CJUE, 8e ch., 6 octobre 2015, n° C-471/14
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Seattle Genetics Inc
Défendeur :
Österreichisches Patentamt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Ó Caoimh
Juges :
Mme Toader (rapporteur), M. Jarašiūnas
Avocat général :
M. Jääskinen
Avocats :
Mme Bacon, Mme Utges Manley, Mme Georgiou, Mme Amos
ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)
1 La demande préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 13, paragraphe 1, du règlement (CE) no 469/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 6 mai 2009, concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO L 152, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Seattle Genetics Inc. (ci après «Seattle Genetics») à l’Office des brevets autrichien (Österreichisches Patentamt) au sujet d’une rectification de la date d’expiration d’un certificat complémentaire de protection (ci après le «CCP»).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement (CE) no 726/2004
3 L’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) no 726/2004, du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments (JO L 136, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 1235/2010, du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 2010 (JO L 348, p. 1, ci après le «règlement no 726/2004»), prévoit:
«Aucun médicament figurant à l’annexe ne peut être mis sur le marché dans la Communauté sans qu’une autorisation de mise sur le marché [ci après une ‘AMM’] n’ait été délivrée par la Communauté conformément au présent règlement».
4 En vertu de l’article 10 de ce règlement, il revient à la Commission européenne de délivrer les AMM sur le fondement de ce règlement.
5 Aux termes de l’article 14, paragraphe 1, dudit règlement, «[s]ans préjudice des paragraphes 4, 5 et 7, l’[AMM] est valable pendant cinq ans».
Le règlement no 469/2009
6 Les considérants 3 à 5 et 7 à 9 du règlement no 469/2009 se lisent comme suit:
«(3) Les médicaments, et notamment ceux résultant d’une recherche longue et coûteuse, ne continueront à être développés dans la Communauté et en Europe que s’ils bénéficient d’une réglementation favorable prévoyant une protection suffisante pour encourager une telle recherche.
(4) À l’heure actuelle, la période qui s’écoule entre le dépôt d’une demande de brevet pour un nouveau médicament et l’[AMM] dudit médicament réduit la protection effective conférée par le brevet à une durée insuffisante pour amortir les investissements effectués dans la recherche.
(5) Ces circonstances conduisent à une insuffisance de protection qui pénalise la recherche pharmaceutique.
[...]
(7) Il convient de prévoir une solution uniforme au niveau communautaire et de prévenir ainsi une évolution hétérogène des législations nationales aboutissant à de nouvelles disparités qui seraient de nature à entraver la libre circulation des médicaments au sein de la Communauté et à affecter, de ce fait, directement le fonctionnement du marché intérieur.
(8) Il est donc nécessaire de prévoir un certificat complémentaire de protection pour les médicaments ayant donné lieu à une [AMM], qui puisse être obtenu par le titulaire d’un brevet national ou européen selon les mêmes conditions dans chaque État membre. En conséquence, le règlement est l’instrument juridique le plus approprié.
(9) La durée de la protection conférée par le certificat devrait être déterminée de telle sorte qu’elle permette une protection effective suffisante. À cet effet, le titulaire, à la fois d’un brevet et d’un certificat, doit pouvoir bénéficier au total de quinze années d’exclusivité au maximum à partir de la première [AMM], dans la Communauté, du médicament en question.»
7 L’article 3 de ce règlement, intitulé «Conditions d’obtention du certificat», dispose:
«Le certificat est délivré, si, dans l’État membre où est présentée la demande visée à l’article 7 et à la date de cette demande:
a) le produit est protégé par un brevet de base en vigueur;
b) le produit, en tant que médicament, a obtenu une [AMM] en cours de validité conformément à la directive 2001/83/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO L 311, p. 67)] [...];
c) le produit n’a pas déjà fait l’objet d’un certificat;
d) l’autorisation mentionnée au point b) est la première [AMM] du produit, en tant que médicament.»
8 L’article 7 dudit règlement, intitulé «Demande de certificat» prévoit, à son paragraphe 1:
«La demande de certificat doit être déposée dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle le produit, en tant que médicament, a obtenu l’[AMM] mentionnée à l’article 3, point b).»
9 L’article 13 du règlement no 469/2009, intitulé «Durée du certificat», dispose, à son paragraphe 1, que «[l]e certificat produit effet au terme légal du brevet de base pour une durée égale à la période écoulée entre la date du dépôt de la demande du brevet de base et la date de la première [AMM] dans la Communauté, réduite d’une période de cinq ans».
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10 Seattle Genetics est titulaire du brevet européen no EP 1545613 (ci après le «brevet de base»), intitulé «Auristatin Konjugate [composés auristatine] et leur utilisation pour le traitement du cancer, d’une maladie auto immune ou d’une maladie infectieuse». Le brevet de base, dont la demande avait été déposée le 31 juillet 2003, a été délivré le 20 juillet 2011.
11 Le 31 mai 2011, Takeda Global Research and Development Centre (Europe) Ltd (ci après «Takeda») a demandé, selon la procédure centralisée prévue par le règlement no 726/2004, une AMM conditionnelle pour une nouvelle substance active (Brentuximab vedotin) sous le nom commercial d’Adcetris, qui avait été développée à partir du brevet de base.
12 Par la décision d’exécution C(2012) 7764 final, du 25 octobre 2012, portant autorisation conditionnelle de mise sur le marché en vertu du règlement no 726/2004 pour l’«Adcetris – Brentuximab vedotin», un médicament orphelin à usage humain, la Commission a délivré, conformément aux articles 3, 10 et 14 de ce règlement, à Takeda, pour ce médicament, une AMM sous le numéro EU/1/12/794/001. L’article 4 de cette décision précise:
«L’autorisation a une durée de validité d’un an à compter de la date de notification de la présente décision.»
13 Le 30 octobre 2012, ladite décision a été notifiée à Takeda.
14 Tant la date de la décision portant AMM de l’Adcetris que celle de sa notification à Takeda figurent dans le résumé de cette décision qui a été publié au Journal Officiel de l’Union européenne du 30 novembre 2012 (JO C 371, p. 8), en application de l’article 13, paragraphe 2, du règlement no 726/2004.
15 Le 2 novembre 2012, Seattle Genetics a sollicité la délivrance d’un CCP fondé sur le brevet de base auprès de l’Office des brevets autrichien. Celui ci a donné suite à cette demande. En considérant que la date de la première AMM dans l’Union, au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 469/2009, était la date de la décision de la Commission relative à l’AMM, à savoir, en l’occurrence, le 25 octobre 2012, il a fixé la date d’expiration de ce CCP au 25 octobre 2027.
16 Au mois d’octobre 2013, Takeda a cédé l’AMM de l’Adcetris à Takeda Pharma A/S, licenciée de Seattle Genetics.
17 Le 22 avril 2014, Seattle Genetics a engagé, devant la juridiction de renvoi, un recours contre la décision de l’Office des brevets autrichien, par lequel elle a demandé que le CCP délivré par ce dernier soit rectifié de sorte que sa date d’expiration soit fixée au 30 octobre 2027.
18 À cet égard, Seattle Genetics a fait valoir que la date de la première AMM, au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 469/2009, devait être la date à laquelle la décision portant AMM de l’Adcetris a été notifiée à la partie requérante, à savoir le 30 octobre 2012. En conséquence, la date d’expiration du CCP aurait dû être fixée au 30 octobre 2027.
19 Ainsi qu’il ressort des éléments du dossier dont dispose la Cour, la Commission, à l’article 3 de sa décision d’exécution C(2014) 6095 (final), du 22 août 2014, concernant le renouvellement annuel de l’autorisation conditionnelle de mise sur le marché pour le médicament orphelin à usage humain «Adcetris – Brentuximab vedotin» accordée par la décision C(2012) 7764 final et modifiant cette décision, a indiqué ce qui suit:
«La période de validité de l’autorisation renouvelée est d’un an à compter du 30 octobre 2014».
20 S’agissant du recours de Seattle Genetics, l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne) a constaté que les pratiques des offices des brevets des États membres paraissent divergentes concernant la détermination de la période couverte par les CCP, visée à l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 469/2009.
21 Dans ces conditions, l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) La date de la première [AMM] dans [l’Union] au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 469/2009, est elle déterminée par le droit [de l’Union], ou bien cette disposition se réfère t elle à la date à laquelle l’autorisation a pris effet en vertu du droit de l’État membre concerné?
2) Dans l’hypothèse où la Cour dirait pour droit que la date visée à la première question est déterminée par le droit [de l’Union]: quelle est la date à prendre en considération? Celle de l’autorisation ou celle de la communication?»
Sur la première question préjudicielle
22 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 469/2009 doit être interprété en ce sens que la notion de «date de la première [AMM] dans [l’Union]» est définie par le droit de l’Union ou bien si cette disposition doit être interprétée en ce sens que cette notion est définie par le droit de l’État membre dans lequel l’AMM considérée a pris effet.
23 Selon une jurisprudence constante de la Cour, il découle de l’exigence d’une application uniforme du droit de l’Union que, dans la mesure où une disposition de celui ci ne renvoie pas au droit des États membres en ce qui concerne une notion particulière, cette dernière doit trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme (voir, en ce sens, arrêt Brüstle, C 34/10, EU:C:2011:669, point 25).
24 Or, si l’article 13 du règlement no 469/2009 ne définit pas la notion de «date de la première [AMM] dans [l’Union]» à laquelle cet article recourt pour déterminer la date d’expiration d’un CCP, il n’opère pas non plus de renvoi aux droits nationaux en ce qui concerne la signification à retenir de ces termes. Il en résulte donc que ledit article 13 doit être considéré, aux fins d’application de ce règlement, comme contenant une notion autonome du droit de l’Union, qui doit être interprétée de manière uniforme sur le territoire de cette dernière.
25 Cette conclusion est confortée par la finalité dudit règlement.
26 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il ressort des considérants 7 et 8 du même règlement, celui ci institue une solution uniforme au niveau de l’Union en ce qu’il crée un CCP susceptible d’être obtenu par le titulaire d’un brevet national ou européen selon les mêmes conditions dans chaque État membre. Il vise ainsi à prévenir une évolution hétérogène des législations nationales aboutissant à de nouvelles disparités de nature à entraver la libre circulation des médicaments au sein de l’Union et à affecter, de ce fait, directement l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt Medeva, C 322/10, EU:C:2011:773, point 24 et jurisprudence citée).
27 Or, si la notion de «date de la première [AMM] dans [l’Union]» pouvait être déterminée sur la base du droit national, l’objectif visant à instaurer une telle solution uniforme au niveau de l’Union serait compromis.
28 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 469/2009 doit être interprété en ce sens que la notion de «date de la première [AMM] dans [l’Union]» est définie par le droit de l’Union.
Sur la seconde question préjudicielle
29 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 469/2009 doit être interprété en ce sens que la «date de la première [AMM] dans [l’Union]», au sens de cette disposition, est celle de la décision portant AMM ou si ladite disposition doit être interprétée en ce sens que cette date est celle de la notification de cette décision à son destinataire.
30 À titre liminaire, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 30 à 33 de ses conclusions, ni le libellé de ladite disposition dans ses différentes versions linguistiques ni les autres dispositions de ce règlement ne permettent de répondre sans équivoque à cette question.
31 Il convient dès lors d’interpréter ladite notion au regard de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause.
32 À cet égard, il y a lieu de relever que l’objectif fondamental du règlement no 469/2009, mentionné, entre autres, aux considérants 3 à 5, 8 et 9 de ce règlement, est de rétablir une durée de protection effective suffisante d’un brevet de base en permettant à son titulaire de bénéficier d’une période d’exclusivité supplémentaire à l’expiration de son brevet destinée à compenser, au moins partiellement, le retard pris dans l’exploitation commerciale de son invention en raison du laps de temps qui s’est écoulé entre la date du dépôt de la demande de ce brevet et celle de l’obtention de la première AMM dans l’Union (voir, en ce sens, arrêt Actavis Group PTC et Actavis UK, C 577/13, EU:C:2015:165, point 34 et jurisprudence citée).
33 Cette constatation est corroborée, par ailleurs, par le point 14 de l’exposé des motifs de la proposition de règlement (CEE) du Conseil, du 11 avril 1990, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments [COM(90) 101 final], selon lequel la durée de la protection conférée par le CCP doit être telle que la protection soit «effective». Selon le point 50 de cet exposé des motifs, cette durée doit être suffisamment longue pour répondre aux objectifs de cette proposition de règlement.
34 Or, dans la mesure où la volonté du législateur de l’Union a été de conférer une protection effective et suffisante au titulaire d’un CCP, le calcul de la durée de protection complémentaire ne saurait être effectué sans prendre en compte la détermination de la date à compter de laquelle le bénéficiaire d’un CCP est effectivement à même de jouir de l’AMM en commercialisant son produit.
35 À cet égard, force est de constater qu’il n’est permis au titulaire d’un CCP de commercialiser son produit qu’à partir de la date de la notification de la décision octroyant l’AMM considérée et non pas à partir de la date à laquelle une telle décision a été adoptée.
36 Ainsi que l’ont relevé tant M. l’avocat général, au point 39 de ses conclusions, que la Commission, sauf à adopter une interprétation qui ne serait pas conforme à l’objectif du règlement no 469/2009 consistant à assurer une protection effective et suffisante au titulaire d’un CCP, il ne saurait être admis que des opérations procédurales, se déroulant entre la décision portant AMM et la notification de celle ci, sur la durée desquelles le bénéficiaire d’un CCP n’exerce aucun contrôle, réduisent la période de validité d’un CCP.
37 Cette dernière interprétation s’impose d’autant plus que les décisions portant AMM délivrées par la Commission, telles que la décision d’exécution C(2012) 7764 final, sont soumises aux prescriptions de l’article 297, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE, selon lequel les décisions qui désignent un destinataire sont notifiées à leurs destinataires et prennent effet par cette notification.
38 Ainsi, conformément à cette dernière disposition, la Commission a retenu, à l’article 4 de sa décision d’exécution C(2012) 7764 final, comme date de prise d’effet de l’AMM de l’Adcetris, le 30 octobre 2012. Par ailleurs, la date du 30 octobre 2014 a été retenue à l’article 3 de la décision d’exécution C(2014) 6095 (final) comme date de prise d’effet du renouvellement de cette AMM.
39 Or, l’obligation de notification d’une décision de la Commission à son destinataire, prévue à l’article 297, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE, afin que cette décision prenne effet ne saurait être ignorée lors du calcul de la durée de protection complémentaire en application de l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 469/2009.
40 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question que l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 469/2009 doit être interprété en ce sens que la «date de la première [AMM] dans [l’Union]», au sens de cette disposition, est celle de la notification de la décision portant AMM à son destinataire.
Sur les dépens
41 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit:
1) L’article 13, paragraphe 1, du règlement (CE) no 469/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 6 mai 2009, concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments doit être interprété en ce sens que la notion de «date de la première autorisation de mise sur le marché dans [l’Union européenne]» est définie par le droit de l’Union.
2) L’article 13, paragraphe 1, du règlement no 469/2009 doit être interprété en ce sens que la «date de la première autorisation de mise sur le marché dans [l’Union]», au sens de cette disposition, est celle de la notification de la décision portant autorisation de mise sur le marché à son destinataire.