment rapproché d'un ou des individus en mesure de lui procurer des faux documents d'identité.

12. Les juges relèvent que les faits d'escroquerie commis au détriment de M. G... n'ont pu aboutir que par l'aide de complices tant en Corse que dans les Bouches du Rhône et que la procédure démontre qu'il s'agissait d'une équipe bien rodée, active et rapide, qui a permis très rapidement de monter des dossiers de prêts, d'obtenir les crédits rapidement et procéder à l'achat et à la vente des véhicules tout aussi rapidement.

13. Ils ajoutent que M. Y... a déclaré au magistrat instructeur qu'il comprenait que ces faits puissent ainsi être qualifiés et avait conscience qu'il s'agissait d'agissements illégaux mais n'avait pas réalisé qu'ils pouvaient prendre une telle ampleur.

14. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision.

15. En effet, d'une part, les juges, en constatant que le prévenu s'est en connaissance de cause associé avec un groupement déjà constitué en vue de la préparation d'escroqueries, concrétisée par la réalisation de faux papiers à laquelle il a contribué en leur remettant des photos et des documents, ont caractérisé sa participation à une association de malfaiteurs.

16. D'autre part, ces faits sont distincts de ceux retenus à l'encontre du prévenu au titre du délit d'escroquerie, qui ont consisté à constituer des dossiers de prêts à l'aide des documents ainsi obtenus, en vue de se faire remettre des fonds par des organismes de crédit.

17. Ainsi, le moyen doit être écarté.


Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. Y... coupable d'escroqueries et de faux et usage de faux, et l'a condamné à deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve de trois ans, une amende de 100 000 euros, à l'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale pour une durée de dix ans, ainsi que, sur le plan civil, à payer la somme de 500 euros au titre de dommages-intérêts, outre 500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale à M. G..., alors « que des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elle concomitantes ; qu'en procédant à une double déclaration de culpabilité, au titre de faits constitutifs de faux (dossiers de prêts faussement établis au nom de M. G... à l'aide de documents lui appartenant ayant été détournés) et usage de ces faux qui ne sont pas dissociables des manœuvres frauduleuses retenues au titre de l'escroquerie, la cour d'appel a violé ne bis in idem. »

Réponse de la Cour

Vu le principe ne bis in idem et l'article 593 du code de procédure pénale :

19. Des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elle concomitantes.

20. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

21. Pour confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré le prévenu coupable d'escroquerie, de faux et d'usage de faux, l'arrêt retient que des documents d'identité et des justificatifs utilisés par M. G... lors de l'acquisition d'un véhicule, détournés et falsifiés, ont été produits en vue d'obtenir d'une société de crédit un prêt pour l'acquisition d'un véhicule Ford.

22. Les juges ajoutent que malgré les dénégations du prévenu, les investigations et déclarations du directeur et de l'employé du garage ayant vendu le véhicule, permettent de confirmer sa culpabilité pour ces faits d'escroquerie.

23. En retenant ainsi les mêmes faits pour déclarer le prévenu coupable des chefs d'escroquerie, faux et usage de faux, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus énoncés.

24. La cassation est par conséquent encourue.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

25. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. Y... coupable de banqueroute notamment par tenue d'une comptabilité irrégulière et de faux en comptabilité, l'a condamné à deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve de trois ans, une amende de 100 000 euros, à l'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale pour une durée de dix ans ainsi que, sur le plan civil, à payer à M. B... K..., agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société SUD BTP, les sommes de 427 938,19 euros en réparation du préjudice subi, 424 478,19 euros à titre de dommages et intérêts et 750 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, alors « que des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elle concomitantes ; que le fait unique de tenir une comptabilité irrégulière ne peut faire l'objet d'une double déclaration de culpabilité du chef de faux et de banqueroute par tenue d'une comptabilité irrégulière, le second délit absorbant intégralement le premier de sorte la cour d'appel a violé le principe sus-énoncé. »

Réponse de la Cour

Vu le principe ne bis in idem et l'article 593 du code de procédure pénale :

26. Des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elle concomitantes.

27. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

28. Pour déclarer le prévenu coupable du chef de banqueroute, l'arrêt attaqué, après avoir relevé que la société SUD BTP a été mise en liquidation judiciaire le 19 novembre 2007 et que la date de cessation des paiements a été fixée au 1er août 2007, énonce notamment que la comptabilité de la société a été irrégulière et qu'il appartenait à M. Y..., en sa qualité de gérant de veiller à sa régularité.

29. La cour d'appel confirme par ailleurs la culpabilité du prévenu du chef de faux en comptabilité.

30. En statuant ainsi, sans retenir à l'encontre du prévenu des faits constitutifs du délit de faux, distincts de ceux pour lesquels elle l'a reconnu coupable du chef de banqueroute, la cour d'appel a méconnu les principes et le texte susvisés.

31. La cassation est par conséquent à nouveau encourue.


PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, à l'exception de celles ayant déclaré M. Y... coupable du chef d'association de malfaiteurs, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bastia, en date du 19 septembre 2018, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en- Provence, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bastia et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.