Cass. com., 12 décembre 2018, n° 16-15.217
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 janvier 2015, tel que rectifié par arrêt du 12 mai 2016), que la société Sequana détient, par le biais de la société Arjowiggins, la société par actions simplifiée Arjowiggins Security (la société AWS) ; que dans la perspective de la cession de la branche sécurité du groupe Sequana, la société Sequana a eu recours à M. X..., qui a été nommé président de la société AWS par décision du 30 juin 2008 de l'associé unique de celle-ci, la société Arjowiggins, puis a ensuite été nommé président de plusieurs des filiales contrôlées par la société AWS ; qu'un contrat de services a été signé le 8 janvier 2009 entre la société Sequana et la société Muguet gestion, à laquelle s'est substituée la société Herschel gestion, créée par M. X... ; que la cession envisagée n'a pas eu lieu ; que le 30 novembre 2009, M. X... a été révoqué de ses mandats sociaux et la société Sequana a notifié à la société Herschel gestion la résiliation du contrat de services avec effet immédiat et sans indemnité en raison d'une faute lourde ; qu'estimant la révocation des mandats sociaux et la résiliation du contrat abusives, M. X... et la société Herschel gestion, ultérieurement devenue la société Corridor, ont assigné la société AWS et la société Sequana en réparation de leurs préjudices ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses première, deuxième, quatrième, cinquième et sixième branches :
Attendu que la société Sequana fait grief à l'arrêt de la condamner à payer certaines sommes à la société Corridor alors, selon le moyen :
1°/ qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que les statuts de la société AWS conféraient à M. X... un pouvoir de représentation de cette société à l'égard des tiers ainsi qu'un pouvoir de déterminer et de mettre en oeuvre les orientations de la société ; qu'il en découle que la détermination des modalités de la cession de la société faisait nécessairement partie des fonctions sociales de l'intéressé ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme le lui imposaient les conclusions des parties, si le contrat de services confiant à M. X... des missions qui relevaient en réalité de ses fonctions de mandataire social, n'était pas dès lors privé de contrepartie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1131 du code civil ;
2°/ qu'il ressort plus généralement encore des constatations de l'arrêt attaqué qu'une confusion existait entre les missions exercées par M. X... au titre de son mandat et celles qui lui étaient personnellement confiées au titre du contrat de prestation de services, lequel était donc privé de cause ; qu'en ne tirant pas les conséquences légales de ces constatations, la cour d'appel a violé l'article 1131 du code civil ;
3°/ qu'en énonçant, pour dire que les missions confiées à M. X... au titre du mandat étaient distinctes de celles qui lui étaient confiées au titre du contrat de services, que les prestations réalisées par la société de conseil avaient été facturées à la société Sequana et réglées par cette dernière, tout en constatant que la société Sequana était l'unique actionnaire de la société Arjowiggins, elle-même associée unique de la société AWS et que M. X... était à la fois président de la société AWS et de plusieurs de ses filiales et représentant de la société Herschel gestion, d'où il résultait un risque de conflit d'intérêts et une nécessité de respecter les règles de contrôle relatives aux conventions réglementées et à la rémunération des dirigeants sociaux, la cour d'appel a violé les articles L. 227-9 et L. 227-10 du code de commerce ;
4°/ qu'en décidant que le contrat de prestation de services n'avait pas lieu d'être soumis à l'approbation de la société Arjowiggins, associé unique de la société AWS en ce qu'il liait la société Sequana à la société Herschel gestion, sans rechercher si ce contrat ne servait pas en réalité à rémunérer le mandataire social, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 227-9 et L. 227-10 du code de commerce ;
5°/ qu'en jugeant que le contrat conclu entre la société Sequana et la société Herschel gestion ne contenait aucune disposition faisant obstacle à la révocation ad nutum de M. X... en sa qualité de président de la société AWS, sans rechercher si l'ensemble des avantages prévus par le contrat au profit de M. X... relatifs aux conditions de la rupture et notamment au préavis et à l'indemnité de résiliation, n'avaient pas pour effet de rendre la révocation trop onéreuse au point de dissuader l'actionnaire unique d'y procéder, dès lors que le contrat de prestation et le mandat étaient indissociables, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 227-5 et suivants du code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève d'abord qu'aux termes de l'article 16 des statuts de la société AWS, les pouvoirs de M. X... consistaient en « la représentation de la société à l'égard des tiers, le pouvoir de convoquer les assemblées générales, d'établir les comptes sociaux et le rapport annuel de gestion, de décider le transfert du siège social de la société étant précisé qu'il détermine les orientations de la société, veille à leur mise en oeuvre et délibère sur les affaires concernant la bonne marche de la société (...) » ; qu'il relève ensuite que le contrat litigieux, signé le 8 janvier 2009 entre la société Muguet gestion et la société Sequana, actionnaire unique de la société AWS, elle-même associée unique de la société Arjowiggins quand M. X... exerçait déjà son mandat qui était non rémunéré, stipule qu'il est conclu intuitu personae, que la mission sera exécutée par M. X... et qu'il sera repris par la société Herschel gestion dont celui-ci est le représentant et le seul salarié ; que l'arrêt relève encore que ce contrat de prestations prévoit que « Muguet gestion assistera et conseillera Sequana et indirectement Arjowiggings dans l'organisation et le suivi de l'activité de la branche sécurité d'Arjowiggings (ci-après la « Mission ») », précisant que celle-ci « interviendra pour conseiller la direction d'Arjowiggings dans les domaines suivants : gestion et développement des activités de la branche sécurité, définition des stratégies, relations avec les clients, axes de développement de son chiffre d'affaires, gestion de ses usines, adaptation de ses actifs industriels et des moyens humains et de production » ; que l'arrêt retient en outre que la mission comporte une prestation au profit de la société Sequana, indirectement au profit de sa filiale AWS, et concerne la branche sécurité que la société Sequana envisageait alors de céder et qui comportait sept autres sociétés qui n'étaient pas des filiales de la société AWS ; qu'en cet état, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation et après avoir effectué la recherche prétendument omise que la cour d'appel a considéré qu'il y avait eu, d'un côté, une convention de services entre la société Sequana et la société Herschel gestion, et, de l'autre, un mandat social entre M. X... et la société AWS, soit quatre personnes distinctes et autonomes, et que les missions de la société Herschel gestion définies au contrat de services ne se confondaient pas avec celles de M. X... au titre de sa fonction de président de la société AWS ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt retient qu'il n'a jamais été convenu que M. X... exercerait uniquement son mandat social au sein de la société AWS mais qu'interviendrait une société créée par lui ayant pour objet la cession de la branche sécurité du groupe pour le compte de la société Sequana, actionnaire de la société AWS, et que la société Sequana a pris la décision de mettre M. X... à la tête de la société AWS, en distinguant deux fonctions, réalisées par des personnes différentes, dont l'une était à titre gratuit et l'autre rémunérée ; qu'ayant ainsi fait ressortir que le contrat de prestations conclu entre la société Sequana et la société Herschel gestion ne rémunérait pas les fonctions de M. X... en qualité de mandataire social de la société AWS, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a pu statuer comme elle a fait ;
Et attendu, enfin, que le droit de révocation de M. X... par la société AWS ayant été exercé, ce dont il se déduit que les obligations nées du contrat conclu entre la société Sequana et la société Herschel gestion étaient sans emport sur l'exercice de ce droit, le grief manque par le fait qui lui sert de base ;
D'où il suit qu'inopérant en sa cinquième branche, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident :
Attendu que M. X... et la société Corridor font grief à l'arrêt de rejeter la demande de M. X... alors, selon le moyen, que si la révocation d'un mandataire social peut intervenir à tout moment, elle est néanmoins abusive lorsqu'elle a été accompagnée de circonstances ou a été prise dans des conditions qui portent atteinte à sa réputation ou à son honneur ou si elle a été décidée brutalement, sans respecter l'obligation de loyauté dans l'exercice du droit de révocation ; qu'au cas d'espèce, la cour d'appel a constaté que M. X... avait été convoqué le 26 novembre 2009 pour l'assemblée du 30 novembre 2009 à laquelle avait été inscrite la question de sa révocation, appuyée sur de multiples griefs, en sorte qu'il n'avait bénéficié que de quatre jours pour préparer sa défense ; qu'elle a encore constaté qu'à l'occasion de la réunion mensuelle du comité AWS qui s'est tenu le 8 septembre 2009, aucun reproche n'avait été formulé contre M. X..., ainsi qu'il résultait du compte-rendu de séance dont le contenu n'était pas contesté par les intimées ; qu'aussi, en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si cette absence de reproche à moins de trois mois de la révocation, jointe à la convocation notifiant une multitude de griefs quatre jours seulement avant l'assemblée, ne révélait pas une déloyauté dans l'exercice du droit de révocation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt constate que M. X... a été convoqué le 26 novembre 2009 à une réunion devant se tenir avec l'associé unique de la société AWS trois jours plus tard, cette convocation indiquant, de façon détaillée, l'ensemble des griefs, et qu'au cours de la réunion tenue le 30 novembre 2009, il a présenté ses observations sur ces différents griefs ; qu'il en déduit que le principe de la contradiction a été respecté puisque M. X... a été en mesure de présenter ses observations, quand bien même il n'aurait disposé que d'un délai de quatre jours pour les préparer ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, et M. X... ayant seulement soutenu qu'aucun reproche ne lui avait été fait moins de trois mois auparavant, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche inopérante invoquée par le moyen, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, et le second moyen du pourvoi principal :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois.