Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 17 mars 2015, n° 14/05024

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Le Venise (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hirigoyen

Conseillers :

Mme Hebert-Pageot, M. Boyer

Avocats :

Me Regnier, Me Alwakil, Me Joly

T. com. Meaux, du 21 janv. 2014, n° 2011…

21 janvier 2014

La société Lei's Caffé a été constituée entre MM. Jean François L. (124 parts) et Olivier L. (126 parts) le 29 octobre 2004.

Par acte en date du 1er novembre 2008, les consorts L. ont cédé l'intégralité de leurs parts à M. Mohand L. à leur valeur nominale, soit la somme totale de 4 960 euros.

Aucune garantie d'actif et de passif n'a été régularisée et aucun inventaire contradictoire des actifs n'a été établi.

A la date de la cession, M. Jean François L. disposait d'un compte courant d'associé dont le sort n'était pas évoqué dans les actes de cession.

Par acte du 19 septembre 2011, M. Jean François L. a fait assigner la société Le Venise, nouvelle dénomination de la société cédée, devant le tribunal de commerce de Meaux en remboursement de son compte courant d'associé à hauteur de 122 988,85 euros.

Par jugement du 13 novembre 2012, le tribunal a désigné M. Jean François L. en qualité d'expert avec pour mission d'établir le montant du passif social existant à la date de la cession ainsi qu'un état précis des immobilisations transmises à la société Le Venise.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 30 avril 2013.

Il concluait que sa mission n'avait pas mis en évidence de passifs dissimulés significatifs à la date du dernier bilan avant cession, que le passif à la date de celle ci était de 228 974 euros et que le compte courant d'associé apparaissait distinctement dans les comptes pour 112 989 euros.

Alors que la société Le Venise concluait après rapport, à titre principal, à l'abandon par M. L. de son compte courant d'associé et, subsidiairement, à l'existence de passifs dissimulés ou imputables aux cédants devant venir en déduction du crédit de ce compte, par jugement du 21 janvier 2014, le tribunal de commerce a condamné la société Le Venise à payer à M. L. la somme de 112 988, 85 euros TTC en principal, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 9 août 2010, a dit que la société Le Venise pourra s'acquitter de sa dette en 24 mensualités égales, augmentées des intérêts au taux légal et que le défaut de paiement à l'échéance entraînera la déchéance du terme, a ordonné l'exécution provisoire et a condamné la société Le Venise à payer à M. L. la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Une procédure de sauvegarde a été ouverte à l'égard de la société Le Venise par jugement du tribunal de commerce de Meaux en date du 7 février 2014, la Selarl G. Guillouet, en la personne de Maître Guillouet, ayant été désignée en qualité de mandataire judiciaire.

La société Le Venise a relevé appel de cette décision par déclaration du 5 mars 2014.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 13 mai 2014, elle demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau, à titre principal, de constater l'abandon du compte courant et de débouter M. L. de ses demandes, à titre subsidiaire, de constater que la créance de Monsieur L. n'est pas certaine et de le débouter de sa demande, à titre infiniment subsidiaire, de lui accorder les plus larges délais de paiement, en tout état de cause, de condamner M. L. à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 11 juillet 2014, M. L. demande à la cour de confirmer le jugement déféré, en tant que de besoin, d'ordonner l'inscription de sa créance au passif de la société Le Venise, de la condamner à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La Selarl G. Guillouet, ès qualités, intervenante volontaire, a constitué avocat mais n'a pas conclu.

SUR CE

La Sarl Le Venise fait valoir :

- que M. L. ne s'est pas soucié du remboursement de son compte courant d'associé avant l'engagement de la présente instance, plus de trois ans après la cession,

- qu'il n'avait pas évoqué de créance de compte courant d'associé à l'occasion d'une précédente instance introduite en 2010 à l'encontre de M. L., cessionnaire, et de son propre expert comptable, ayant au demeurant été débouté de ses demandes par arrêt confirmatif de la présente cour en date du 27 novembre 2012,

- que l'intention de M. L. n'était nullement de se faire rembourser ledit compte courant d'associé qui représentait la moitié du passif social, lequel s'élevait à 225 203 euros pour un actif de 58 975 euros, n'ayant alors eu d'autre objectif que d'éviter l'ouverture d'une procédure collective et de transférer sur le cessionnaire la charge de contrats de crédit bail et des emprunts bancaires dont il s'était porté caution,

- et que les comptes sociaux au 30 septembre 2008 n'avaient pas été établis à la date de la cession, de sorte que le cessionnaire ignorait l'existence dudit compte courant d'associé.

Mais la cession de parts sociales n'emporte pas transfert de plein droit à l'acquéreur du compte courant d'associé du cédant et l'abandon de compte courant ne se présume pas.

Il résulte des faits de la cause et spécialement du rapport d'expertise de M. L. que le compte courant d'associé apparaissait très distinctement dans les comptes arrêtés au 30 septembre 2008, lesquels ont de surcroît été approuvés lors de l'assemblée générale du 31 mars 2009 réunie alors que le cessionnaire se trouvait à la tête de l'affaire.

Faute de disposition expresse dans les actes de cession sur le sort de ce compte courant ou d'actes manifestant la volonté non équivoque du cédant d'abandonner sa créance à ce titre au cessionnaire, son titulaire est bien fondé en sa demande de remboursement, laquelle peut intervenir, en l'absence de clause statutaire contraire ou de convention particulière, à tout moment.

Le jugement déféré sera dès lors confirmé en ce qu'il a estimé fondée en son principe la demande en remboursement de M. L..

La Sarl Le Venise conteste le quantum de la demande en faisant valoir qu'une mise en demeure à elle adressée par le conseil de M. L. le 9 août 2010 faisait état d'une créance au titre du compte courant d'associé arrêtée à l'exercice clos le 30 septembre 2007 de 64 473,35 euros en s'interrogeant sur la vraisemblance d'un apport en compte courant postérieur à cette date de 58 515 euros, soit sur la période ayant couru du 30 septembre 2007 au 1er novembre 2008, et sur la justification d'un crédit en compte au titre des salaires versés à Mme L. ou des transactions de cette dernière par cartes de crédit.

Mais le compte courant arrêté au 30 septembre 2008 ayant été approuvé par le cessionnaire, alors seul à la tête de l'affaire lors de l'assemblée générale du 31 mars 2009, la contestation des mouvements ayant pu l'affecter antérieurement à la cession est inopérante.

En revanche, la société appelante relève qu'une somme de 11 507,66 euros a été portée au crédit de ce compte le 4 novembre 2008, soit trois jours après la cession, de sorte que cette somme qui n'a pas été apportée par M. L. qui n'était plus alors associé doit être déduite de la créance revendiquée.

La société Le Venise relève encore sur la base du rapport d'expertise qu'une provision pour risque au titre du contentieux social s'est révélée insuffisante pour 2 711, 43 euros et que le découvert bancaire a été minoré de 3 346 euros. Mais faute pour les parties d'avoir régularisé une garantie d'actif et de passif, la réclamation à ce titre de surcroît formée par la société cédée et non pas par le cessionnaire, est dépourvue de fondement.

Il en est de même, s'agissant de la réclamation se rapportant à une sortie d'immobilisation pour 4 427,09 euros, demeurée inexpliquée et que la société Le Venise rattache à la vente par M. L. d'une partie du matériel du fonds de commerce, alors que de surcroît aucun inventaire n'a été établi et que l'attestation de l'acquéreur dudit matériel ne précise pas son prix de rachat.

Le jugement déféré sera dès lors infirmé sur le quantum de la créance de M. L., laquelle sera ramenée à (112 988, 85 - 11 507, 66 euros) 101 481,19 euros et en ce qu'il a prononcé condamnation à paiement alors que la société Le Venise est désormais sous procédure de sauvegarde, laquelle conduira à fixer cette créance au passif de la procédure et rend sans objet la demande de délai de paiement.

Les circonstances de l'espèce, comme l'équité, ne commandent pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement déféré,

Fixe à 101 481,19 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 9 août 2010, la créance de M. L. sur la société Le Venise au titre du remboursement de son compte courant d'associé,

Dit que cette créance sera inscrite au passif de la procédure ouverte à l'égard de la société Le Venise,

Rejette toutes autres demandes,

Dit que les dépens de première instance et d'appel seront comptés en frais privilégiés de procédure collective et que ces derniers pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.