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Décisions

Cass. com., 30 mai 2018, n° 16-15.422

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Avocats :

Me Bertrand, SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer

Paris, du 26 janv. 2016

26 janvier 2016

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 janvier 2016), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 9 juillet 2013, pourvoi n° 12-18.135), que la société Sicab-Carmeuse France, devenue Carmeuse France, et M. X... ont déposé, le 15 septembre 2004, un brevet français, enregistré sous le n° 04 09767, délivré le 15 décembre 2006 et intitulé « utilisation de chaux partiellement pré-hydratée dans la séparation d'une suspension matières solide/liquide, procédé de traitement des boues et boues purifiées obtenues selon ce procédé » ; que la société Lhoist recherche et développement, titulaire du brevet européen EP 1 154 958, déposé le 3 février 2000, délivré le 31 mars 2004 et portant sur un procédé de conditionnement des boues, et la société Lhoist France (les sociétés Lhoist) ont assigné la société Carmeuse France et M. X... en annulation des revendications 1 à 9 du brevet n° 04 09767 pour défaut de nouveauté et d'activité inventive ; que cette demande a été accueillie par un arrêt du 30 mars 2012, devenu irrévocable en ce qui concerne l'annulation de la revendication 1 pour défaut de nouveauté ; que la société Carmeuse France, devenue la société CMF Products, ayant fait un apport partiel d'actifs comprenant sa quote-part du brevet n° 04 09767 à la société Boulet Fillers, devenue la société Carmeuse chaux, cette dernière et M. X... ont déposé, le 29 janvier 2014, une demande de limitation des revendications du brevet n° 04 09767, acceptée par décision du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (l'INPI) du 25 mars 2014 et inscrite au registre national des brevets le 26 mars 2014 sous le numéro 0 200 036, les revendications d'origine du brevet ayant été abandonnées et remplacées par de nouvelles revendications 1 à 4 ; que la société Carmeuse chaux est intervenue volontairement à l'instance ;

Attendu que les sociétés Carmeuse chaux et CMF Products et M. X... font grief à l'arrêt de prononcer la nullité des revendications 1 à 4 du brevet français n° 04 09767, tel que limité par décision de l'INPI du 25 mars 2014, pour défaut d'activité inventive alors, selon le moyen :

1°/ qu'une invention de combinaison consiste dans l'association de moyens coopérant ensemble en vue d'un résultat commun, peu important qu'au sein de cette combinaison, chacun des moyens exerce sa fonction et produise son effet habituel et sans qu'il soit nécessaire que l'effet de synergie résultant de leur combinaison présente un caractère « surprenant » ; que l'activité inventive d'une telle invention doit s'apprécier au regard de la combinaison elle-même, prise dans son ensemble, et non des moyens qui la composent pris séparément ; qu'ainsi, une invention de combinaison implique une activité inventive lorsque le fait de faire coopérer les différents moyens qui la composent, fussent-il connus ou aisément accessibles pour l'homme du métier, en vue d'obtenir un résultat commun, ne découle pas, pour l'homme du métier, de manière évidente de l'état de la technique ; qu'en l'espèce, pour retenir que la revendication 1 du brevet français n° 04 09767 modifiée serait dépourvue d'activité inventive, la cour d'appel, après avoir examiné séparément chacun des éléments constitutifs du procédé couvert par cette revendication, a affirmé que celle-ci serait « constituée d'un ensemble de paramètres déjà connus ou facilement accessibles pour l'homme du métier et ayant chacun un effet technique spécifique participant à l'optimisation de chaque étape décrite, sans que leur combinaison ait un effet de synergie surprenant » ; qu'en se déterminant par de tels motifs impropres à justifier en quoi le procédé couvert par la revendication 1 ne présenterait pas, comme le soutenaient les exposants, le caractère d'une invention de combinaison de moyens coopérant ensemble en vue d'un résultat commun, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 611-14 du code de la propriété intellectuelle ;

2°/ qu'une invention de combinaison implique une activité inventive lorsque le fait de faire coopérer les différents moyens qui la composent, fussent-il connus ou aisément accessibles pour l'homme du métier, en vue d'obtenir un résultat commun, ne découle pas, pour l'homme du métier, de manière évidente de l'état de la technique, sans qu'il soit nécessaire que l'effet de synergie produit par ces différents moyens présente un caractère « surprenant » ; qu'à supposer qu'elle ait estimé que la revendication 1 constituait bien une invention de combinaison, la cour d'appel a, en affirmant que la revendication 1 serait « constituée d'un ensemble de paramètres déjà connus ou facilement accessibles pour l'homme du métier et ayant chacun un effet technique spécifique participant à l'optimisation de chaque étape décrite, sans que leur combinaison ait un effet de synergie surprenant », statué par des motifs impropres à caractériser en quoi le fait de combiner ensemble les différents éléments constitutifs du procédé revendiqué, selon l'agencement particulier prévu par la revendication 1, découlerait, de manière évidente, de l'état de la technique pour l'homme du métier et a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 611-14 du code de la propriété intellectuelle ;

3°/ qu'en affirmant que le Mémento technique de l'eau faisait état d'un temps standard de floculation des boues dans des bacs agités en série pour obtenir un excellent mélange de l'ordre de 5 à 10 minutes, soit une durée comprise dans la fourchette par la revendication 1 du brevet français n° 04 09767, sans rechercher, comme l'y invitaient la société Carmeuse chaux, la société CMF Products et M. X..., si ce document n'envisageait pas uniquement l'utilisation d'une chaux éteinte et non de la chaux vive partiellement pré-hydratée à réactivité retardée (CVRR) visée dans la revendication 1, la cour d'appel a entaché sa décision d'une insuffisance de motivation, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

4°/ qu'en affirmant, sur la base d'une simple extrapolation, que l'homme du métier, qui lit dans l'exemple 7 du brevet Lhoist que la mise en contact de la chaux et d'un échantillon de boue correspondant à 20 grammes de matière sèche est de six secondes, « peut facilement en déduire que, pour de grandes quantités, la mise en contact devra être plus longue et trouver la durée utile au moyen d'essais de routine», sans répondre aux conclusions d'appel de la société Carmeuse chaux, la société CMF Products et M. X..., qui faisaient valoir que l'homme du métier n'avait aucune raison de prolonger ainsi la durée du mélange, puisqu'il savait, notamment par le document Boynton, que la CVRR avait un comportement incertain, proche de celui de la chaux vive et qu'il était ainsi dissuadé de prolonger la durée du mélange par crainte d'une réaction exothermique non maîtrisée, la cour d'appel a entaché sa décision d'une insuffisance de motivation, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

5°/ que la cassation de l'arrêt en ce qu'il a annulé la revendication principale 1 du brevet français n° 04 09767 entraînera, par voie de conséquence, la cassation de l'arrêt en ce qu'il a prononcé l'annulation des revendications dépendantes 2 et 3 de ce brevet, et ce par application de l'article 624 du code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant retenu que la revendication 1 était constituée d'un ensemble de moyens déjà connus, ayant chacun un effet technique spécifique participant à l'optimisation de chaque étape décrite du procédé, sans que leur combinaison ait un « effet de synergie surprenant », la cour d'appel a légalement justifié sa décision de retenir que cette revendication ne constituait pas une invention de combinaison ;

Attendu, en second lieu, que l'arrêt retient que l'homme du métier pouvait facilement, au moyen d'essais de routine, déduire de l'exemple de laboratoire figurant dans le brevet opposé Lhoist EP 1 154 958 que, pour de grandes quantités, la mise en contact des produits avec la boue à traiter devait être plus longue que celle décrite, et ainsi trouver la durée utile du mélange préconisée par la revendication 1 ; qu'il ajoute qu'il est fait état, dans le Mémento technique de l'eau, d'un temps standard de floculation des boues dans des bacs agités en série pour obtenir un excellent mélange de l'ordre de 5 à 10 mn, que celui du brevet litigieux ne fait qu'englober et qui correspond à la fourchette moyenne proposée de façon préférentielle par celui-ci ; qu'en cet état, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer la recherche invoquée à la troisième branche, que ses constatations rendaient inopérante, ni de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu considérer que la caractéristique tenant à la durée du mélange des produits avec la boue à traiter était aisément accessible à l'homme du métier ;

Et attendu, en dernier lieu, que le rejet du moyen, pris en ses quatre premières branches, rend le moyen, pris en sa cinquième branche, sans portée ;

D'où il suit que le moyen, inopérant en sa deuxième branche, en ce qu'il suppose que la revendication 1 soit une combinaison de moyens, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.