Cass. com., 6 octobre 2015, n° 14-11.680
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
M. Fédou
Avocat général :
Mme Pénichon
Avocats :
SCP Foussard et Froger, SCP Vincent et Ohl
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nancy, 12 novembre 2013), que le 29 juin 2011, l'assemblée générale des actionnaires de la société anonyme d'habitations à loyer modéré Perspectives habitat et celle des actionnaires de la société anonyme d'économie mixte locale Habitation moderne, l'une et l'autre contrôlées par la ville de Strasbourg, ont approuvé dans les mêmes termes la transmission par voie de fusion du patrimoine de la première de ces sociétés à la seconde, après avoir décidé de modifier le projet de fusion dans ses dispositions relatives à la valorisation des apports, pour retenir que leur valeur réelle était égale à leur valeur comptable, et aux modalités de calcul de la parité d'échange ; que faisant valoir, à titre principal, que l'objet des résolutions ainsi adoptées était illicite en raison de la violation de l'interdiction résultant des dispositions du code de la construction et de l'habitation, y compris dans le cadre d'une opération de fusion-absorption, de transférer la totalité du patrimoine d'une société anonyme d'habitations à loyer modéré à une entité autre qu'un organisme d'habitations à loyer modéré et de l'interdiction de rémunérer les actionnaires d'une telle société au-delà d'une fois et demi le montant du capital, et invoquant, subsidiairement, la violation des règles relatives aux pouvoirs du conseil d'administration, à l'ordre du jour et à l'information des actionnaires, MM. Antoine X..., René X..., Mme Dominique X..., M. Z..., Mmes Marie-Clotilde A... et Pascale A..., M. B..., Mme C..., Mme D..., M. Y... et la société La Lucernoise, anciens actionnaires minoritaires de la société Perspectives habitat (les actionnaires minoritaires), ont assigné la société Habitation moderne pour obtenir l'annulation des délibérations des assemblées du 29 juin 2011 et, en conséquence, celle de l'opération de fusion-absorption ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les actionnaires minoritaires font grief à l'arrêt de rejeter ces demandes alors, selon le moyen :
1°/ qu'aux termes de l'article L. 422-11 du code de la construction et de l'habitation à la dissolution d'une société d'habitations à loyer modéré, l'assemblée générale appelée à statuer sur la liquidation ne peut, après paiement du passif et remboursement du capital social, attribuer la portion d'actif qui excéderait la moitié du capital social qu'à un ou plusieurs organismes d'habitations à loyer modéré ou à l'une des fédérations d'organismes d'habitations à loyer modéré, sous réserve de l'approbation administrative donnée dans des conditions précisées par décret ; qu'il se déduit de ce texte impératif l'interdiction générale, y compris dans le cadre d'une procédure de fusion absorption, de transférer la totalité du patrimoine d'une société anonyme d'habitation à loyer modéré à une entité autre qu'un organisme d'habitations à loyer modéré et l'interdiction faite aux actionnaires d'une telle société de retirer, au-delà d'une fois et demi le montant du capital, un enrichissement personnel de la richesse sociale ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel en a violé les dispositions ;
2°/ qu'il était fait valoir que par une décision d'application volontaire, résultant des résolutions votées, les assemblées générales extraordinaires des deux sociétés avaient soumis la fusion aux dispositions de l'article L. 422-11 du code de la construction et de l'habitation lesquelles étaient dès lors impérativement et intégralement applicables à l'opération de fusion et emportaient l'interdiction de transférer à la société Habitation moderne la portion de l'actif net excédant 1, 5 fois le montant du capital social de la société Perspectives habitat ainsi que l'interdiction de rémunérer les actionnaires de cette dernière société en leur remettant des actions nouvelles dont le prix unitaire, librement négociable, était estimé à 4 260 euros ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen péremptoire des écritures des actionnaires minoritaires, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile qu'elle a violé ;
3°/ qu'aux termes de l'article L. 423-4 du même code, le prix maximal de cession des actions des sociétés d'habitations à loyer modéré est limité au montant d'acquisition de ces actions, majoré, pour chaque année ayant précédé la cession, d'un intérêt calculé au taux servi au 31 décembre de l'année considérée aux détenteurs d'un livret A, majoré de 1, 5 point et diminué des dividendes versés pendant la même période ; qu'il se déduit de ce texte impératif l'interdiction générale faite aux actionnaires d'une telle société, y compris dans le cadre d'une procédure de fusion absorption, de retirer, au-delà de ce plafond légal, un enrichissement personnel de la richesse sociale ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel en a violé les dispositions ;
4°/ que réfutant très précisément ces motifs, les actionnaires minoritaires faisaient valoir que les actionnaires de la société absorbée avaient reçu, en échange de leurs actions dont la valeur marchande unitaire était légalement plafonnée à 24 euros, des actions de la société Habitation moderne dont la valeur marchande unitaire n'était pas plafonnée et était estimée à 4 260 euros, recevant donc bien la contre-valeur de la richesse nette de la société Perspectives habitat, cependant que les actionnaires majoritaires de la société absorbée, également actionnaires majoritaires de la société absorbante, pouvaient à tout moment décider de se distribuer les bénéfices accumulés par la société Perspectives habitat, ainsi que la prime de fusion, ou encore de céder à prix non plafonné les actions nouvelles qu'ils avaient reçues, de sorte qu'en se dispensant de répondre à ce moyen des écritures des actionnaires minoritaires, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile qu'elle a violé ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant exactement énoncé que ni les dispositions de l'article L. 422-11 du code de la construction et de l'habitation, qui déterminent les règles d'attribution de l'excédent constaté après paiement du passif et remboursement du capital social en cas de dissolution d'une société anonyme d'habitations à loyer modéré suivie d'une liquidation, ni celles de l'article L. 423-4 du même code, applicables en cas de cession d'actions, ne visent l'hypothèse d'une opération de fusion-absorption, laquelle emporte transmission universelle à la société absorbante de l'ensemble des éléments d'actif et de passif de la société qui disparaît, sans liquidation de cette dernière ni cession de ses actions, la cour d'appel en a justement déduit qu'il ne résultait pas de ces textes que les délibérations des assemblées d'actionnaires ayant décidé l'opération de fusion-absorption litigieuse étaient nulles en raison de l'illicéité de leur objet ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant retenu que les dispositions de l'article L. 422-11 du code de la construction et de l'habitation ne pouvaient recevoir application en cas de fusion-absorption en raison des effets qui sont ceux d'une opération de cette nature, la cour d'appel, qui a par là-même exclu que les assemblées d'actionnaires des sociétés intéressées aient voulu soumettre l'opération de fusion qu'elles décidaient de mettre en oeuvre à des règles qui l'auraient rendue impossible, a répondu aux conclusions invoquées par la deuxième branche ;
Et attendu, en dernier lieu, qu'ayant écarté la demande d'annulation de l'opération de fusion-absorption par des motifs indépendants de ceux des premiers juges critiqués par les conclusions invoquées par la quatrième branche, la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à celles-ci ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le second moyen :
Attendu que les actionnaires minoritaires font le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :
1°/ qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 236-1 du code de commerce, R. 236-1 et R. 236-3 du même code, tels qu'ils doivent être interprétés à la lumière de l'article 7, 3. de la directive 2011/ 35/ UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011, que la décision de l'assemblée générale extraordinaire doit porter sur l'approbation (ou le refus) du projet de fusion, tel qu'il a été arrêté par le conseil d'administration, mis à la disposition des actionnaires et publié, de sorte qu'en décidant que l'assemblée pouvait approuver la fusion après avoir modifié ce projet, la cour d'appel a violé par fausse interprétation les dispositions de ces textes ;
2°/ que selon l'article L. 225-105, alinéa 3, du code de commerce, sous réserve de la dérogation qu'il prévoit, l'assemblée générale des actionnaires ne peut délibérer sur une question qui n'est pas inscrite à l'ordre du jour ; que selon l'article R. 236-1 du code de commerce, le projet de fusion est arrêté par le conseil d'administration de chacune des sociétés participant à l'opération de fusion projetée ; que, selon l'article R. 236-3 du même code l'assemblée générale est appelée à se prononcer sur ce projet ; qu'il s'en déduit que toute modification de ce projet doit être soumise au vote de l'assemblée ; qu'en statuant comme elle a fait bien qu'elle eût constaté que l'assemblée générale avait voté une modification de la valeur de l'actif apporté à la société absorbante, telle que proposée par le conseil d'administration, sans que cette question eût été inscrite à l'ordre du jour, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 225-105 du code de commerce ;
3°/ qu'en statuant comme elle a fait par des motifs revenant à conférer au vote de l'assemblée générale un effet de purge des irrégularités encourues à raison de la méconnaissance des dispositions des articles L. 236-6, L. 236-9 et L. 236-10 du code de commerce relatives à l'information due aux actionnaires sur le projet de fusion qui doit leur être soumis, la cour d'appel en a violé les dispositions par refus d'application ;
4°/ qu'en opposant aux prétentions des actionnaires minoritaires l'objection, à la supposer même opérante, qu'ils n'auraient pas allégué avoir été empêchés de voter en toute connaissance de cause, cependant qu'en réfutation du motif du jugement dont appel tiré de ce que les actionnaires auraient « disposé de l'information nécessaire pour statuer en connaissance de cause », les actionnaires minoritaires faisaient précisément valoir que cette motivation payait tribut à l'erreur dès lors que les documents ayant été remis aux actionnaires de la société Perspectives habitat ne mentionnaient pas les modifications du projet de fusion sur lesquels l'assemblée avait délibéré, la cour d'appel, qui a dénaturé les conclusions des actionnaires minoritaires, et a partant méconnu les termes du litige, a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, que l'arrêt retient à bon droit que les assemblées générales des actionnaires des sociétés qui participent à l'opération de fusion peuvent, sans méconnaître les pouvoirs des organes sociaux ayant arrêté le projet de fusion, approuver la fusion après avoir modifié les conditions de l'opération, notamment pour tenir compte des observations du commissaire à la fusion ;
Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que l'ordre du jour de l'assemblée du 29 juin 2011 était relatif, notamment, à « l'approbation du projet de fusion prévoyant la transmission universelle du patrimoine de la société au profit de la société Habitation moderne », la cour d'appel en a exactement déduit que l'assemblée n'était pas sortie des limites de l'ordre du jour en décidant d'approuver cette opération, fût-ce après avoir modifié la valeur de l'actif net apporté à la société absorbante ;
Attendu, encore, qu'ayant retenu que les règles relatives à l'information des actionnaires n'avaient pas été violées, la cour d'appel n'a pu encourir le grief formulé par la troisième branche ;
Et attendu, enfin, que les motifs critiqués par la dernière branche sont surabondants ;
D'où il suit que le moyen, non fondé en ses trois premières branches, ne peut être accueilli pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.