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Décisions

Cass. 2e civ., 13 juillet 2005, n° 02-15.904

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dintilhac

Rapporteur :

M. Loriferne

Avocat général :

M. Domingo

Avocats :

Me de Nervo, Me Copper-Royer, SCP Parmentier et Didier

Bordeaux, du 1 janv. 1999

1 janvier 1999

Attendu, selon les arrêts attaqués (Bordeaux, 7 septembre 1999 et 18 décembre 2000), que M. René X..., son fils M. Gérard X... et son gendre M. Y... ont formé entre eux une société en nom collectif "Cabinet Bruno" (la SNC) dont les statuts contenaient une clause de recours à l'arbitrage ; qu'après avoir fait donation partage de la moitié de ses parts, en nue-propriété à chacun de ses deux enfants, M. Gérard X... et Mme Geneviève X... épouse Y..., tout en conservant l'usufruit, et se prévalant de l'article 13 des statuts aux termes duquel "l'usufruitier représente valablement le nu-propriétaire pour toutes les décisions sociales, quel qu'en soit l'objet", M. René X... est intervenu pour représenter sa fille à l'assemblée générale du 10 septembre 1997 ainsi qu'aux assemblées suivantes, notamment celle tenue le 12 février 1998 au cours de laquelle a été décidée la révocation de M. Y... de ses fonctions de gérant ; que les époux Y... ont alors saisi un tribunal arbitral qui, par sentence du 14 septembre 1998, a déclaré nulles les assemblées générales litigieuses de la SNC, dit que l'article 13 des statuts autorise le nu-propriétaire à se faire représenter, seulement s'il le désire, par l'usufruitier en qualité de mandataire, ordonné le versement à M. Y... des indemnités de gérance depuis le mois de février 1998 et prononcé diverses condamnations ; que MM. René et Gérard X..., ainsi que la SNC ont alors formé un recours en annulation contre cette sentence arbitrale ;

Sur la recevabilité du pourvoi principal contestée par la défense :

Attendu que MM. René et Gérard X... soutiennent que le pourvoi formé par les époux Y... est irrecevable en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt du 7 septembre 1999 qui n'a pas été signifié dans le délai de deux ans prescrit par l'article 528-1 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu cependant que l'article 528-1 du nouveau Code de procédure civile ne s'applique qu'aux décisions qui tranchent tout le principal ; que tel n'est pas le cas de l'arrêt qui annule une sentence arbitrale et renvoie les parties à conclure au fond ;

D'où il suit que le pourvoi est recevable ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal :

Attendu que les époux Y... font grief à l'arrêt du 7 septembre 1999 d'avoir annulé la sentence arbitrale, alors, selon le moyen :

1 / que les juges doivent trancher les points litigieux qui leur sont soumis et ne peuvent statuer par des motifs dubitatifs ; que si la cour d'appel estimait que la clause compromissoire était inopposable à M. René X..., elle devait le dire et non point énoncer que même si l'on "supposait" que la clause était opposable à cette personne, elle avait une autre raison de prononcer la nullité de la sentence arbitrale ; qu'en statuant de la sorte, elle a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

2 / que, en tout état de cause, M. René X... faisait partie des trois membres fondateurs de la société et en avait été le premier gérant ; que la clause compromissoire litigieuse, qu'il avait approuvée en signant le pacte social, continuait à lui être opposable, quand bien même il avait cessé d'être associé, d'autant qu'il prétendait fonder ses agissements sur l'article 13 des statuts ; que, si la cour d'appel a entendu statuer en ce sens que la clause compromissoire était inopposable à M. René X..., elle a violé l'article 1134 du Code civil ;

3 / que l'énumération des cas d'ouverture du recours en annulation d'une sentence arbitrale par l'article 1484 du nouveau Code de procédure civile est limitative ; que la cour d'appel a constaté l'existence d'une clause compromissoire insérée dans les statuts de la société Cabinet Bruno et n'a pas constaté que cette clause était nulle ou expirée ;

qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui n'avait pas le pouvoir de substituer sa propre interprétation de la clause compromissoire à celle donnée par l'autorité arbitrale désignée en fonction de cette clause, a violé l'article 1484 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'après avoir souverainement constaté que la clause statutaire de recours à l'arbitrage excluait les actions relatives à la validité du pacte social, et que les demandes présentées par les époux Y... mettaient en cause la validité du pacte social, ce dont il résultait que les arbitres avaient statué sans convention d'arbitrage, la cour d'appel a exactement retenu, par ce seul motif, que la sentence arbitrale devait être annulée ;

D'où il suit que le moyen, inopérant en ses deux premières branches qui critiquent un motif surabondant, n'est pas fondé en sa troisième branche ;

Sur le second moyen du pourvoi principal :

Attendu que les époux Y... font grief à l'arrêt du 18 décembre 2000 d'avoir prononcé la révocation judiciaire de M. Y... de ses fonctions de gérant, alors, selon le moyen :

1 ) que la censure frappant l'arrêt du 7 septembre 1999 entraînera, par voie de conséquence, celle de l'arrêt du 18 décembre 2000, qui en est la suite ; que l'arrêt du 18 décembre 2000 sera donc annulé en application de l'article 625 du nouveau Code de procédure civile ;

2 / que la cour d'appel ne pouvait énoncer, d'une part, que selon l'un des salariés, M. Y... était l'un des cogérants et le responsable des ventes et que ce salarié avait dit que si ce cogérant était révoqué, il s'en irait, et énoncer, d'autre part, que M. X... était le seul patron reconnu comme tel par les six salariés ; qu'elle a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, violant de ce fait l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que le rejet du premier moyen rend sans portée la première branche du second moyen lequel manque en fait dans sa seconde branche qui retranscrit de façon incomplète les énonciations de l'arrêt dont il ne résulte aucune contradiction de motif ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident, après avis de la Chambre commerciale, économique et financière :

Attendu que MM. René et Gérard X... font grief à l'arrêt du 18 décembre 2000 d'avoir dit que l'article 13 des statuts doit être réputé non écrit en ce qu'il impose au nu-propriétaire d'être représenté par l'usufruitier "pour toutes les décisions quel qu'en soit l'objet" d'avoir dit que l'article 13 des statuts autorise le nu-propriétaire, seulement s'il le désire, à se faire représenter par l'usufruitier, d'avoir annulé les assemblées générales litigieuses de la SNC, ainsi que les actes subséquents pris en application de ces assemblées générales, alors, selon le moyen, qu'en raison de l'indivisibilité des parts sociales, le principe d'ordre public d'attribution du droit de vote à l'associé n'est pas applicable lorsque lesdites parts sont grevées d'usufruit et que deux personnes, l'usufruitier et le nu-propriétaire, sont intéressées à exercer ce droit de vote ; que par exception, le législateur dispose donc que le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l'affectation des bénéfices où il est réservé à l'usufruitier et sous réserve des statuts, expressément autorisés par la loi à déroger à cette répartition ; que littéralement ces dispositions organisent une répartition légale indépendamment de toute référence au statut d'associé du nu-propriétaire et de l'usufruitier et ne fixent aucune limite à la liberté statutaire ; qu'en décidant que l'article 13 des statuts doit êre réputé non écrit en ce qu'il accorde la totalité du droit de vote à l'usufruitier au motif que le nu-propriétaire, seul associé, ne pouvait pas être privé de son droit de vote, la cour d'appel a donc violé les articles 1844, alinéas 3 et 4, et 1134 du Code civil ;

Mais attendu que la clause statutaire selon laquelle l'usufruitier représente valablement le nu-propriétaire pour toutes les décisions sociales quel qu'en soit l'objet, si elle permet à l'usufruitier d'exercer seul le droit de vote en application des dérogations autorisées sur ce point par l'article 1844, alinéa 4, du Code civil, ne peut avoir pour effet de priver le nu-propriétaire du droit de participer aux décisions collectives tel qu'il est prévu à l'alinéa 1er dudit article ;

Et attendu qu'ayant relevé que l'article 13 des statuts de la SNC privait Mme Y... de ses droits fondamentaux d'associé, la cour d'appel a fait une exacte application des dispositions de l'article 1844 du Code civil ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi principal et le pourvoi incident.