CA Montpellier, 5e ch. A, 10 décembre 2015, n° 15/00787
MONTPELLIER
Ordonnance
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Société Hôtelière De Placement (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Muller
Conseillers :
Mme Conte, M. Jouve
Par arrêt en date du 13 juin 2014 la Cour d'appel d'Aix-En-Provence a confirmé un jugement de départage rendu le 6 novembre 2008 en toutes ses dispositions sauf sur l'expertise aux fins "de faire les comptes entre les parties" et, statuant à nouveau, a dit n'y avoir lieu à compensation, et a condamné la SNC Hôtel de la Capitainerie des Galères Marseille Vieux Port (HCGMVP) à payer :
A Monsieur Dino S. :
- 304.000,00 euros à titre de rappel de salaire
- 30.400,00 euros de congés payés afférents
- 12.000,00 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
-1.200,00 euros de congés payés afférents
- 40.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 2.000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
A Madame Fatima S. :
- 190.000,00 euros à titre de rappel de salaire
- 19.000,00 euros de congés payés afférents
- 12.000,00 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 1.200,00 euros de congés payés afférents
- 40.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 2.000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
En vertu de cet arrêt, les époux S. ont fait délivrer à la SNC HCGMVP, le 27 août 2014, deux commandements aux fins de saisie vente pour obtenir paiement de la somme de 365.247,63 euros à Dino S. et de la somme de 229.304,34 euros à Fatima S..
Faisant valoir que ces commandements sont demeurés infructueux, et faisant valoir que la SNC HCGMVP a été mise en demeure de payer les sommes dues au titre de l'arrêt susvisé, les époux S. ont fait assigner la SAS SOCIETE HOTELIERE DE PLACEMENT, en sa qualité d'associé de la SNC HCGMVP, devant le juge des référés du Tribunal de grande instance de MONTPELLIER, aux fins de la voir condamner, comme associée solidairement redevable des dettes de la société en nom collectif, au paiement provisionnel des sommes fixées par l'arrêt du 13 juin 2014.
Par ordonnance du 22 janvier 2015 le juge des référés a dit n'y avoir lieu à référé, laissé à chacune des parties la charge de ses dépens, et rejeté toutes autres demandes.
Par acte reçu au greffe de la présente Cour le 29 janvier 2015 les époux S. ont relevé appel de cette décision.
Par conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 4 novembre 2015, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet de leurs moyens et prétentions, ils demandent à la Cour d'infirmer l'ordonnance entreprise, de faire droit à leurs demandes de condamnation provisionnelle de la SAS SOCIETE HOTELIERE DE PLACEMENT au paiement des sommes telles que fixées par l'arrêt du 13 juin 2014, de rejeter l'ensemble des demandes de cette dernière et de la condamner à leur verser, à chacun, la somme de 3000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Au terme de ses dernières écritures transmises par voie électronique le 4 novembre 2015, auxquelles la Cour renvoie pour l'exposé de ses moyens et prétentions, la SAS SOCIETE HOTELIERE DE PLACEMENT conclut à la confirmation de l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a rejeté la demande de provision, mais à l'infirmation en ce qu'elle a décliné sa compétence pour prononcer la caducité des saisies conservatoires.
Elle demande à la Cour, statuant à nouveau sur ce dernier point, de constater la caducité des saisies conservatoires pratiquées entre les mains du Crédit Agricole à la requête des époux S. le 27 octobre 2014 et d'en prononcer la main levée.
Elle sollicite enfin la condamnation de ces derniers à lui payer la somme de 3000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
L'appel, interjeté dans les formes et délais de la loi, est recevable.
L'article L 221-1 du code de commerce dispose : 'Les associés en nom collectif ont tous la qualité de commerçant et répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales. Les créanciers de la société ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé, qu'après avoir vainement mis en demeure la société par acte extrajudiciaire'.
Les époux S. font valoir que la seule obligation mise à leur charge par cet article est d'avoir vainement mis en demeure la SNC HCGMVP, ce qui est justifié par les deux commandements délivrés le 27 août 2014.
La SNC HCGMVP avance pour sa part que la demande en paiement sur le fondement de l'article L 221-1 du code de commerce relève exclusivement du juge du fond dans la mesure où l'associé d'une société en nom collectif bénéficie d'un droit de discussion, même en présence d'un titre exécutoire prononcé à l'encontre de la société ou d'un autre associé, et invoque en ce sens un arrêt en date du 20 mars 2012 par lequel la Cour de cassation a jugé que : 'Les associés d'une société en nom collectif ne sont pas les coobligés de cette dernière. La présentation d'un titre exécutoire par le porteur d'un chèque sans provision émis par la société ne suffit pas à établir la preuve de la dette sociale dont il réclame paiement'.
Il n'est pas contestable qu'il appartient au créancier d'une société en nom collectif, qui entend obtenir paiement auprès de l'un des associés tenus en vertu de l'article L 221-1 susvisé, de rapporter la preuve de l'existence de la dette sociale dont il réclame paiement, étant précisé que le principe posé par la Cour de cassation dans son arrêt du 20 mars 2012 a trait au droit du chèque et à la procédure spécifique mise en place pour le recouvrement des chèques sans provision, et plus précisément au fait que le recours offert au porteur d'un chèque impayé ne permet pas de présupposer l'existence d'une dette sociale.
Il n'en reste pas moins que lorsque la preuve de l'existence d'une dette de la société est rapportée, et tel est bien le cas en l'espèce en présence de l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-En-Provence qui, écartant expressément toute compensation, a condamné la SNC HCGMVP à payer diverses sommes à Dino S. d'une part et à Fatima S. d'autre part, ses associés doivent 'répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales' selon les dispositions de l'article L 221-1, et demeurent débiteurs, avec elle, de la dette sociale, certes à titre subsidiaire puisque l'action ne peut être engagée à leur encontre qu'après une mise en demeure de la société, restée vaine durant huit jours.
Pour retenir l'existence d'une contestation sérieuse le premier juge a, en l'espèce, relevé qu'un litige est actuellement pendant devant le juge de l'exécution sur la validité des mises en demeure délivrées par les époux S. à la SAS SOCIETE HOTELIERE DE PLACEMENT, et que la décision du juge de l'exécution sur ce litige n'a pas été communiquée.
Or, la seule contestation dont il est justifié par les pièces de la procédure est celle pendante devant le juge de l'exécution du Tribunal de grande instance de MARSEILLE, contestation opposée par la SNC HCGMVP à la procédure de saisie attribution mise en place par Dino S., et tendant, pour la SNC HCGMVP, à voir juger nul le commandement aux fins de saisie délivré le 27 août 2014 et la saisie attribution subséquente.
Or, d'une part le juge de l'exécution ainsi saisi n'a pas annulé le commandement du 27 août 2014 (étant précisé que la seule erreur sur la somme réclamée ne suffit pas à entraîner l'annulation du commandement de payer), d'autre part il a ordonné, pour faire le compte entre les parties, une mesure d'instruction confiée à Maître B., huissier de justice, lequel a établi à la somme de 324.988,97 euros le montant restant dû à Dino S., laquelle somme comporte en déduction celle de 36.000,00 euros versée à ce dernier à titre de provision.
Tenant les mises en demeure demeurées infructueuses adressées à la société en nom collectif débitrice principale, tenant la preuve de l'existence d'une dette sociale, l'obligation à répondre 'indéfiniment et solidairement' au sens de l'article L 221-1 du code de commerce de ladite dette sociale, de la SAS SOCIETE HOTELIERE DE PLACEMENT en sa qualité d'associé de la SNC HCGMVP, ne se trouve pas sérieusement contestable.
Il convient par conséquent d'infirmer l'ordonnance entreprise et de faire droit à la demande de provision formée par Dino S. à hauteur de la somme globale de 324.988,97 euros telle que retenue par l'huissier chargé d'opérer le compte entre les parties, et à hauteur de la somme globale de 200.000,00 euros pour Fatima S. pour tenir compte d'une part de la provision déjà reçue par elle, d'autre part du nécessaire compte entre les parties pour ce qui la concerne également.
La SAS SOCIETE HOTELIERE DE PLACEMENT demande par ailleurs à la Cour de prononcer la caducité des deux saisies conservatoires, pratiquées le 27 octobre 2014 sur ses comptes détenus entre les mains du Crédit Agricole pour non-respect des formalités prescrites par l'article R 511-8 du code des procédures civiles d'exécution, au motif que les actes de dénonciation sont nuls et de nul effet puisqu'ils mentionnent qu'ils auraient été faits à la requête de 'Monsieur P. Henri Président'.
Il convient d'observer que les actes de dénonciation de saisie conservatoire sont bien établis à la requête de Dino S. pour l'un et de Fatima S. pour l'autre. Les mentions manuscrites portant 'Monsieur P. Henri Président' figurant sur les seules copies produites au débat par la SAS SOCIETE HOTELIERE DE PLACEMENT, et non sur les actes remis par les époux S., ne sont pas de nature à entacher de nullité ces significations, étant précisé qu'il apparaît, en fin d'acte, que Monsieur P. Henri, Président, est la personne à qui l'huissier de justice a délivré ladite dénonciation destinée à la SAS SOCIETE HOTELIERE DE PLACEMENT, et qui a déclaré en être le représentant légal.
Outre que les contestations relatives aux autorisations données par le juge de l'exécution par ordonnances du 13 octobre 2014 doivent être portées devant ce magistrat, en l'état il ne peut valablement être constaté, au seul motif susvisé invoqué par la SAS SOCIETE HOTELIERE DE PLACEMENT, que les deux saisies conservatoires pratiquées le 27 octobre 2014 et dénoncées le 29 octobre suivant sont caduques.
Il convient dès lors de rejeter la demande en ce sens de cette dernière.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
La SAS SOCIETE HOTELIERE DE PLACEMENT qui succombe supportera la charge des entiers dépens de première instance et d'appel.
L'équité commande en outre de faire bénéficier les époux S. des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de leur allouer à ce titre, à chacun la somme de 2000,00 euros.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Reçoit l'appel de Monsieur Dino S. et Madame fatima S. ;
Infirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé et, statuant à nouveau :
Condamne la SAS SOCIETE HOTELIERE DE PLACEMENT, en sa qualité d'associé de la société en nom collectif SNC HCGMVP, tenue indéfiniment et solidairement de la dette sociale, à payer :
- à Monsieur Dino S. la somme de 324.988,97 euros à titre de provision à valoir sur sa créance qu'il détient sur la SNC HCGMVP,
- à Madame Fatima S. la somme de 200.000,00 euros à titre de provision à valoir sur sa créance qu'elle détient sur la SNC HCGMVP ;
Déboute la SAS SOCIETE HOTELIERE DE PLACEMENT de sa demande tendant à voir constater la caducité des deux saisies conservatoires prises à son encontre le 27 octobre 2014 ;
Condamne la SAS SOCIETE HOTELIERE DE PLACEMENT à payer à Monsieur Dino S. et Madame Fatima la somme de 2000,00 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS SOCIETE HOTELIERE DE PLACEMENT aux entiers dépens de première instance et d'appel.