Cass. com., 30 mars 1999, n° 95-17.905
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Tricot
Avocat général :
M. Jobard
Avocats :
SCP Boré et Xavier, SCP Guiguet, Bachellier et Potier de La Varde
Attendu, selon l'arrêt déféré, qu'après la mise en redressement puis liquidation judiciaires de la société à responsabilité limitée Fair service plus, le Tribunal, se saisissant d'office, a condamné le gérant de cette société, M. de Y... de Survillier, à payer les dettes sociales pour un montant de 2 000 000 francs ; que ce dirigeant a fait appel ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que M. de Y... de Survillier reproche à l'arrêt d'avoir déclaré son appel non fondé alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en application des articles 56 du nouveau Code de procédure civile, 215 du Code de procédure pénale, et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à un procès équitable et tout "accusé" a droit d'être informé d'une manière détaillée de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ; qu'il ressort de ces textes que non seulement les faits reprochés susceptibles de déclencher la sanction doivent figurer dans la citation de manière détaillée, mais également les sanctions qui peuvent y être associées ; que la cour d'appel qui se contente d'affirmer que la citation visait d'une manière large les textes comportant des sanctions susceptibles d'être infligées à "l'accusé" sans, d'un côté, constater que les faits incriminés sont mentionnés d'une manière détaillée dans la citation, et, de l'autre côté, qu'il ressort de ses propres constatations que le risque d'une incapacité d'exercer une fonction publique élective et celui d'une inscription au casier judiciaire n'était pas visés, ne tire pas les conséquences légales de ses propres constatations et viole les droits de "l'accusé", tels qu'ils résultent des textes susvisés ; et alors, d'autre part, qu'en application des articles 56 du nouveau Code de procédure civile, 215 du Code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à un procès équitable et tout accusé a droit d'être informé, d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ; que la cour d'appel qui affirme que "l'accusé" était parfaitement informé des fautes susceptibles de lui être reprochées, simplement aux motifs que, d'un côté, l'ordonnance du président du Tribunal avait été signifiée en même temps que la citation à comparaître et, de l'autre côté, que la loi n'impose aucune forme particulière au rapport du juge-commissaire, sans examiner leurs contenus respectifs, viole les textes susvisés ;
Mais attendu que M. de Y... de Survillier ayant conclu sur le fond, la cour d'appel, saisie en application de l'article 562, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, était tenue de statuer sur le fond, quelle que fût sa décision sur l'exception de nullité ; que le moyen, inopérant en ses deux branches, ne peut être accueilli ;
Et sur le troisième moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que M. de Y... de Survillier reproche encore à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement qui a retenu que, par ses fautes de gestion, il avait contribué à l'insuffisance d'actif alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en application de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985, le défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal ne peut être considéré comme constitutif d'une faute de gestion que si ce retard est susceptible d'empêcher un redressement de l'entreprise qu'aurait permis une déclaration ponctuelle ; que la considération d'une telle faute emporte nécessairement reconnaissance du principe de la viabilité de l'activité du débiteur ; que la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, considérer que le dirigeant avait commis une faute de gestion en déclarant tardivement la cessation des paiements, et déclarer en même temps fautive la reprise d'un fonds de commerce déficitaire ; qu'en se contredisant dans ses motifs, l'arrêt a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, qu'en application de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985, la poursuite volontaire et en toute connaissance de cause d'une activité déficitaire n'est pas par elle-même constitutive d'une faute de gestion ; que seule la poursuite d'une activité déficitaire malgré la connaissance de l'impossibilité d'un redressement peut constituer une faute de gestion ; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; alors, en outre, que la reprise d'un fonds de commerce déficitaire dans l'intérêt d'un groupe de société n'est pas un acte par lui-même constitutif d'une faute car la perspective de l'intérêt du groupe n'exclut pas la perspective de l'intérêt de la société acquéreur ; que dès lors qu'elle avait considéré que l'acte litigieux avait été accompli dans l'intérêt d'un groupe de sociétés, seul le constat d'un sacrifice et de l'absence de contrepartie, imposé par le dirigeant à la société du groupe faisant l'objet de la procédure collective, aurait pu être constitutif d'une faute de gestion ; qu'en relevant seulement que l'acte avait été accompli dans l'intérêt d'un groupe sans caractériser ni l'absence d'un intérêt propre, ni l'absence de contrepartie au profit du débiteur, ni même son sacrifice, l'arrêt a violé l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ; et alors, enfin, que la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, reconnaître dans ses motifs que l'acte litigieux avait été accompli dans l'intérêt du groupe et confirmer, sans le modifier sur ce point, le chef de dispositif du jugement ayant dit que l'activité déficitaire avait été poursuivie dans l'intérêt personnel du dirigeant ; que cette contradiction entre les motifs et le dispositif caractérise une violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que la contradiction alléguée par la première branche concerne, non l'énonciation des faits constatés par la cour d'appel, mais les conséquences juridiques qui, selon le moyen, leur auraient été attachées ;
Attendu, en second lieu, qu'après avoir constaté que la société débitrice avait repris l'exploitation d'un fonds de commerce pour faire échapper une autre société du même groupe aux risques de la concurrence et relevé qu'en dépit d'apports en capital, la poursuite volontaire, et en toute connaissance de cause, de cette activité déficitaire avait encore appauvri la société débitrice déjà exsangue, la cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir que la charge, dépourvue de contrepartie, imposée à la société débitrice au profit d'une société du même groupe excédait ses possibilités financières, a pu en déduire l'existence d'une faute de gestion commise par le dirigeant et retenir que cette faute avait contribué à l'insuffisance d'actif de la société ; que par ces seuls motifs, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa première banche, ne peut être accueilli pour le surplus ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Attendu que, pour confirmer le jugement qui a condamné M. de Y... de Survillier à supporter personnellement les dettes sociales à concurrence de 2 000 000 francs, l'arrêt énonce que l'existence et le montant de l'insuffisance d'actif doivent être appréciés au jour de l'ouverture de la procédure collective ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'existence et le montant de l'insuffisance d'actif doivent être appréciés au moment où statue la juridiction saisie de l'action tendant à faire supporter tout ou partie de cette insuffisance par un dirigeant social, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que M. de Y... de Survillier doit supporter personnellement les dettes sociales à concurrence de 2 000 000 francs et en ce qu'il l'a condamné à payer cette somme entre les mains de Mme Z... Bes, ès qualités, l'arrêt rendu le 3 mai 1995, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France.