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Décisions

Cass. 3e civ., 16 décembre 2009, n° 09-10.209

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lacabarats

Rapporteur :

M. Rouzet

Avocat général :

M. Bruntz

Avocats :

Me Blondel, SCP Bachellier et Potier de La Varde

Dijon, du 16 oct. 2008

16 octobre 2008

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Dijon, 16 octobre 2008), rendu sur renvoi après cassation (Civ. 3e, 14 février 2007, pourvoi n° 06-10. 318), que la société civile immobilière La Varenne-Bourgogne (la SCI) a été constituée en 1988 avec pour objet l'acquisition d'immeubles " en vue de leur administration, soit par bail ou autrement, soit par leur attribution en jouissance gratuite aux associés " ; que les deux cent parts composant le capital social ont été réparties entre les trois associés à raison de cent pour M. Y..., quatre-vingt dix pour Mme X..., et dix pour son père, M. X... ; qu'après le mariage de M. Y... et de Mme X..., la SCI a acquis un immeuble dont la jouissance a été gratuitement attribuée aux époux ; qu'après le dépôt par Mme X... d'une requête en divorce, M. Y... a convoqué une assemblée générale pour voter la suppression de l'attribution gratuite de l'immeuble et sa mise en location ; que Mme X... et son père (les consorts X...) ayant voté contre cette résolution, M. Y... et la SCI, alléguant que le vote des consorts X... constituait un " abus d'égalité ", les ont assignés pour obtenir la désignation d'un mandataire ad hoc avec mission de voter en leurs lieu et place l'occupation de l'immeuble moyennant le paiement d'un loyer ;

Sur le premier moyen :

Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt de déclarer cette demande recevable, alors, selon le moyen :

1° / que le juge ne peut s'affranchir des clauses claires et précises des statuts qui lui sont soumis et qui font la loi des associés ; qu'il résulte des termes mêmes de l'arrêt que l'article 21 des statuts de la SCI Varenne Bourgogne prévoyait, dans le cas où le premier vote en assemblée générale ne ferait ressortir aucune majorité, que " les associés sont convoqués une seconde fois et les décisions sont prises à la majorité des votes émis, quelle que soit la portion du capital représenté, à condition toutefois de ne pas être inférieur au quart " ; qu'il est constant que la seconde convocation ainsi exigée par les statuts n'a pas eu lieu ; qu'en considérant néanmoins que ce préalable à la saisine du juge pouvait être escamoté, pour en déduire la recevabilité de l'action dont elle était saisie, la cour viole, par refus d'application les articles 1134 du code civil et 122 du code de procédure civile, ensemble viole le principe selon lequel le juge ne peut dénaturer un écrit clair ;

2° / qu'en ne recherchant pas, comme elle y était pourtant invitée, si loin d'être inutile dans l'hypothèse même où tous les associés seraient présents ou représentés dès la première convocation, la réunion d'une nouvelle assemblée générale n'avait pas notamment pour objet de permettre qu'une résolution d'abord repoussée soit à nouveau débattue, la cour d'appel ne justifie pas légalement sa décision au regard des articles 1134 du code civil et 122 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant, par motifs propres et adoptés, relevé qu'à l'assemblée générale du 21 juillet 2003 l'ensemble des associés était présent ou représenté et retenu que cette seconde convocation n'aurait été justifiée que si tous les associés n'avaient pas été présents à la première et qu'ainsi une seconde convocation était inutile puisque la majorité aurait été la même eu égard aux positions exposées par les parties dans la procédure, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, a pu, sans dénaturation, en déduire que la demande de M. Y... et de la SCI était recevable ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt de les dire coupables d'un abus de minorité et de désigner un administrateur ad hoc à l'effet de voter en leurs lieu et place, alors, selon le moyen :

1° / que l'abus d'égalité ou de minorité postule que l'attitude des associés auxquels il est imputé fasse obstacle à la réalisation d'une opération essentielle pour la société ; que pour qualifier " d'essentielle à la survie financière de la société " la décision de passer d'une jouissance gratuite à une jouissance rémunérée de l'immeuble, la cour se borne à faire état " des risques financiers encourus par la SCI du fait de la gestion gratuite de son immeuble " ; qu'en ne précisant pas la nature de ces risques et en s'abstenant d'étayer cette assertion de la moindre donnée concrète de nature à la justifier, quand les consorts X... faisaient pour leur part observer que l'absence de recettes de la SCI était compensée par l'absence de toute rémunération des comptes-courants des associés dont les apports avaient permis l'acquisition de l'immeuble social et par le fait que Mme X... assumait seule les charges financières de l'immeuble, la cour ne justifie pas légalement sa décision au regard de l'article 1382 du code civil ;

2° / que la disparition, à la supposer établie, des mobiles intimes qui avaient présidé à la détermination de l'objet social par les associés fondateurs ne suffit pas à caractériser la disparition de cet objet, laquelle serait d'ailleurs seulement de nature à justifier la dissolution de la société ; qu'en considérant que la séparation des époux, dans l'intérêt desquels avait été arrêté le principe d'une attribution gratuite en jouissance, avait entraîné la disparition de l'objet social et que cette donnée permettait également de qualifier d'opération essentielle à la survie de la société le passage d'une occupation gratuite à une occupation onéreuse de son immeuble, la cour prive de nouveau sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, violé ;

3° / qu'en considérant que l'attribution en jouissance gratuite de l'immeuble, au profit d'un seul des associés, était contraire à l'intérêt social, sans s'expliquer, comme elle y était invitée et comme l'avaient observé les premiers juges, sur le fait que dès l'origine, M. X..., bien qu'associé de la SCI, n'avait quant à lui jamais bénéficié, de façon effective, d'un tel droit de jouissance, la cour prive encore sa décision de base légale en violant l'article 1382 du code civil ;

4° / que l'abus d'égalité ou de minorité postule que l'attitude des associés auquel il est imputé, non seulement interdise la réalisation d'une opération essentielle pour la société, mais qu'elle soit également dictée par l'unique dessein de favoriser leurs propres intérêts au détriment des autres associés ; que Mme X... soulignait que l'attribution en jouissance gratuite de l'immeuble était profitable, non seulement à elle, mais également aux deux enfants issus de son mariage avec M. Y... ; qu'en ne recherchant pas si, sous cet angle, le maintien de l'occupation gratuite n'était pas conforme, tant à l'objet et à l'intérêt de la société, qui avait pour but dès l'origine de permettre aux deux principaux associés de loger leur famille, qu'à l'intérêt commun des associés, compte-tenu de cette coparentalité, la cour prive encore sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

5° / qu'aucun abus de minorité ou d'égalité n'est caractérisé lorsque la situation dénoncée trouve son origine, non dans l'attitude des associés défendeurs, mais dans le fait ou la décision préalable du demandeur ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si la rupture d'égalité dénoncée par M. Y... n'était pas entièrement imputable à la décision préalable qu'il avait unilatéralement prise de quitter l'immeuble appartenant à la SCI et de renoncer ce faisant à l'exercice effectif de son droit à la jouissance gratuite de l'immeuble, la cour prive de nouveau sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, violé ;

Mais attendu qu'ayant retenu que le refus de deux des associés de voter en faveur du versement d'un loyer en contrepartie de l'occupation, par un seul des associés, constitue à la fois une atteinte à l'objet social et à l'intérêt général de la société et que le vote de la gestion rémunérée de l'immeuble doit être qualifiée d'opération essentielle à la survie financière de la société, la cour d'appel, qui en a déduit qu'en refusant de procéder à un tel vote les consorts X... avaient refusé de voter une opération essentielle à la société, a légalement justifié sa décision de ce chef ;

Mais sur le troisième moyen :

Vu l'article 1853 du code civil ;

Attendu que l'arrêt retient que la mission de l'administrateur ad hoc doit consister à voter, aux lieu et place des consorts X..., en faveur d'une occupation de l'immeuble moyennant le versement d'un loyer et, aux lieu et place de M. Y..., l'affectation des loyers au remboursement des comptes-courants d'associés au prorata de ceux-ci ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le juge ne peut fixer le sens du vote du mandataire qu'il désigne, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la mission de l'administrateur ad hoc consistera à voter aux lieu et place des consorts X... en faveur d'une occupation de l'immeuble litigieux moyennant le versement d'un loyer et à voter aux lieu et place de M. Y... l'affectation des loyers au remboursement des comptes courants d'associés au prorata de ceux-ci, l'arrêt rendu le 16 octobre 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.