CA Montpellier, 2e ch. B, 18 juin 2002, n° 01/02547
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Domingo Scheuer
Défendeur :
AS Conseil (SARL), DFC (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Plantard
Conseillers :
M. Orison, M. Bruyere
Avoués :
SCP Negre, SCP Jouglajougla
Avocats :
Me Lafont, Me Morant
Madame Amparo DOMINGO SCHEUER est associée égalitaire avec la SARL DEC, de la SARL AS CONSEIL.
Convoquée aux assemblées générales des 7 mai et 27 juillet 1999 en vue, notamment, de procéder à des avances en compte courant pour faire face aux besoins de trésorerie de la société, et à celles des 13 juin et 20 juillet 2000, ayant à l’ordre du jour la réduction du capital et une augmentation de celui-ci par émission de nouvelles parts, Madame DOMINGO SCHEUER ne s’est pas présentée.
Les SARL AS CONSEIL et DEC ont assigné Madame DOMINGO SCHEUER en désignation d’un mandataire ad hoc chargé de la substituer et de voter aux assemblées générales, en son nom, conformément à l’intérêt social, en invoquant le blocage du fonctionnement de la société résultant de son attitude.
Par jugement du 9 mai 2001, le Tribunal de Commerce de MONTPELLIER a fait droit à cette demande et a désigné Christian CAVIGLIONI en qualité de mandataire hoc avec pour mission de substituer Madame DOMINGO SCHEUER, défaillante, et de voter lors des assemblées générales en son nom et conformément à l’intérêt de la société.
II a déclaré irrecevable Madame DOMINGO SCHEUER à demander reconventionnellement la dissolution de la société, en raison de ce qu’elle a elle-même créé le motif de dissolution invoqué.
II a enfin donné acte à la SARL DEC de ce qu’elle est prête d’acheter pour son compte ou le compte de toute autre personne qui se substituerait à elle, les parts de Madame DOMINGO SCHEUER et a désigné Philippe BOYER, en qualité d’expert pour déterminer la valeur de ces parts, les frais étant à la charge de la SARL AS CONSEIL.
II a condamné Madame DOMINGO SCHEUER à payer la somme de 4.000 Frs au titre de L’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Madame DOMINGO SCHEUER a relevé appel de ce jugement et a demandé, par conclusions du 12 octobre 2001 :
- de joindre l’instance à celle de l’appel du jugement du 31 janvier 2001 la condamnant à payer les sommes fixées par les assemblées générales des 7 mai et 27 juillet 1999, à titre d’avance en compte courant ;
- d’infirmer le jugement du 9 mai 2001 et de dire qu’elle n’a pas commis d’abus d’égalité et a usé de la liberté de ses droits, en refusant de participer aux votes de résolutions contraires aux intérêts sociaux, injustifiés en I’état de I’avenir compromis de la SARL AS CONSEIL et de la SARL DEC ;
- de prononcer la dissolution de la SARL AS CONSEIL, en vertu de l’article 1844-7-5e du Code Civil, en raison de la disparition de l’affectio societatis ;
- de condamner la SARL AS CONSEIL et la SARL DEC à lui payer la somme de 3.048,98 € au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La SARL AS CONSEIL et la SARL DEC ont conclu le 23 avril 2002 à la confirmation et à la condamnation de Madame DOMINGO SCHEUER au paiement de la somme de 1.500 € au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
SUR QUOI
ATTENDU que la jonction de la présente instance avec l’instance d’appel du jugement du 31 janvier 2001 ne se justifie pas ; si elles ont un lien, les demandes sont très différentes et il n’est pas de l’intérêt d’une bonne justice de les juger ensemble.
* Sur la désignation du mandataire ad hoc
ATTENDU que la SARL AS CONSEIL et la SARL DFC fondent leur demande sur un abus d’égalité commis par Madame DOMINGO SCHEUER, en refusant de participer aux dernières assemblées générales, bloquant ainsi toute mise en oeuvre de solution pour redresser les comptes de la société.
ATTENDU que les assemblées des 23 mai et 13 juin 2000, ont été convoquées, pour approuver les comptes de I’exercice de l’année 1999, mais aussi pour délibérer sur la réduction du capital par réduction du montant nominal des parts et l’augmentation de capital par émission de nouvelles parts sociales.
ATTENDU que Madame DOMINGO SCHEUER explique que les dernières décisions proposées sont contraires à ses intérêts et imposent des solutions onéreuses, que la société subit, certes, des pertes, mais pas très importantes et qu’elle est en droit de ne pas cautionner une gestion désastreuse ; qu’en fait, l’exploitation n’est pas viable et le gérant aurait dû déposer le bilan puisque la société est déficitaire depuis sa création en 1992.
ATTENDU que l’abus d’égalité ou de minorité se caractérise par une attitude contraire à l’intérêt général de la société en interdisant une opération essentielle pour celle-ci, dans l’unique dessein de favoriser les intérêts de l’associé égalitaire ou minoritaire, au détriment des autres associés.
ATTENDU qu’il n’est pas discuté que la société génère des pertes depuis l’origine, qu’elle manque de trésorerie à l’heure actuelle, puisque des avances de fonds en comptes courants ont été demandées aux associés, pour un montant de 165.000 Frs par mois, outre 7.500 Frs par mois depuis le 5 août 1999, et, qu’enfin, un “coup d’accordéon ” serait nécessaire pour parvenir à éviter de voir les fonds propres devenir négatifs et à maintenir une perte équivalente à celle de l’exercice de l’année 1999.
ATTENDU certes, que ces mesures sont envisagées dans l’intérêt général de la société. Mais Madame DOMINGO SCHEUER est en droit de prétendre que I’exploitation n’est pas viable et qu’elle n’entend pas cautionner la gestion, qui rétablirait un équilibre apparent, mais nécessiterait toujours pour les associés de prendre en charge les déficits. Son attitude procède d’une conception d’une gestion saine de la société et non exclusivement de la protection de ses propres intérêts au détriment des autres associés ; elle exprime un avis en fonction de l’analyse qu’elle fait de la situation de la société, qui repose sur des faits indiscutables et fait ressortir une notion d’intérêt social ne se confondant pas avec survie à tout prix de la société. La position apparait légitime.
ATTENDU que la seule abstention de participer aux assemblées générales des années 1999 et 2000, invoquée par les SARL AS CONSEIL et SARL DEC, n’apparait donc pas abusif, au vu de ce qui précède, et ne peut justifier la désignation d’un mandataire ad hoc.
* Sur la dissolution de la société
ATTENDU que la société se trouve actuellement paralysée et dans l’impossibilité de trouver une solution en vue de redresser ses comptes, en raison de l’abstention de Madame DOMINGO SCHEUER et de son opposition aux propositions faites aux assemblées ainsi que de son refus de céder ses parts. Les parties sont en désaccord complet sur les mesures à prendre pour la société ; manifestement, il existe une mésentente entre les associés à un point tel que Madame DOMINGO SCHEUER ne daigne même pas se présenter aux assemblées ou s’y faire représenter, et que la SARL AS CONSEIL et la SARL DEC tentent de la contraindre à payer des sommes qu’elle n’a jamais entendu régler, et d’obtenir sa substitution aux assemblées générales, par un moyen inapte à apporter une solution définitive aux difficultés des relations sociales. L’origine ne peut en être imputée uniquement à Madame DOMINGO SCHEUER, du simple fait de sa position, et doit être recherchée aussi dans le comportement de la SARL AS CONSEIL et de la SARL DEC, depuis 1999, par la proposition de solutions financières coûteuses pour les associés.
En effet, il convient d’observer que depuis 1991, la vie sociale s’était déroulée normalement jusqu’en 1999, époque à laquelle la SARL DFC a acquis les parts sociales de l’époux de Madame DOMINGO SCHEUER. II s’en est suivi des répercussions sur la vie sociale, l’apparition de difficultés ayant eu les conséquences évoquées et auxquelles les sociétés ont entendu faire face par des moyens ruineux pour les associés ou insuffisants à y remédier. Dans ces conditions, il n’est pas possible d’imputer à Madame DOMINGO SCHEUER, qui manifeste en toute légitimité son avis sur les projets proposés par son associé et la société dont on ne saurait leur reprocher de ne pas être conformes, la cause de la mésentente de nature de la priver du droit de demander la dissolution.
ATTENDU qu’il y a lieu de prononcer la dissolution de la société. Il serait inéquitable de laisser à la charge de Madame DOMINGO SCHEUER des frais exposes par elle et non compris dans les dépens à hauteur de 760 €.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement,
INFIRME le jugement déféré ;
DEBOUTE la SARL AS CONSEIL et la SARL DFC ;
Sur la demande reconventionnelle,
PRONONCE la DISSOLUTION de la SARL AS CONSEIL ;
DESIGNE Maitre FABRE en qualité de liquidateur ;
CONDAMNE la SARL AS CONSEIL et la SARL DFC à payer à Madame DOMINGO SCHEUER la somme de 760 € (SEPT CENT SOIXANTE EUROS) en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
CONDAMNE les mêmes aux entiers dépens qui seront recouvres conformément à I’article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.