Cass. 3e civ., 29 avril 2009, n° 08-11.332
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lacabarats
Avocats :
SCP Laugier et Caston, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez
Attendu selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 novembre 2007), que l'association des locataires du groupe Gecina Pereire (l'association) et plusieurs locataires ont assigné la société Gecina (la société) en suspension du paiement des provisions sur charges, remboursement de charges locatives et paiement de dommages-intérêts ; que le tribunal d'instance ayant rejeté la demande de suspension, partiellement accueilli la demande en remboursement, et sursis à statuer sur les autres prétentions, ils ont sollicité la nullité du jugement de ce dernier chef et sa réformation pour le surplus ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que l'association et les locataires font grief à l'arrêt de rejeter la demande de suspension du règlement des provisions mensuelles sur charges alors, selon le moyen :
1°/ que les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée ; qu'elles comprennent en outre l'indication des pièces invoquées ; qu'à cet effet, un bordereau récapitulatif leur est annexé ; que les dernières conclusions d'appel de la société Gecina, visées par l'arrêt, signifiées et déposées le 22 mars 2007, ne comportent, par hypothèse, aucun moyen tiré de "la notification des arrêtés des comptes des exercices clos les 31 décembre 2005 et 2006 et des régularisations de charges" à laquelle il aurait été procédé "à la fin du mois de juin 2007", dont il n'est pas davantage fait état dans le bordereau récapitulatif des pièces invoquées qui leur est annexé ; qu'en se déterminant de la sorte, la cour d'appel a violé l'article 954 du code de procédure civile ;
2°/ que le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat ; qu'en se déterminant à partir de "la notification des arrêtés des comptes des exercices clos les 31 décembre 2005 et 2006 et des régularisations de charges" à laquelle il aurait été procédé "à la fin du mois de juin 2007", cependant que la société Gecina n'a à aucun moment fait état de cette pièce, qui n'a pas été versée aux débats, la cour d'appel, qui a fondé sa décision sur un fait qui n'était pas dans le débat, a violé l'article 7 du code de procédure civile ;
3°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement ; qu'en se déterminant en considération d'un document, "la notification des arrêtés des comptes des exercices clos les 31 décembre 2005 et 2006 et des régularisations de charges" à laquelle il aurait été procédé "à la fin du mois de juin 2007", cependant qu'il ne résulte ni des énonciations de l'arrêt, ni des conclusions d'appel de la société Gecina, ni de son bordereau de communication de pièces qui y était annexé que ce document ait été soumis au débat contradictoire des parties, la cour d'appel a violé les articles 16 et 132 du code de procédure civile ;
4°/ que le juge doit, en toutes circonstances ,faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'aucun moyen non soulevé par les parties ne peut être examiné d'office sans que celles-ci aient été amenées à présenter leurs observations à ce sujet ; qu'en relevant, d'office, et sans provoquer préalablement les explications des parties à cet égard, "qu'il est constant que l'intimé a simultanément procédé à la notification des arrêtés des comptes des exercices clos les 31 décembre 2005 et 2006 et des régularisations de charges à la fin du mois de juin 2007" et "qu'ainsi, en ce qui concerne les provisions sur charges actuellement appelées, il a été ponctuellement satisfait aux prescriptions de l'article 23 avant dernier alinéa de la loi du 6 juillet 1989", la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction, violant ainsi derechef l'article 16 du code de procédure civile ;
5°/ que les demandes de provisions pour charges sont justifiées par la communication de résultats antérieurs arrêtés lors de la précédente régularisation et, lorsque l'immeuble est soumis au statut de la copropriété ou lorsque le bailleur est une personne morale, par le budget prévisionnel ; qu'en relevant "qu'il est constant que l'intimé a simultanément procédé à la notification des arrêtés des comptes des exercices clos les 31 décembre 2005 et 2006 et des régularisations de charges à la fin du mois de juin 2007 ; qu'ainsi, en ce qui concerne les provisions sur charges actuellement appelées, il a été ponctuellement satisfait aux prescriptions de l'article 23 avant dernier alinéa de la loi du 6 juillet 1989", cependant qu'il ne résulte pas de ces motifs que la société Gecina aurait justifié de ses demandes de provisions par la communication des résultats antérieurs arrêtés lors de la précédente régularisation et, s'agissant d'un bailleur personne morale, par le budget prévisionnel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 23 de la loi du 6 juillet 1989 ;
Mais attendu, d'une part, que le juge pouvant prendre en considération même les faits que les parties n'ont pas spécialement invoqués dans leurs écritures et les pièces sur lesquelles il s'est appuyé et dont la production n'a pas donné lieu à un incident étant réputées, sauf preuve contraire, avoir été régulièrement versées aux débats, la cour d'appel a pu, en l'absence de contestation élevée par l'association et les locataires, prendre en considération, sans violer le principe de la contradiction, des pièces figurant sur le bordereau récapitulatif de communication de pièces de la société que celle-ci avait versées postérieurement au dépôt de ses écritures ;
Attendu, d'autre part, que la cour d'appel, qui n'était saisie que d'une demande de suspension du paiement total des provisions sur charges, et qui a retenu, à bon droit, par motifs adoptés, que le retard du bailleur dans la présentation des comptes ne pouvait être ainsi sanctionné, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de ce chef ;
Sur le troisième moyen, ci-après annexé :
Attendu que le moyen n'étant pas dirigé contre un chef de dispositif mais contre des motifs, est irrecevable ;
Sur le quatrième moyen, ci-après annexé :
Attendu qu'ayant retenu que l'association ne démontrait ni la réalité ni l'ampleur du préjudice qu'elle alléguait et en réparation duquel elle requérait des dommages-intérêts, "l'obstruction systématique et la mauvaise volonté" prêtées à la société n'étant "démontrées" que par voie de pure affirmation et ne résultant nullement des correspondances échangées entre les parties et de leurs productions, la cour d'appel, statuant sur une demande sans lien d'indivisibilité avec les précédentes, en a souverainement déduit que la demande en dommages-intérêts de l'association devait être rejetée ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen :
Vu l'article 562 du code de procédure civile, ensemble l'article 568 du même code ;
Attendu que la dévolution s'opère pour le tout lorsque l'appel n'est pas limité à certains chefs ;
Attendu que pour dire n'y avoir lieu à évoquer les chefs de demande non jugés par le premier juge, l'arrêt retient qu'il n'est pas de bonne administration de la justice d'évoquer les points non tranchés par le premier juge qui a ordonné sursis à statuer et de frustrer ainsi les parties du privilège du double degré de juridiction ;
Qu'en statuant ainsi, alors que, par l'effet dévolutif de l'appel, elle était saisie de l'entier litige, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE et ANNULE, mais seulement en ce qu'il n'a pas statué sur les chefs de demande non jugés par le premier juge et a renvoyé les parties à se pourvoir devant le premier juge de ces chefs, l'arrêt rendu le 8 novembre 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.