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Décisions

Cass. crim., 15 octobre 1998, n° 97-83.580

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

M. Challe

Avocat général :

M. Cotte

Avocat :

Me Choucroy

Paris, 9e ch., du 28 mai 1997

28 mai 1997

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 3, 7, 10 et 11 de la loi n° 72-6 du 3 janvier 1972, 405 ancien du Code pénal, 6.3.a de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, violation des droits de la défense ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Christian A... coupable du délit de démarchage financier sans carte d'emploi ;

"aux motifs qu'entre les mois de janvier 1988 et d'octobre 1989, Christian A... a démarché à leur domicile neuf personnes, dont certaines étaient d'anciens clients de Worms Gestion pour leur conseiller la souscription de valeurs mobilières ;

"qu'il les avait à cette occasion persuadées d'ouvrir un compte titres à la société de bourse Legrand devenue Fip Bourse, et de lui confier un mandat de gestion ;

"que le démarchage financier est réglementé par la loi n° 72-6 du 3 janvier 1972 qui prévoit dans son article 7 que tout démarcheur se livrant à l'activité définie à l'article 2 est tenu d'être porteur d'une carte d'emploi, délivrée par une personne ou un établissement habilité à recourir au démarchage en application de l'article 3 ;

"que le prévenu soutient qu'il était toujours détenteur de la carte de démarchage financier établie par son ancien employeur Worms Gestion ;

"que cette carte, à supposer qu'elle soit restée en la possession du prévenu, ne pouvait être utilisée par lui que dans le cadre des fonctions qu'il exerçait au sein de la société Worms Gestion, c'est-à-dire pour démarcher au nom et pour le compte de cette société et qu'elle a cessé d'être valide après le départ de celui-ci à la fin de l'année 1987 ;

"alors que, d'une part, en application des articles 388 du Code de procédure pénale et 6.3.a de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les tribunaux répressifs ne peuvent légalement statuer que sur les faits relevés par le titre de la poursuite afin de mettre le prévenu en mesure de préparer utilement sa défense ; qu'en l'espèce où Christian A... se voyait reprocher par l'ordonnance de renvoi d'avoir exercé une activité de démarchage financier sans être porteur d'une carte d'emploi, ce qui constituait une infraction aux dispositions de l'article 7 de la loi du 3 janvier 1972 et où ce prévenu avait pu établir qu'il était bien porteur de ladite carte au moment des démarchages visés par les poursuites, les juges du fond, qui n'ont pas contesté ce fait, ont violé les droits de la défense ainsi que les textes précités, en entrant néanmoins en voie de condamnation à son encontre sous prétexte que ladite carte aurait cessé d'être valide au moment des démarchages litigieux réalisés après le départ du demandeur de la société qui la lui avait délivrée, ces faits étant distincts de ceux qui étaient visés par le titre de la poursuite et sur lesquels le prévenu n'a pas été mis en mesure d'assurer sa défense ;

"alors que, d'autre part, en déclarant que la carte d'emploi du prévenu n'était plus valide au moment où les démarchages litigieux avaient été effectués après son départ de la société qui lui avait délivré ce document, la Cour a violé l'article 11 de la loi du 3 janvier 1972 qui pose formellement le principe selon lequel les démarcheurs auxquels les établissements visés par l'article 3 de ladite loi, ont délivré une carte d'emploi sont considérés comme leurs préposés nonobstant toute disposition contraire ;

Attendu que, pour déclarer Christian A... coupable du délit de démarchage en vue d'opérations sur valeurs mobilières sans carte d'emploi, la juridiction du second degré se prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu l'étendue de sa saisine, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

Qu'ainsi le moyen ne peut être admis ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 112-1 et 112-4 du Code pénal, 23, 24 et 25 de la loi n° 89-531 du 2 août 1989, abrogés par l'article 16 de la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996, 21 et 82 de ladite loi et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Christian A... coupable du délit de gestion de portefeuille en violation de l'article 23 de la loi n° 89-531 du 2 août 1989 ;

"aux motifs qu'il est établi et non contesté par le prévenu qu'il gérait seul le compte des dix clients auxquels il avait fait signer des mandats de gestion ;

"que, sous l'empire de la loi du 2 août 1989, l'activité de gestion de portefeuille était réservée aux sociétés commerciales ayant la forme d'une société anonyme et ayant obtenu l'agrément de la Commission des opérations de bourse ;

"que l'article 25 punissait toute personne qui exerce une activité de gestion de portefeuille en violation des dispositions ci-dessus rappelées ;

"que l'activité du prévenu qui gérait les portefeuilles de ses clients à titre personnel sans être titulaire d'aucun agrément était punissable en application de ce texte ;

"que, pour s'exonérer de sa responsabilité pénale, le prévenu argue de l'abrogation de la loi du 2 août 1989 par la loi du 2 juillet 1996 ;

"mais que l'interdiction édictée par l'article 25 de la loi abrogée du 2 août 1989 est reprise par l'article 21 de la nouvelle loi du 2 juillet 1996 qui "interdit à toute personne autre qu'un prestataire de services d'investissement de fournir à des tiers des services d'investissement, à titre de profession habituelle" ;

"que les articles 6 et suivants de la même loi réservent aux personnes morales et aux établissements de crédit titulaires d'un agrément délivré par le Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement ;

"qu'enfin l'article 82 édicte des sanctions applicables aux personnes physiques qui enfreignent l'interdiction de l'article 21, que ces sanctions plus douces que celles prévues par la loi abrogée, seront seules appliquées ;

"alors que, d'une part, une loi nouvelle qui abroge une incrimination s'applique aux faits commis avant son entrée en vigueur et non encore définitivement jugés, en sorte qu'elle éteint l'action publique même si cette nouvelle loi prévoit une nouvelle infraction dont les éléments constitutifs sont différents de ceux de l'infraction prévue par la loi abrogée ; que, dès lors, en l'espèce où le prévenu était poursuivi pour avoir exercé une activité de gestion de portefeuille en violation de l'article 23 de la loi du 2 août 1989 qui réservait cette activité aux sociétés anonymes ayant obtenu l'agrément de la COB, la Cour a violé les articles 112-1 et 112-4 du nouveau Code pénal en invoquant les dispositions de la loi du 2 juillet 1996 ayant abrogé ce texte en vigueur au moment des faits et qui a institué un nouveau délit de fourniture de services d'investissement par une personne autre qu'un prestataire de services d'investissement agréé ;

"alors que, d'autre part, l'article 23 de la loi du 2 août 1989 en vigueur au moment des faits avant son abrogation par la loi du 2 juillet 1996 n'interdisant, comme l'article 21 de ce dernier texte, les activités de gestion de portefeuilles de valeurs mobilières ou de fournitures de services d'investissement que ces lois réglementent, que lorsqu'elles sont exercées à titre de profession habituelle, les juges du fond, qui n'ont pas en l'espèce constaté l'existence de cet élément constitutif de l'infraction, ont privé le chef de leur décision déclarant le prévenu coupable du délit de gestion illégale de portefeuille de toute base légale ;

Attendu que, pour déclarer Christian A... coupable du délit de gestion de portefeuilles de valeurs mobilières pour le compte de ses clients, sans l'agrément de la Commission des opérations de bourse, les juges, après avoir relevé que l'interdiction édictée par l'article 23 de la loi abrogée du 2 août 1989 est reprise par l'article 21 de la loi du 2 juillet 1996 qui "interdit à toute personne autre qu'un prestataire de services d'investissement de fournir à des tiers des services d'investissement, à titre de profession habituelle", énonce que l'activité de gestion de portefeuille demeurant réglementée et la violation de ces règles étant toujours réprimée pénalement, l'élément légal de l'infraction subsiste et les poursuites engagées en application de la loi du 2 août 1989 sont fondées au regard de la loi du 2 juillet 1996 ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors que le caractère habituel de l'exercice des activités de gestion de valeurs mobilières se déduit du nombre des clients relevés par les juges, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

D'où il suit que le moyen, ne saurait être accueilli ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 10-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 dans sa rédaction issue de la loi du 2 août 1989, 459 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de réponses à conclusions, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Christian A... coupable du délit d'initié ;

"aux motifs qu'à partir du 27 septembre 1989, les achats réalisés par le prévenu pour le compte de ses clients n'ont plus porté que sur le titre La Rochette et ont concerné des quantités très importantes, hors de proportion avec les capacités financières des clients ;

"qu'à la liquidation de décembre 1989, les dix portefeuilles gérés par Christian A... avaient une position acheteuse à terme de 139,6 MF, les actions La Rochette représentant 4,9 % du capital de la société ; que cette position globale n'était couverte par la valeur des portefeuilles qu'à hauteur de 33 MF, soit un taux de couverture de 24 % ;

"que tous les titres La Rochette à l'exception de 4 500, avaient été acquis par Christian A... postérieurement au 21 septembre 1989, date de la rencontre entre les dirigeants des sociétés Z... et La Rochette au cours de laquelle M. Z... avait précisé son projet de prendre une participation dans le capital de la société La Rochette ;

"que le prévenu affirme avoir ignoré que Franck Y... avait été chargé par M. Z... de préparer un projet de rapprochement avec la société La Rochette ;

"qu'il explique les positions massives prises par lui par la stratégie qu'il avait adoptée depuis 1988 et qui selon lui consistait en une gestion "agressive et spéculative" de valeurs opérables dans des secteurs susceptibles de faire l'objet d'une restructuration ;

"qu'il soutient qu'en tout état de cause l'information portant sur le projet de mise en commun des activités du groupe La Rochette en Europe avec celles des filiales du groupe Z... ne saurait être regardée comme une information privilégiée au sens de l'article 10-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 en raison de son manque de certitude ;

"que le prévenu qui passait au moins une ou deux journées par semaine dans les locaux de Perspectives Financières rencontrait à ces occasions Franck Y... et les gestionnaires de l'entreprise qui eux-mêmes avaient procédé à des opérations illicites sur le titre ;

"que si ces derniers ont déclaré qu'ils n'avaient communiqué aucune information au prévenu, ce dernier a reconnu lui-même devant la COB qu'il avait parlé avec deux gestionnaires qui lui avaient dit qu'il pouvait y avoir un ou plusieurs acheteurs intéressés par La Rochette ;

"qu'au surplus, deux clients du prévenu ont déclaré qu'à la fin du mois de février 1990, ce dernier avait évoqué devant eux sans le leur montrer, un document ("fax" ou télécopie) daté du mois d'octobre 1989, faisant état d'une proposition de rachat des titres La Rochette par un papetier américain Z... ;

"que les constatations ci-dessus, la date des premiers achats de titres postérieure de six jours à la rencontre du 21 septembre 1989 et la quantité exceptionnelle de titres acquis, constituent un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes établissant la preuve de la connaissance par le prévenu de la tenue de la réunion du 21 septembre 1989 et de son contenu ;

"que cette information est précise dans la mesure où l'identité et les moyens financiers du groupe Z... étaient connus ; qu'en outre, elle n'était pas connue du public ;

"qu'enfin, elle était de nature à influencer le cours du titre dès lors que, si elle s'était réalisée, elle aurait modifié la taille, la rentabilité et les perspectives d'avenir de la société ;

"que l'information était susceptible de se concrétiser dans la mesure où elle avait été confirmée par un courrier de M. Z... en date du 26 septembre 1989 et où les contacts s'étaient prolongés jusqu'en décembre 1989 ;

"alors que, qu'une part, si l'article 10-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 interdit aux personnes disposant en raison de leur profession ou de leurs fonctions, d'informations privilégiées sur les perspectives d'évolution d'une valeur mobilière, de réaliser des opérations avant que le public en ait eu connaissance, c'est à la condition que lesdites informations soient précises, confidentielles, de nature à influer sur le cours de la valeur et déterminantes des opérations réalisées, le caractère privilégié de telles informations devant s'apprécier de façon objective sans aucun arbitraire et en fonction de leur seul contenu et non par référence au degré de connaissance de la personne qui la reçoit ; que, dès lors, en l'espèce où les juges du fond ont exclusivement constaté, dans l'exercice de leur pouvoir souverain, que le demandeur avait appris que le dirigeant du groupe Z... avait formé le projet de prendre une participation dans le capital de la société La Rochette, la Cour ne pouvait invoquer l'existence de cette seule information dénuée de tout caractère précis ou confidentiel et qui n'était pas à elle seule de nature à influer sur le cours des actions dans le sens espéré par le prévenu dès lors que le principal actionnaire de la société La Rochette s'est opposé à une telle prise de participation en faisant baisser vertigineusement les actions de cette société qu'il avait acquises, pour déclarer le demandeur coupable du délit d'initié qui lui était reproché ;

"alors que, d'autre part, les juges du fond qui ont pourtant constaté que le prévenu avait, avant la rencontre du 21 septembre 1989, déjà acquis de nombreuses actions La Rochette, ont laissé sans réponse les moyens péremptoires de défense de ses conclusions dans lesquelles il soutenait que ces achats résultaient d'une analyse personnelle de leur valeur spéculative et que l'augmentation de leur ampleur à la fin du mois de septembre 1989 s'expliquait par l'importance des gains qu'il venait de réaliser et non par la rencontre qui avait eu lieu entre les dirigeants de la société La Rochette et du groupe Z... au cours de laquelle le premier aurait manifesté les plus grandes réticences à l'égard du projet de prise de participation du second qui a d'ailleurs échoué" ;

Attendu qu'en prononçant par les motifs repris au moyen, la cour d'appel a caractérisé en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, le délit d'initié dont elle a déclaré le prévenu coupable ;

D'où, il suit que le moyen, ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.