CJCE, 5e ch., 16 septembre 1999, n° C-392/97
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Puissochet
Avocat général :
M. Fennelly
Avocat :
Me Kindler
1. Par ordonnance du 17 juin 1997, parvenue à la Cour le 18 novembre suivant, le Bundesgerichtshof a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), deux questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 3, sous a) et b), du règlement (CEE) n° 1768/92 du Conseil, du 18 juin 1992, concernant la création d'un certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO L 182, p. 1).
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un recours engagé par Farmitalia Carlo Erba Srl (ci-après « Farmitalia ») à l'encontre du rejet, par le Bundespatentgericht, d'une demande de Farmitalia visant à obtenir la délivrance d'un certificat complémentaire de protection (ci-après le « certificat ») libellé dans les termes indiqués par cette société.
3. Il ressort des troisième et quatrième considérant du règlement n° 1768/92 que, avant son adoption, la durée de la protection effective conférée par le brevet pour amortir les investissements effectués dans la recherche pharmaceutique était insuffisante. Ce règlement vise précisément à combler cette insuffisance par la création d'un certificat pour les médicaments.
4. Selon l'article 1er du règlement n° 1768/92 :
« Aux fins du présent règlement, on entend par:
a) 'médicament‘ : toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines...
b) 'produit‘: le principe actif ou la composition de principes actifs d'un médicament;
c) 'brevet de base‘: un brevet qui protège un produit tel que défini au point b), en tant que tel, un procédé d'obtention d'un produit ou une application d'un produit et qui est désigné par son titulaire aux fins de la procédure d'obtention d'un certificat;
d) 'certificat‘: le certificat complémentaire de protection.»
5. L'article 3 du règlement n° 1768/92, qui définit les conditions d'obtention du certificat, prévoit:
«Le certificat est délivré si, dans l'État membre où est présentée la demande visée à l'article 7 et à la date de cette demande:
a) le produit est protégé par un brevet de base en vigueur;
b) le produit, en tant que médicament, a obtenu une autorisation de mise sur le marché en cours de validité conformément à la directive 65/65/CEE;
c) le produit n'a pas déjà fait l'objet d'un certificat;
d) l'autorisation mentionnée au point b) est la première autorisation de mise sur le marché du produit, en tant que médicament.»
6. Farmitalia était titulaire du brevet allemand 25 25 633 déposé le 9 juin 1975 et dont la durée de protection légale est désormais expirée. Ce brevet concernait des anomères á de 4-déméthoxy-daunomicine, des procédés de leur fabrication et des médicaments contenant lesdits composés. Les revendications 1 et 4 de ce brevet visaient, respectivement, les anomères á de 4-déméthoxy-daunomicine, avec indication de la formule correspondante, et les médicaments contenant un des composés visés aux revendications 1 et 2 ainsi que les adjuvants et/ou excipients usuels.
7. La dénomination abrégée proposée par l'Organisation mondiale de la santé pour les composés chimiques dont la structure répond à la formule indiquée à la revendication 1 est «idarubicine».
8. En Allemagne, Farmitalia a obtenu l'autorisation de mise sur le marché (ci-après l'«AMM»), sous les dénominations «Zavedos 5 mg» et «Zavedos 10 mg», de médicaments destinés à traiter chez l'homme des leucémies myéloïdes aiguës et contenant comme principe actif de l'idarubicine chlorhydrate et comme adjuvant du lactose déshydraté.
9. Par décision du 9 juin 1993, le Deutsche Patentamt (Office des brevets allemand) a délivré à Farmitalia, sur la base du brevet allemand 25 25 633, un certificat «pour le médicament Zavedos, contenant comme principe actif de l'idarubicine chlorhydrate». Il a cependant refusé de délivrer un certificat pour «l'idarubicine et ses sels, y compris l'idarubicine chlorhydrate», demandé à titre principal.
10. Farmitalia a introduit un recours devant le Bundespatentgericht en vue d'obtenir, à titre principal, un certificat pour «l'idarubicine et ses sels, y compris l'idarubicine chlorhydrate» et, à titre subsidiaire, un certificat pour «l'idarubicine et l'idarubicine chlorhydrate». Ce recours a été rejeté.
11. Selon le Bundespatentgericht, l'article 3, sous b), du règlement n° 1768/92 suffit à faire échec aux conclusions tant principales que subsidiaires. En effet, selon cette disposition, un certificat ne pourrait être délivré que pour un produit figurant comme «composant actif» dans la décision d'AMM intervenue au titre de la législation pharmaceutique. Or, cette condition ne serait remplie en l'espèce que pour le principe actif «idarubicine chlorhydrate», lequel, au moment du dépôt de la demande, faisait seul l'objet d'une AMM au titre de la législation pharmaceutique applicable en Allemagne.
12. Selon cette juridiction, les conclusions principales apparaissent en outre non fondées du fait que les conditions de l'article 3, sous a), du règlement n° 1768/92 ne sont pas réunies pour tous sels d'idarubicine. En effet, pour déterminer si le produit est «protégé par un brevet de base», il faudrait se référer à l'objet de la
protection conférée par le brevet, à savoir le raisonnement technique que le brevet de base vise à protéger en tant qu'élément brevetable. A cet égard, le Bundespatentgericht rappelle qu'en fait seulement partie, outre ce qui est décrit textuellement dans le fascicule du brevet, ce qui est évident ou pratiquement indispensable du point de vue d'un spécialiste moyen, même sans mention particulière concernant la théorie brevetée ou ce que le spécialiste peut déceler sans difficultés et mentalement déduire sur le champ lors d'une lecture attentive du fascicule du brevet.
13. Or, dans l'affaire dont la juridiction de renvoi est saisie, ces éléments ne se retrouveraient pas en ce qui concerne les sels d'idarubicine faisant l'objet de la demande. En effet, pour un spécialiste moyen, il ne serait ni évident ni décelable sans difficultés que, outre l'idarubicine chlorhydrate qui figure dans le fascicule du brevet en tant qu'exemple de réalisation de l'invention, tous autres sels d'idarubicine, non mentionnés dans le fascicule du brevet lui-même, pourraient fournir le principe actif d'un médicament se caractérisant par les mêmes propriétés que celles visées par le brevet. Au contraire, en raison de leur composition chimique différente de celle de l'idarubicine et de l'idarubicine chlorhydrate, le spécialiste serait amené à considérer tout au moins comme possibles des différences dans le profil thérapeutique de ces sels.
14. Par son recours introduit devant le Bundesgerichtshof, Farmitalia maintient sa demande visant à la délivrance d'un certificat pour l'«idarubicine et les sels de celle-ci, y compris l'idarubicine chlorhydrate» et, subsidiairement, pour l'«idarubicine et l'idarubicine chlorhydrate».
15. Le Bundesgerichtshof, tout en rappelant que Farmitalia a d'ores et déjà obtenu un certificat pour l'idarubicine chlorhydrate, considère qu'il est utile, aux fins de sa décision, de procéder à une interprétation de l'article 3, sous a) et b), du règlement n° 1768/92, en commençant par le point b). Selon cette juridiction, ce n'est que dans l'hypothèse où la délivrance d'un certificat ne serait pas limitée au principe actif mentionné dans l'AMM délivrée au titre de la législation pharmaceutique que la demande de certificat ne serait pas d'emblée vouée à l'échec eu égard à l'article 3, sous b), de ce règlement et qu'il conviendrait d'aborder l'autre question, concernant l'article 3, sous a), visant à savoir quels critères déterminent si le produit «est protégé par un brevet de base». Au cas où le texte des revendications serait déterminant, il y aurait lieu de faire droit aux conclusions subsidiaires. Si, en revanche, il convenait de retenir l'étendue totale de la protection conférée par le brevet de base, il pourrait être fait droit aux conclusions principales de la demanderesse au principal.
16. Dans ces conditions, le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes:
«1) L'article 3, sous b), implique-t-il que le produit pour lequel la délivrance d'un certificat de protection est sollicitée figure comme ”composant actif” dans l'autorisation obtenue au titre de la législation pharmaceutique? En conséquence, la condition de l'article 3, sous b), n'est-elle pas remplie lorsque la décision d'autorisation indique comme ”composant actif” un seldéterminé d'un principe actif, alors que la délivrance d'un certificat de protection est demandée pour la base libre et/ou pour d'autres sels du principe actif?
2) Pour le cas où il serait répondu par la négative aux questions énoncées sous 1: Selon quels critères convient-il d'apprécier si un produit au sens de l'article 3, sous a), est protégé par un brevet de base lorsque la délivrance d'un certificat de protection est demandée pour la base libre d'un principe actif, y compris tous sels de celui-ci, mais que le brevet de base se borne à énoncer dans ses revendications la base libre de ce principe actif et mentionne en outre, dans un exemple de réalisation, un sel déterminé de cette base libre? Convient-il de retenir le texte des revendications du brevet de base ou l'étendue de la protection conférée par celui-ci?»
Sur la première question
17. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 3, sous b), du règlement n° 1768/92 doit être interprété en ce sens que le certificat ne peut protéger que le produit sous la forme concrète telle qu'indiquée dans l'AMM.
18. A cet égard, tous les intéressés qui ont présenté des observations ont soutenu, notamment, que, si le certificat ne pouvait protéger que le sel déterminé du principe actif mentionné comme composant actif dans l'AMM alors que le brevet de base protège le principe actif en tant que tel ainsi que des sels de celui-ci, y compris celui faisant l'objet de l'AMM, tout concurrent aurait la possibilité, après l'expiration du brevet de base, de demander et, le cas échéant, d'obtenir une AMM pour un autre sel de ce même principe actif, anciennement protégé par ledit brevet. Il serait dès lors possible que des médicaments en principe équivalents d'un point de vue thérapeutique à celui protégé par le certificat viennent à concurrencer ce dernier. Il serait ainsi fait échec à l'objectif du règlement n° 1768/92, qui serait d'assurer au titulaire du brevet de base une exclusivité sur le marché pendant une période donnée allant au-delà de la période de validité de celui-ci.
19. Cette argumentation mérite d'être accueillie. En effet, si le certificat ne couvrait pas le produit, en tant que médicament, tel que protégé par le brevet de base et dont l'une des formes possibles fait l'objet d'une AMM, l'objectif fondamental du règlement n° 1768/92, tel qu'énoncé en ses premier et deuxième considérants,
consistant à garantir une protection suffisante pour encourager la recherche dans le domaine pharmaceutique, qui contribue de façon décisive à l'amélioration continue de la santé publique, ne saurait, pour les raisons mentionnées au point 18 du présent arrêt, être atteint.
20. De surcroît, il convient de rappeler que le règlement (CE) n° 1610/96 du Parlement européen et du Conseil, du 23 juillet 1996, concernant la création d'un certificat complémentaire de protection pour les produits phytopharmaceutiques (JO L 198, p. 30), prévoit, en son treizième considérant, qui, en vertu de son dix-septième considérant, vaut également, mutatis mutandis, pour l'interprétation notamment de l'article 3 du règlement n° 1768/92, que le certificat confère les mêmes droits que ceux conférés par le brevet de base, en sorte que, lorsque ce dernier couvre une substance active et ses différents dérivés (sels et esters), le certificat confère la même protection.
21. En l'occurrence, lorsqu'un principe actif sous la forme d'un sel est mentionné dans l'AMM en cause et est protégé par un brevet de base en vigueur, le certificat est susceptible de couvrir le principe actif en tant que tel ainsi que ses différentes formes dérivées telles que les sels et les esters, en tant que médicaments, pour autant qu'ils relèvent de la protection du brevet de base.
22. Par conséquent, il y a lieu de répondre à la première question que le règlement n° 1768/92, et notamment son article 3, sous b), doit être interprété en ce sens que, dès lors qu'un produit sous la forme mentionnée dans l'AMM est protégé par un brevet de base en vigueur, le certificat est susceptible de couvrir le produit, en tant que médicament, sous toutes les formes relevant de la protection du brevet de base.
Sur la seconde question
23. Par sa seconde question, le Bundesgerichtshof demande en substance quels sont, selon le règlement n° 1768/92, et notamment son article 3, sous a), les critères selon lesquels il y a lieu de déterminer si un produit est protégé par un brevet de base.
24. A cet égard, il y a lieu de rappeler qu'une des conditions d'obtention du certificat est que le produit soit protégé par un brevet de base en vigueur.
25. Ainsi qu'il est indiqué au septième considérant du règlement n° 1768/92, le brevet en cause peut être soit national, soit européen.
26. En l'état actuel du droit communautaire, les dispositions relatives aux brevets n'ont pas encore fait l'objet d'une harmonisation dans le cadre de la Communauté ou d'un rapprochement des législations.
27. Dès lors, en l'absence d'harmonisation communautaire du droit des brevets, l'étendue de la protection du brevet ne peut être déterminée qu'au regard des règles non communautaires qui régissent ce dernier.
28. Ainsi qu'il ressort notamment du point 21 du présent arrêt, la protection conférée par le certificat ne peut pas excéder l'étendue de la protection conférée par le brevet de base.
29. Il convient donc de répondre à la seconde question que, pour déterminer, dans le cadre de l'application du règlement n° 1768/92, et notamment de son article 3, sous a), si un produit est protégé par un brevet de base, il y a lieu de se référer aux règles qui régissent ce dernier.
Sur les dépens
30. Les frais exposés par les gouvernements allemand, français, néerlandais et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission , qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 17 juin 1997, dit pour droit:
1) Le règlement (CEE) n° 1768/92 du Conseil, du 18 juin 1992, concernant la création d'un certificat complémentaire de protection pour les médicaments, et notamment son article 3, sous b), doit être interprété en ce sens que, dès lors qu'un produit sous la forme mentionnée dans l'autorisation de mise sur le marché est protégé par un brevet de base en vigueur, le certificat complémentaire de protection est susceptible de couvrir le produit, en tant que médicament, sous toutes les formes relevant de la protection du brevet de base.
2) Pour déterminer, dans le cadre de l'application du règlement n° 1768/92, et notamment de son article 3, sous a), si un produit est protégé par un brevet de base, il y a lieu de se référer aux règles qui régissent ce dernier.