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Décisions

Cass. crim., 11 mai 2016, n° 15-82.365

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

Mme Caron

Avocat général :

M. Le Baut

Avocat :

SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer

Paris, du 26 mars 2015

26 mars 2015

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 226-13, 321-1 du code pénal, 210, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a dit n'y avoir lieu à suivre du chef de recel de violation du secret professionnel ;

" aux motifs propres que la partie civile a porté plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d'instruction du chef de recel de violation du secret professionnel ; que le procureur de la République a ouvert une information du même chef ; que M. X... dénonce la publication de larges extraits tirés d'une information judiciaire le concernant dans un livre publié Les Editions du moment intitulé « La face cachée de Franck X... » écrit par deux journalistes MM. Y... et Z... et à l'occasion d'un article de presse dans France-Soir signé par M. Maxime A... ; que la partie civile met en cause, sans les nommer, toutes personnes qui se seraient rendues coupables du délit de recel de violation du secret de l'instruction, le secret de l'instruction étant prévu par l'article 11 du code de procédure pénale (…) ; qu'au cours de l'enquête, les journalistes MM. Y..., Z... et A..., ayant rédigé le livre et l'article de presse susvisés, se sont abrités derrière les dispositions de l'article 4 de la loi du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes (…) ; que le principe de la protection des sources des journalistes ne doit toutefois pas faire obstacle à la recherche de la manifestation de la vérité ; que le recel est prévu et réprimé par l'article 321-1 du code pénal, qui dispose que « le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre, en sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit » ; que l'infraction de recel, délit de conséquence, suppose que le délit d'origine soit constitué et que les bénéficiaires en aient eu connaissance, peu importe que l'auteur de l'infraction originelle soit identifié ; qu'il est reproché aux journalistes un recel de violation du secret professionnel lié à la violation du secret de l'instruction ; qu'il y a également lieu de déterminer si les informations divulguées étaient couvertes par le secret et dans l'affirmative si cette divulgation provenait de personnes astreintes au secret de l'instruction et au secret professionnel soit par leur état, profession ou fonction ; qu'en l'espèce, il ressort des éléments de procédure que si les informations divulguées avaient un caractère secret comme provenant de l'enquête et de l'instruction, en revanche, il ne résulte pas des investigations d'éléments de nature à démontrer que cette divulgation provient de personnes astreintes au secret de l'instruction et au secret professionnel ou de personnes non soumises au secret de l'instruction ou professionnel a fortiori telles que les parties civiles, étant précisé que dans cette dernière hypothèse, aucun recel de violation du secret de l'instruction ou du secret professionnel ne peut en conséquence être constitué ; qu'il ressort d'une partie de la doctrine, en matière de violation de secret professionnel, notamment, que lorsque le délit d'origine ne peut être que commis par une personne spécifiée appartenant à une liste légale déterminée, tenue au secret professionnel, il paraît difficile de poursuivre l'infraction de recel en l'absence d'identification de l'auteur de la violation du secret professionnel compte tenu de cette spécification nécessaire ; qu'en tout état de cause, à supposer constitué le délit de violation du secret de l'instruction et par la même du secret professionnel émanant de personnes comme « les policiers, les avocats, les magistrats » (propos des journalistes), il y a lieu de rechercher si le recel de cette infraction reproché aux trois journalistes est caractérisé, étant précisé que MM. Y... et Z..., s'ils ont fait état du secret de leurs sources, ont néanmoins affirmé que l'origine des informations détenues par eux étaient d'origine légale ; qu'il résulte d'une jurisprudence constante que le recel, pour être caractérisé impose qu'il porte sur une chose et non pas sur une information ; qu'en l'espèce, il ne ressort nullement des investigations réalisées et suffisamment complètes, que les journalistes MM. Y..., Z... et A... aient été détenteurs des procès-verbaux incriminés et les ai reproduits dans l'ouvrage et l'article incriminés ; qu'en effet, tout en se prévalant du secret des sources des journalistes, M. A... a affirmé que « Ils m'ont simplement donné des extraits », propos qui ne rapportent pas la preuve qu'il a, ainsi que ses deux collègues, détenu, matériellement les écrits litigieux ; que M. Y... a indiqué que son collègue M. A... avait « intégré des informations dont il savait par nous ce dernier et M. Z... qu'elles étaient d'une provenance régulière » ; que l'argument commercial de l'ouvrage incriminé relatif au paragraphe suivant « ses mauvaises fréquentations, ses coups fourrés, (..) Le témoignage exclusif de B..., la prostituée qui accompagnait C... à Munich, les déclarations du joueur devant les policiers et le juge d'instruction, autant de révélations contenues dans ce livre » ne démontre pas davantage que les journalistes ont obtenu une copie des procès-verbaux tirés de la procédure pénale ; que le fait pour les journalistes de citer dans les extraits du livre « entretiens avec les auteurs » n'est pas davantage de nature à rapporter la preuve de la détention matérielle par eux de pièces tirées de l'information ; que le procès-verbal 2011/ 129/ 05 évoqué par la partie civile et récapitulant les « extraits de conversation » des journalistes avec un « policier, un témoin de la scène, un enquêteur, une source au coeur du dispositif », ne fait que rapporter les « extraits de conversation » des journalistes avec les personnes susvisées et ne saurait caractériser la possession par ces derniers d'un support matériel nécessaire pour caractériser l'infraction de recel, en l'occurrence des pièces de la procédure pénale couvertes par le secret ; qu'en conséquence, le délit de recel de violation du secret de l'instruction et du secret professionnel n'est pas constitué, la preuve n'étant par rapportée de ce que les auteurs de l'ouvrage et de l'article de presse incriminés aient eu en leur possession copie des documents confidentiels issus de la procédure pénale s'analysant comme une chose et divulgués par des personnes soumises au secret, indispensable pour caractériser l'infraction de recel au sens de l'article 321-1 du code pénal ;

" 1°) alors que la caractérisation du délit de recel de violation du secret professionnel n'impose pas l'identification de l'auteur de la violation du secret professionnel, mais seulement la démonstration qu'il fait partie des dépositaires de ce secret ; que l'arrêt attaqué retient que l'information judiciaire n'a pas permis d'établir que la divulgation du secret pénalement protégé proviendrait d'une des personnes qui y serait astreinte, et non d'une personne qui n'y serait pas soumise, telle qu'une partie civile ; qu'en procédant au règlement de la procédure quand, d'une part, il résulte de ses propres constatations que des policiers, avocats et magistrats figuraient, d'après les journalistes visés par la plainte avec constitution de partie civile, parmi les sources possibles, astreintes au secret professionnel, de la transmission des documents recélés et, d'autre part, elle disposait du pouvoir d'ordonner un complément d'instruction de nature à exclure que les pièces de l'instruction proviennent d'une partie qui n'est pas soumise au dit secret, telles que les parties civiles, et sans que le refus antérieur d'acte ait pu faire obstacle à ce qu'une telle mesure soit ordonnée, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

" 2°) alors qu'est pénalement punissable le recel de documents provenant d'une violation du secret de l'instruction ou du secret professionnel ; qu'en estimant qu'il n'existait pas de preuve de ce que les auteurs du livre « La face cachée de Franck X... » et de l'article de presse relatant le déroulement de l'information judiciaire dans laquelle M. X... avait été mis en examen aient été en possession des pièces du dossier de l'instruction, en se fondant sur les seules déclarations de ces personnes, sans rechercher si, comme l'invoquait M. X..., la retranscription parfaite de très nombreuses pièces du dossier de l'instruction dévoilées dans l'ouvrage et l'article de presse (rapport de police, retranscriptions d'écoutes et de procès-verbaux de recherche, déclarations des victimes, dépositions, courriers d'avocats adressés au juge de l'instruction, correspondances entre l'ex-agent de M. X... et son ancien conseil et déclarations de celui-ci durant sa garde à vue et son entretien de première comparution) ne démontrait pas que les auteurs du livre n'avaient pas pu ne pas avoir détenu ces éléments, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. X... a porté plainte et s'est constitué partie civile du chef de recel de violation du secret professionnel, exposant que, dans le quotidien France-Soir, daté du 29 septembre 2011, figurait un article publiant des extraits d'un ouvrage écrit par deux journalistes, intitulé " La face cachée de Franck X... ", à paraître le lendemain, lequel reproduisait exactement le contenu de procès-verbaux de police le concernant, notamment des rapports et auditions, des retranscriptions d'interceptions téléphoniques ainsi que celui de son interrogatoire de première comparution ;

Attendu que, pour confirmer l'ordonnance de non-lieu entreprise, l'arrêt retient que l'information n'a pas permis d'établir que la divulgation de ces informations avait été effectuée par une personne astreinte au secret professionnel ni que les journalistes mis en cause avaient matériellement détenu les documents litigieux, couverts par le secret de l'enquête ou de l'instruction ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la chambre de l'instruction qui, après avoir analysé l'ensemble des faits dénoncés dans la plainte et répondu aux articulations essentielles du mémoire produit par la partie civile appelante, a exposé, par des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction, que l'information était complète et qu'il n'existait pas de charges suffisantes contre quiconque d'avoir commis l'infraction reprochée, a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l'article 6, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 38, 47, 48 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt attaqué d'avoir dit n'y avoir lieu à suivre du chef de publication d'actes d'une procédure criminelle avant leur lecture en audience publique ;

" aux motifs propres que le juge d'instruction n'a pas été saisi du délit de publication des procès-verbaux avant l'audience, délit de presse distinct de celui dénoncé par la partie civile dans son mémoire devant la chambre de l'instruction ; que l'article 38 de la loi de la presse du 29 juillet 1881 qui « interdit de publier les actes d'accusation et tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu'ils aient été lus en audience publique » visant principalement à préserver l'indépendance et la sérénité de la justice comme à protéger les droits des personnes concernées, en sauvegardant la présomption d'innocence constitue un délit distinct de celui dénoncé par la partie civile dans sa plainte ; qu'il résulte d'une jurisprudence constante que la poursuite de ce délit est exclusivement réservée à l'initiative du ministère public ; qu'en l'espèce, l'action publique a été mise en oeuvre par la partie civile à l'occasion de sa plainte devant le doyen des juges d'instruction, qui n'a d'ailleurs pas expressément visé ce délit sinon à l'occasion de ses observations devant le juge d'instruction et dans son mémoire devant la chambre de l'instruction ; que le procureur de la République n'a pas visé ce délit dans son réquisitoire introductif du 5 juin 2012, mais seulement l'infraction de recel de violation du secret professionnel ; qu'en conséquence, la mise en mouvement de l'action publique n'ayant pas été initiée par le ministère public, cette infraction ne peut valablement faire l'objet de poursuite ;

" alors que l'exercice de l'action civile sur le fondement de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881, qui protège la présomption d'innocence, n'est pas subordonné à l'initiative du ministère public ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;

Attendu que, pour dire n'y avoir lieu à suivre du chef de publication d'actes d'une procédure criminelle ou correctionnelle avant leur lecture en audience publique, prévue par l'article 38, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, l'arrêt retient que la poursuite de ce délit est exclusivement réservée à l'initiative du ministère public et, qu'en l'espèce, le réquisitoire introductif a seulement visé l'infraction de recel de violation du secret professionnel ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application de l'article 47 du la loi du 29 juillet 1881, qui ne méconnaît aucune disposition conventionnelle dès lors que le pouvoir exclusif conféré au ministère public de mettre en mouvement l'action publique, auquel n'est apportée aucune dérogation concernant l'infraction prévue par l'article 38, alinéa 1er, de ladite loi, n'a pas pour effet de priver la victime de l'accès à un juge pour voir statuer sur sa demande de réparation civile ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze mai deux mille seize ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.