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Décisions

CA Lyon, 3e ch. civ. B, 14 mai 2009, n° 08/04126

LYON

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

FGI (SARL)

Défendeur :

Saint-André (SA), Sodagral (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Flise

Conseillers :

Mme Devalette, M. Maunier

Avoués :

SCP Laffly-Wicky, SCP Brondel-Tudela

Avocats :

SCP Dumont- Latour Avocats, Me Messager

T. com. Bourg-en-Bresse, du 23 mai 2008

23 mai 2008

En avril 2003, la société SODAGRAL a acquis la totalité du capital de la société VICTOR JANODY, entreprise industrielle de salaisons, qui rencontrait de sérieuses difficultés financières.

En juillet 2003, la société SODAGRAL décide de procéder à une augmentation de capital par intégration de ses comptes courants, puis à une réduction de capital pour résorber les pertes antérieures. A la suite, elle décide d'une seconde augmentation de capital par création d'actions nouvelles réservées à la société FGI, constituée pour la circonstance par Raymond X..., président du directoire, et Yvan GENIX, son fils, membre du conseil de surveillance. Au terme de ces opérations, la société FGI détient 10% du capital de la société VICTOR JANODY. Le 30 juillet 2003, la société change de dénomination et devient la société SAINT-ANDRÉ.

Le 26 septembre 2003, un pacte d'actionnaires est signé aux termes duquel il est prévu, notamment, qu'en cas de révocation de Monsieur Raymond X... de son mandat de président du directoire, et/ou de licenciement de Monsieur Yvan GENIX, la société SODAGRAL s'engage à acheter à la société FGI les titres de la société SAINT-ANDRÉ à des conditions déterminées dans l'acte, garantissant un prix plancher.

A la suite de la dégradation de la situation financière de la Société courant 2004 et 2005, lors de sa réunion du 30 novembre 2005, le directoire, sur proposition de son président, approuve le projet de "coup d'accordéon", à savoir la réduction du capital social à zéro par imputation des pertes, et réalisation d'une augmentation de capital de 1 300 000 € par apports en numéraire, ou par compensation, puis nouvelle réduction du capital à 1 092 220 . IL approuve également le projet de changement du mode d'administration de la société.

Le même jour, le conseil de surveillance prend acte des projets.

Le 15 décembre 2005, l'assemblée générale adopte les différentes résolutions relatives au "coup d'accordéon" et à la modification de la gouvernance de la Société, met fin aux fonctions de l'ensemble des membres du directoire et du conseil de surveillance, et désigne les trois administrateurs composant le conseil d'administration, où n'entrent ni Monsieur Raymond X..., ni Monsieur Yvan GENIX.

Monsieur Yvan GENIX est licencié le 21 février 2006.

Le 26 juillet 2006. Monsieur Raymond X..., qui avait repris les fonctions salariées qui étaient les siennes avant sa nomination comme directeur du directoire, est à son tour licencié pour faute lourde.

Ils ont l'un et l'autre ont saisi le conseil de prud'hommes et contesté leur licenciement. Les deux procédures sont pendantes devant la cour d'appel de céans.

Par assignation délivrée le 13 juillet 2007, la société FGI et Monsieur Raymond X... ont saisi le tribunal de commerce de BOURG-EN-BRESSE aux fins de voir à titre principal :

. condamner la société SAINT-ANDRÉ à payer à Monsieur Raymond X... la somme de 220 000 €à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice résultant pour lui de sa révocation de ses fonctions de président du directoire,

. condamner la société SODAGRAL à payer à la société FGI la somme de 181 330 €à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi en conséquence de l'abus de majorité.

Par jugement du 23 mai 2008, le tribunal de commerce de BOURG-EN-BRESSE, se déclarant compétent, a rejeté la demande en disjonction des affaires, constaté la forclusion de l'action engagée par la société FGI à l'encontre de la société SODAGRAL, débouté Monsieur Raymond X... de ses demandes à l'encontre de la société SAINT-ANDRÉ et fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur des défenderesses.

La société FGI et Monsieur Raymond X... ont interjeté appel.

Aux termes de leurs dernières conclusions, expressément visées par la Cour, ils sollicitent l'infirmation du jugement du 23 mai 2008, le bénéfice de l'acte introductif d'instance, et l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en leur faveur.

En premier lieu, ils s'opposent à la demande de disjonction formée par la société SODAGRAL, faisant valoir que le coup d'accordéon rentrait dans la stratégie d'éviction de Monsieur Raymond X... de la société SAINT-ANDRÉ, et qu'il est dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice que les deux demandes soient examinées dans le cadre de la même instance.

En second lieu, au fond, ils exposent que :

. les motifs du licenciement de Monsieur Raymond X... , actuellement discutés devant la cour d'appel, ne sauraient fonder le rejet de sa demande en indemnisation du préjudice résultant du caractère abusif de la révocation de son mandat de président du directoire ;

. le "coup d'accordéon" relevait d'une stratégie de la société SODAGRAL aux fins d'évincer Monsieur Raymond X... de son poste de président du directoire, et d'évincer la société FGI de la société SAINT-ANDRÉ ; il ne répondait pas à l'intérêt social, et procède d'un abus de majorité ;

. l'action engagée par Monsieur Raymond X... ne tend pas à l'annulation de la délibération ayant approuvé le "coup d'accordéon", mais à la réparation du préjudice subi ; la délai de forclusion de trois mois de l'article L.235-9 du code de commerce n'a donc pas à s'appliquer ;

. lorsqu'il a approuvé le coup d'accordéon, Monsieur Raymond X... ignorait les intentions réelles de la société SODAGRAL ;

. les dispositions du code de commerce sur les délais de réalisation de l'augmentation du capital et sur l'information des actionnaires n'ont pas été respectées, ce que les premiers juges ont fort justement relevé ;

. la société FGI n'a pu renoncer le 15 décembre 2006 à une souscription qui n'était possible qu'à compter du 16 décembre 2006 et jusqu'au 30 décembre 2006 ; de plus ce renoncement n'a pas été adressé dans les formes légales.

Sur l'abus de majorité, ils font valoir d'une part que l'imputation des pertes antérieures sur les réserves n'améliore en rien la structure financière de la société, et d'autre part que la société SODAGRAL a libéré ses actions par compensation avec son compte courant , ce qui n'améliorait en rien la trésorerie.

Monsieur Raymond X... fait état d'un préjudice s'élevant à la somme de 220 000 € correspondant aux deux années de rémunération qu'il aurait du percevoir si son mandat était arrivé à son terme.

La société FGI évalue son préjudice à la somme de 181 330 € correspondant au montant de sa participation au capital de la société SAINT-ANDRÉ définitivement perdu du fait de la société SODAGRAL.

Faisant appel incident, les sociétés SAINT-ANDRÉ et SODAGRAL, aux termes de leurs dernières écritures, expressément visées par la Cour, concluent à la réformation du jugement en ce qu'il refusé la disjonction des deux instances, et en conséquence au renvoi de l'instance engagée par la société FGI à l'encontre de la société SODAGRAL devant le tribunal de commerce de LILLE.

A titre subsidiaire, elles demandent la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la société FGI forclose à agir à l'encontre de la société SODAGRAL, et plus subsidiairement encore à l'irrecevabilité de la demande de la société FGI à l'encontre de la société SODAGRAL faute d'intérêt à agir. A titre infiniment subsidiaire, elles concluent à la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté toutes les demandes tant de la société FGI que de Monsieur X.... Enfin, elles concluent à l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté leur demande de dommages-intérêts, et en conséquence la condamnation solidaire de la société FGI et de Monsieur X... à leur payer chacune la somme de 15 000 €pour procédure abusive, et une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Préalablement, elles exposent que :

. à la suite des résultats lourdement négatifs, notamment du premier semestre 2005 (-874 000), le 30 novembre 2005, le président du directoire, Monsieur X..., propose un "coup d'accordéon" et le changement du mode d'administration de la société afin d'en simplifier le mode de fonctionnement ;

. le directoire a approuvé le projet à l'unanimité ;

. lors de sa réunion du 30 novembre 2005, le conseil de surveillance a pris acte des projets, sans aucune opposition, ni réserve de Monsieur Yvan GENIX ;

. les deux mesures ont été adoptées à l'unanimité par l'assemblée générale du 15 décembre 2005 ;

. réuni le lendemain, le conseil d'administration a constaté la réalisation du coup d'accordéon par réduction du capital et augmentation du capital intégralement souscrit par la société SODAGRAL, la société FGI ayant renoncé à son droit préférentiel de souscription.

A l'appui de leur demande de disjonction de l'instance engagée par la société FGI à l'encontre de la société SODAGRAL, de celle engagée par Monsieur X... à l'encontre de la société SAINT-ANDRÉ, elles font valoir que les deux procédures sont distinctes dans leurs parties et dans leur objet, et que les demandeurs, procédant à un amalgame, ont introduit une seule et même instance pour crédibiliser leur théorie du complot.

A titre subsidiaire, sur l'action à l'encontre de la société SODAGRAL, elles se prévalent successivement :

. de la forclusion, faisant valoir que les moyens soulevés par la société FGI conduisent à la nullité, et que l'action a été engagée plus de trois mois, et précisément quatorze mois, après la décision de l'assemblée générale approuvant le "coup d'accordéon" ;

. de l'irrecevabilité, pour défaut d'intérêt, en raison de l'approbation du projet par la société FGI lors de l'assemblée générale de la société SAINT-ANDRÉ , et par ses associés, lors des réunions du directoire, du conseil de surveillance qui l'ont précédée ;

. de l'absence d'abus de majorité, compte tenu de la situation financière lourdement négative de la société ;

. de la valorisation à zéro de l'investissement de la société FGI dans la Société, compte tenu des pertes enregistrées.

Sur l'action de Monsieur X... à l'encontre de la société SAINT-ANDRÉ, elles soulèvent l'irrecevabilité pour défaut d'intérêt à agir, l'intéressé ayant approuvé le changement de système de gouvernance qui a mis fin à son mandat. Au fond, elles font valoir qu'il n'y a pas eu révocation, et à fortiori révocation abusive, mais disparition du mandat, et plus subsidiairement encore, que la situation financière et commerciale de la société aurait justifié une révocation. Encore plus subsidiairement, elles font remarquer que Monsieur X..., perdant son mandat, a retrouvé son poste salarié et, en conséquence son salaire et la protection sociale afférente.

Elles insistent sur leurs demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive. L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 février 2009.

SUR CE

Sur la demande de disjonction

La réclamation de la société FGI et celle de Monsieur X..., associé à 50% de la société FGI, ont pour origine la sortie de la société FGI du capital de la société SAINT-ANDRÉ, et la fin des fonctions de dirigeant de Monsieur X..., président du directoire de la société SAINT-ANDRÉ, intervenues simultanément fin 2005. Il existe donc un lien suffisant entre les deux litiges, pour que les affaires soient jugées ensemble.

La demande de disjonction des affaires sera donc rejetée.

Sur la demande de Monsieur X...

Les fonctions de membre du directoire prennent fin en cas de changement de mode de direction et d'administration de la société anonyme, qui peut être décidé au cours de la vie de celle-ci.

En l'espèce, Monsieur X... a exercé les fonctions de président du directoire jusqu'au 15 décembre 2005, date à laquelle l'assemblée générale a constaté que la modification du mode de gouvernance de la société a mis fin aux fonctions des membres du directoire et du conseil de surveillance.

Pour prétendre à des dommages-intérêts, Monsieur X... doit établir que la modification du mode de gouvernance a été décidée dans le seul but de l'évincer de son poste, et présente en conséquence un caractère abusif. Or, il n'apporte aucun élément qui le démontre, la preuve ne ressortant pas de la seule chronologie des faits, et notamment du fait que son licenciement comme salarié est intervenu six mois après la fin de ses fonctions.

De surcroît, comme le relève la société SODAGRAL :

. comme président du directoire, Monsieur X... a proposé la modification du mode de gouvernance de la Société, et comme associé, via la société FGI, l'a approuvée ;

. les résultats lourdement déficitaires des derniers exercices, et du premier semestre 2005, où la perte nette s'est élevée à 874 000 , pour atteindre 1 200 000 €fin septembre 2005, selon les éléments non contestés du dossier, auraient constitué un juste motif de révocation de Monsieur X... de ses fonctions ;

. Monsieur X... n'a pas manifesté le souhait de demeurer dirigeant de la Société, dont par ailleurs la société FGI sortait du capital, et n'a pas présenté sa candidature comme administrateur.

Le fait que la situation la Société a continué de se dégrader après l'éviction de Monsieur X... est impropre à établir le caractère injustifié de la décision de changement du mode de gouvernance et de remplacement des dirigeants quand elle a été prise.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a déclarée non fondée l'action de Monsieur X... à l'encontre de la société SAINT-ANDRÉ.

Sur la demande de la société FGI

Sur la recevabilité

En ce qui concerne la prescription, selon l'article L.235-9, alinéa 3, du code de commerce, pour ce qui est des sociétés anonymes : "L'action en nullité fondée sur l'article L.225-149-3 (prévoyant la nullité des décisions d'augmentation de capital prises en violation des dispositions légales, sauf exceptions mentionnées au dit article) se prescrit par trois mois à compter de la date de l'assemblée générale suivant la décision d'augmentation du capital".

Le délai de prescription de l'action en nullité n'est pas applicable à l'action en dommages-intérêts engagée par l'actionnaire minoritaire sur le fondement de l'abus de majorité.

Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a déclaré la société FGI irrecevable en son action, comme prescrite.

Pour ce qui est de l'intérêt à agir, un associé ayant émis un vote favorable à une résolution n'est pas dépourvu d'intérêt à la contester ultérieurement. La société FGI est donc recevable en sa demande bien qu'elle ait approuvé l'opération litigieuse par la voix de ses représentants.

Au fond

L'imputation des pertes sur les réserves, suivie de la réduction du capital à zéro, puis d'une augmentation de capital intégralement souscrite par intégration du compte courant de la société SODAGRAL, n'a certes pas pour résultat d'améliorer la situation financière de la Société, mais en tout cas, comme le relève le tribunal de commerce dans le jugement déféré, a pour effet de renforcer la responsabilité des actionnaires vis à vis des créanciers. Le fait qu'il n'y ait pas eu apport d'argent frais n'est donc pas l'indice d'un détournement de l'opération au détriment de l'actionnaire minoritaire, qui dans le même temps a renoncé à son droit de souscription. Du reste, dans ses écritures (page 7) la société FGI reconnaît que les opérations avaient pour objectif de satisfaire à l'obligation légale de recapitaliser la société.

Elle conteste aujourd'hui avoir valablement renoncé à la souscription, du fait que la renonciation n'a pas été effectuée par lettre recommandée avec avis de réception, et qu'elle est intervenue avant l'ouverture de la souscription. Cependant, n'ayant demandé ni l'annulation de l'opération, ni le rétablissement de son droit de souscription préférentiel, elle n'en a pas tiré de conséquences utiles. En toute hypothèse, cet élément est impropre à établir un abus de majorité, alors que la société FGI ne conteste pas la réalité de la renonciation, sur laquelle, de surcroît, elle ne s'explique pas, mais dont on peut relever qu'alors elle la dispensait d'apporter de l'argent frais dans une société rencontrant de graves difficultés financières.

Enfin, au moment de la renonciation, elle ne pouvait ignorer que sa sortie de la société SAINT-ANDRÉ rendait caduques les stipulations du pacte d'actionnaire signé le 26 septembre 2003, qui garantissaient aux consorts GENIX, en cas de révocation ou de licenciement de la Société, le rachat de leur participation, et le cas échéant de leur concours, sous certaines conditions.

En conséquence, la preuve d'un abus de majorité n'étant pas rapportée, la Cour déboutera la société FGI de sa demande.

Sur les demandes des sociétés intimées

Les sociétés SODAGRAL et SAINT-ANDRÉ ne rapportent pas la preuve du caractère abusif de l'action des appelants, ni du préjudice qui en aurait résulté pour elles, hors les frais d'instance.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté leurs demandes à ce titre.

Sur les demandes accessoires

Il sera alloué à chacune des sociétés intimées une indemnité complémentaire sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

PAR CES MOTIFS

La Cour

Déboute les sociétés intimées de leur demande aux fins de disjonction des affaires

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la société FGI irrecevable en sa demande

Statuant à nouveau

Déclare la société FGI recevable, mais mal fondée en son action

En conséquence, la déboute de sa demande de dommages-intérêts à l'encontre de la société SODAGRAL

Confirme le jugement déféré pour le surplus

Condamne la société FGI à payer à la société SODAGRAL la somme de 1 250 €sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Condamne Monsieur Raymond X... à payer à la société SAINT-ANDRÉ la somme de 1 250 €sur le même fondement

Condamne les appelants aux dépens, avec distraction au profit de la SCP BRONDEL & TUDELA, avoués, sur son affirmation de droit.