Cass. 3e civ., 2 mars 2017, n° 15-11.419
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvin
Avocats :
Me Le Prado, SCP Delvolvé et Trichet, SCP Piwnica et Molinié
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 15 octobre 2014), que la SCI du Bord de la rivière, aux droits de laquelle vient la SCI Les Berges de la Garonne, a donné à bail des locaux dont elle est propriétaire à M. et Mme Z... pour l'exploitation d'un restaurant ; que, le 31 juillet 2006, la société Magreg a acquis le fonds de commerce ; que, M. et Mme Z... ayant fait édifier des locaux sur une partie du terrain appartenant à la société EDF (EDF), la SCI Les Berges de la Garonne a, le 20 novembre 2007, conclu avec cet établissement une convention d'occupation du domaine public ; que la société Magreg a assigné la SCI Les Berges de la Garonne en résiliation du bail et en paiement de dommages et intérêts et la SCI du Bord de la rivière en garantie ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° 15-25.136 et sur le premier moyen du pourvoi n° 15-11.419, réunis :
Attendu que la SCI du Bord de la rivière et la SCI Les Berges de la Garonne font grief à l'arrêt de juger que la seconde, garantie par la première, a manqué à son obligation relative à la jouissance paisible du preneur, de prononcer la résiliation du bail commercial et de dire que la société Magreg a droit à la réparation de son préjudice, alors, selon le moyen :
1°/ que le bailleur doit assurer au preneur la jouissance paisible des lieux loués pendant toute la durée du bail ; que l'obligation de délivrance concerne les conditions d'exploitation actuelles du bien, qui doivent correspondre à la destination prévue au bail ; que la possible revendication par EDF d'une partie des lieux loués, circonstance non seulement future mais encore éventuelle, n'affectait pas la jouissance du bien loué, dans lequel la société Magreg exploitait un restaurant, conformément à la destination prévue au contrat ; qu'en retenant que la SCI Les Berges de la Garonne avait manqué à son obligation de délivrance, dès lors qu'EDF pouvait à tout moment solliciter la restitution du bien concédé, la cour d'appel a violé les articles 1719 et suivants du code civil ;
2°/ qu'aux termes de l'article 1719, 3° du code civil, le bailleur est obligé de faire jouir paisiblement le preneur de la chose louée pendant la durée du bail ; que le bailleur n'est tenu à garantie qu'en cas d'éviction du preneur ; que, pour retenir que le bailleur avait manqué à son obligation d'assurer la paisible jouissance, la cour d'appel a relevé qu'une partie des dépendances immobilières affectées à l'activité commerciale a été implantée sur le domaine concédé à la société EDF, sans autorisation, et que le bailleur et la société EDF avaient conclu une convention d'occupation du domaine public hydroélectrique, par laquelle le bailleur était autorisé à occuper lesdits terrains, cette autorisation étant strictement personnelle et non transmissible et la société EDF s'étant réservée le droit d'y mettre fin, à tout moment, sans préavis ni indemnité, pour des motifs de sécurité ou des motifs tirés de son exploitation et des nécessités de service public ou encore si une telle mesure lui était imposée par l'Etat ; qu'elle relevait encore qu'à la fin du mois de mai 2012, la société EDF a déposé une requête devant le tribunal administratif de Toulouse aux fins d'exécution de la convention et qu'un message électronique échangé entre avocats indique clairement que la société EDF attend le paiement régulier de la redevance annuelle et qu'à défaut, elle dénoncera la convention en cas de nouvelle inexécution ; qu'elle en a déduit qu'il résulte de ces éléments que l'exploitation d'une partie des locaux loués est soumise au bon vouloir d'un tiers qui dispose de droits incontestables venant contredire ceux conférés par le bailleur au preneur, lui permettant à tout moment de solliciter la restitution du bien concédé ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser l'éviction du preneur, la cour d'appel a violé la disposition susvisée ;
3°/ qu'aux termes de l'article 1719, 3° du code civil, le bailleur est obligé, de faire jouir paisiblement le preneur de la chose louée pendant la durée du bail ; que le bailleur n'est tenu à garantie qu'en cas d'éviction du preneur ; que, dans ses écritures d'appel, la SCI du Bord de la rivière a fait valoir qu'il ne saurait être sérieusement contesté que, depuis l'origine, les lieux qui ont constitué l'assiette du bail précédent et qui constituent celle du bail actuel ont été délivrés au locataire, lequel en a joui paisiblement, puisqu'il est constant que les lieux ont été exploités dans l'activité de restauration prévue par le contrat de bail, depuis l'origine et sont toujours actuellement exploités par la société Magreg et que force est de constater que cette dernière poursuit depuis le 31 janvier 2007 son exploitation dans les lieux donnés à bail, qu'aucun congé ni aucun commandement de quitter les lieux ne lui ont été signifiés et qu'elle ne fait l'objet d'aucune procédure d'expulsion et que la convention d'occupation intervenue entre l'EDF et la société bailleresse se poursuit également depuis le 31 janvier 2007 ; qu'elle en concluait qu'il en résulte, comme l'ont à bon droit considéré les premiers juges, que « les manquements invoqués par l'actuel locataire ne sont pas fondés » ; qu'en s'abstenant de répondre à ces chefs de conclusions, propres à établir que le bailleur n'avait pas manqué à son obligation d'assurer la paisible jouissance des locaux donnés à bail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la disposition susvisée ;
4°/ que seule la faute d'une gravité suffisante peut justifier le prononcé, par le juge, de la résiliation du contrat ; que, pour prononcer la résiliation du bail, la cour d'appel a relevé qu'une partie des dépendances immobilières affectées à l'activité commerciale a été implantée sur le domaine concédé à la société EDF, sans autorisation, et que le bailleur et la société EDF avaient conclu une convention d'occupation du domaine public hydroélectrique, par laquelle le bailleur était autorisé à occuper lesdits terrains, cette autorisation, étant strictement personnelle et non transmissible et la société s'étant réservé le droit d'y mettre fin, à tout moment, sans préavis ni indemnité, pour des motifs de sécurité ou des motifs tirés de son exploitation et des nécessités de service public ou encore si une telle mesure lui était imposée par l'Etat ; qu'elle relevait encore qu'à la fin du mois de mai 2012, la société EDF a déposé une requête devant le tribunal administratif de Toulouse aux fins d'exécution de la convention et qu'un message électronique échangé entre avocats indique clairement que la société EDF attend le paiement régulier de la redevance annuelle et qu'à défaut, elle dénoncera la convention en cas de nouvelle inexécution ; qu'elle en a déduit qu'il résulte de ces éléments que l'exploitation d'une partie des locaux loués est soumise au bon vouloir d'un tiers qui dispose de droits incontestables venant contredire ceux conférés par le bailleur au preneur, lui permettant à tout moment de solliciter la restitution du bien concédé ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser l'éviction du preneur, ni la faute du bailleur, ni même qu'elle était suffisamment grave pour justifier le prononcé de la résiliation judiciaire du bail, la cour d'appel a violé l'article 1184 du code civil ;
5°/ que le préjudice, pour être réparé, doit être actuel et certain ; que le préjudice résultant d'une éviction consécutive à une éventuelle revendication par EDF d'une partie du terrain n'était pas certain ; qu'en jugeant le contraire la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;
6°/ qu'un préjudice seulement éventuel ne donne pas lieu à indemnisation ; que, pour condamner le bailleur à indemniser le preneur, la cour d'appel a énoncé que s'il n'est pas possible d'allouer des dommages-intérêts en réparation d'un préjudice purement éventuel, il en est autrement lorsque le préjudice, bien que futur, apparaît aux juges du fait comme la prolongation certaine et directe d'un état de choses actuel et comme étant susceptible d'estimation immédiate et que la situation juridique d'une partie des biens loués édifiés sur le terrain d'autrui caractérise un préjudice, certes futur, mais certain découlant directement de cette situation ; qu'en statuant ainsi, cependant que le preneur n'était pas évincé et que la décision de la société EDF de demander la restitution du bien concédé était seulement éventuelle, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que les locaux donnés à bail, en ce compris ceux construits sur le terrain d'autrui, avaient été délivrés aux locataires successifs sans aucune modification conventionnelle et que, si la SCI Les Berges de la Garonne avait été, par une convention d'occupation du domaine public, autorisée personnellement à occuper ce terrain, EDF se réservait le droit d'y mettre fin, à tout moment, sans préavis ni indemnité, ce dont il résultait que l'exploitation d'une partie des locaux était soumise au bon vouloir d'un tiers disposant de droits incontestables de nature à contredire ceux conférés par le bailleur au preneur, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions prétendument délaissées et qui a caractérisé le risque d'éviction du preneur, a légalement justifié sa décision ;
Et attendu que la cour d'appel a retenu souverainement que le préjudice résultant de ce que la chose louée était partiellement édifiée sur le terrain d'autrui était certain ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi n° 15-11.419, ci-après annexé, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile :
Attendu que la SCI du Bord de la rivière fait grief à l'arrêt de la condamner à garantir la SCI Les Berges de la Garonne ;
Mais attendu que le vendeur est obligé de droit à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu et non déclarée lors de la vente ; que la cour d'appel a condamné la SCI du Bord de la rivière à garantir la SCI Les Berges de la Garonne ; que, par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, l'arrêt se trouve légalement justifié ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le troisième moyen du pourvoi n° 15-11.419 qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois.