Cass. crim., 22 octobre 2014, n° 13-85.951
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Avocat :
SCP Rousseau et Tapie
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 241-3, L. 241-9 du code de commerce, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a relaxé M. X... du chef d'abus de biens sociaux ;
"aux motifs qu'il n'était pas contesté que des chèques d'un montant total de 22 902 euros avaient été tirés sur le compte de la société Le Nid des oiseaux entre mars et octobre 2005 par M. Y..., directeur de l'hôtel, sur instructions de M. X..., pour régler les dettes de la société Autoloc pour l'entretien de ses véhicules ; que cependant, la société Autoloc était créancière de la société Le Nid des Oiseaux au titre des rétrocessions de location ; que M. Y... avait indiqué dans son audition que l'hôtel avait plus de charges que de revenus, que l'argent des locations servait au fonctionnement de l'hôtel, notamment au paiement des salaires et qu'il reversait l'argent quand c'était possible, que les dirigeants de la société Autoloc leur faisaient confiance ; que le successeur de M. Z... au poste de gérant de la société Mayotte Loisirs avait confirmé que depuis son ouverture, l'hôtel n'avait jamais connu d'exercices bénéficiaires, avait accumulé des pertes évaluées à 1 700 000 euros au octobre 2010 et avait admis que la société Autoloc pouvait être créancière de la société Le Nid des Oiseaux ; que la somme due restait imprécise du fait de l'absence de rigueur des protagonistes mais cette situation n'était pas nouvelle ; que selon la société Autoloc, il restait encore dû, après déduction des sommes litigieuses, un solde qu'elle établissait à 13 940 euros dans son assignation de décembre 2005 ; que selon M. X..., la société Le Nid des oiseaux devait encore 14 941 euros au 30 septembre 2005 après déduction des chèques litigieux ; que si aucune facturation de charges ou de services n'était établie au débit de la société Autoloc, d'après le contrat de partenariat, cette dernière était censée payer un forfait de 18 300 euros par an ; que M. Y... déclarait qu'en fait, l'hôtel prélevait une commission d'environ 15 % sur les locations ; que M. X... n'avait jamais fourni de comptes ou de factures concernant ces locations de véhicules, mais l'hôtel disposait quand même d'un double de chaque contrat de location et la pratique durait depuis le début de l'activité avec l'assentiment des actionnaires vivant à La Rochelle et qui approuvaient les comptes chaque année lors de l'assemblée générale ; que M. X... disait avoir agi dans l'urgence à la demande de la gérante de la société Autoloc à cours de trésorerie qui devait sans cesse relancer la société Le Nid des oiseaux pour être réglée de ses prestations, ce que M. Y... confirmait ; que la gérante associée de la société Autoloc confirmait être intervenue plusieurs fois auprès de M. X... pour qu'il règle directement leurs créanciers avec les fonds que la société Le Nid des oiseaux devait à leur société ; que les sommes provenant des locations étaient enregistrées dans la comptabilité de l'hôtel sur un sous-compte spécifique au nom de la société Autoloc et les sommes ainsi versées à des créanciers de la société Autoloc étaient passées en comptabilité au crédit de cette société ; que le prévenu était ami des associés de la société Autoloc mais ne détenait que 2% des parts ; que les deux sociétés étaient certes confrontées à des difficultés de trésorerie mais aucune n'était en cessation des paiements et il n'était pas établi que d'autres créanciers de la société Le Nid des oiseaux ou de la société Autoloc auraient été lésés ; qu'il résultait de ces éléments que la preuve n'était pas rapportée qu'en ordonnant au directeur de l'hôtel d'établir des chèques à l'ordre des créanciers de la société Autoloc, M. X... aurait volontairement fait un usage contraire à l'intérêt social des fonds appartenant à la société Le Nid des oiseaux ; que les règlements litigieux pouvaient être considérés comme équivalant à l'apurement d'une dette sociale, exclusif d'un usage abusif des biens de la société dès lors qu'il n'entraînait pas d'appauvrissement ou de risque d'appauvrissement de la société ;
"1°) alors que constitue le délit d'abus de biens sociaux le fait pour le dirigeant d'une société de régler les dettes d'une société dans laquelle il est associé, grâce aux fonds de la société qu'il dirige ; qu'en ayant relaxé M. X... après avoir constaté qu'il était établi que des chèques d'un montant total de 22 902 euros avaient été tirés sur le compte de la société Le Nid des oiseaux sur instruction de son gérant M. X... pour régler les dettes de la société Autoloc dans laquelle il était associé, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"2°) alors que si la preuve de la culpabilité du prévenu incombe à la partie poursuivante, le prévenu qui allègue un fait de nature à faire disparaître la matérialité du délit doit en rapporter la preuve ; qu'en s'étant fondée sur l'affirmation de M. A... selon laquelle la société Autoloc « pouvait » être créancière de la société Le Nid des oiseaux tout en constatant que la somme due était imprécise et en s'étant aussi fondée sur les seules affirmations du prévenu lui-même selon lesquelles la société Le Nid des oiseaux était encore redevable de la somme de 14 941 euros tout en constatant qu'aucune facturation de charges n'était établie, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
3°) alors que la cour d'appel, qui n'a pas recherché, comme elle y était invitée, si la société Autoloc n'était pas une société fictive dépourvue de dirigeants, de siège social et de salariés depuis le 1er février 2004 et si l'émission de chèques sur le compte bancaire de la société Le Nid des oiseaux n'avait pas créé une totale confusion de patrimoines au profit d'une société fictive maintenue en vie artificiellement par le soutien abusif de la société Le Nid des oiseaux, a privé sa décision de base légale" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, courant 2005, M. X..., alors gérant de la société Nid des oiseaux, devenue Mayotte loisirs, a fait effectuer, par chèques tirés sur le compte de la société, divers paiements au profit de tiers, créanciers de la société Autoloc, dans laquelle il était associé ;
Attendu que pour dire non établi le délit d'abus de biens sociaux, l'arrêt relève que ces paiements ont été réalisés dans le cadre d'un accord entre les dirigeants des deux sociétés, et ont été enregistrés en comptabilité, en déduction d'une créance de la société Autoloc sur la société Nid des oiseaux ;
Qu'en l'état de ces énonciations, dont il résulte que les fonds de la société Nid des Oiseaux ont été employés pour l'apurement d'une dette sociale, et donc dans l'intérêt de cette société, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 314-1, 314-2, 314-3 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé M. X... du chef d'abus de confiance et subsidiairement du chef de maintien frauduleux dans un système de traitement automatisé de données ;
"aux motifs que M. X... avait été révoqué de ses fonctions de gérant de la société Le Nid des oiseaux le 24 novembre 2005 et qu'à partir de cette date, il ne pouvait plus accomplir d'actes de gestion ; que toutefois, M. X... était aussi administrateur du GIE Gadis dont l'objet était de mettre à disposition de quelques entreprises adhérentes un secrétariat complet incluant notamment la tenue de la comptabilité ; qu'il disait avoir été chargé à ce titre de tenir la comptabilité de la société Le Nid des oiseaux et qu'il lui avait été demandé, à son départ de la société, de terminer le contrôle de la comptabilité ; qu'il s'était ainsi trouvé en possession des données informatiques de la comptabilité sur l'ordinateur portable du GIE Gadis ; que l'examen des procès-verbaux d'assemblées générales montrait que depuis 2001, le GIE Gadis facturait des prestations pour la société Le Nid des oiseaux et que chaque année, le procès-verbal mentionnait la somme due au prestataire ; que le procès-verbal du 27 septembre 2005 faisait état d'une créance de 1259,38 euros ; que sommé par huissier de sauvegarder sur un support les données comptables et de les supprimer ensuite de l'ordinateur, M. X... avait répondu que le GIE Gadis attendait le règlement de sa facture afin de procéder aux éditions et à la remise de la comptabilité ; qu'il ressortait de l'ensemble de ces éléments que l'affirmation de M. X... selon laquelle, malgré la révocation de son mandat de gérant, il avait été convenu avec la société Le Nid des oiseaux qu'il devait, en sa qualité de représentant du GIE Gadis, terminer la mise en forme des documents comptables, apparaissait plausible ; qu'en outre, la société Mayotte loisirs n'avait pas contesté n'avoir pas réglé les dernières prestations du GIE Gadis ; que par ailleurs, M. A... avait admis dans son audition que M. X... avait remis les documents à l'expert-comptable en décembre 2005 et que les bilans des exercices 2003 et 2005 avaient pu être établis à la suite de cette remise ; que la rétention opérée par M. X... ne paraissait donc pas avoir été guidée par la mauvaise foi ; que le délit d'abus de confiance n'était dès lors pas constitué, pas plus que le délit prévu à l'article 323-1 du code pénal ;
" 1°) alors que si la preuve de la culpabilité du prévenu incombe à la partie poursuivante, le prévenu qui allègue un fait de nature à faire disparaître la matérialité du délit doit en rapporter la preuve ; qu'en s'étant fondée sur les allégations dénuées de preuves de M. X... selon lesquelles il avait été chargé de la comptabilité de la société Le Nid des oiseaux après la révocation de ses fonctions et en énonçant que l'affirmation de M. X... selon laquelle, malgré la révocation de son mandat de gérant, il avait été convenu qu'il terminerait la mise en forme des documents comptables, apparaissait plausible, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve ;
"2°) alors que la cour d'appel, en énonçant que l'affirmation de M. X... selon laquelle il avait été convenu qu'il termine la mise en forme des documents comptables en dépit de la révocation de son mandat de gérant « apparaissait plausible » et que la rétention opérée par M. X... « ne paraissait pas » avoir été guidée par la mauvaise foi, a statué par des motifs hypothétiques ;
"3°) alors que se rend coupable d'abus de confiance l'ancien dirigeant d'une société, même chargé de terminer le contrôle de sa comptabilité après son départ, qui ne restitue pas les documents comptables à première demande une fois les contrôles effectués ; qu'à défaut d'avoir recherché si M. X..., révoqué depuis le 24 novembre 2005, n'avait pas indûment conservé par devers lui des documents comptables appartenant à la société Le Nid des oiseaux au point d'empêcher les associés d'approuver les comptes, a privé sa décision de base légale ;
"4°) alors qu'est punissable le fait de se maintenir frauduleusement dans un système de traitement automatisé de données ; qu'en écartant la mauvaise foi de M. X... sans rechercher si la rétention indue des documents comptables n'avait pas empêché les associés de la société Le Nid des oiseaux d'approuver les comptes sociaux, la cour d'appel a de nouveau privé sa décision de base légale ;
"5°) alors que seul l'expert-comptable autorisé par une décision expresse de la société peut retenir les documents appartenant à son client en garantie de ses honoraires ; que la cour d'appel, après avoir constaté que M. X..., dépourvu de la qualité d'expert-comptable, avait été sommé le 23 mai 2006 de supprimer les données comptables de l'ordinateur après les avoir sauvegardées sur un support, ne pouvait le décharger de toute responsabilité en se fondant sur la circonstance que le GIE Gadis attendait le règlement de sa facture avant de procéder à la restitution de la comptabilité et sur le fait que la société Mayotte loisirs ne contestait pas n'avoir pas réglé les dernières prestations du GIE Gadis" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions régulièrement déposées devant elle, exposé les motifs pour lesquels elle a estimé que la preuve du délit d'abus de confiance visé à la prévention n'était pas rapportée à la charge du prévenu, en l'état des éléments soumis à son examen, et que les faits ne pouvaient recevoir une autre qualification, et a ainsi justifié sa décision déboutant la partie civile de ses prétentions ;
D'où il suit que le moyen, qui revient à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux octobre deux mille quatorze ;