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Décisions

Cass. com., 16 décembre 2020, n° 18-24.047

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

M. Ponsot

Avocats :

SCP Fabiani, SCP de Chaisemartin, Doumic Seiller, Me Le Prado

Dijon, 1re ch. civ., du 4 sept. 2018

4 septembre 2018

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n K 18-24.047 et Z 18-25.417 sont joints.

Désistement partiel

2. Il est donné acte à l'Association foncière urbaine libre des Cordeliers du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. et Mme A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, MM. S, T, U, V, W, X, Y, Z, 1, 2, M. 3, Mmes 4, 5 et la société Matnix.

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 4 septembre 2018), l'Association foncière urbaine libre des Cordeliers (l'AFUL) a été constituée en vue de réaliser la restauration à frais communs d'un ensemble immobilier en permettant à ses membres, propriétaires des lots de cet ensemble, de bénéficier des avantages fiscaux prévus par l'article 156, I, 3 du code général des impôts (loi dite « loi Malraux »).

4. L'AFUL a confié à la société en nom collectif Prestige rénovation la maîtrise d'ouvrage déléguée de l'opération et à la société Historia prestige la mission d'assister le président de l'association, notamment en procédant à l'ouverture d'un compte bancaire au nom de l'AFUL. Les travaux, qui devaient être terminés le 31 décembre 2008, ont été interrompus en avril 2009 et les fonds destinés à leur financement dissipés.

5. L'AFUL a résilié les contrats conclus avec les sociétés Prestige rénovation et Historia prestige puis les a assignées en paiement de dommages intérêts, ainsi que leurs animateurs, M. et Mme 6, l'AFUL a recherché la responsabilité de la société Caisse de crédit mutuel de Montbard Venarey (le crédit mutuel), dans les livres de laquelle le compte de l'AFUL avait été ouvert, pour manquement à son devoir de surveillance. Enfin, la société Axis bâtiment, entreprise générale désignée par la société Prestige rénovation, a assigné l'AFUL en paiement du solde des travaux effectués et de dommages intérêts.

6. Par jugement du 10 mai 2012, la société Prestige rénovation a été placée en liquidation judiciaire, la société BTSG, prise en la personne de M. 7, étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire. Par jugement du 22 avril 2013, la société Historia prestige a été placée en liquidation judiciaire, M. 7 étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire. Par jugement du 11 avril 2013, M. 8 a été placé en liquidation judiciaire, Mme 9 étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, le cinquième moyen, pris en ses première, troisième et cinquième branches, et le sixième moyen du pourvoi n° K 18-24.047, ainsi que sur les premier et second moyens du pourvoi n° Z 18-25.417, ci après annexés

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi n° K 18-24.047, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. L'AFUL fait grief à l'arrêt de dire qu'elle est créancière de la société Prestige rénovation, de M. et Mme 8 et de la société Historia prestige in solidum pour la somme de seulement 1 583 001,04 euros qui correspond à des fonds non utilisés, alors « qu'en cas de faute imputable au mandataire, le mandant n'est pas tenu de lui rembourser les avances et frais ni de lui payer la rémunération prévue ; qu'en l'espèce, l'AFUL des Cordeliers soutenait dans ses conclusions d'appel que compte tenu du comportement dolosif de la SNC Prestige rénovation, celle ci devait être privée de toute rémunération au titre de son mandat ; que la cour d'appel a retenu que la SNC Prestige rénovation avait manqué gravement à ses obligations résultant du mandat qui lui avait été confié par l'AFUL des Cordeliers ; que néanmoins, pour limiter à la somme de 1 583 001,04 euros le montant dû par la SNC Prestige rénovation à l'AFUL au titre des fonds perçus mais non justifiés, la cour d'appel a retenu, par motifs adoptés, qu'étaient justifiées les situations de travaux payées, l'acompte en faveur du cabinet Caudin et Grillot et les honoraires de Prestige rénovation ; qu'en incluant ainsi les honoraires de la SNC Prestige rénovation dans les sommes prétendument justifiées, quand la faute grave du mandataire devait le priver desdits honoraires, la cour d'appel a violé l'article 1999 du code civil. »

Réponse de la Cour

9. Ayant, par motifs propres et adoptés, constaté qu'il résultait du rapport d'expertise judiciaire que la société Prestige rénovation avait reçu la somme totale de 3 348 699,53 euros HT et que les travaux réalisés par l'entreprise Axis bâtiment, selon métré de l'expert, étaient estimés à 1 231 236,01 euros HT, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a retenu qu'au vu des situations de travaux payées, de l'acompte en faveur du cabinet Caudin et Grillot et des honoraires de la société Prestige rénovation, le montant des dépenses non justifiées s'élevait à 1 583 001,04 euros TTC.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen du même pourvoi, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

11. L'AFUL fait grief à l'arrêt de dire qu'elle est créancière de la société Historia prestige, pour les seules sommes de 1 583 001,04 euros qui correspondent à des fonds non utilisés, outre intérêts depuis les versements successifs de ces fonds sur le compte de l'association, et de 50 000 euros de dommages intérêts, alors « que la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que la SARL Historia prestige avait commis des fautes dans l'exécution de son mandant ; qu'en affirmant, pour refuser d'indemniser la perte de chance pour l'AFUL des Cordeliers d'obtenir une subvention, que la chance d'obtenir une subvention n'était pas certaine, quand il lui appartenait de rechercher si l'obtention d'une subvention était une éventualité possible et si la faute de la SARL Historia prestige était en lien avec la perte de cette éventualité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

12. Constitue une perte de chance réparable, la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable.

13. Pour rejeter la demande de réparation de la perte de chance d'obtenir une subvention de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, que l'AFUL prétendait avoir subie en raison du caractère incomplet du dossier déposé à cette fin par la société Historia prestige, l'arrêt retient que la chance d'obtenir une subvention n'était pas certaine malgré les diligences entreprises.

14. En se déterminant par de tels motifs, alors qu'il lui appartenait de rechercher si l'obtention d'une subvention était une éventualité possible et si la faute de la société Historia prestige était en lien avec la perte de cette éventualité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé.

Sur le troisième moyen du même pourvoi

Enoncé du moyen

15. L'AFUL fait grief à l'arrêt de dire qu'elle est créancière de M. 8 des seules sommes de 1 583 001,04 euros qui correspondent à des fonds non utilisés, outre intérêts depuis les versements successifs de ces fonds sur le compte de l'association, et de 422 532 euros en restitution d'honoraires, alors « que les associés en nom collectif répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales ; qu'en l'espèce, il était constant que M. 8 était associé de la SNC Prestige rénovation ; que la cour d'appel a constaté que l'AFUL des Cordeliers avait régulièrement mis en demeure la société ; que la cour d'appel a retenu que l'AFUL des Cordeliers était créancière de la SNC Prestige rénovation des sommes de 1 583 001,04 euros au titre des fonds perçus par la société mais non utilisés, de 300 000 euros de dommages intérêts contractuels et de 500 000 euros au titre du préjudice de jouissance ; qu'en disant que la créance de l'AFUL des Cordeliers envers M. 8 était limitée à la somme de 1 583 001,04 euros, outre la somme de 422 532 euros en restitution d'honoraires dus par M. 8 à titre personnel, quand M. 8 devait également répondre indéfiniment et solidairement des dettes sociales de 300 000 euros de dommages intérêts contractuels et de 500 000 euros au titre du préjudice de jouissance, la cour d'appel a violé l'article L. 221-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 221-1 du code de commerce :

16. Aux termes de ce texte, les associés en nom collectif répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales.

17. En limitant à la somme de 1 583 001,04 euros le montant de la créance de l'AFUL à la liquidation de M. 8, quand cette association se prévalait d'une somme totale 3 884 252,21 euros, incluant la somme de 3 361 720,10 euros contre la société Prestige rénovation et à laquelle l'arrêt a fait droit à l'égard de cette dernière à hauteur d'une somme totale de 2 383 001,04 euros, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Sur le quatrième moyen du même pourvoi, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

18. L'AFUL fait grief à l'arrêt de condamner Mme 8 à lui payer la seule somme de 1 583 001,04 euros, alors « que les associés en nom collectif répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales ; qu'en l'espèce, il était constant que Mme 8 était associée de la SNC Prestige rénovation ; que la cour d'appel a constaté que l'AFUL des Cordeliers avait régulièrement mis en demeure la société ; que la cour d'appel a retenu que l'AFUL des Cordeliers était créancière de la SNC Prestige rénovation des sommes de 1 583 001,04 euros au titre des fonds perçus par la société mais non utilisés, de 300 000 euros de dommages intérêts contractuels et de 500 000 euros au titre du préjudice de jouissance ; qu'en condamnant Mme 8 à payer à l'AFUL des Cordeliers la somme limitée de 1 583 001,04 euros, quand Mme 8 devait également répondre indéfiniment et solidairement des dettes sociales de 300 000 euros de dommages intérêts contractuels et de 500 000 euros au titre du préjudice de jouissance, la cour d'appel a violé l'article L. 221-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 221-1 du code de commerce :

19. En limitant à la somme de 1 583 001,04 euros le montant de la condamnation prononcée contre Mme 8, quand l'AFUL se prévalait d'une somme totale 3 361 720,10 euros, égale à celle réclamée à la société Prestige rénovation et à laquelle l'arrêt a fait droit à l'égard de cette dernière à hauteur d'une somme totale de 2 383 001,04 euros, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le cinquième moyen du même pourvoi, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

20. L'AFUL fait grief à l'arrêt de rejeter ses prétentions dirigées contre la Caisse de crédit mutuel Montbard Venarey, alors « que la banque est tenue de vérifier la régularité des ordres de virement et d'en détecter les anomalies apparentes ; que sa vigilance doit être accrue en présence de montages financiers importants ; qu'en l'espèce, la Caisse de crédit mutuel de Montbard Venarey admettait dans ses conclusions d'appel être en relation d'affaires avec M. 8 depuis 2000 et avoir ouvert, à la demande de l'une des sociétés de son groupe, la SARL Historia prestige, une quarantaine de comptes pour des AFUL dans le cadre d'opérations immobilières de défiscalisation ; qu'en omettant de tenir compte de cette circonstance déterminante pour apprécier l'étendue du devoir de vigilance de la banque, et en se contentant d'affirmer péremptoirement que la signature des ordres de virement avait fait l'objet de vérifications adaptées par la banque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

21. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

22. Pour infirmer le jugement qui avait considéré qu'en raison des anomalies apparentes, nombreuses et caractérisées, affectant certains ordres de virement, la banque avait manqué à son devoir de vigilance, et débouter l'AFUL de sa demande, l'arrêt énonce que la co signature requise pour la société Historia prestige a fait l'objet de vérifications adaptées par la banque.

23. En se déterminant par de simples affirmations, sans réfuter les motifs du jugement dont l'AFUL demandait la confirmation, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que l'Association foncière urbaine libre des Cordeliers est créancière de la société Historia prestige des sommes de 1 583 001,04 euros correspondant à des fonds non utilisés et de 50 000 euros de dommages intérêts, dit que l'Association foncière urbaine libre des Cordeliers est créancière de M. 8 des seules sommes de 1 583 001,04 euros correspondant à des fonds non utilisés et de 422 532 euros en restitution d'honoraires, condamne Mme 8 à payer à l'Association foncière urbaine libre des Cordeliers la somme de 1 583 001,04 euros et en ce qu'il rejette les prétentions de l'Association foncière urbaine libre des Cordeliers formées contre la Caisse de crédit mutuel Montbard Venarey, l'arrêt rendu le 4 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Besançon.