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Décisions

CA Limoges, ch. civ., 12 octobre 2017, n° 17/00137

LIMOGES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Le 19 Cent (SARL), Selarl FHB (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Me Caetano, Me Poujade

T. com. Brive-la-Gaillarde, du 17 janv. …

17 janvier 2017

La Sarl Le 19 Cent a été créée en 2012 à l'initiative de Monsieur X et de Madame Y en vue de l'exploitation à Brive la Gaillarde d'un fonds de commerce de bar-restaurant sous le concept de 'bar lounge'.

Monsieur X et Madame Y, co-gérants, sont chacun détenteur de 50% des parts sociales.

Par jugement du 15 juillet 2015, le tribunal de commerce de Brive la Gaillarde a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la Sarl Le 19 Cent, désigné Maître Z en qualité de mandataire judiciaire et Maître W en tant qu'administrateur judiciaire.

La procédure de sauvegarde a été convertie en redressement judiciaire par jugement du 28 juin 2016.

Par requête déposée le 18 octobre 2016, le ministère public a conditionné l'admission du plan de redressement présenté par Maître W ès qualités et la Sarl Le 19 Cent à l'éviction de Monsieur X, cogérant, et à la cession de ses parts sociales en application de l'article L. 631-19-1 du code de commerce.

Par jugement du 17 janvier 2017, le tribunal de commerce, en retenant que Monsieur X n'a plus participé à la gestion de la société notamment pendant la période d'observation et lors de l'élaboration du plan de redressement et que la cession forcée de ses parts sociales est justifiée pour permettre la poursuite d'activité de l'entreprise, a :

d'une part :

- ordonné le remplacement de Monsieur X comme co-gérant et la réunion de la gérance de l'entreprise entre les mains de Madame Y,

- ordonné la cession de l'intégralité des parts sociales détenues par Monsieur X à Madame Y,

- désigné Monsieur A en qualité d'expert pour déterminer la valeur de ces parts sociales

- désigné la Selarl FHB en qualité de mandataire ad litem pour exercer les droits de vote attachés aux parts cédées jusqu'au paiement du prix à fixer par expertise ;

' d'autre part :

- a arrêté le plan de redressement par voie de continuation proposé par la Sarl Le 19 Cent, selon les dispositions contenues au jugement et auxquelles il est expressément référé.

Le 30 janvier 2017, Monsieur X a interjeté appel de ce jugement.

Par ses dernières conclusions déposées le 04 août 2017, auxquelles il est renvoyé, Monsieur X demande à la cour :

- de constater que son appel est limité aux dispositions du jugement relatives à son éviction et à la cession forcée de ses parts sociales ;

- de réformer pour le surplus le jugement dont appel

- de constater que le ministère public ne sollicite pas l'application de l'article L. 631-19-1 du Code de commerce à son égard ;

- de constater qu'il n'a plus la qualité de gérant et de dire qu'il n'y a pas lieu d'ordonner son remplacement comme cogérant et la réunion de la gérance de l'entreprise entre les mains de Madame Y ;

- de dire qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la cession de l'intégralité des parts sociales qu'il détient à Madame Y et toutes les mesures subséquentes et accessoires à son remplacement comme cogérant et à la cession de ses parts sociales ;

- de débouter les intimés de l'ensemble de leurs demandes ;

- en toute hypothèse, de condamner l'Etat aux entiers dépens.

Par leurs dernières conclusions déposées le 1er septembre 2017 et auxquelles il est renvoyé, la Sarl Le 19 Cents, la Selarl FHB ès qualités d'administratrice de la Sarl Le 19 Cent et la SCP Pimouguet-Leuret-Devos-Bot ès qualités de mandataire judiciaire de la Sarl Le 19 Cent, demandent à la cour :

- la confirmation du jugement du tribunal de commerce en date du 17 janvier 2017 ;

- la condamnation de Monsieur X à payer à Madame Y, à la Sarl Le 19 Cent, à la Selarl FHB ès qualités d'administratrice de la Sarl Le 19 Cent et la SCP Pimouguet-Leuret-Devos-Bot ès qualités de mandataire judiciaire de la Sarl Le 19 Cent, à chacun, la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamnation de Monsieur X aux dépens de première instance et d'appel.

Par visa au dossier du 30 juin 2017, le ministère public s'en est remis à droit.

Madame B, intimée en sa qualité de représentante du personnel, et à laquelle Monsieur X a régulièrement notifié les actes de la procédure par acte d'huissier de justice du 22 août 2017, n'a pas constitué avocat.

SUR CE,

Sur la qualité de dirigeant de Monsieur X :

Attendu que l'article L. 631-19-1 du code de commerce prévoit que, lorsque le redressement de l'entreprise le requiert, le tribunal, sur la demande du ministère public, peut subordonner l'adoption d'un plan de redressement au remplacement d'un ou de plusieurs dirigeants de l'entreprise et ordonner la cession des parts sociales, titres de capital ou valeurs mobilières donnant accès au capital détenus par ces mêmes personnes ;

Attendu que la question posée est de déterminer à quelle date doit s'apprécier la qualité de dirigeant du titulaire de parts sociales, dont le tribunal peut ordonner la cession forcée dans le cadre de l'arrêté du plan de redressement de l'entreprise ;

Attendu que cette mesure a pour finalité d'empêcher que, par l'influence d'un dirigeant, l'exécution du plan de redressement ne soit paralysée et que, préparatoire à l'adoption du plan, elle doit intervenir à l'occasion de l'arrêté du plan ; qu'elle peut donc s'appliquer à un associé qui a la qualité de dirigeant à la date de l'arrêté du plan dont les mesures ont été subordonnées à la cession des parts sociales du dirigeant, et non s'apprécier au gré d'une démission ultérieure qui n'interviendrait que pour faire échec à la cession ; que Monsieur X n'est donc pas fondé à vouloir se soustraire à l'application de l'article L. 631-19-1 du code de commerce au motif qu'il a démissionné de sa fonction de cogérant le 26 juillet 2017, soit postérieurement au jugement du 17 janvier 2017 ayant arrêté le plan de redressement de la Sarl Le 19 Cent selon des mesures qui ne sont critiquées par personne, et ayant force de chose jugée à cet égard ;

Sur l'application de l'article L. 631-19-1 du code de commerce

Attendu que les mesures prévues par ce texte ont été déclarées conformes à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel du 07 octobre 2015 ; que ces mesures, qui s'apparentent à une expropriation, sont justifiées par une nécessaire protection des intérêts non seulement économiques mais également sociaux de l'entreprise, qu'elles poursuivent un but d'intérêt général et qu'elles ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété garanti par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

Attendu que le ministère public, demandeur à leur application, s'en est remis à justice sans déposer de conclusions, ni communiquer de pièces tendant à faire la démonstration de l'absence de participation de Monsieur X dans la gestion de la société, mettant en péril son devenir dans la cadre du plan de redressement ;

Que, de même, aucune pièce tendant à l'administration de cette preuve n'a été produite par la Sarl Le 19 Cent, par la Selarl FHB ès qualités d'administratrice de la Sarl Le 19 Cent ou par la SCP Pimouget-Leuret-Devos-Bot ès qualités de mandataire judiciaire de la Sarl Le 19 Cent;

Attendu que Monsieur X , qui admet ne pas avoir été très présent sur le lieu d'exploitation de la société à partir de septembre 2012, soutient cependant n'avoir jamais refusé de participer à la gestion, mais que cette situation est née du comportement de Madame Y qui remettait sans cesse en cause ses décisions de manière inconvenante et excessive, qui a souhaité s'afficher comme seule gérante, qui a fait fait procéder en octobre 2014 au changement des serrures pour lui interdire l'accès aux locaux, et qu'il verse aux débats :

- plusieurs attestations tendant à accréditer ses dires ;

- le jugement rendu le 23 octobre 2015 par le tribunal de commerce et ayant débouté Madame Y de sa demande de le voir révoquer de sa fonction de gérant sur le fondement de l'article L. 223-25 du code de commerce après avoir retenu 'qu'il n'était pas démontré que son comportement avait pu compromettre le fonctionnement de la société et rendu impossible sa gestion, et qu'il importait au contraire qu'il conserve sa qualité de gérant afin d'avoir un droit de regard sur le fonctionnement de la société d'autant qu'il demeure caution personnelle des engagements de la Sarl Le 19 Cent dans laquelle il a un compte courant conséquent' ;

Attendu, en conséquence et tout en donnant acte à Monsieur X de sa démission de sa fonction de gérant à effet du 27 juillet 2017, que le jugement dont appel sera réformé en ce qu'il a ordonné la cession forcée de ses parts sociales ;

Attendu que par la Sarl Le 19 Cent, la Selarl FHB ès qualités et la SCP Pimouguet-Leuret-Devos-Bot ès qualités verront rejeter leurs demandes respectives en dommages et intérêts et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Attendu que les dépens de l'appel seront laissés à la charge du Trésor public ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant par décision réputée contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

CONSTATE que l'appel de Monsieur X a été limité aux dispositions du jugement du tribunal de commerce de Brive la Gaillarde en date du 17 janvier 2017 relatives à son éviction de la qualité de cogérant de la Sarl Le 19 Cent et à la cession forcée des parts sociales qu'il détient dans cette société ;

RÉFORME ledit jugement en ce qu'il a :

- ordonné le remplacement de Monsieur X comme cogérant et la réunion de la gérance de l'entreprise entre les mains de Madame Y,

- ordonné la cession de l'intégralité des parts sociales détenues par Monsieur X à Madame Y,

- désigné Monsieur A en qualité d'expert pour déterminer la valeur de ces parts sociales et désigné la Selarl FHB en qualité de mandataire ad litem pour exercer les droits de vote attachés aux parts cédées jusqu'au paiement du prix à fixer par expertise ;

Statuant à nouveau de ces chefs,

CONSTATE que Monsieur X n'a plus la qualité de cogérant de la Sarl Le 19 Cent depuis le 27 juillet 2017 ;

DIT n'y avoir lieu, par application de l'article L.631-19-1 du code de commerce, à ordonner la cession de l'intégralité des parts sociales détenues par Monsieur X au sein de la Sarl Le 19 Cent et toutes les mesures subséquentes et accessoires à son remplacement comme cogérant et à la cession de ses parts sociales ;

Y ajoutant,

DÉBOUTE la Sarl Le 19 Cent, la Selarl FHB, ès qualités d'administratrice de la Sarl Le 19 Cent, et la SCP Pimougey-Leuret-Devos-Bot, ès qualités de mandataire judiciaire de la Sarl Le 19 Cent, de leurs demandes respectives en dommages et intérêts et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT que les dépens de l'appel seront laissés à la charge du Trésor public.