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Décisions

CA Aix-en-Provence, 8e ch. A, 29 mars 2012, n° 10/17891

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schmitt

Conseillers :

Mme Elleouet-Giudicelli, Mme Durand

T. com. Nice, du 27 sept. 2010, n° 2009F…

27 septembre 2010

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par des actes du 9 septembre 2009, Mme Marie-José M. épouse C. a fait assigner devant le Tribunal de commerce de NICE :

- M. Christian M.,

- la S.N.C. M. et Cie,

- la S.A.R.L. LOU P.,

pour obtenir que soit prononcée la dissolution judiciaire de ces deux sociétés en l'état de la mésentente qui existait, selon elle, entre leurs associés.

Les défendeurs se sont opposés à la demande et soutenu que Mme C. avait commis à leur encontre des actes de concurrence déloyale et que M. M. n'avait pas perçu les sommes qu'il aurait dû percevoir dans le cadre de son activité dans les sociétés.

Par jugement en date du 27 septembre 2010, le Tribunal a constaté que, s'il existait bien une mésentente entre associés, elle ne paralysait pas le fonctionnement des sociétés et il a débouté Mme C. de sa demande et les défendeurs de leurs demandes reconventionnelles.

Mme C. a relevé appel de cette décision.

Dans des conclusions du 24 mars 2011, tenues ici pour intégralement reprises, elle soutient qu'elle a été évincée par son frère, y compris par des agressions physiques, de l'exploitation de l'auberge familiale, l'auberge de la Madone, exploitation se faisant sous la forme d'une S.N.C., la société M. et Cie, ainsi que de l'auberge LOU P., que cela lui est d'autant plus dommageable qu'elle répond indéfiniment des dettes de la S.N.C., que le blocage de la situation est tel qu'il justifie la dissolution des sociétés, que son frère qui ne conteste pas la réalité de cette mésentente l'a dépouillée de toutes ses fonctions de cogérante, qu'aucune assemblée générale n'a été tenue avant qu'elle n'engage la présente action, que, pour l'auberge LOU P., M. M. a même déposé un faux procès-verbal d'assemblée générale, qu'il prend seul des décisions de gestion dans son propre intérêt, que la réussite financière apparente des sociétés n'exclut pas l'existence d'un dysfonctionnement grave qui doit conduire à la dissolution judiciaire des sociétés.

Elle sollicite en conséquence la réformation de la décision en ce qu'elle n'a pas fait droit à ses demandes de dissolution judiciaire des sociétés et la condamnation de M. M. à lui payer 10 000 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral.

Elle sollicite, par contre, la confirmation du jugement en ce que le Tribunal a débouté M. M. de ses demandes au titre d'une prétendue concurrence déloyale et de rémunération supplémentaire, alors que la rémunération qu'il perçoit est fixée par les statuts.

Elle demande, enfin, 3000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans des conclusions du 31 janvier 2012, tenues aussi pour intégralement reprises, les intimés contestent le fait que M. M. aurait eu des gestes violents envers sa soeur et soutiennent que M. M. a toujours tenté de trouver une solution amiable au conflit, proposant même, en 2007, un protocole d'accord que sa soeur a refusé de signer et même de discuter, tout comme elle a refusé de participer à la recherche d'une solution amiable par Me H. désigné à cette fin comme administrateur ad hoc, que parallèlement son fils a ouvert un restaurant qui fait concurrence à la société familiale et dans lequel Mme C. a une activité certaine, qu'enfin, en qualité de seul gérant actif de la S.N.C. M. et Cie, M. M. est bien fondé à solliciter une rémunération supplémentaire et à obtenir une limitation des prélèvements mensuels de Mme C. dans la dite société.

Ils demandent donc la confirmation de la décision en ce qu'elle a rejeté la demande de dissolution de la société et sa réformation pour le surplus, sollicitant :

- qu'il soit dit que Mme C. a commis des fautes à l'origine de la mésentente et qu'elle soit condamnée de ce fait au paiement d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- qu'il soit ordonné à Mme C. de cesser toute activité concurrente,

- qu'il soit dit que M. M., en sa qualité de seul gérant actif, à droit à un traitement égal à 60 % des bénéfices calculés avant prélèvement de la dite rémunération,

- qu'il lui soit alloué à M. M., un traitement complémentaire de 180 000 euros pour les années 2007 à 2011,

- que soit ordonner la limitation des prélèvements mensuels de Mme C. à 2000 euros pour les deux sociétés,

- que Mme C. soit condamnée à leur payer 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 février 2012.

MOTIFS DE L'ARRÊT :

Sur la demande de dissolution des sociétés S.N.C. M. et S.A.R.L. LOU P. :

Attendu que M. M. ne nie pas qu'il existe une mésentente grave entre sa soeur et lui, mais conteste être à l'origine de cette mésentente et soutient qu'elle ne paralyse pas le fonctionnement des sociétés puisque la société M., qui gère une auberge renommée, a, malgré une conjoncture difficile vu, notamment en 2009 et 2010, son chiffre d'affaires progresser grâce à son travail acharné, et que donc cette mésentente ne justifie pas, comme l'a jugé le Tribunal de commerce, la dissolution ;

Attendu que M. M. discute, par contre, sa responsabilité dans la mésentente et les justes motifs qu'aurait Mme C. de solliciter la dissolution, que cette dernière produit, concernant un incident de mars 2006, un témoignage et un certificat médical qui fait bien état d'ecchymoses, que M. M., dans ses propres écrits, reconnaît l'existence de bousculades, que l'attestation de M. M., qu'il fournit, si elle fait état de la mauvaise humeur de Mme C. et d'insultes de sa part, ne permet pas de démentir l'existence des violences physiques subies par sa soeur, que si M. M. produit aussi des attestations de salariés qui font état du caractère dépressif de Mme C. et de son souhait de quitter l'exploitation, ces attestations ne permettent pas non plus d'imputer la responsabilité de la mésentente à Mme C. puisque ces attitudes sont décrites postérieurement à l'incident de mars 2006 et donc parfaitement explicables par cet incident, que M. M. ne peut non plus être admis à soutenir que Mme C. serait à l'origine de la mésentente du seul fait qu'elle a refusé d'accepter les propositions qu'il lui a faites pour tenter de trouver une solution amiable au litige, propositions d'ailleurs à son seul avantage puisqu'elles édictaient à son profit un droit de préemption et une interdiction de Mme C. de se rétablir, qu'enfin des incidents survenus en 2011 à propos de l'alimentation électrique du domicile de la mère des parties ne peuvent non plus être considérés comme à l'origine de la mésentente, que donc il ne peut être retenu que la demande de Mme C. n'est pas fondée sur de justes motifs ;

Mais que si l'existence de difficultés économiques est habituellement un signe de la paralysie de la société, elle n'est pas le seul signe de cette paralysie, que celle-ci peut aussi être révélée par de graves difficultés dans le fonctionnement même des organes de gestion de la société, qu'en l'espèce, ces difficultés sont attestées non pas seulement par les dires de Mme C. mais aussi par les écritures mêmes de M. M. qui demande à la Cour de rétablir, en contradiction avec les statuts, un équilibre entre les associés en fonction de leurs apports en industrie,

qu'il n'est pas non plus contestable, ni même d'ailleurs contesté que Mme C. cogérante de la société M. n'a plus aucun pouvoir de gestion dans la société, qu'ainsi M. M. a seul sollicité le renouvellement du bail commercial de l'auberge, à lui-même en sa qualité de cogérant de la S.C.I. A.M., pris seul la décision de ne pas faire payer les loyers à cette S.C.I. dont il est avec sa soeur le seul actionnaire et de les laisser créditer sur les comptes courants d'associés dans la S.N.C. M., ce qui est contraire à l'existence de deux personnes morales distinctes, même si Mme C. peut retirer des sommes sur son compte courant d'associé,

que Mme C. démontre aussi que pendant trois années consécutives aucune assemblée générale de la société M. ou de la société LOU P. n'a été tenue, et que, le président du tribunal de commerce ayant donné une injonction à M. M. de déposer les comptes de la S.A.R.L. LOU P. au titre de l'année 2006, ce dernier a établi un procès-verbal d'assemblée générale, assemblée générale qui se serait déroulée le 30 juin 2007, alors que l'expert-comptable de la société atteste qu'aucune assemblée générale n'a été tenue au titre de l'approbation des comptes 2006, que d'ailleurs M. M. ne justifie d'aucune convocation délivrée pour la dite assemblée,

que donc, et contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal après avoir constaté que maintenant M. M. convoquait les assemblées générales, avaient fait approuver les comptes des exercices antérieurs et fournissait les documents demandés à Mme C., ce qui n'est d'ailleurs plus exact puisqu'un cabinet d'expertise comptable n'a pas pu avoir accès en février 2011 à la comptabilité et que Mme C. a dû, à nouveau, officiellement réclamer ces pièces en août 2011, la mésentente grave qui persiste, malgré une régularisation formelle obtenue grâce à la pression de la présente procédure, paralyse le fonctionnement normal des sociétés et notamment la prise de décision dans chacune des deux sociétés dans des conditions de majorité conformes aux statuts puisque les deux associés possèdent chacun 50 % des parts sociales, qu'en conséquence le jugement doit être réformé en ce qu'il n'a pas fait droit aux demandes de dissolution judiciaire des deux sociétés ;

Sur les demandes reconventionnelles de M. M. et de la S.N.C. M. :

Attendu que M. M., cogérant avec Mme C. de la société M., qui a pris de sa propre autorité en charge seul la défense et les recours de la société, alors qu'en l'état des intérêts divergents des deux cogérants, la désignation d'un administrateur ad hoc aurait paru souhaitable, soutient que lui et la société M. sont victimes de concurrence déloyale de la part de l'E.U.R.L. LES PLAISIRS et sollicite qu'il soit fait injonction à Mme C. de cesser ses actes de concurrence déloyale, que cependant cette société n'étant pas dans la cause, il ne peut être fait droit à cette demande en l'état du seul fait que Mme C. y aurait des intérêts ou une activité et ce d'autant, que même si le gérant d'une société doit à sa société une loyauté certaine, la situation de l'espèce atténue pour le moins cette obligation de Mme C. à l'égard de la société M. ;

Attendu que, pour ce qui est des demandes de modifications des rémunérations des cogérants, ni le Tribunal ni la Cour ne pouvant substituer aux statuts qui ne lient pas, contrairement à ce qui est soutenu par les intimés, cette rémunération à l'activité dans la société du gérant ou du cogérant, M. M. ne peut qu'en être débouté, comme il doit être débouté de sa demande de rémunération complémentaire au titre de son activité de cuisinier, les tribunaux ne pouvant non plus se substituer aux associés pour accorder de telles rémunérations ;

Sur la demande de dommages et intérêts présentée par Mme C. :

Attendu que l'attitude de M. M. a incontestablement occasionné un préjudice moral à Mme C. qui s'est vue écartée, tant physiquement qu'intellectuellement de la gestion de la société familiale, puisque dans les publicités produites relatives à l'auberge de la Madone, elle ne figure plus depuis au moins 6 ans, qu'il lui sera donc accordé une somme de 10000 euros de dommages et intérêts à ce titre ;

Attendu que l'équité justifie en la cause l'application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de Mme C. ;

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

REFORME le jugement déféré mais seulement en ce qu'il a refusé de prononcer la dissolution judiciaire sollicitée par Mme C. et l'a condamnée à payer une somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

PRONONCE la dissolution judiciaire de la S.N.C. M. & COMPAGNIE et de la S.A.R.L. LOU P. avec effet à la date du présent arrêt,

DÉSIGNE Me Xavier H. en qualité de liquidateur avec mission de procéder aux opérations de liquidation des dites sociétés,

CONDAMNE M. M. à payer à Mme C. 10 000 euros à titre de dommages et intérêts et 3000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

Le CONDAMNE aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.