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Décisions

CA Paris, 3e ch. B, 23 novembre 2001, n° 2001/03506

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Leps, Les Chênes (EURL)

Défendeur :

Grand Hôtel Montyon (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thevenot

Conseillers :

M. Monin-Hersant, M. Pimoulle

Avoués :

SCP d’Auriac-Guizard, SCP Taze-Bernard-Belfayol-Broquet

Avocats :

Me Six, Me Legrand

T. com. Paris, 2e ch., du 31 oct. 2000, …

31 octobre 2000

Vu les dernières écritures des parties déposées le 10 octobre 2001 par Patrick Leps, et l’E.U.R.L. “Les Chênes”, et le 3 octobre 2001 par la S.N.C. “Grand Hôtel Monthyon”.

La SNC “Grand Hôtel Monthyon” à été créée pour permettre des placements financiers productifs sur le plan fiscal, par I’acquisition d’un hôtel à remettre en état, et ensuite par son exploitation. C’est dans le but d’y participer que Patrick Leps à créé I’E.U.R.L. “Les Chênes”, associée dans la SNC.

Les statuts de la société “Grand Hôtel Monthyon” prévoient que :

- toute modification qui y sera apportée doit être votée à l’unanimité des associés (article 13)

- le gérant doit être autorisé dans les mêmes conditions de vote pour emprunter avec garantie hypothécaire ou non, mais non pas pour signer des marchés de travaux (article 9)

L’activité de la société est caractérisée par les éléments suivants :

 l’acquisition de l'Hôtel s’est faite en 1992 au moyen d’un emprunt de 20.000.000 francs auprès de la société “Comptoir des Entrepreneurs”, ce qui a engendré des charges financières importantes dès le début d’exploitation,

• le taux d'occupation des chambres de I’Hôtel est élevé ; l’exploitation de l'activité Hôtel n’est pas considérée comme pouvant encore connaitre des gains de rentabilité ;

• les comptes de la société sont constamment déficitaires depuis 1992 ; les résultats financiers négatifs sont de -1.943.251 en 1996, -1.426.000 francs en 1997, -1.304.342 francs en 1998, -2.442.962 francs en 1999 ; la charge des emprunts est stable à environ 13.000.000 francs depuis 1996 pour un chiffre d’affaires de 4.300.000 francs (1995, 1996) à 4.900.000 francs (1998).

• les banques sollicitées pour restructurer la dette de la société en 1998 ont exigé des garanties sous forme soit d’augmentation de capital social, soit sous forme d’apport en comptes courants d’associés, en tous cas en ayant des informations sur les ressources personnelles des associés.

• des travaux de mise aux normes de sécurité étaient nécessaires dans l’immeuble pour un montant que la gérance estime, sans fournir de justificatif particulier à 1.350.000 francs.

Pour faire face à I'accumulation des pertes et aux exigences des banques, le gérant de la S.N.C “Grand Hôtel Monthyon” a proposé en juin 1998 aux associés une série de mesures à adopter par consultation écrite de l'assemblée générale :

• réduction du capital social d'un montant de 14.580.230 francs par diminution de la valeur nominale de chaque part sociale de 100 à 30 francs,

• augmentation du capital social en numéraire d'un montant de 2.000.010 francs par la création de 66.667 parts sociales nouvelles d'une valeur de 30 francs,

• autorisation donnée au gérant de négocier et conclure tout emprunt auprès d'établissements bancaires à I’effet de rembourser tout ou partie du prêt bancaire d’acquisition de l’immeuble,

• autorisation donnée au gérant de régulariser tout marché de travaux rendus nécessaires pour la remise à niveau technique des installations de l’Hôtel, et en priorité en ce qui concerne la sécurité au feu et les installations de climatisation,

• Modification des règles de majorité de vote en assemblée générale, substituant la majorité des deux tiers à la règle de l’unanimité.

Moins de la moitié des associés ont donné une réponse favorable lors de cette consultation écrite.

Lors de l’assemblée générale extraordinaire du 10 décembre 1998, ces mêmes propositions ont recueilli une majorité de voix, mais non pas l’unanimité : l’E.U.R.L. “Les Chênes” a refusé de prendre part au vote et la décision de la société “Courbure”, un autre associé, a exprimé sa volonté de n’accepter ces résolutions que si ses parts étaient rachetées, ce qui n’était pas fait au moment de I’offre de souscription à l’augmentation de capital.

II a cependant été décidé de considérer que les propositions de résolution étaient adoptées bien qu'elles n'aient pas recueilli l'unanimité des voix.

Patrick Leps et la E.U.R.L. “Les Chênes” ont assigné la société “Grand Hôtel Montyon” devant le Tribunal de Commerce de Paris pour obtenir I'annulation des délibérations de l'assemblée générale extraordinaire du 10 décembre 1998. Par jugement du 31 octobre 2000, cette juridiction a débouté Patrick Leps et la E.U.R.L. “Les Chênes” de leurs demandes, a validé l’augmentation de capital décidée par cette assemblée générale et a condamné Patrick Leps et la E.U.R.L. “Les Chênes” à payer à la société “Grand Hôtel Montyon” la somme de 50.000 francs à litre de dommages et intérêts, outre la somme de 10.000 francs par application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Patrick Leps et la E.U.R.L. “Les Chênes” ont interjeté appel de cette décision. Ils sollicitent l'infirmation du jugement dont appel, pour voir déclarer nulles les délibérations de I'assemblée générale extraordinaire du 10 décembre 1998, et condamner la société “Grand Hôtel Montyon” à leur payer la somme de 30.000 francs par application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. La société “Grand Hôtel Montyon” conclut au contraire à la confirmation du jugement en cause, et à la condamnation de Patrick Leps et de la E.U.R.L. “Les Chênes” à lui payer la somme de 1.000.000 francs à titre de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice qu’elle subit du fait de l’abus de minorité commis par eux et la somme de 50.000 francs par application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Sur la demande d’annulation des délibérations de l’assemblée générale extraordinaire du 10 décembre 1998:

L’article 13 §2 des statuts prévoit clairement que leur modification ne peut résulter que d’une décision prise à l’unanimité des associés, ainsi que les décisions excédant les pouvoirs du gérant énumérés à l’article 9.

L’assemblée générale ne pouvait donc pas valablement prendre une décision de modification des statuts dans des conditions de vote contraires à celles qui y étaient précisément prévues, alors qu’elle ne disposait pour ce faire d’aucune habilitation légale ou judiciaire.

Les résolutions votées dans ces conditions sont donc nulles pour autant qu’elles ne relèvent pas de celles qui sont énumérées à l’article 9 des statuts.

La lecture de cet article fait apparaitre que le gérant peut passer des marchés de travaux. La résolution ayant trait à I’engagement de travaux de mise en conformité de l’immeuble n’est donc pas nulle si elle est prise à la majorité. Par contre sont nulles, la décision de modification des statuts quant aux modalités de vote au capital social et à sa répartition, ainsi que celle autorisant le gérant à renégocier des emprunts, ce qui s’analyse en une souscription d’emprunts nouveaux à des conditions différentes des emprunts antérieurs : une telle opération exige, aux termes de l’article 9 § 5 des statuts, une autorisation prise à l’unanimité des associés.

Un abus de minorité ne peut justifier la violation des règles statutaires. II revient au gérant, au cas où il estime que l’opposition ou l’abstention d’un associé précède d’un abus, de faire designer en justice un administrateur ad hoc qui votera aux lieu et place de l’associé minoritaire, en ne prenant en considération, dans ses scrutins, que l’intérêt collectif des associés et celui de la société.

Il sera donc fait droit, dans les limites indiquées, à la demande d’annulation des résolutions litigieuses.

Toutefois, si l’abus de minorité allégué n’est pas susceptible de justifier la violation de la règle statutaire de l’unanimité, il demeure qu’il peut être générateur d’un droit à dommages et intérêts au profit de la société, si elle subit un dommage. L’examen de la demande de dommages et intérêts présentée par la S.N.C. “Grand Hôtel Monthyon” nécessite donc de déterminer s’il y a eu abus de minorité, et quels en ont été les effets.

Sur l’abus de minorité imputé à l’E.U.R.L. “Les Chênes” :

Au cours de l’année 1998, la situation de la S.N.C “Grand Hôtel Monthyon” se présente de la manière suivante :

• les résultats d’exploitation constamment négatifs conduisent à un dépôt de bilan si des remèdes structurels ne sont pas trouvés ; ils devraient normalement viser à réduire l’endettement ou au moins le service de la dette,

• les banques exigent soit une augmentation du capital soit des apports en compte courant d’associés pour accorder leur soutien à des mesures de sauvegarde de I’entreprise,

• les travaux de mise en conformité de I’Hôtel constituent une masse de dépense à prévoir dans l’immediat.

Face à une telle situation, I’attitude adoptée par l’E.U.R.L. “Les Chênes” n’est sans doute pas exempte du souci de préserver ses intérêts personnels :

• Par lettre du 17 décembre 1998, Patrick Leps demandait le rachat de ses parts au prix d’achat originaire. Cette position traduit I’intérêt personnel qui inspire son attitude, lequel ne coïncide pas nécessairement avec l’intérêt social.

Le refus de vote bloque la situation sans offrir de solutions alternatives aux résolutions présentées par la gérance.

L’augmentation de capital présente I’inconvénient de réduire le poids relatif de chacun des associés alors que par ailleurs la situation de la société est potentiellement lourde de conséquences pour eux. La vulnérabilité de leur position après modification des statuts est accrue par la suppression de la règle de l’unanimité.

Mais par ailleurs il est certain que les choix offerts aux associés par la gérance étaient contestables :

Les difficultés de la société sont anciennes et n’ont pas évolué, depuis I'origine, dans leur nature ou dans leur ampleur,

La gérance a précédé à deux augmentations de capital successives, et à une renégociation des emprunts, sans que ces dispositions aient eu on effet sur la situation de la société

Les critères qui ont présidé au choix de I’augmentation de capital par préférence à l’apport en compte courant d’associé ne sont pas explicités.

II pouvait raisonnablement être considéré que les remèdes envisagés n’offraient que des réponses très incertaines et provisoires aux difficultés structurelles de la société, et réitéraient des efforts antérieurs demeurés infructueux.

C’est d’ailleurs ce qu’a démontré l’évolution ultérieure de la situation de la société.

Dans ces conditions, il doit être conclu que, même si I’E.U.R.L. “Les Chênes" avait des motifs personnels de s’opposer à I’adoption des résolutions présentées par la gérance, elle avait aussi des motifs légitimes puisés dans l’intérêt de la société et dans les dispositions à prendre pour sa survie.

Ce n’est pas tant l’opposition de I’E.U.R.L. “Les Chênes” aux décisions envisagées qui apparait abusive, mais plutôt la forme qu’elle a prise, laquelle lui permettait de poser des exigences dans son seul intérêt.

La S.N.C. “Grand Hôtel Monthyon” n’est donc fondée à réclamer réparation que du préjudice issu du comportement s’écartant des règles qu’impose le pacte social, et donc du refus de vote en ce qu’il est critiquable. Ce préjudice ne peut guère consister que dans des contraintes en termes de procédure et de délai, résultant du refus de vote, d’où peuvent sortir l’impossibilité de prendre des décisions indispensables en temps utile, ou un amoindrissement de leur efficacité.

Dans l’espece, la S.N.C. “Grand Hôtel Monthyon" n’a pris aucune disposition pour surmonter l’opposition de l’'E.U.R.L. “Les Chênes” ; elle ne peut donc se prévaloir d’un préjudice de ce chef. Sa demande de dommages et intérêts doit ainsi être rejetée.

Enfin, la S.N.C. “Grand Hôtel Monthyon” ne peut soutenir que I’attitude de Patrick Leps était dictée par une intention de lui nuire, alors qu’il est établi qu’il avait d’autres motifs pour l’adopter, dont certains exclusivement personnels el d’autres tenant à l’intérêt de la société.

La demande de dommages et intérêts présentée par la S.N.C. "Grand Hôtel Monthyon" sera donc rejetée.

Sur les demandes accessoires :

II apparait équitable de laisser supporter à l’’E.U.R.L. “Les Chênes” une partie, limitée à la somme de 15 .000 francs, des frais irrépétibles du procès, et ceci par application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. L”E.U.R.L. “Les Chênes” qui succombe dans l’instance sera condamne aux dépens.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

- infirme le jugement dont appel,

- statuant à nouveau, annule les résolutions votées lors de l’assemblée générale extraordinaire de l”E.U.R.L. “Les Chênes” !e 10 décembre 1998 concernant;

• la modification des règles de majorité pour les décisions collectives,

• la réduction du capital social

• l’augmentation du capital social,

• la modification des statuts,

• la renégociation des contrats de prêt conclus avec la banque “Comptoir des Entrepreneurs”

- dit qu’il sera procédé à la publicité prévue par les articles 2881 et s., 285 et s. du décret du 23 mars 1967,

- déboute la S.N.C. “Grand Hôtel Monthyon” de sa demande de dommages et intérêts

- condamne la S.N.C. “Grand Hôtel Monthyon” à payer à Patrick Leps et à l’E.U.R.L. “Les Chênes” la somme globale de 15.000 francs par application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile

- condamne la S.N.C. “Grand Hôtel Monthyon” aux dépens, y compris ceux de première instance avec application de l’article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit des avoues de la cause.