Cass. crim., 11 décembre 2018, n° 18-80.271
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Rapporteur :
Mme de Lamarzelle
Avocat :
SCP Boutet et Hourdeaux
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme, du rapport de l'inspection du travail et des autres pièces de procédure, qu'à la suite d'un contrôle de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi dans un bar restaurant exploité par la société Cosy House dont il était le gérant, M. Y... a été poursuivi devant le tribunal correctionnel ; que les juges du premier degré l'ont déclaré coupable des chefs mentionnés ci-dessus et l'ont condamné à six mois d'emprisonnement et à 2 000 euros d'amende ; que l'intéressé a relevé appel de cette décision ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6,§ 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 8221-1 et L. 8256-2 du code du travail, 433-1 alinéa 1er du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que la cour d'appel a déclaré M. C... Y... coupable de travail dissimulé et de corruption active ;
"aux motifs que sur la culpabilité - Sur le travail dissimulé par dissimulation de salariés et l'emploi d'un étranger non muni d'un titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France :
que l'article L. 8221-1 du code du travail interdit le travail totalement ou partiellement dissimulé ; que l'article L. 1822-5 du même code précise qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié, le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité relative à la déclaration préalable à l'embauche ; que l'article L. 1221 -10 du code du travail énonce que l'embauche d'un salarié ne peut intervenir qu'après déclaration nominative accomplie par l'employeur auprès des organismes de protection sociale désignés à cet effet ; que M. Y... était le gérant de la société Cosy Home qui exploitait un bar restaurant à Cambrai sous l'enseigne L'ardoise ; que lors d'un contrôle dans l'établissement le 14 août 2013, Mme Danièle Z..., agent du service de lutte contre le travail illégal, a constaté la présence de deux ressortissants chinois en situation de travail :
- M. F... A..., qui servait un client au bar,
- M. D... A... E... , qui découpait des légumes en cuisine ; que les vérifications ont montré que ni l'un ni l'autre n'avaient fait l'objet d'une déclaration préalable à l'embauche ni de déclaration nominative auprès des organismes de protection sociale ; M. B... était en outre démuni de titre de séjour français ; que MM. A... et B... ont indiqué travailler quelques heures par jour dans ce restaurant, la première depuis février 2013, le second depuis début août 2013 ; que M. Y... reconnaît ne pas avoir procédé à leur déclaration préalable à l'embauche et savoir que M. B... n'avait pas d'autorisation pour travailler sur le territoire français ; qu'il ressort de la procédure que MM. A... et B... ont fourni pendant plusieurs semaines une prestation de travail dissimulée, dans un lien de subordination à l'égard de leur employeur ; que M. Y... logeait gracieusement M. A... en échange de son travail ; que M. Y... invoque une entraide familiale ; que celle-ci ne saurait être retenue à l'égard de M. A... qui n'a aucun lien de parenté avec lui ; que quant à MM. B..., Y... ne justifie pas qu'il est son oncle ; que l'entraide familiale, pour être tolérée, doit être exercée de manière occasionnelle et ponctuelle à un poste de travail qui n'est pas indispensable au fonctionnement de l'entreprise et à la réalisation de son objet social, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; que les infractions au code du travail sont par conséquent caractérisées en leurs éléments matériels ; que M. Y... n'ignorait pas la législation en vigueur relative aux conditions d'embauche d'un salarié, pour avoir procédé auparavant à ces formalités pour un employé permanent du restaurant ; que l'élément intentionnel est donc établi ;
Sur la corruption active :
que l'article 433-1 alinéa 1 du code pénal réprime le fait de proposer sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, promesses, dons, présents ou des avantages quelconques, à une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif, qu'elle accomplisse ou s'abstienne d'accomplir, un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ou facilité par eux ; qu'une personne chargée d'une mission de service public au sens du code pénal s'entend comme une personne qui, sans avoir reçu un pouvoir de décision ou de commandement dérivant de l'exercice de l'autorité publique, est chargée d'exercer une fonction ou d'accomplir des actes dont la finalité est de satisfaire un intérêt public ; que Mme Danièle Z..., contrôleuse au sein de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi est à ce titre personne chargée d'une mission publique ; qu'elle relate dans son rapport transmis au procureur de la République qu'à l'issue de sa visite dans l'établissement de M. Y... le 28 août 2013, ce dernier a déposé dans son porte document une enveloppe contenant une liasse de billets de banque ; que, si M. Y... conteste formellement ce fait, il n'y a aucune raison objective de remettre en cause le témoignage de Mme Z..., contrôleuse assermentée ; que la remise directe d'une somme d'argent à un agent du service de lutte contre le travail illégal, manifestement dans le but qu'il s'abstienne de consigner dans son procès verbal des infractions constatées, s'analyse en un acte matériel de corruption active ; que le jugement sera confirmé en ses dispositions sur la culpabilité ;
"1°) alors qu'en se bornant à affirmer que les deux ressortissants chinois dont la présence a été constatée lors du contrôle de l'inspection du travail ont fourni pendant plusieurs semaines une prestation de travail dissimulé, sans caractériser l'existence d'un lien de subordination entre ces deux personnes et le prévenu au moyen des critères du contrat de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
"2°) alors que, en relevant, pour déclarer le prévenu coupable de corruption active, qu'il n'y a aucune raison objective de remettre en cause le fait rapporté par la contrôleuse du travail selon lequel M. Y... a déposé dans son porte document une enveloppe contenant une liasse de billets de banque, sans relever le moindre élément matériel et objectif venant corroborer ce fait, formellement contesté par le prévenu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
"3°) alors que toute personne accusée a le droit d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge ; qu'en déclarant le prévenu coupable de corruption active sur le seul fondement des déclarations unilatérales de la contrôleuse du travail, sans qu'il n'ait jamais été mis en mesure d'être confronté à son accusatrice et de l'interroger, la cour d'appel a porté atteinte à l'exercice des droits de la défense" ;
Sur le moyen, pris en sa première branche :
Attendu que, pour dire établi le délit de travail dissimulé l'arrêt énonce notamment que M. Y... était le gérant de la société exploitant le bar dans lequel la présence de deux ressortissants chinois en situation de travail a été constatée le 14 août 2013 ; que les juges ajoutent que ces personnes ont indiqué y travailler quelques heures par jour depuis février 2013 pour l'une, et depuis début août 2013 pour l'autre, et que M. Y... a reconnu ne pas avoir procédé à leur déclaration préalable à l'embauche ; que la cour d'appel conclut qu'il ressort de la procédure que ces personnes, dont l'une était hébergée gracieusement par le prévenu en échange de son travail, ont fourni pendant plusieurs semaines une prestation de travail dissimulé dans un lien de subordination à l'égard de leur employeur ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine, dont il résulte que les conditions de travail des deux personnes présentes dans l'établissement étaient déterminées par le prévenu qui en était le gérant, la cour d'appel, qui a pu en déduire l'existence d'un lien de subordination, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le grief allégué doit être rejeté ;
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches :
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable du chef de corruption active, l'arrêt relève notamment que Mme Z..., contrôleuse au sein de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, relate dans son procès-verbal qu'à l'issue de sa visite dans l'établissement le 28 août 2013, le prévenu a déposé dans son porte document une enveloppe contenant des billets de banque ; que les juges ajoutent que si M. Y... conteste formellement ce fait, il n'y a aucune raison objective de remettre en cause ce témoignage, qui émane d'une personne assermentée ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel qui a souverainement apprécié la valeur probante des éléments soumis au débat contradictoire et qui n'était pas saisie d'une demande de confrontation avec l'auteur du procès-verbal rapportant les faits de corruption, a justifié sa décision sans porter atteinte aux droits de la défense ;
Que dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, § 2, et 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, 132-19 et 132-24 du code pénal, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que la cour d'appel a condamné M. Y... à une peine de six mois d'emprisonnement ferme ;
"aux motifs que le casier judiciaire de M. Y..., qui porte trace de trois condamnations, dont une en 2005 pour le délit de travail dissimulé, montre qu'il fait peu de cas des avertissements judiciaires ; que M. Y... n'est plus accessible au sursis simple, pour avoir été condamné le 18 avril 2011 à une peine d'emprisonnement par le tribunal correctionnel de Compiègne ; que les faits d'infraction au code du travail concernent deux salariés qui travaillaient six jours sur sept pendant plusieurs heures au restaurant de M. Y... ; que leur gravité est accentuée par la volonté de M. Y... de se soustraire aux poursuites pénales en cherchant à corrompre l'agent verbalisateur ; que ces circonstances justifient que le prévenu soit condamné à une peine d'emprisonnement ferme, toute autre sanction étant manifestement inadéquate ; que la durée de cet emprisonnement sera fixée à six mois ; que le prévenu, qui n'a pas comparu devant la cour, n'a lui-même transmis aucune information actualisée relative à sa situation personnelle, sociale et professionnelle ; il n'apparaît donc pas possible que la présente juridiction aménage cette peine d'emprisonnement ferme dès à présent ; que l'emploi dissimulé d'une serveuse et d'un cuisinier a participé à la réalisation du chiffre d'affaire du bar restaurant géré par M. Y..., évalué à 200 euros par jour par celui-ci ; que M. Y... est actuellement gérant salarié d'un autre restaurant ; qu'il a indiqué pendant l'enquête percevoir à ce titre des revenus de l'ordre de 1 200 euros mensuels ; qu'une peine d'amende d'un montant de 2 000 euros est adaptée aux éléments de l'espèce et à la situation financière de M. Y... ;
"alors que le choix de la peine ne peut être motivé qu'en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle ; qu'en relevant, pour condamner M. Y... à une peine de six mois d'emprisonnement ferme, que la gravité des faits s'agissant des infractions au code du travail est accentuée par la volonté du prévenu de se soustraire aux poursuites pénales en cherchant à corrompre l'agent verbalisateur, la cour d'appel qui, pour caractériser la gravité des faits, s'est fondée sur la seule commission de l'infraction de corruption, formellement contestée par le prévenu, a méconnu les articles 132-19 et 132-24 du code pénal" ;
Attendu que, pour condamner M. Y... à la peine de six mois d'emprisonnement, la cour d'appel énonce que le casier judiciaire de l'intéressé, qui n'est plus accessible au sursis simple, porte trace de trois condamnations dont une pour travail dissimulé ; que les juges ajoutent que les faits d'infraction au code du travail concernent deux salariés qui travaillaient six jours sur sept pendant plusieurs heures et que leur gravité est accentuée par la volonté de M. Y... de se soustraire aux poursuites pénales en cherchant à corrompre l'agent verbalisateur ; que la cour d'appel en conclut que ces circonstances justifient la condamnation de l'intéressé à une peine d'emprisonnement ferme, toute autre sanction étant manifestement inadéquate ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations résultant de son appréciation souveraine quant à, d'une part, la personnalité de M. Y... et d'autre part, la gravité des faits, révélée par les circonstances de leur commission, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les textes visés au moyen ;
Qu'ainsi, le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.