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Décisions

Cass. crim., 1 avril 2020, n° 19-82.223

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

Mme Ménotti

Avocat général :

M. Petitprez

Avocats :

SCP Foussard et Froger, SCP Spinosi et Sureau

Paris, du 7 mars 2019

7 mars 2019

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Par un réquisitoire introductif du 22 mai 2014, une information judiciaire a été ouverte concernant des faits qualifiés de délit d'initié et recel.

3. Cette information judiciaire a été étendue, par un premier réquisitoire supplétif du 14 novembre 2014, sous les qualifications de délits d'initié et complicité et recel de ces délits. A la suite d'un signalement effectué les 23 et 25 septembre 2015 par le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers (AMF), accompagné de la communication de pièces provenant d'une enquête de cette autorité publique indépendante, comportant, notamment, des données à caractère personnel relatives à l'utilisation de lignes téléphoniques, l'instruction a été étendue par trois réquisitoires supplétifs des 29 septembre et 22 décembre 2015, puis 23 novembre 2016, aux titres CGG, Airgas et Air Liquide ou tout autre instrument financier qui leur serait lié, sous les mêmes qualifications et celles de complicité, corruption et blanchiment.

4. Puis une disjonction a été ordonnée le 22 décembre 2015 pour les faits concernant les titres CGG et Airgas et ensuite, le 20 avril 2017, pour les seuls titres CGG.

5. Pour recueillir les données relatives à l'utilisation de lignes téléphoniques dont il a été fait état plus haut les agents de l'AMF se sont fondés sur l'article L. 621-10 du code monétaire et financier. Dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2013, applicable au cours de l'enquête de l'AMF, cet article autorisait les enquêteurs et les contrôleurs de cette autorité à se faire communiquer tous documents quel qu'en soit le support, mais également "les données conservées et traitées par les opérateurs de télécommunications dans le cadre de l'article L. 34-1 du code des postes et communications électroniques et les prestataires mentionnées aux 1 et 2 de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique et en obtenir la copie". En son paragraphe II, l'article L. 34-1 du code des postes et communications électroniques pose en principe que les opérateurs de communications électroniques doivent effacer ou rendre anonyme "toute donnée relative au trafic". Toutefois, ce principe souffre quelques exceptions, dont celle prévue au III du même article, "pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales". Pour ces besoins, l'effacement ou l'anonymisation d'un certain nombre de données sont différés d'un an. Les cinq catégories de données concernées sont définies à l'article R. 10-13 du code précité, pris pour l'application de l'article L. 34-1, paragraphe III : informations permettant d'identifier l'utilisateur, données relatives aux équipements terminaux de communication utilisés, caractéristiques techniques ainsi que date, horaire et durée de chaque communication, données relatives aux services complémentaires demandés ou utilisés et leurs fournisseurs et, enfin, données permettant d'identifier le ou les destinataires de la communication. Ces données de connexion sont celles, générées ou traitées par suite d'une communication, qui sont relatives aux circonstances de celle-ci et aux utilisateurs du service à l'exclusion de toute indication sur le contenu des messages.
6. M. D... a été mis en examen le 10 mars 2017 pour des faits relatifs aux titres Airgas, des chefs de délit d'initié et blanchiment.

7. M. H..., mis en examen le 29 mai 2017 du chef de délit d'initié, pour des faits relatifs à des titres Airgas et aux instruments financiers qui lui sont liés, a, par déclaration au greffe en date du 28 novembre 2017, présenté une requête et, le 6 décembre 2018, déposé un mémoire en annulation d'actes de la procédure.


Examen de la recevabilité du pourvoi de M. D...

8. M. D... n'ayant saisi la chambre de l'instruction d'aucun moyen de nullité, que ce soit par une requête ou par un mémoire, ne serait-ce que pour s'associer à la demande de nullité formée par M. H..., est sans qualité à se pourvoir contre l'arrêt qui a prononcé sur les demandes en annulation d'actes de la procédure présentées par celui-ci.

9. En conséquence, son pourvoi est irrecevable.

Examen des moyens proposés pour M. H...

10. Il résulte de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, qu'il appartient à la juridiction nationale d'apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d'une demande de décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu'elle pose à la Cour. Cette appréciation suppose d'examiner au préalable les griefs dont l'issue est susceptible d'influer sur le sort du moyen pris d'une inconventionnalité de certains textes au regard du droit communautaire.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

11. Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 80, 83, 591 et 593 du code de procédure pénale.

12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen tiré de l'irrégularité du réquisitoire supplétif du 22 décembre 2015 et des actes subséquents, alors :

« 1°/ qu'il résulte de l'article 80 du code de procédure pénale que si, ayant connaissance de faits nouveaux, le procureur de la République requiert l'ouverture d'une information distincte, celle-ci peut être confiée au même juge d'instruction, lequel doit alors être désigné dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article 83 du même code, c'est-à-dire par le président du tribunal ou, en cas d'empêchement, par le magistrat qui le remplace ; qu'en l'espèce, par un réquisitoire du 22 décembre 2015, le procureur de la République a requis dans le même temps l'extension de la saisine du magistrat instructeur aux faits nouveaux qu'il exposait et la disjonction de ces faits dans une information distincte ; qu'en refusant d'annuler ce réquisitoire et les actes d'instruction subséquents, lorsqu'en procédant de la sorte plutôt que de requérir l'ouverture d'une information judiciaire distincte, le procureur de la République a commis un détournement de procédure ayant eu pour effet d'éluder l'application de l'article 83 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés ;

2°/ qu'en refusant d'annuler ce réquisitoire et les actes d'instruction subséquents, lorsqu'en procédant comme il l'a fait, le procureur de la République, qui s'est irrégulièrement substitué au président du tribunal, a lui-même désigné le magistrat instructeur chargé d'instruire, la chambre de l'instruction a méconnu l'exigence d'impartialité objective garantie par l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'homme et par l'article préliminaire du code de procédure pénale ;

3°/ qu'en outre, un réquisitoire qui ne répond pas aux exigences légales ou conventionnelles encourt l'annulation, même lorsqu'il satisfait aux conditions essentielles de son existence légale ; que s'est donc prononcée par des motifs inopérants la chambre de l'instruction qui, pour juger régulier le réquisitoire du 22 décembre 2015, s'est bornée à affirmer qu'il était "daté et signé" ;

4°/ qu'à tout le moins, la chambre de l'instruction ne pouvait refuser d'annuler les actes d'instruction subséquents relatifs aux faits visés dans ce réquisitoire, dès lors que ces actes ont été effectués par un magistrat instructeur désigné par l'accusation, en violation des dispositions de l'article 83 du code de procédure pénale et de l'exigence d'impartialité objective. »

Réponse de la Cour

13. Pour rejeter le moyen de nullité du réquisitoire supplétif en date du 22 décembre 2015, l'arrêt énonce que les dispositions de l'article 83 du code de procédure pénale ne sont pas applicables en cas de disjonction.

14. Les juges relèvent que le procureur de la République financier, à la suite de l'ordonnance de soit-communiqué du juge d'instruction l'invitant à présenter ses réquisitions sur des faits nouveaux relatifs aux titres Airgas et aux instruments financiers qui lui sont liés ainsi que sur une éventuelle disjonction des autres faits déjà compris dans la saisine du magistrat instructeur, avec ceux relatifs aux titres CGG, n'a commis aucun détournement de procédure en délivrant un réquisitoire supplétif et en requérant cette disjonction, par un acte daté et signé par un magistrat du parquet financier.

15. En l'état de ces énonciations et constatations, et dès lors que, d'une part, lorsque le procureur de la République saisit le juge d'instruction au moyen d'un réquisitoire supplétif de faits qui n'étaient pas compris dans la saisine antérieure de ce magistrat, il n'y a pas lieu à nouvelle désignation par le président du tribunal en application de l'article 83 du code de procédure pénale, d'autre part, la décision de jonction ou de disjonction constitue une mesure d'administration judiciaire non susceptible de recours, qui relève de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge d'instruction, la chambre de l'instruction a justifié sa décision, le détournement de procédure ne restant qu'à l'état d'allégation.

16. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

17. Le moyen est pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale.

18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il rejeté le moyen tiré de l'absence de versement au dossier de la procédure disjointe du rapport de synthèse du 4 décembre 2015 et des notes de synthèse de l'AMF relatives à l'exploitation par ses services des données de téléphonie obtenues sur le fondement de l'article L. 621-10 du code monétaire et financier dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2013, alors :

« 1°/ que le droit à un procès équitable implique que la personne mise en examen se voit offrir la possibilité de prendre connaissance et de faire contrôler la régularité de toute pièce qui fonde les poursuites dont elle fait l'objet ; qu'en l'espèce, le demandeur sollicitait la communication du procès-verbal de synthèse du 4 décembre 2015 issu d'une procédure distincte à laquelle il n'est pas partie et visé par l'ordonnance de soit-communiqué du 21 décembre 2015, dont la chambre de l'instruction constate qu'elle est "le support du réquisitoire supplétif du 22 décembre 2015" par lequel le magistrat instructeur a été saisi des faits pour lesquels l'exposant est mis en examen dans la présente procédure ; qu'en affirmant, pour écarter cette demande et rejeter le moyen de nullité pris de l'absence de ce procès-verbal à la procédure, que celui-ci correspondait au rapport de transmission coté D7, lorsque cette pièce ne correspond manifestement pas à un rapport de synthèse, la chambre de l'instruction a affirmé un fait en contradiction avec les pièces de la procédure et a méconnu l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ que le demandeur, dont la chambre de l'instruction constate qu'il a été mis en cause dans la présente information judiciaire sur la base des données téléphoniques transmises par l'AMF, sollicitait le versement à la procédure des éléments auxquels celle-ci se référait dans ses notes de synthèse cotées D4 et D6 ; qu'en se fondant sur la présence de ces notes au dossier pour écarter cette demande, lorsque, en l'absence des éléments auxquels celles-ci se réfèrent, ces pièces ne permettent à l'exposant ni de contrôler les circonstances dans lesquelles les données téléphoniques litigieuses ont été recueillies, transmises et analysées, ni de discuter de manière contradictoire l'exactitude des déductions et des rapprochements faits par l'AMF dans ces notes, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

3°/ qu'en se fondant, pour retenir que l'ensemble des pièces utiles à la défense de M. H... figuraient au dossier, sur la présence à la procédure des notes de synthèse de l'AMF, sans mieux s'expliquer sur son refus de verser au dossier les éléments auxquels ces notes se référaient, et dont le demandeur sollicitait la communication, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision. »

Réponse de la Cour

19. Le demandeur n'est pas fondé à critiquer, par une requête en annulation, l'absence au dossier de pièces de l'information judiciaire initiale, dès lors qu'il dispose du droit de présenter une demande auprès du juge d'instruction à cette fin et d'interjeter appel de l'ordonnance de refus qui pourrait lui être opposé.

20. Ainsi le moyen doit être écarté.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

21. Le moyen est pris de la violation des articles 465-1 du code monétaire et financier, 591 et 593 du code de procédure pénale.

22. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen tiré de la nullité de la mise en examen de M. H... du chef de délit d'initié en raison de l'inapplicabilité de l'article L. 465-1, alinéa 3 du code monétaire et financier dans sa rédaction antérieure à la loi n°2018-819 du 21 juin 2016, alors :

« 1°/ que l'acquisition d'un instrument financier non admis à la négociation sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation (ci-après « SMN »), et pour lequel aucune demande d'admission à un tel marché ou à un SMN n'a été présentée ne relève pas du champ d'application de l'élément matériel du délit d'initié prévu par l'article L. 465-1, alinéa 3 du code monétaire et financier, dans sa rédaction antérieure à la loi n°2016-819 du 21 juin 2016 ; que, dès lors, en retenant, pour rejeter le moyen tiré de la nullité de la mise en examen de M. H... du chef de délit d'initié, que l'acquisition de "contract for difference" (ci-après "CFD") était constitutive d'une opération au sens de l'article précité, quand ces instruments financiers ne sont pas admis à la négociation sur un marché réglementé ou sur un SMN et qu'aucune demande d'admission à un marché réglementé ou sur SMN les concernant n'a été présentée, la chambre de l'instruction a violé le texte susvisé ;

2°/ qu'une opération doit nécessairement, pour relever du champ d'application de l'élément matériel du délit d'initié prévu par l'article L. 465-1, alinéa 3, du code monétaire et financier dans sa rédaction antérieure à la loi n°2016-819 du 21 juin 2016, avoir un effet sur un instrument financier admis à la négociation sur un marché réglementé ou sur un SMN, ou pour lequel une demande d'admission sur un tel marché ou sur un SMN a été présentée ; que dès lors, en retenant, pour rejeter le moyen tiré de la nullité de la mise en examen de M. H... du chef de délit d'initié, que l'acquisition de CFD ayant comme sous-jacent l'action de la société Airgas, admise à la négociation sur un marché réglementé, était constitutive d'une opération au sens de l'article précité, lorsque le seul lien entre un CFD et un instrument financier admis à la négociation sur un marché réglementé réside dans le fait que l'évolution de la valeur du premier est indexée sur celle du second, la chambre de l'instruction a violé l'article L. 465-1 du code monétaire et financier dans sa rédaction antérieure à la loi n°2016-819 du 21 juin 2016 ;

3°/ qu'enfin, l'acquisition d'un instrument financier qui n'est pas admis à la négociation sur un marché réglementé français, et pour lequel aucune demande d'admission à un tel marché n'a été présentée ne relève pas du champ d'application de l'élément matériel du délit d'initié prévu par l'article L. 465-1, alinéa 3, du code monétaire et financier, dans sa rédaction antérieure à la loi n°2016-819 du 21 juin 2016 ; que dès lors, en retenant, pour rejeter le moyen tiré de la nullité de la mise en examen de M. H... du chef de délit d'initié, que l'acquisition d'actions de la société Airgas était constitutive d'une opération au sens de l'article précité, quand ces instruments financiers sont seulement admis à la négociation sur un marché réglementé aux Etats-Unis, la chambre de l'instruction a violé ce texte. »

Réponse de la Cour

23. Pour rejeter le moyen de nullité de la mise en examen du requérant, tiré de ce que l'article L. 465-1 du code monétaire et financier est inapplicable au "contract for difference" (CFD), l'arrêt énonce que l'article L. 211-1 du code monétaire et financier, qui, dans sa version en vigueur à l'époque des faits, définit clairement les instruments financiers comme étant les titres financiers et les contrats financiers, dispose que ces derniers, également dénommés instruments financiers à terme, sont les contrats à terme qui figurent sur une liste fixée par décret, dans laquelle figurent les contrats financiers avec paiement d'un différentiel.

24. Les juges retiennent que, si certaines différences de rédaction existent entre l'article L. 465-1 du code monétaire et financier et l'article 622-1 du règlement général de l'AMF sur le manquement d'initié, dans leurs versions alors applicables, l'élément matériel tant du délit que du manquement d'initié renvoie aux mêmes informations privilégiées utilisées pour acquérir ou céder les mêmes instruments financiers et, notamment, les contrats financiers avec paiement d'un différentiel.

25. Ils relèvent que l'article 465-3-4 du code précité, issu de la loi n° 2016-819 du 21 juin 2016, qui énumère les instruments financiers auxquels s'appliquent les dispositions de la section relative aux atteintes à la transparence des marchés, où figure l'article L. 465-1 dudit code, vise à clarifier le champ d'application de l'ensemble de la section relative aux atteintes à la transparence des marchés et non à étendre le champ d'application du délit d'initié, dont auraient été exclus les CFD.

26. Les juges ajoutent que l'expression "sur un marché réglementé au sens de l'article L. 421-1 du code précité" ne doit pas s'entendre d'un marché réglementé français mais d'un marché qui, quel que soit sa localisation géographique, correspond à la définition du marché réglementé donnée par l'article L. 421-1 susvisé, comme le New York Stock Exchange (NYSE) aux Etats-Unis, où il n'est pas contesté que le titre Airgas est coté.

27. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

28. En effet, il n'importe que l'opération ait elle-même porté sur un instrument financier non admis à la négociation sur un marché réglementé au sens de l'article L. 421-1 dudit code, ou pour lequel une demande d'admission sur un tel marché a été présentée ou sur un système multilatéral de négociation organisé ou sur un système multilatéral de négociation.

29. Par ailleurs, un marché réglementé au sens de l'article L. 422-1 du code monétaire et financier ne s'entend pas nécessairement d'un marché réglementé localisé en France, mais de tout marché qui, quel que soit sa localisation géographique, correspond à la définition du marché réglementé donnée par l'article L. 421-1 dudit code.

30. En conséquence, le moyen sera écarté.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

31. Le moyen est pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 15 de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002 dite "Vie privée et communications électroniques" telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009, 7, 8, 11, 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, L. 34-1 et R. 10-13 du code des postes et des communications électroniques, L. 621-10 du code monétaire et financier dans sa rédaction issue de la loi n°2013-672 du 26 juillet 2013, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble le principe de primauté du droit de l'Union européenne et le principe de loyauté de la preuve.

32. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen tiré de la non-conformité des articles 34-1 du code des postes et des communications électroniques et L.621-10 du code monétaire et financier à la directive 2002/58/CE du parlement européen du 12 juillet 2002 et à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, alors :

« 1°/ que selon la Cour de justice de l'Union européenne, "l'article 15 paragraphe 1, lu en combinaison avec l'article 3 de la directive 2002/58, doit être interprété en ce sens que relèvent du champ d'application de cette directive, non seulement une mesure législative qui impose aux fournisseurs de services de communications électroniques de conserver les données relatives au trafic et les données de localisation, mais également une mesure législative portant sur l'accès des autorités nationales aux données conservées par ces fournisseurs » (CJUE, 2 oct. 2018, Ministerio Fiscal, aff. C-207/1, § 35) ; que les articles L. 34-1, R. 10-13 du code des postes et des communications électroniques et L. 621-10 du code monétaire et financier prévoient la conservation de données personnelles par les opérateurs de communications électroniques pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales et leur communication aux enquêteurs et contrôleurs de l'Autorité des marchés financiers ; que s'est donc prononcée par des motifs erronés la chambre de l'instruction qui a énoncé que "ces dispositions, qui concernent le domaine du droit pénal, ne relèvent pas du champ d'application de la directive vie privée et communications électroniques" ;

2°/ qu'en énonçant que cette directive n'avait "pas lieu de s'appliquer aux activités de l'Etat dans des domaines relevant du droit pénal ce qui est le cas des dispositions destinées à réprimer les abus de marché, dont le délit d'initié", la chambre de l'instruction s'est prononcée par des motifs inopérants, dès lors qu'était contestée non la conformité à cette directive des dispositions de l'article L. 465-1 du code monétaire et financier qui incrimine le délit d'initié, mais celle des dispositions des articles L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques et L. 621-10 du code monétaire et financier ;

3°/ qu'il résulte du principe de primauté du droit de l'Union européenne que les arrêts préjudiciels revêtent un caractère obligatoire à l'égard des juridictions nationales ; qu'a méconnu ce principe la chambre de l'instruction qui, pour retenir que les dispositions internes contestées ne relevaient pas du champ d'application de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002, a écarté l'interprétation de l'article 15,§1, de cette directive faite par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt Sverige du 21 décembre 2016 (aff. jointes C-203/15 et C- 698/15), selon laquelle "ladite disposition présuppose nécessairement que les mesures nationales qui y sont visées, telles que celles relatives à la conservation de données à des fins de lutte contre la criminalité, relèvent du champ d'application de cette même directive" (§73), motifs pris "qu'en estimant, dans les motifs de sa décision (point 73) qu'eu égard à l'économie de la directive les mesures législatives de l'article 15.1 ne sont pas exclues de son champ d'application, la CJUE apparaît ôter leur portée aux dispositions de l'article 1.3 de la directive" ;

4°/ que selon la Cour de justice de l'Union européenne, l'article 15, § 1, de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002 "s'oppose à une réglementation nationale prévoyant, à des fins de lutte contre la criminalité, une conservation généralisée et indifférenciée de l'ensemble des données relatives au trafic et des données de localisation de tous les abonnés et utilisateurs inscrits concernant tous les moyens de communication électronique" (CJUE, 21 déc. 2016, Tele2 Sverige AB c. Post- och telestyrelsen et Secretary of State for the Home Department, aff. jointes C-203/15 et C-698/15) ; qu'il s'ensuit que la législation nationale doit "prévoir des règles claires et précises régissant la portée et l'application d'une telle mesure de conservation des données et imposant un minimum d'exigences" et doit "en particulier indiquer en quelles circonstances et sous quelles conditions une mesure de conservation des données peut, à titre préventif, être prise, garantissant ainsi qu'une telle mesure soit limitée au strict nécessaire" (ibid) ; qu'il est par ailleurs nécessaire que la conservation des données répondent "à des critères objectifs établissant un rapport entre les données à conserver et l'objectif poursuivi" et à des conditions matérielles "de nature à délimiter effectivement l'ampleur de la mesure et, par suite, le public concerné" ; que, dès lors, en refusant d'annuler les données téléphoniques de M. H... recueillies par l'AMF sur le fondement des articles L. 34-1 et R. 10-13 du code des postes et des communications, lorsque ces textes, qui organisent une conservation généralisée et indifférenciée des données constitutive d'une ingérence grave dans le droit au respect de la vie privée, ne prévoient aucune garantie de nature à limiter la mesure de conservation à un public ou à des données effectivement en lien avec la criminalité grave, la chambre de l'instruction a violé le texte susvisé ;

5°/ que selon la Cour de justice de l'Union européenne, "les mesures législatives visées à l'article 15§1, de la directive 2002/58 devant (
) "être subordonnées à des garanties appropriées", une telle mesure doit (
) prévoir des règles claires et précises indiquant en quelles circonstances et sous quelles conditions les fournisseurs de services de communications électroniques doivent accorder aux autorités nationales compétentes l'accès aux données" (CJUE, 21 déc. 2016, Tele2 Sverige AB c. Post- och telestyrelsen et Secretary of State for the Home Department, aff. jointes C-203/15 et C-698/15) ; que, dès lors, en refusant d'annuler les données téléphoniques de M. H... transmises par les opérateurs de téléphonie aux enquêteurs de l'AMF sur le fondement de la seconde phrase de l'article L. 621-10 du code monétaire et financier dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2013, lorsque ces dispositions ne fixent aucune limite au droit, pour ces enquêteurs, de se voir communiquer les données conservées et traitées par les opérateurs de télécommunications et ne prévoient aucune "garanties propres à assurer une conciliation équilibrée entre, d'une part, le droit au respect de la vie privée et, d'autre part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions", ainsi que l'a relevé le Conseil constitutionnel qui les a déclarées non conformes à la Constitution (Déc. n°2017-646/647 QPC du 21 juillet 2017), la chambre de l'instruction a violé l'article 15, § 1, de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil ;

6°/ qu'en se fondant, pour écarter le moyen tiré de la non-conformité à la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 des dispositions de l'article L. 621-10 du code monétaire et financier dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2013, sur le fait que ce texte réservait à des agents d'une autorité administrative indépendante habilités et soumis au secret professionnel le pouvoir d'obtenir les données téléphoniques conservées par les opérateurs de télécommunications et que cette prérogative n'était assortie d'aucun pouvoir d'exécution forcée, lorsque ces garanties sont insuffisantes pour assurer la stricte nécessité d'une telle ingérence dans le droit au respect de la vie privée de la personne concernée, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;

7°/ qu'a méconnu son office et s'est prononcée par des motifs hypothétiques impropres à justifier sa décision la chambre de l'instruction qui, après avoir énoncé que la Cour de justice de l'Union européenne "apparaît ôter leur portée aux dispositions de l'article 1.3 de la directive" dans son arrêt Sverige et qu'elle "apparaît évoluer dans son interprétation de l'article 15, § 1 dans son arrêt ministère public d'Espagne, affirme qu'en cet état, demeure une incertitude sur l'interprétation à donner aux dispositions susvisées de la directive vie privée et communications électroniques", sans jamais se prononcer clairement sur le sens et la portée de cette directive dont la méconnaissance était pourtant invoquée devant elle ;

8°/ qu'en jugeant que "la nullité des données téléphoniques obtenues par l'AMF sur le fondement de l'article L. 621-10 du code monétaire et financier n'a pas lieu d'être prononcée au regard de l'interprétation donné par la CJUE à l'article 15, § 1 dans l'arrêt "Sverige" après avoir reconnu qu'elle était dans l'incapacité de déterminer "l'interprétation à donner aux dispositions susvisées de la directive vie privée et communications électroniques" invoquée devant elle, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;

9°/ que toute ingérence d'une autorité publique dans l'exercice du droit au respect de la vie privée doit être prévue par la loi ; que tel n'est pas le cas lorsque la disposition légale dont découle cette ingérence ne respecte pas la législation en vigueur de rang supérieur (CEDH, 29 juin 2006, M... et N... c. Allemagne, req. n° 54934/00, § 90) ; que, dès lors, en refusant d'annuler les données téléphoniques de M. H... conservées par les opérateurs de téléphonies puis transmises par ceux-ci aux enquêteurs de l'AMF sur le fondement des articles L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques et L. 621-10 du code monétaire et financier dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2013, lorsque ces textes sont contraires aux dispositions de l'article 15, § 1, de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 et, s'agissant du second d'entre eux, à la Constitution, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2017-646/647 QPC du 21 juillet 2017, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

10°/ que toute ingérence d'une autorité publique dans l'exercice du droit au respect de la vie privée doit être nécessaire et proportionnée ; que la chambre de l'instruction ne pouvait, sans méconnaître l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, refuser d'annuler les données téléphoniques de M. H... lorsque celles-ci avaient été conservées par des opérateurs de téléphonies puis transmises aux enquêteurs de l'AMF sur le fondement de textes internes qui ne prévoient pas de garanties suffisantes pour limiter les abus, en ce qu'ils permettent, comme tel a été le cas en l'espèce, une conservation généralisée et indifférenciée des données personnelles par ces opérateurs ainsi que leur communication aux dits enquêteurs sans restriction, et indépendamment d'un lien avec le but poursuivi. »

Réponse de la Cour

33. Pour écarter l'exception d'inconventionnalité des articles L. 621-10 du code monétaire et financier et L. 34-1 du code des postes et communications électroniques au regard des impératifs de la directive 2002/ 58/CE du 12 juillet 2002, lue à la lumière de la jurisprudence de la CJUE, les juges, après avoir rappelé les circonstances dans lesquelles ont été recueillies les données personnelles concernant notamment M. H..., relèvent que l'article L. 621-10 du code monétaire et financier, qui réserve à des agents d'une autorité administrative, habilités et soumis au respect du secret professionnel, le pouvoir d'obtenir communication des données de connexion, n'apparaissent pas contraire à l'article 15, § 1, de la directive précitée.

34. Ils retiennent qu'il en va de même des dispositions de l'article L.34-1 du code des postes et communications électroniques, du fait des limitations apportées par l'article R. 10-3 I, tant en ce qui concerne les données devant être conservées par les opérateurs, que la durée de leur conservation.

35. Ils soulignent que l'article 23§1 h) du règlement (UE) n°596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché permet aux autorités compétentes de se faire remettre, dans la mesure où le droit national l'autorise, les enregistrements existants de données relatives au trafic, détenus par un opérateur de télécommunications, lorsqu'il existe des raisons de suspecter une violation et que de tels enregistrements peuvent se révéler pertinents pour l'enquête relative à la violation de l'article 14 point a) ou b), concernant l'interdiction d'effectuer ou de tenter d'effectuer des opérations d'initiés ou de recommander à une autre personne ou d'inciter une autre personne à effectuer des opérations d'initiés, ou de l'article 15, relatif à l'interdiction des manipulations de marché.

36. Les juges en déduisent qu'aucune nullité ne saurait résulter de l'application de dispositions conformes à un règlement européen, acte juridique européen, de portée générale, obligatoire dans toutes ses dispositions et directement applicable dans l'ordre juridique des Etats membres à tous les sujets de droit.

37. Pour conclure à la cassation de l'arrêt attaqué, le demandeur soutient, en substance, que c'est en violation de la directive 2002/58/CE précitée, telle qu'interprétée par la CJUE que les données ont été recueillies sur le fondement des textes précités qui organisent une conservation généralisée et indifférenciée des données et que les dispositions de l'article L. 621-10 du code monétaire et financier dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2013, ne fixent aucune limite au droit, pour des enquêteurs de l'AMF, de se faire communiquer les données conservées.

38. L'avocat général, sur ce point, conclut qu'il est nécessaire de poser à la CJUE deux questions, la première relative à la conventionnalité des conditions de conservation des données personnelles de connexion par des opérateurs privés, la seconde, sur les conditions de leur accès par l'AMF organisé par l'article L. 621-10 précité, dans sa version alors applicable, compte tenu des dispositions du règlement (UE) n° 596/2014 du 16 avril 2014 sur les abus de marché et des obligations qui en découlent pour les Etats membres, règlement qui a abrogé la directive 2003/6/CE du Parlement et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché.

39. En réplique, selon le demandeur, il n'y a pas lieu de saisir la CJUE d'une question préjudicielle, dès lors que cette juridiction s'est déjà prononcée clairement sur le sens de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002.

40. L'examen du moyen rend nécessaire de distinguer les modalités d'accès aux données de connexion, de celles relatives à leur conservation.

Sur l'accès aux données de connexion

41. Dans sa décision Tele 2 Sverige du 21 décembre 2016 (aff. jointes C-203/15 et C- 698/15), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 15§1 de la directive 2002/58, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11, ainsi que de l'article 52§1 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être interprété en ce sens qu'"il s'oppose à une réglementation nationale régissant la protection et la sécurité des données relatives au trafic et des données de localisation ... sans limiter, dans le cadre de la lutte contre la criminalité, cet accès aux seules fins de lutte contre la criminalité grave, sans soumettre ledit accès à un contrôle préalable par une juridiction ou une autorité administrative indépendante, et sans exiger que les données en cause soient conservées sur le territoire de l'Union" (point 125).

42. De son côté, le Conseil constitutionnel, par décision du 21 juillet 2017, a déclaré inconstitutionnel le premier alinéa de l'article L. 621-10 du code monétaire et financier au motif que la procédure d'accès par l'AMF, telle qu'elle existait à l'époque des faits, n'était pas conforme au droit au respect de la vie privée protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Cependant, considérant que l'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait des conséquences manifestement excessives, le Conseil constitutionnel a reporté cette abrogation au 31 décembre 2008. Tirant les conséquences de cette déclaration d'inconstitutionnalité, le législateur, par la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 a introduit un nouvel article L. 621-10-2 instaurant la délivrance d'une autorisation préalable par une autre autorité administrative indépendante appelée "contrôleur des demandes d'accès", de tout accès aux données de connexion par les enquêteurs de l'AMF ;

43. Compte tenu du report dans le temps des effets de la décision du Conseil constitutionnel, il y a lieu de considérer qu'aucune nullité ne peut être tirée de l'inconstitutionnalité des dispositions législatives applicables à l'époque des faits. En revanche, bien que, selon l'article L. 621-1 du code monétaire et financier, tant dans sa rédaction applicable à la date des actes litigieux que dans sa rédaction actuelle, l'AMF soit "une autorité publique indépendante", la faculté offerte à ses enquêteurs d'obtenir des données de connexion sans contrôle préalable par une juridiction ou une autre autorité administrative indépendante n'était pas conforme aux exigences posées par les articles 7, 8 et 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, tels qu'interprétés par la CJUE.

44. La seule question qui se pose porte sur la possibilité de reporter dans le temps les conséquences de l'inconventionnalité de l'article L. 621-10 du code monétaire et financier.

Sur la conservation des données de connexion

45. Dans sa décision Tele 2 Sverige du 21 décembre 2016 (aff. jointes C-203/15 et C- 698/15) la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 15§1 de la directive 2002/58, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11, ainsi que de l'article 52§1 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être interprété en ce sens qu'"il s'oppose à une réglementation nationale prévoyant, à des fins de lutte contre la criminalité, une conservation généralisée et indifférenciée de l'ensemble des données relatives au trafic et des données de localisation de tous les abonnés et utilisateurs inscrits concernant tous les moyens de communication électroniques" (point 112).

46. En l'espèce, l'accès aux données conservées a été mis en oeuvre par l'AMF, qui soupçonnait des opérations d'initiés et des abus de marché susceptibles de plusieurs qualifications pénales graves, et avait besoin, pour l'efficacité de son enquête, de croiser différentes données conservées sur un certain laps de temps, permettant de mettre au jour des informations privilégiées entre plusieurs interlocuteurs, qui ont révélé l'existence de pratiques illicites en la matière.

47. Ces enquêtes menées par l'AMF répondent aux obligations mises à la charge des Etats par la directive 2003/6/CE du Parlement et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché (abus de marché) leur imposant de désigner une autorité administrative unique, dont les pouvoirs, définis au point d) de l'article 12, § 2, comprennent celui d'exiger "des enregistrements téléphoniques et des données échangées existants".

48. Le règlement (UE) n° 596/2014 du 16 avril 2014 sur les abus de marché, qui s'est substitué à la directive précitée à compter du 3 juillet 2016, consacre, ainsi que l'énonce son objet défini à l'article 1er, l'existence "d'un cadre réglementaire commun sur les opérations d'initiés, la divulgation illicite d'informations privilégiées et les manipulations de marché ... ainsi que des mesures visant à empêcher les abus de marché afin de garantir l'intégrité des marchés financiers de l'Union et d'accroître la protection des investisseurs et leur confiance dans ces marchés".

49. Il prévoit, en son article 23, paragraphe 2, points g) et h), que l'autorité compétente peut se faire remettre les enregistrements des conversations téléphoniques, des communications électroniques ou des enregistrements de données relatives au trafic, détenus par des entreprises d'investissement, des établissements de crédit ou des institutions financières.

50. Elle peut aussi se faire remettre, dans la mesure où le droit national l'autorise, les enregistrements existants de données relatives au trafic, détenus par un opérateur de télécommunications lorsqu'il existe des raisons de suspecter une violation et que de tels enregistrements peuvent se révéler pertinents pour l'enquête relative à la violation de l'article 14, point a) ou b), sur les opérations d'initiés et la divulgation illicite d'informations privilégiées, ou de l'article 15, sur les manipulations de marché.

51. Ce texte souligne également (considérant 65) que ces données de connexion constituent une preuve essentielle, et parfois la seule, permettant de détecter et de démontrer l'existence d'une opération d'initié ou d'une manipulation de marché, dès lors qu'elles permettent d'établir l'identité de la personne à l'origine de la diffusion d'une information fausse ou trompeuse, ou prouver que des personnes ont été en contact à un moment donné et démontrer l'existence d'une relation entre deux ou plusieurs personnes.

52. Relevant que l'exercice de tels pouvoirs peut entrer en conflit avec le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et des communications, il prescrit aux Etats de prévoir des garanties appropriées et efficaces contre tout abus en limitant lesdits pouvoirs aux seuls cas où ils sont nécessaires à la conduite correcte d'une enquête sur des cas graves pour lesquels les Etats ne disposent pas de moyens équivalents leur permettant de parvenir efficacement au même résultat, ce dont il résulte que certains des abus de marché concernés par ce texte doivent être considérés comme des infractions graves (considérant 66).

53. En l'espèce, les informations privilégiées susceptibles de caractériser l'élément matériel de pratiques illicites en matière de marché étaient, par essence, orales et secrètes.

54. Se pose donc la question de savoir comment doit se concilier l'article 15, § 1 de la directive 2002/58, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, avec les exigences posées par les dispositions précitées de la directive 2003/6 et du règlement 596/2014.

55. Pour répondre à une telle question, la jurisprudence existante ne parait pas fournir l'éclairage nécessaire dans ce cadre juridique et factuel inédit, de sorte qu'il n'est pas possible de dire que l'application correcte du droit de l'Union ne laisserait place à aucun doute raisonnable. Il convient en conséquence d'interroger la cour de Justice.

56. Dans le cas où la réponse de la Cour de justice serait telle qu'elle conduirait la Cour de cassation à considérer que la législation française sur la conservation des données de connexion n'est pas conforme au droit de l'Union, il apparaît opportun de poser la question de savoir si les effets de cette législation pourraient être maintenus provisoirement afin d'éviter une insécurité juridique et de permettre que les données collectées et conservées précédemment soient utilisées dans l'un des buts visés par cette législation.

57. Aussi convient-il de poser à la Cour de justice de l'Union européenne les questions préjudicielles suivantes mentionnées au dispositif.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé par M. D...

Le DÉCLARE IRRECEVABLE ;

Sur le pourvoi formé par M. H...

REJETTE les premier, troisième et quatrième moyens ;

RENVOIE à la Cour de justice de l'Union européenne les questions suivantes :

1) L'article 12, § 2, points a) et d) de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché, de même que l'article 23, § 2, points g) et h) du règlement (UE) 596/2014 du Parlement et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché, qui s'est substitué au premier à compter du 3 juillet 2016, lu à la lumière du considérant 65 de ce règlement, n'impliquent-ils pas, compte tenu du caractère occulte des informations échangées et de la généralité du public susceptible d'être mis en cause, la possibilité, pour le législateur national, d'imposer aux opérateurs de communications électroniques une conservation temporaire mais généralisée des données de connexion pour permettre à l'autorité administrative mentionnée aux articles 11 de la directive et 22 du règlement, lorsqu'apparaissent à l'encontre de certaines personnes des raisons de soupçonner qu'elles sont impliquées dans une opération d'initié ou une manipulation de marché, de se faire remettre, par l'opérateur, les enregistrements existants de données de trafic dans les cas où il existe des raisons de suspecter que ces enregistrements liés à l'objet de l'enquête peuvent se révéler pertinents pour apporter la preuve de la réalité du manquement, en permettant notamment de retracer les contacts noués par les intéressés avant l'apparition des soupçons ?

2) Dans le cas où la réponse de la Cour de justice serait telle qu'elle conduirait la Cour de cassation à considérer que la législation française sur la conservation des données de connexion n'est pas conforme au droit de l'Union, les effets de cette législation pourraient-ils être maintenus provisoirement afin d'éviter une insécurité juridique et de permettre que les données collectées et conservées précédemment soient utilisées dans l'un des buts visés par cette législation ?

3) Une juridiction nationale peut-elle maintenir provisoirement les effets d'une législation permettant aux agents d'une autorité administrative indépendante chargée de mener des enquêtes en matière d'abus de marché d'obtenir, sans contrôle préalable d'une juridiction ou d'une autre autorité administrative indépendante, la communication de données de connexion?

SURSOIT à statuer sur le quatrième moyen jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne ;

RENVOIE l'affaire au 1er décembre 2020, à 9 heures, à l'audience de formation restreinte ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier avril deux mille vingt.