CA Bordeaux, 4e ch. civ., 21 mars 2017, n° 15/04193
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Sca Société Coopérative Anonyme Cerp Bretagne Atlantique (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chelle
Conseillers :
Mme Fabry, M. Pettoello
FAITS ET PROCÉDURE
La société CERP Bretagne Atlantique (CERP) est une société coopérative de répartition pharmaceutique qui a été le fournisseur de la société en nom collectif (SNC) Pharmacie G., dont l'associé unique et gérant était M. G..
Par jugement du 29 septembre 2011, le tribunal de commerce d'Angoulême a ouvert le redressement judiciaire de la SNC Pharmacie G., procédure convertie en liquidation judiciaire par jugement du 27 septembre 2012.
La CERP a déclaré sa créance entre les mains du mandataire, et le juge-commissaire lui a délivré un certificat d'admission de créances privilégiées et chirographaires pour un total de 390 104,28 euros.
Par jugement du 20 décembre 2012, le tribunal a arrêté le plan de cession de la clientèle de la SNC Pharmacie G. à divers pharmaciens locaux pour le prix de 112 400 euros. La licence a été restituée à l'autorité administrative, et, le 13 mars 2013, le juge-commissaire a autorisé le mandataire liquidateur à réaliser le reste des actifs mobiliers.
Par acte du 16 avril 2014, la CERP a assigné à titre personnel M. G. devant le tribunal de commerce pour demander sa condamnation à lui payer 390 103,28 euros en principal au visa des dispositions de l'article L. 221-1 du code de commerce.
Par jugement du 18 juin 2015, le tribunal de commerce d'Angoulême a :
-constaté l'existence d'une dette sociale de la SNC Pharmacie G.,
-déclaré recevable et bien fondé l'action de la CERP,
-rejeté la demande de sursis à statuer formulée par M. G.,
-débouté M. G. de l'ensemble de ses demandes, et l'a condamné à payer à la CERP la somme de 390 103,28 euros outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 16 janvier 2014, ainsi que 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Par déclaration du 9 juillet 2015, M. G. a interjeté appel de cette décision.
PRETENTIONS DES PARTIES
Par conclusions déposées en dernier lieu le 8 octobre 2015, auxquelles il convient de se reporter pour le détail de ses moyens et arguments, M. G. demande à la cour de :
Vu les dispositions de l'article 221-1 du Code de Commerce,
-Dire et juger Monsieur Stéphane G. recevable et bien foncé en son appel,
En conséquence,
-Réformer le jugement en date du 18 Juin 2015 et toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
-Débouter la SA CERP BRETAGNE ATLANTIQUE de l'ensemble de ses demandes.
A titre subsidiaire,
-Surseoir à statuer dans l'attente de la répartition aux créanciers de l'actif réalisé dans la procédure collective de la SNC PHARMACIE G..
A titre infiniment subsidiaire,
Vu les dispositions de l'article 650-1 du Code de Commerce,
Constater le soutien abusif de la SA CERP BRETAGNE ATLANTIQUE au détriment de la SNC PHARMACIE G. et de Monsieur Stéphane G.
En conséquence,
-Condamner la SA CERP BRETAGNE ATLANTIQUE à l'annulation des garanties prises en contrepartie de ses concours.
-Condamner la SA CERP BRETAGNE ATLANTIQUE à payer à titre de dommages et intérêts à Monsieur Stéphane G. la somme de 390.101,28 €uros outre les intérêts au taux légal à compter du 16 janvier 2014.
-Ordonner la compensation des créances de la SA CERP BRETAGNE ATLANTIQUE et de Monsieur Stéphane G..
-Condamner la SA CERP BRETAGNE ATLANTIQUE à payer à Monsieur Stéphane G. la somme de 5.000 €uros par application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Condamner la SA CERP BRETAGNE ATLANTIQUE aux entiers dépens.
Outre les diverses demandes reprises intégralement ci-dessus de « constater », qui ne sont pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile, mais des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions, M. G. fait en sus valoir qu'une « jurisprudence constante de la Cour de cassation » précise que la preuve de la dette sociale ne peut résulter du seul titre exécutoire obtenu contre la société ; que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée et que la répartition des actifs n'est pas définitivement arrêtée ; que a réalité et le quantum de la créance dont pourrait se prévaloir la CERP ne sont pas encore connus faute de pouvoir apprécier ses droits dans la répartition des cessions d'actifs, et que la créance n'est donc pas certaine, liquide et exigible ;
Subsidiairement, que le quantum de la créance ne pourra être parfaitement connu qu'après la clôture de la procédure collective et la reddition des comptes par le liquidateur judiciaire ; que la cour prononcera le sursis à statuer dans cette attente ;
A titre infiniment subsidiaire, que la cour ne pourra que prendre en considération les agissements fautifs de la requérante, qui a accepté de soutenir financièrement la SNC en lui accordant de nombreux délais de paiement et des moratoires pour l'apurement des sommes dues ; qu'elle a soutenu abusivement sa débitrice.
Par conclusions déposées en dernier lieu le 28 septembre 2016, auxquelles il convient de se reporter pour le détail de ses moyens et arguments, la CERP demande à la cour de :
-Confirmant 1e jugement déféré en toutes ses dispositions,
Vu les dispositions des articles L 221 1 et 650 1 du Code de commerce,
Vu les pièces versées aux débats,
-Débouter Monsieur G. de l'ensemble de demandes, 'ns et conclusions
-Condamner Monsieur Stéphane G. à payer à la CERP BRETAGNE ATLANTIQUE la somme de 390.103,28 Euros avec intérêts au taux légal de l'assignation (sic).
-Condamner Monsieur Stéphane G. à la somme de 5.000 Euros par application des dispositions de l'article 700 CPC
-Condamner le même aux entiers dépens qui seront recouvres par la SCP P. par application des dispositions de l'article 699 CPC
Cette société fait notamment valoir que la jurisprudence invoquée par M. G. est un cas d'espèce totalement différent puisque rendu en matière de droit cambiaire ; qu'un chèque avait fait l'objet d'un certificat de non-paiement rendu exécutoire, alors que la dette était discutée ; que sa créance a été définitivement admise à la procédure de la SNC ; que M. G. n'a aucun moyen sérieux à opposer à son exécution pour le tout ; qu'elle n'a rien à espérer de la distribution évoquée ; qu'elle a obtenu un certificat d'irrécouvrabilité ;
Sur la demande reconventionnelle subsidiaire, qu'elle est présentée au visa de l'article L. 650-1 du code de commerce et se fonde ainsi sur les dispositions limitatives de la responsabilité du fournisseur de crédit ; que les conditions de sa responsabilité ne sont pas réunies ; qu'il ne peut lui être imputée une immixtion dans la gestion ; qu'elle est une société coopérative de pharmaciens dont l'objet comprend de tenter de venir en aide à leurs confrères en difficulté financière ; que la cour d'appel ne peut annuler des « garanties prises en contrepartie de ses concours », puisque la CERP n'agit pas sur le fondement d'un acte de caution.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 31 janvier 2017.
MOTIFS DE LA DECISION
La société CERP poursuit la condamnation personnelle de M. G. en sa qualité d'associé de la SNC Pharmacie G. à lui payer la somme de 390 103,28 euros, montant de sa créance déclarée à la liquidation judiciaire de la société en nom collectif.
Aux termes des dispositions de l'article L. 221-1 du code de commerce, les associés en nom collectif ont tous la qualité de commerçant et répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales ; les créances de la société ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu'après avoir vainement mis en demeure la société.
Pour justifier l'action qu'il exerce contre l'un des membres d'une SNC, le créancier demandeur doit prouver que l'engagement dont il poursuit l'exécution constitue un engagement social.
En l'espèce, il est constant que M. G. avait la qualité d'associé unique de la SNC Pharmacie G..
Il est également constant que la CERP a déclaré sa créance à la procédure collective, et que celle-ci a été admise.
Or, lorsque la SNC a été mise en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire avant l'engagement des poursuites contre les associés en nom, la déclaration de créance, qui vaut mise en demeure, rend inutile la délivrance d'une mise en demeure par acte extra-judiciaire à cette société.
La procédure engagée par la société CERP est donc régulière.
A titre principal, M. G. conteste toute dette certaine, liquide et exigible.
En réalité, après avoir rappelé qu'il incombait au créancier de rapporter la preuve de la dette sociale, il fait valoir que la société CERP se garde d'évoquer la répartition du prix de cession partielle des actifs disponibles, et que la réalité et le quantum de la créance à l'encontre de l'associé unique ne sont pas encore connus.
Or, la société CERP a versé aux débats (sa pièce n° 18) un certificat d'irrécouvrabilité qui lui a été délivré par le mandataire liquidateur le 15 décembre 2015, de sorte que rien ne peut être attendu des opérations de liquidation de la société, et que la créance réclamée est bien certaine, liquide et exigible pour le montant demandé.
Il convient d'observer que M. G. n'élève pas d'autre contestation de fond sur le fait qu'il répond de la dette sociale.
Sa demande subsidiaire de sursis à statuer dans l'attente de la clôture des opérations de liquidation n'est pas davantage pertinente au vu du certificat délivré par le mandataire liquidateur.
Le jugement du tribunal de commerce doit donc être confirmé.
A titre infiniment subsidiaire, M. G. soutient alors que des agissements fautifs de la société CERP, qu'il qualifie de soutien abusif, devrait, sur le fondement de l'article 650-1 du code de commerce, entraîner la condamnation de cette société à lui payer la somme de 390 101,28 euros de dommages-intérêts, montant qui se trouve donc être quasiment identique au montant de la dette dont le paiement lui est réclamé.
Il fait valoir que pendant quatre années (2006 à 2009), la CERP, malgré les sommes importantes dont elle était créancière a accepté de soutenir financièrement la SNC Pharmacie G. en lui accordant de nombreux délais de paiement et des moratoires pour l'apurement des sommes qui lui étaient dues, et participé pleinement à la recherche d'une solution de redressement.
Il en conclut que la demanderesse qui a soutenu abusivement sa débitrice et lui-même par son immixtion dans leur projet de restructuration financière, juridique et géographique a créé les circonstances de leur perte en leur laissant croire au caractère réversible de l'endettement de l'officine.
Il résulte des dispositions invoquées de l'article L. 650-1 du code de commerce que lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci, et que pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge.
En l'espèce, le fait d'avoir accepté de consentir aux demandes de délais de paiement de M. G. en sa qualité de gérant de la SNC, alors que la créance ne diminuait pas, mais tout en faisant application des conditions générales de vente, prévoyant des intérêts de retard sur les sommes dues, ne caractérise par une responsabilité de la société CERP au regard de ces dispositions, et notamment aucune fraude.
De même, le fait d'avoir assisté à une réunion en juin 2011 relative à un projet, non abouti, de déplacement de l'officine, est loin d'être suffisant pour caractériser une immixtion dans la gestion du débiteur au sens de l'article L. 650-1 ci-dessus.
Au surplus, la société CERP peut utilement faire remarquer qu'elle est une société coopérative composée de pharmaciens d'officine, à la différence d'autres répartiteurs, et qu'il entre dans son objet, conformément à l'esprit coopératif et au principe de confraternité, de tenter de venir en aide à un confrère en difficultés.
M. G. a donc été débouté à juste titre de sa demande infiniment subsidiaire.
Sur les autres demandes
Partie tenue aux dépens d'appel, dont recouvrement direct par la SCP P., avocat qui en fait la demande, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, M. G., qui succombe en son appel, paiera à la société CERP la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu entre les parties par le tribunal de commerce d'Angoulême le 18 juin 2015,
Condamne M. G. à payer à la société CERP la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne M. G. aux dépens d'appel, dont recouvrement direct par la SCP P., avocat qui en fait la demande, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par M. Chelle, président, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.