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Décisions

Cass. com., 12 juillet 1993, n° 91-15.667

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Leclercq

Avocat général :

M. Raynaud

Avocats :

Me Copper-Royer, SCP Piwnica et Molinié, SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin

Montpellier, du 30 janv. 1991

30 janvier 1991

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'en 1969, la banque Dupuy de Parseval (la banque) a inscrit au compte des valeurs mobilières qu'elle avait en dépôt au nom de M. Louis X... des titres de rentes dont ce dernier était, pour une partie usufruitier, ses deux enfants M. Jean-Nil X... et Mme Anne Claude X... en étant nus-propriétaires, et qui, pour l'autre partie, étaient la propriété de ces derniers ; que simultanément, elle a inscrit au compte courant de M. Louis X... le montant de deux chèques, dont il était usufruitier, ses enfants, M. Jean-Nil X... et Mme Anne Claude X..., en étant nus-propriétaires ; qu'après le décès de leur père, M. Jean-Nil X... et Mme Anne Claude X..., prétendant ne pas retrouver leurs biens, ont engagé une action en responsabilité contre la banque ; que celle-ci a assigné, en garantie des condamnations qui seraient prononcées contre elle, ses adversaires, ainsi que les autres héritiers de M. Louis X..., auquel les valeurs litigieuses auraient été restituées ; que la cour d'appel a retenu que la banque ne faisait pas la preuve de la restitution à M. Louis X... de quatre des titres litigieux de rentes et l'a condamnée à en payer la contre-valeur, ainsi que celle des coupons et les intérêts moratoires, rejetant les demandes pour le surplus ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Attendu que la banque fait grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué alors, selon le pourvoi, qu'en s'abstenant d'examiner les éléments du décompte produit par elle, démontrant, de façon précise et par l'examen de l'ensemble des titres figurant au compte de M. Louis X..., que le retrait, que celui-ci avait fait le 27 octobre 1969 incluait nécessairement les titres litigieux, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'en retenant que le reçu signé par M. Louis X... le 27 octobre 1969, n'était pas suffisamment précis pour établir qu'il a alors perçu le prix de certains des titres litigieux, et que la banque ne prouvait pas qu'il en ait été ainsi par témoignage, présomption ou autre élément de preuve, la cour d'appel a répondu aux conclusions soutenues par la banque, refusant par là-même valeur probante au décompte établi unilatéralement par celle-ci en cours d'instance ; que le moyen n'est donc pas fondé ;

Sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en sa troisième branche :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir retenu que la banque était en droit d'inscrire la somme payée par chèque, dont M. Jean-Nil X... était nu-propriétaire, au compte de M. Louis X..., alors, selon le pourvoi, qu'un établissement bancaire qui encaisse un chèque barré non-endossable, au profit d'un autre que son bénéficiaire, engage sa responsabilité envers le bénéficiaire de ce chèque ; que la cour d'appel s'est bornée à affirmer que M. Louis X... avait régulièrement endossé un chèque de 52 911,85 francs, sans rechercher si ce chèque, barré et donc non-endossable ne portait pas le nom de M. Jean-Nil X... comme seul bénéficiaire, de sorte que la banque avait, en acceptant d'encaisser ce chèque sur le compte ouvert au nom de M. Louis X..., dont la seule signature figurait seule au verso, engagé sa responsabilité envers son véritable bénéficiaire et a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu qu'en retenant que l'usufruitier avait qualité pour percevoir la somme d'argent sur laquelle portaient ses droits et, à cette fin, remettre à l'encaissement le chèque destiné à son paiement, la cour d'appel a fait une exacte application de la loi ; que le moyen n'est donc pas fondé en sa troisième branche ;

Mais sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 587 du Code civil ;

Attendu que pour rejeter la demande de M. Jean-Nil X... en indemnisation pour la non-représentation des titres dont il était nu-propriétaire, la cour d'appel retient qu'en tant qu'usufruitier, M. Louis X... était en droit d'exiger la possession des titres de rente, de les porter à son compte, de les transférer ensuite dans un autre établissement et d'en encaisser le montant ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que les titres au porteur ne sont pas consomptibles par le premier usage, et que les droits de l'usufruitier doivent s'exercer sur des titres selon des modalités sauvegardant ceux du nu-propriétaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le deuxième moyen du pourvoi incident, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 1985 du Code civil ;

Attendu que si une personne peut être engagée sur le fondement du mandat apparent, c'est à la condition que la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandataire soit légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier lesdits pouvoirs ;

Attendu que pour décider que la banque n'était pas tenue de vérifier la réalité des pouvoirs de M. Louis X... autorisant l'inscription des titres de rente appartenant à ses enfants sur son propre compte, leur transfert dans un autre établissement bancaire et leur cession, l'arrêt retient que les propriétaires de ces titres ne sont jamais intervenus durant la vie de leur père pour reprendre possession de leurs titres, attitude révélant qu'ils ont connu et toléré la gestion de leurs titres par leur père, qu'ils ont ainsi commis une faute envers la banque, qui, auparavant, avait inscrit d'autres titres, dont ils étaient nus-propriétaires sur le compte de M. Louis X..., et que par l'apparence ainsi suscitée la banque a pu croire qu'ils avaient donné un mandat de gestion à leur père ;

Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres à caractériser, en établissant que la banque savait M. Jean-Nil X... informé de l'inscription de ses titres de rente dans un compte ouvert au seul nom de son père, l'apparence d'un mandat consenti par lui pour l'aliénation de ces titres, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté M. Jean-Nil X... de ses demandes tendant à l'indemnisation du préjudice résultant de la disparition des titres de rentes dont il était propriétaire ou nu-propriétaire, l'arrêt rendu le 30 janvier 1991, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes.