Cass. 3e civ., 6 mars 2002, n° 00-19.674
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Weber
Rapporteur :
M. Villien
Avocat général :
M. Guérin
Avocats :
SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Nicolay et de Lanouvelle
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Pau, 8 juin 2000), qu'en 1994, M. Y... a chargé la société Création construction restauration Les Demeures du passé (société CCR), depuis lors en liquidation judiciaire, de la construction d'une maison individuelle sur un terrain lui appartenant, la société Compagnie européenne d'assurance industrielle (CEAI) fournissant une garantie de livraison à prix et délais convenus ; qu'un différend s'étant élevé entre les parties et les travaux ayant été interrompus, M. Y... a assigné le constructeur et le garant en résiliation du contrat et en réparation de son préjudice tenant à des malfaçons, non-façons et retards ; que le liquidateur de la société CCR a formé, pour sa part, une demande reconventionnelle en paiement du solde du prix des travaux et en indemnisation de préjudices annexes ;
Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt de constater la résiliation unilatérale du contrat de construction, alors selon le moyen :
1 / que l'exception d'inexécution opposée par une partie n'est justifiée que si la suspension du contrat est proportionnée à l'inexécution par l'autre de ses propres obligations ; qu'en se bornant à affirmer que l'interruption du chantier par le constructeur dans l'attente d'un accord définitif tant sur la nature des travaux restant à exécuter que sur leur coût n'était pas fautif, sans vérifier que cette inexécution était proportionnée à celle reprochée au maître de l'ouvrage bien qu'il fût acquis aux débats que ce dernier était à jour dans le règlement des acomptes et que le paiement des travaux de construction était subordonné à leur état d'avancement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134, 1184 et 1794 du Code civil ;
2 / que l'expert est seulement tenu d'éclairer le juge sur une question de fait, à l'exclusion de toute appréciation d'ordre juridique ;
qu'en se retranchant derrière l'analyse du technicien qui avait déclaré le constructeur bien-fondé en son exception d'exécution, sans vérifier elle-même que l'inexécution reprochée au maître de l'ouvrage aurait été suffisamment grave pour justifier l'interruption du chantier par le constructeur, la cour d'appel a violé les articles 232 et 238 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant retenu que M. Y..., qui avait résilié unilatéralement le contrat, devait, conformément à l'article 1794 du Code civil, dédommager le constructeur de son manque à gagner et de ses autres chefs de préjudice, la cour d'appel, qui ne s'est pas fondée sur l'exception d'inexécution et ne s'est pas retranchée derrière l'analyse de l'expert, a légalement justifié sa décision de ce chef ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal :
Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt de limiter la condamnation prononcée à l'encontre du constructeur au titre des pénalités de retard, alors selon le moyen que les juges du fond ne peuvent statuer par voie d'affirmation ; qu'en retenant à la charge du constructeur un retard de seulement deux mois, quand la livraison de l'immeuble était intervenue plus de quatre ans et six mois après la date convenue, sans justifier d'une quelconque façon pareil partage de responsabilité, la cour d'appel a privé sa décision de tout motif en méconnaissance des exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant relevé que M. Y... avait fait modifier un nombre considérable de prestations, la cour d'appel a pu retenir qu'il était partiellement à l'origine des retards d'exécution, dans une proportion qu'elle a souverainement fixée ;
D'où il suit le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen du pourvoi principal :
Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au constructeur une somme à titre de solde du prix des travaux et en réparation de son manque à gagner, alors, selon le moyen, que la réparation ne peut excéder le préjudice subi ; qu'en arrêtant à la somme de 119 329,96 francs le coût des travaux restant à exécuter pour ensuite la déduire du montant du marché et déterminer ainsi le solde restant dû au constructeur compte tenu des acomptes d'ores et déjà réglés, sans vérifier, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, que cette somme correspondait au seul coût de revient des travaux et non à leur prix de vente au maître d'ouvrage, en sorte qu'elle ne pouvait indemniser, par des motifs distincts, à hauteur de 31 643 francs, un manque à gagner qui avait déjà été réparé, la cour d'appel n'a conféré aucune base légale à sa décision au regard de l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que les critiques formulées par M. Y... à l'encontre de l'évaluation objective effectuée par l'expert du prix des travaux restant à réaliser n'étaient pas pertinentes, la cour d'appel a souverainement fixé le montant de la somme allouée au titre du solde de ce prix et de l'indemnisation du manque à gagner du constructeur ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le quatrième moyen du pourvoi principal :
Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au constructeur une somme forfaitaire en réparation d'un préjudice commercial, alors, selon le moyen, que les dommages-intérêts dus au créancier de l'obligation inexécutée sont , en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé ; qu'en condamnant le maître de l'ouvrage au paiement d'une indemnité forfaitaire pour la raison que le constructeur n'avait pas justifié du préjudice commercial qu'il avait allégué, procédant ainsi à la réparation d'un préjudice dont elle a constaté l'inexistence, la cour d'appel a violé l'article 1149 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel ayant retenu que la somme allouée à titre de dommages-intérêts au constructeur était destinée à réparer l'atteinte à l'image de marque provoquée par les répercussions de l'immobilisation du chantier, le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident :
Attendu que M. X..., liquidateur de la société CCR, fait grief à l'arrêt de fixer la créance de M. Y... au passif de cette société à la somme de 18 000 francs, alors selon le moyen :
1 / que le juge qui fait état de l'ambiguïté de stipulations en réalité claires et précises dénature le contrat ; qu'en l'espèce, où le contrat stipulait expressément que les travaux supplémentaires devaient être sollicités dans un délai de quatre mois à compter de sa conclusion et où la cour d'appel a constaté que le maître de l'ouvrage n'avait pas respecté cette condition, celle-ci a violé l'article 1134 du Code civil ;
2 / que le juge est tenu de motiver sa décision ; qu'en se bornant à affirmer, sans en justifier, l'ambiguïté entre un contrat de construction de maison individuelle et un contrat de maître d'oeuvre, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ensemble l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
3 / que la mise en oeuvre de la responsabilité contractuelle suppose le constat d'une inexécution ; qu'en l'espèce, en ne caractérisant pas la faute du constructeur à l'origine des retards dans l'exécution des travaux, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que le constructeur avait, par la rédaction de certains articles, entretenu l'ambiguïté entre un contrat de construction de maison individuelle et un contrat de maîtrise d'oeuvre, et que le blocage de la situation et l'arrêt des travaux avaient eu pour origine l'incompréhension réciproque quant aux prestations contractuelles prévues, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, pu retenir, sans dénaturation, que la faute du constructeur devait entraîner l'indemnisation du retard de livraison, dans une proportion qu'elle a souverainement fixée ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le cinquième moyen du pourvoi principal :
Vu l'article L. 231-6 du Code de la construction et de l'habitation ;
Attendu qu'en cas de défaillance du constructeur le garant de livraison prend à sa charge les pénalités forfaitaires prévues au contrat en cas de retard de livraison excédant trente jours ;
Attendu que pour rejeter la demande formée par M. Y... contre la société CEAI l'arrêt retient que la société CCR n'a pas été défaillante dans l'exécution de ses obligations, et que les pénalités forfaitaires n'ont donc pas à être prises en charge par son garant ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait mis à la charge du constructeur le paiement d'une indemnité correspondant à un retard personnellement imputable, estimé à deux mois, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. Y... de sa demande dirigée contre la CEAI, l'arrêt rendu le 8 juin 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.