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Décisions

CA Versailles, 13e ch., 20 décembre 2012, n° 11/03291

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

OAAGC Holding (SA), Gras Savoye (SA)

Défendeur :

Office d'Assurances Aériennes G. De Cugnac (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Besse

Conseillers :

Mme Beauvois, Mme Vaissette

Avocats :

Me Danis, Me Dumeau, SCP Lissarrague Dupuis Boccon Gibod, Me Lartigue

T. com. Nanterre, du 9 mars 2011

9 mars 2011

Les sociétés OAAGC Holding et Gras Savoye SA sont associées depuis 1997 de la SAS OAAGC (ci-après OAAGC) et détiennent respectivement 60 et 40 % de son capital.

L'article 10. VII des statuts de OAAGC inclut une clause d'exclusion prévoyant le rachat forcé des titres d'un associé en cas de changement de contrôle dudit associé.

La SA Gras Savoye était contrôlée par la société en commandite par action Gras Savoye & Cie SCA.

Le 24 juillet 2007, la société Gras Savoye & Cie SCA a notifié à OAAGC la cession au Groupe Willis d'une participation représentant 31, 72 % du capital et 33, 36 % des droits de vote et l'a informé du maintien de la forme de la commandite par action garantissant l'autonomie et la stabilité du management et faisait état de la répartition du capital suivante :

 CapitalDroits de vote
personnes physiques (familles Gras et Lucas) 
43,36% 
45,60 %
Willis    31,72 % 
33,36 %
Axa UAP 
10,01 %10,52 %
Athéna 10,01 % 
10,52 %
Auto-contrôle4,90 % 

Le groupe Willis a ensuite augmenté sa participation de telle sorte qu'il détenait, début 2009, 46, 2 % du capital et 48, 7 % des droits de vote de la société Gras Savoye & Cie SCA, tandis que les personnes physiques, pour la plupart membres des familles Lucas et Gras en détenaient respectivement 48, 8 % et 51, 3 %.

Le 16 décembre 2009, Gras Savoye & Cie SCA a été transformée en société par actions simplifiée et est devenue Gras Savoye & Cie SAS et s'est trouvée détenue, à compter du 17 décembre 2009, par la société holding GS & Cie Groupe SA dont le capital est réparti comme suit :

Actionnaires Capital Droits de vote
société Lucalux, holding des membres de la famille Lucas20,45 %22,33 % 
société Natelpau, holding des membres de la famille Gras10,12 % 11 %
Groupe Willis30,57 %33,33 %
FCPR Astorg 
30,57 %33,33 %
Holdings de managers7,5 % 0 %

La société OAAGC Holding a alors invoqué un changement de contrôle de la société Gras Savoye & Cie et s'est prévalue de la clause d'exclusion prévue par l'article 10. VII des statuts de OAAGC. Le comité stratégique d'OAAGC du 16 avril 2010 a décidé que la société Gras Savoye sera considérée comme ayant offert de céder à la société OAAGC Holding la totalité des titres qu'elle détient dans OAAGC et, le 19 avril 2010, la société OAAGG Holding a ainsi offert à la SAS Gras Savoye & Cie un prix de 2 500 000 euros pour la totalité de ses titres, offre qui a été refusée, de même que la proposition de désignation d'un expert pour déterminer la valeur de la participation.

La société OAAGC Holding a saisi le président du tribunal de commerce de Paris le 16 juillet 2010 sur le fondement de l'article 10 des statuts et de l'article 1843-4 du code civil pour obtenir la désignation d'un expert afin de déterminer la valeur des titres de OAAGC détenus par la société Gras Savoye SAS. Par ordonnance du 3 août 2010, le président du tribunal de commerce de Paris a rejeté la demande au motif qu'une décision au fond tranchant le litige sur l'obligation invoquée de céder ses titres par Gras Savoye constituait un préalable nécessaire à l'application de l'article 1843-4 du code civil.

La société OAAGC Holding a, par acte du 21 octobre 2010, assigné la SAS Gras Savoye devant le tribunal de commerce de Nanterre lequel par jugement du 9 mars 2011 a :

- dit sans objet l'incident de communication de pièces soulevé par la société Gras Savoye,

- écarté du débat la pièce n° 13 de la SA OAAGC Holding,

- dit nulle et de nul effet la décision du comité stratégique du 16 avril 2010,

- dit que la SA Gras Savoye ne peut être réputée avoir offert de céder ses titres dans OAAGC SAS,

- débouté OAAGC Holding SA de toutes ses demandes,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné la société OAAGC Holding à payer à Gras Savoye SA la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société OAAGC Holding aux dépens.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 26 avril 2011, la société OAAGC Holding a relevé appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions du 26 octobre 2012, elle demande à la cour de :

- infirmer le jugement,

- constater le changement de contrôle de la société Gras Savoye SA à la suite de la restructuration intervenue fin 2009,

- à titre subsidiaire, en l'absence d'action de concert entre les actionnaires familiaux, constater le changement de contrôle intervenu au bénéfice du groupe Willis en application de la présomption légale de l'article L. 233-3 II du code de commerce,

- constater que les stipulations de l'article 10 des statuts de OAAGC prévoyant le rachat par la société OAAGC Holding des titres de OAAGC détenus par Gras Savoye SA s'appliquent,

- constater en conséquence que la société Gras Savoye SA est réputée avoir offert à OAAGC Holding de lui céder la totalité des titres dont elle est propriétaire,

- ordonner à la société Gras Savoye SA de transférer à la société OAAGC Holding les 116 526 actions de OAAGC qu'elle détient,

- dire qu'à défaut d'accord sur le prix de cession des actions, il sera déterminé par expert dans les conditions de l'article 1843-4 du code civil,

- condamner la société Gras Savoye SA à céder à la société OAAGC Holding les 116 526 actions de OAAGC qu'elle détient au prix qui sera déterminé par l'expert dans les 15 jours de la remise aux parties du rapport d'évaluation, sous réserve du non-exercice par OAAGC Holding de la faculté de renonciation prévue par l'article 10.III.C des statuts de OAAGC en cas de fixation du prix de cession des actions par expertise,

- prononcer l'exécution provisoire,

- condamner la société Gras Savoye SA à lui payer la somme de 30 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

Elle fait valoir pour l'essentiel :

- que la société OAAGC a été constituée en 1996 par deux groupes familiaux intervenant dans l'activité de courtage, les groupes de Cugnac et Gras Savoye et que la clause d'exclusion stipulée par les statuts d'OAAGC répondait au souci de préserver le caractère intuitu personae de la relation fondée sur deux groupes familiaux,

- que le tribunal a reconnu à juste titre le changement de contrôle de la société Gras Savoye SA puisqu'en 2009, les actionnaires familiaux ont perdu la majorité des droits de vote dans la holding de contrôle du groupe Gras Savoye et ne détiennent plus qu'un tiers des droits de vote,

- que la restructuration intervenue est constitutive d'un changement de contrôle au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce (et non L. 233-2 comme visé par erreur par les statuts) puisque la holding de contrôle de Gras Savoye SA ayant perdu la forme de la commandite par actions pour celle d'une société par actions simplifiée, elle n'est plus dirigée par MM. Lucas et Gras qui en étaient les gérants associés commandités et que son contrôle s'apprécie désormais uniquement selon les règles de droit commun s'attachant à la répartition des droits de vote,

- que les groupes Willis et Astorg disposent désormais de la majorité des droits de vote,

- que les actionnaires familiaux de Gras Savoye ont toujours agi de concert, votant de manière convergente, répondant à la notion de groupe familial de concert et se sont toujours présentés comme un bloc (les Familles) aux tiers et à la presse, leur actuel regroupement en deux sociétés (une par famille) confirmant la persistance du concert,

- qu'une action de concert a ensuite existé entre les familles Gras et Lucas et le groupe Willis entraînant la création d'un contrôle conjoint, les familles conservant la qualité de partenaire prédominant, de sorte que l'extension au groupe Willis du contrôle conjoint n'était pas constitutive d'un changement de contrôle au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce,

- que le pacte d'actionnaires révélé au marché américain, qui prévoit notamment une option d'achat des titres de ses partenaires au profit du groupe Willis en 2015, démontre l'existence d'un concert depuis la restructuration de 2009 et un contrôle réparti entre trois groupes d'actionnaires parmi lesquels les actionnaires familiaux n'ont plus la prépondérance,

- que les changements de dirigeants intervenus depuis le jugement confirment la perte de contrôle des familles, en particulier avec la perte de la direction opérationnelle de M. Patrick Lucas, au profit de directeurs généraux sans liens avec les familles,

- à titre subsidiaire, si la cour ne retenait pas de concert entre les actionnaires familiaux, que le contrôle du groupe Gras Savoye a été modifié quand le groupe Willis a acquis 40 % de Gras Savoye et Cie,

- que cette demande subsidiaire formulée en application de l'article 565 du code de procédure civile est recevable car elle tend aux mêmes fins que les demandes formées en première instance, à savoir faire juger que le contrôle de Gras Savoye a été modifié, et se fonde sur les mêmes textes légaux et statutaire et ne requiert pas la mise en oeuvre de la procédure d'exclusion dont Gras Savoye est mal venue de reprocher l'absence alors qu'elle n'a jamais informé OAAGC des évolutions de son actionnariat en violation des statuts, de sorte que la prescription de l'article 10. VII des statuts n'a pu courir,

- qu'en l'absence de concert entre les actionnaires familiaux, il résulte de l'article L. 233-3 II du code de commerce que Willis, premier actionnaire et détenteur de plus de 40 % des droits de vote, a acquis le contrôle antérieurement à 2009,

- que la procédure de rachat des titres OAAGC détenus par Gras Savoye a été régulièrement mise en oeuvre, le comité stratégique étant l'organe compétent pour adopter la décision d'exclusion, dans le silence des statuts sur la nature et la composition du comité exécutif mentionné par les statuts à la suite d'une erreur de plume,

- que les dispositions statutaires peuvent encadrer le droit de vote des membres du comité stratégique, organe statutaire et non légal et peuvent priver les représentants d'un associé de leur droit de vote lors de la décision de l'organe collégial.

La SAS Gras Savoye a conclu en dernier lieu le 17 octobre 2012 pour voir :

- déclarer irrecevable la demande subsidiaire présentée pour la première fois en appel par conclusions du 4 septembre 2012, et en tout état de cause, prescrite la demande de validation de la procédure statutaire d'exclusion pour prise de contrôle de Gras Savoye par le groupe Willis en janvier 2008,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

- condamner OAAGC Holding à payer à la société Gras Savoye la somme de 50 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Gras Savoye soutient en substance :

Sur la demande subsidiaire,

- que la montée du groupe Willis dans le capital de Gras Savoye en janvier 2008 à plus de 40 % des droits de vote et du capital était connue de OAAGC Holding et n'a pas donné lieu à la mise en oeuvre de la procédure d'exclusion puisque OAAGC Holding considérait et considère encore à titre principal qu'elle ne constituait pas une prise de contrôle de Gras Savoye &Cie,

- que la demande subsidiaire ayant pour objet de faire juger que Gras Savoye aurait perdu sa qualité d'actionnaire et ses droits attachés au 2 janvier 2008 constitue une demande nouvelle qui n'a pas le même but que celui poursuivi en première instance visant à obtenir la validation de la procédure d'exclusion et le retrait d'associé fin 2009,

- qu'aucune évolution du litige ne justifie cette demande nouvelle, Gras Savoye ayant déjà contesté l'existence d'une action de concert entre les actionnaires familiaux,

- que l'exclusion d'un associé ne peut être prononcée par le juge en l'absence de décision statutaire préalable,

- que la procédure d'exclusion pour le prétendu changement de contrôle intervenu en janvier 2008 est prescrite,

Sur la demande principale,

- que le tribunal a retenu que la géographie du capital a changé mais qu'aucun actionnaire n'a pris le contrôle,

- que la restructuration de 2009 a précisément eu pour objectif de retarder la prise de contrôle de Willis sur Gras Savoye à 2015,

- qu'aucune action de concert des personnes physiques antérieurement à 2009 n'est établie, non plus qu'aucun concert entre Willis et Astorg postérieurement à 2009,

- que l'intuitu personae n'est jamais entré dans la commune intention des parties et que dès 1997, le capital de Gras Savoye était éclaté entre des personnes physiques, des compagnies d'assurance détenant près de 15 000 titres et MM. Patrick Lucas et Emmanuel Gras en détenant respectivement 4 000 et 9 000,

- que les personnes physiques présentes au capital ne constituaient pas un bloc de contrôle en raison de leur autonomie de décision,

- que le pacte d'actionnaires conclu en 1997 lors de l'entrée dans le capital de Willis prévoyait que ce dernier pourrait racheter 50, 1 % du capital de Gras Savoye entre le 1er décembre 2009 et le 1er février 2011,

- que la renégociation de ce pacte en 2009 a répondu à la volonté de ne pas permettre une prise de contrôle avant 2015 et donc de retarder la mise en jeu de la clause d'exclusion,

- que ces pactes sont d'ordre purement capitalistique et ne reflètent pas une action de concert,

- que OAAGC Holding ne peut dénaturer la clause d'exclusion en l'imposant en dehors d'une acquisition de contrôle par une personne tierce,

- que le contrôle conjoint au sens de l'article L. 233-10 du code de commerce suppose la démonstration d'une action de concert mais aussi que les associés concertistes déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale et orientent la gestion de la société,

- que la société Gras Savoye n'a fait ni avant ni après la restructuration de 2009 l'objet d'aucun contrôle conjoint,

- qu'il n'y a pas eu de changement de gouvernance de la société Gras Savoye, M. Patrick Lucas étant demeuré président de la SAS Gras Savoye comme des autres sociétés du groupe.

La Société SAS OFFICE D'ASSURANCES AERIENNES G. DE CUGNAC, assignée en intervention par acte du 05.12.2011 délivrée à personne habilité, n'a pas constitué avocat.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux dernières conclusions signifiées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

DISCUSSION ET MOTIFS DE LA DÉCISION

- Sur la demande principale visant à la mise en oeuvre de la clause d'exclusion à la suite de la restructuration du capital de Gras Savoye & Cie SAS en décembre 2009

L'article VII des statuts de OAAGC stipule que 'tout associé dont le contrôle au sens de l'article L. 233-2 (comprendre L. 233-3) du code de commerce a changé et a été acquis, de quelque manière que ce soit, y compris à raison d'une fusion, d'une scission ou d'une dissolution ou [....sans intérêt] est réputé avoir offert de céder aux bénéficiaires la totalité des titres dont il est propriétaire si le comité exécutif en décide ainsi à la majorité simple de ses membres ayant droit de voter....'

L'article L. 233-3 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 visée par les statuts disposait :

I. - Une société est considérée, pour l'application des sections 2 et 4 du présent chapitre, comme en contrôlant une autre :

1° Lorsqu'elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ;

2° Lorsqu'elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d'un accord conclu avec d'autres associés ou actionnaires et qui n'est pas contraire à l'intérêt de la société ;

3° Lorsqu'elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société.

II. - Elle est présumée exercer ce contrôle lorsqu'elle dispose directement ou indirectement, d'une fraction des droits de vote supérieure à 40 % et qu'aucun autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne.

III. - Pour l'application des mêmes sections du présent chapitre, deux ou plusieurs personnes agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre lorsqu'elles déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale.

L'article L. 233-10 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 19 février 2007 applicable au litige, prévoyait :

I - Sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue d'acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d'exercer les droits de vote, pour mettre en oeuvre une politique vis-à-vis de la société.

II. - Un tel accord est présumé exister :

1° Entre une société, le président de son conseil d'administration et ses directeurs généraux ou les membres de son directoire ou ses gérants ;

2° Entre une société et les sociétés qu'elle contrôle au sens de l'article L. 233-3 ;

3° Entre des sociétés contrôlées par la même ou les mêmes personnes ;

4° Entre les associés d'une société par actions simplifiée à l'égard des sociétés que celle-ci contrôle ;

5° Entre le fiduciaire et le bénéficiaire d'un contrat de fiducie, si ce bénéficiaire est le constituant.

III. - Les personnes agissant de concert sont tenues solidairement aux obligations qui leur sont faites par les lois et règlements.

En l'espèce, la société OAAGC Holding soutient à titre principal que les actionnaires familiaux contrôlaient la société Gras Savoye avant la restructuration de décembre 2009 parce qu'ils agissaient de concert et que leurs droits de vote réunis représentaient 51, 3 % des voix.

Mais des liens de famille et un simple parallélisme des comportements n'induisent pas à eux seuls l'existence d'une action de concert déterminant un contrôle conjoint, étant d'ailleurs observé qu'en l'espèce, les actionnaires familiaux appartiennent à deux familles distinctes. Et la représentation par la presse économique des actionnaires personnes physiques de la société Gras Savoye par l'expression 'les familles' comme l'indication par le président de la société , à cette même presse, de réflexions menées de concert et de travail en commun à propos de la restructuration capitalistique du groupe Gras Savoye, comme les pactes d'actionnaires successifs relatifs à la détention du capital social ne caractérisent pas davantage en eux-mêmes un concert en vue d'un contrôle conjoint .

Ce dernier ne peut non plus se déduire de la seule forme sociale de la commandite par action adoptée jusqu'en 2009 par la société Gras Savoye ou a posteriori de l'existence après la restructuration de décembre 2009 de deux holdings familiales pour porter les actions des personnes physiques membres de chacune des familles demeurées dans le capital.

Aucune preuve d'un accord en vue d'exercer les droits de vote des prétendus concertistes pour mettre en oeuvre une politique vis à vis de la société Gras Savoye n'est rapportée au dossier et aucun exemple de votes convergents systématiques déterminant en fait les décisions prises en assemblée générale n'est davantage fourni.

La société OAAGC Holding soutient aussi que depuis décembre 2009, les actionnaires familiaux ayant perdu la majorité des droits de vote, les groupes Willis et Astorg détiennent le contrôle conjoint.

Mais elle ne rapporte là encore aucune preuve de l'existence d'un accord en vue d'exercer les droits de vote de ces deux groupes pour mettre en oeuvre une politique vis à vis de la société Gras Savoye, ni d'une volonté commune d'orienter la gestion de cette société.

Comme le fait observer la société Gras Savoye, les droits de vote et la répartition des 9 sièges au conseil de surveillance résultant du pacte d'associés du 17 décembre 2009 ne sont que le reflet de la répartition du capital et traduisent une gouvernance équilibrée, en dehors de toute action de concert.

Ainsi, avant comme après la restructuration de décembre 2009, il n'existe aucune démonstration de l'existence d'un contrôle conjoint des actionnaires familiaux puis d'un contrôle conjoint des groupes Willis et Astorg.

La mise en oeuvre de la clause statutaire d'exclusion précitée suppose cumulativement un changement de contrôle de la société Gras Savoye et une acquisition de ce contrôle.

Or, à défaut d'admission d'un contrôle conjoint avant 2009, la restructuration du capital intervenue en décembre 2009 n'a pas donné lieu à un changement de contrôle au sens de l'article L. 233-33 du code de commerce.

Et en tout état de cause, il ne peut être considéré que le contrôle de la société Gras Savoye a été 'acquis' en décembre 2009 puisque, comme cela a été précédemment indiqué, l'opération alors intervenue a abouti à la constitution de trois groupes d'actionnaires (les actionnaires familiaux divisés en deux holdings), le groupe Willis et le groupe Astorg et à une détention du capital et des droits de vote répartis en trois tiers équivalents.

En l'absence de toute preuve d'une action de concert en vue de l'exercice d'un contrôle conjoint de la société Gras Savoye en décembre 2009, aucun contrôle n'a été acquis sur cette société à cette époque et la clause d'exclusion ne pouvait donc pas être mise en oeuvre par OAAGC.

Le jugement doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a annulé la décision du 16 avril 2010 prise par le comité stratégique de OAAGC de procéder à l'acquisition des actions de la société Gras Savoye.

- Sur la demande subsidiaire fondée sur la reconnaissance d'un changement de contrôle en application de la présomption légale de l'article L. 233-3 II du code de commerce

La société OAAGC Holding soutient que si le contrôle familial de la société Gras Savoye n'est pas reconnu pour la période antérieure à décembre 2009, elle entend alors se prévaloir du changement de contrôle intervenu lorsque le groupe Willis a détenu plus de 40 % des droits de vote en application de la présomption posée par l'article L. 233-3 II précité et fait valoir que le contrôle de Gras Savoye a alors été modifié et acquis à une date inconnue jamais notifiée à OAAGC, de sorte qu'elle justifie la mise en oeuvre de la clause d'exclusion.

La société OAAGC expose que l'irrecevabilité de sa demande a été invoquée de manière déloyale par Gras Savoye et que cette demande subsidiaire relève du régime de l'article 565 du code de procédure civile en ce qu'elle tend aux mêmes fins que la demande principale, à savoir faire reconnaître un changement de contrôle de la société Gras Savoye, et repose sur le même fondement juridique. Elle précise que si elle n'a pas mis en oeuvre la clause statutaire d'exclusion à l'occasion de ce changement de contrôle, c'est parce que les évolutions de l'actionnariat de Gras Savoye ne lui ont pas été notifiées, de sorte que le délai de 90 jours prévu aux statuts pour mettre en oeuvre la procédure d'exclusion n'a pu commencer à courir.

Sur ce :

La société OAAGC Holding a pu répondre par ses conclusions du 26 octobre 2012 à la fin de non-recevoir soulevée par la société Gras Savoye par des conclusions du 4 septembre précédent. Le principe de la contradiction et les droits de la défense ont ainsi été respectés et aucune déloyauté ne peut être invoquée à l'encontre de la société Gras Savoye.

La demande de mise en oeuvre de la procédure d'exclusion et de vente des actions de la société Gras Savoye fondée sur l'acquisition prétendue du contrôle par le groupe Willis lorsque ses participations ont dépassé 40 % ne peut être considérée comme tendant aux mêmes fins que la demande principale soumise aux premiers juges puisque le changement et l'acquisition du contrôle visés ne sont pas les mêmes et ne sont pas intervenus aux mêmes dates, de sorte que la date de prise d'effet de la demande d'exclusion de l'associé diffère sensiblement selon l'hypothèse entre décembre 2009 (demande principale) et janvier 2008 (demande subsidiaire) puisque l'article VII B 5) des statuts de OAAGC stipule que l'associé au capital modifié cesse d'exercer ses droits non pécuniaires à compter de la date à laquelle son contrôle a changé qu'il ait ou non informé la société.

Et la société OAAGC Holding ne peut justifier la présentation de sa demande subsidiaire pour la première fois en appel par une évolution du litige, puisque la société Gras Savoye contestait déjà en première instance l'existence d'une action de concert des actionnaires familiaux.

Elle ne peut pas non arguer de la survenance d'un fait nouveau dans la mesure où la montée de Willis dans le capital était connue de longue date par OAAGC Holding, nonobstant son absence de notification par Gras Savoye, comme en témoignent les échanges sur l'évolution du capital de Gras Savoye ayant eu lieu lors du comité stratégique de OAAGC du 28 mai 2009 ainsi que les correspondances de OAAGC des 2 et 18 juin 2009 adressées à M. Lucas, en sa qualité de président de Gras Savoye, qui démontrent que la question de la mise en oeuvre de la procédure d'exclusion s'était posée, en raison de la montée dans le capital de Willis, pour finalement aboutir à la conclusion tirée par le président de OAAGC dans le courrier du 18 juin 2009 selon laquelle la situation de Gras Savoye ne donnait pas lieu à l'application de la clause d'exclusion .

Comme le fait valoir la société Gras Savoye, il en résulte qu'en tout état de cause, la demande subsidiaire est également irrecevable comme étant formée hors délai.

L'article VII B 2. Des statuts prévoit en effet un délai de 90 jours pour la mise en oeuvre de la procédure statutaire d'exclusion à compter de la notification de la modification du contrôle par l'associé concerné, mais également par l'un quelconque des autres associés.

En l'espèce, le président de OAAGC Holding a explicitement posé la question du changement de contrôle de Gras Savoye lors de la réunion du 28 mai 2009 puis dans sa lettre du 2 juin 2009 et a finalement renoncé à la mise en oeuvre de la procédure d'exclusion, de sorte que le délai de 90 jours est expiré à tout le moins depuis septembre 2009.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par décision réputée contradictoire et en dernier ressort,

Confirmes-en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nanterre le 9 mars 2011,

Y ajoutant,

Déclare irrecevable la demande subsidiaire de la société OAAGC Holding tendant à voir constater le changement de contrôle de la société Gras Savoye intervenu au bénéfice du groupe Willis et les demandes subséquentes relatives à la procédure d'exclusion et de rachat des actions détenues par la société Gras Savoye dans la société OAAGC,

Condamne la société OAAGC Holding à payer à la société Gras Savoye une somme complémentaire de 10 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés en appel,

Condamne la société OAAGC Holding aux dépens qui seront recouvrés par la SCP Lissarague Dupuis Boccon-Gibod Lexavoué, avocat , conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.