CA Versailles, 13e ch., 15 septembre 2016, n° 16/01505
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
S'Energie Plateforme Européenne de Distribution de Pièces Automobiles (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rachou
Conseillers :
Mme Guillou, Mme Dubois-Stevant
Avocat :
Association Avocalys
FAITS ET PROCEDURE,
Le 9 juillet 2014 la société Auto réserve, distributeur de pièces détachées pour l'automobile a bénéficié d'une procédure de mandat ad hoc, puis, le 4 novembre 2014, de conciliation, la SELARL B., C., M. et associés, prise en la personne de maître M. ainsi que la SELARL S. mandataire, prise en la personne de maître B. étant désignées mandataires puis conciliateurs.
Le 12 décembre 2014 les dirigeants de la société ont déposé une déclaration de cessation des paiements.
Le 22 décembre 2014 le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de redressement judiciaire et fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 31 octobre 2014.
Le 21 janvier 2015 la société a été mise en liquidation judiciaire, maître L. de G. étant désigné liquidateur judiciaire.
Par jugement du 29 juillet 2015, sur requête du liquidateur judiciaire la date de cessation des paiements a été reportée au 31 décembre 2013 ;
La société S'Energie plate-forme européenne de distribution de pièces automobiles (la société S'Energie) a déclaré une créance de 3 500 000 euros au passif de la société Auto réserve.
Constatant que pendant la période suspecte d'importantes sommes avaient été versées par la société Auto réserve à la société S'Energie et que des avoirs avaient été consentis pour 832 255,75 euros, le liquidateur judiciaire a assigné la société S'Energie en annulation des paiements intervenus, en paiement de la somme de 5 813 743,62 euros et en annulation des restitutions et des dations en paiement intervenues pendant cette même période.
Par jugement du 19 février 2016 le tribunal de commerce a, avec le bénéfice de l'exécution provisoire:
- débouté la société S'Energie de sa demande de nullité de l'assignation,
- écarté des débats les pièces n° 12 à 17 produites par maître L. de G.,
- prononcé la nullité des paiements intervenus au profit de la société S'Energie pendant la période suspecte,
- condamné la société S'Energie à payer à Maître Patrick L. de G. en qualité de liquidateur de la société Auto réserve, la somme de 3 863 743,62 euros,
- prononcé la nullité des restitutions de stocks intervenus au court de la période suspecte,
- condamné la société S'Energie à ce titre à payer à Maître Patrick L. de G. en qualité de liquidateur de la société Auto réserve, la somme de 832 255,75 euros,
- condamné la société S'Energie à la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du
code de procédure civile et aux dépens.
Dans ses dernières conclusions du 1er avril 2016, la société S'Energie demande à la cour de :
- dire que l'assignation délivrée à la société S'Energie le 3 novembre 2015 est affectée d'un vice de forme consistant en l'inobservation d'une formalité substantielle d'ordre public qui fait grief à la société défenderesse, en ce que sont contenus dans les pièces produites et dans les moyens développés dans l'acte des informations relatives à des procédures de mandat ad hoc et de conciliation couvertes par un principe d'ordre public de confidentialité,
- en conséquence annuler purement et simplement l'assignation du 3 novembre 2015, et par voie de conséquence le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 19 février 2016,
Vu les articles 561 et 562 du code de procédure civile,
- dire n'y avoir lieu à statuer sur le fond,
- subsidiairement, vu l'article L. 611-15 du code de commerce,
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 19 février 2016 en ce qu'il a écarté des débats les pièces 12 à 17 du demandeur ainsi que toutes références à ces pièces ou informations qu'elles contiennent,
-très subsidiairement sur le fond :
- réformer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 19 février 2016 et statuant à nouveau,
- sur l'application des dispositions de l'article L. 632-2 du code de commerce,
- dire que la société S'Energie n'étant pas créancière de la société Auto réserve et n'ayant reçu les paiements de cette dernière qu'en sa qualité de mandataire, maître L. de G. ès qualités est irrecevable et en tout cas mal fondé à agir à son encontre,
- subsidiairement, dire qu'il n'est pas établi que la société S'Energie ait reçu des paiements pour dettes échues en connaissance de la cessation des paiements de la société Auto réserve,
- tout aussi subsidiairement, dire n'y avoir lieu à annuler les paiements reçus par la société S'Energie,
- sur l'application de l'article L. 632-1 du code de commerce :
- dire maître L. de G. ès qualités irrecevable à agir à l'encontre de la société S'Energie,
- subsidiairement le dire mal fondé en ses demandes et l'en débouter,
- dans tous les cas condamner maître L. de G. ès qualités à payer à la société S'Energie la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et le condamner aux dépens de l'instance.
Dans ses dernières conclusions du 23 mai 2016, maître L. de G. ès qualités demande à la cour de :
- déclarer la société S'Energie recevable mais mal fondée en son appel principal,
- dire maître L. de G. es qualité recevable et bien fondé en son appel incident,
- y faisant droit :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nanterre le 19 février 2016 en ce qu'il a :
- débouté la société S'Energie de sa demande de nullité d'assignation,
- prononcé la nullité des paiements intervenus en période suspecte au profit de la société S'Energie et l'a condamnée à restituer à ce titre la somme de 3.863.743,62 euros,
- prononcé la nullité de la restitution des stocks intervenue en période suspecte et condamné la société S'Energie à payer à ce titre la somme de 832.255,75 euros,
- condamné la société S'Energie au paiement des frais irrépétibles,
- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il a rejeté des débats les pièces 12 à 17 produites par maître L. de G.,
en conséquence, sur la prétendue violation de l'article L. 611-15 du code de commerce :
- à titre principal
- débouter la société S'Energie de ses demandes fondées sur la prétendue violation de l'article L.611-15 du code de commerce,
- à titre subsidiaire,
- débouter la société S'Energie de son exception de nullité de l'assignation,
- à titre infiniment subsidiaire :
- n'écarter des débats que les pièces 12, 14, 15, 16 et 17 à l'exclusion de la pièce 13,
- au fond
- annuler, sur le fondement de l'article L. 632-2 du code de commerce, les paiements intervenus en cours de période suspecte au profit de la société S'Energie,
- condamner la société S'Energie à payer à maître L. de G. ès qualités la somme de 3 863 743,62 euros,
- annuler les restitutions de marchandises et dations en paiement intervenues en période suspecte sur le fondement de l'article L.632-1 et suivants du code de commerce et condamner en conséquence la société S'Energie à payer à maître L. de G. ès qualités la somme de 832 255,75 euros,
- débouter la société S'Energie de l'ensemble de ses demandes,
- ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1154 du code civil,
- condamner la société S'Energie au paiement au profit de maître L. de G. ès qualités de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SELARL Patricia M. agissant par maître Patricia M. avocat au Barreau de Versailles Toque 619, conformément à l'article 699 du code procédure civile.
Par un avis transmis le 23 mars 2016 le ministère public conclut à la confirmation du jugement en faisant valoir que le fait que la société S'Energie soutienne qu'elle n'est pas créancière de la société Auto réserve, et que les factures qu'elle a adressées à cette dernière seraient émises 'pour le compte de tiers ', est en totale contradiction avec le fait qu'elle a déclaré une créance de 3,5 millions d'euros au passif de la société Auto réserve, après avoir émis des factures à sa propre en tête et que les paiements intervenus en période suspecte en faveur de la société S'Energie ont été effectués alors que cette dernière avait une parfaite connaissance de 1'état de cessation des paiements de la société Auto réserve, ce qui ne peut être contesté dès lors que le président de cette société était en même temps dirigeant de la société S'Energie ; qu'il en est de même de la dation en paiement, à savoir la restitution de marchandises, qui tombe sous le coup des dispositions prévues par l'article L. 632-1 du code de commerce ;
SUR CE
Sur la nullité de l'assignation :
Considérant que les pièces litigieuses dont la société S'Energie soutient que leur production violerait les règles de la confidentialité sont les pièces 12 à 17 produites par maître L. de G. ; qu'il s'agit, pour les pièces 12 et 15 de compte rendus de réunions de mandat ad hoc et de conciliation et pour les pièces 14,16 et 17 de correspondances adressées par la société S'Energie aux conciliateurs ; que la pièce n° 13 est un procès-verbal de délibération du comité de direction de la société S'Energie ;
Sur l'obligation de confidentialité :
Considérant que la société S'Energie soutient que les personnes ayant bénéficié d'une conciliation et d'un mandat ad hoc sont tenues à la confidentialité et qu'admettre que cette obligation ne bénéficierait qu'au débiteur reviendrait à dissuader tous les tiers de participer à de telles procédures, que cette obligation ne cesse pas avec l'ouverture d'une procédure collective, que la possibilité offerte par la loi d'obtenir les pièces et les actes de la procédure de conciliation n'a pour objet que les besoins de la procédure et non la possibilité d'opposer ces actes à des tiers ; que la violation de cette obligation entraîne nécessairement la nullité de l'assignation et du jugement de première instance, le grief causé à la société S'Energie à qui on oppose des documents confidentiels étant évident ; que subsidiairement le rejet de ces pièces doit au moins être ordonné ;
Considérant que le liquidateur soutient en premier lieu que cette confidentialité n'a plus lieu d'être lorsqu'une procédure collective a été ouverte, le seul but de cette confidentialité étant d'éviter que les tiers n'en soient informés et que la société perde son crédit ; qu'il ne peut être admis que la confidentialité s'oppose à la sanction de l'un des acteurs de cette conciliation qui utiliserait cette période pour obtenir des paiements préférentiels ; qu'il soutient en deuxième lieu qu'elle ne s'applique pas entre deux intervenants à la conciliation et n'est jamais opposable ni au ministère public ni au tribunal; qu'il fait valoir que la confidentialité n'a aucun caractère absolu et peut être levée, l'article L. 621-1 alinéa 4 du code de commerce disposant que le tribunal peut d'office ou à la demande du ministère public obtenir communication des pièces et actes relatifs aux mandats ad hoc ou à la conciliation ; qu'enfin le liquidateur judiciaire expose que les pièces litigieuses lui ont été remises par le conseil de M. Frank P. dans un dossier comprenant ces pièces et tous les échanges d'e-mails versés aux débats, que la société S'Energie, qui a elle-même largement violé la confidentialité en informant tous les fournisseurs sur la situation critique de la société Auto réserve, est malvenue à se prévaloir d'une telle violation et que la pièce n° 13 ne peut en tout état de cause être écartée puisqu'il ne s'agit pas d'un document échangé avec le conciliateur ou le mandataire ad hoc ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 611-15 du code de commerce : 'toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui par ses fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité ; ' que maître L. de G. n'était pas mandataire ad hoc ; qu'il n'est devenu mandataire judiciaire que le 22 décembre 2014 ;
Considérant que l'importance du principe de confidentialité de pièces et actes accomplis dans le cadre de la procédure de conciliation est évidente pour la bonne fin de cette procédure, l'objectif étant de ne pas aggraver la situation du débiteur par la divulgation de ses difficultés aux tiers et de permettre des négociations d'accords amiables en toute discrétion ; que l'intérêt de cette confidentialité ne cesse cependant pas du seul fait de l'ouverture d'une procédure collective en suite de la procédure de conciliation, sauf à dissuader les parties à la conciliation, dont les créanciers, d'y prendre part s'ils savent que leurs propositions, les négociations, et tout ce qu'ils ont pu révéler dans ce cadre pourra être utilisé contre eux si la procédure échoue ; que l'éventuelle homologation de l'accord intervenu donne certes lieu à un jugement public mais ne révèle aucune des pièces et des actes de la conciliation ; que cette confidentialité peut également être invoquée entre deux personnes ayant pris part à la conciliation dès lors que ce principe a notamment pour objet de préserver le secret sur le déroulement de la négociation et les concessions faites avec la garantie que ces éléments ne seront pas utilisés dans un autre litige ;
Considérant que cette confidentialité n'est pas pour autant absolue et peut céder devant d'autres impératifs ; que la loi organise notamment à l'article L. 621-1 du code de commerce la possibilité d'obtenir la communication des actes et pièces relatifs à la conciliation nonobstant les dispositions de l'article L. 611-15, mais ce, dans certaines conditions et sur l'initiative du tribunal, d'office, ou à la demande du ministère public ; qu'en dehors de ces cas particuliers la confidentialité reste donc la règle ; que les arrêts de cour d'appel cités par le liquidateur judiciaire pour démontrer que des dirigeants, pour se défendre dans une action en sanction, ont pu verser aux débats le rapport du conciliateur permettent seulement de constater qu'aucune objection n'avait été élevée contre cette production, de sorte qu'aucun débat n'a eu lieu sur la légitimité d'une atteinte à la confidentialité lorsqu'une partie poursuivie doit se défendre contre une action du liquidateur tendant à sa condamnation au paiement du passif ;
Considérant que maître L. de G. indique qu'il a obtenu les pièces litigieuses en mars 2015 par Mme P., directrice financière de la société et épouse du dirigeant M. P., qui les lui a transmises ainsi qu'au conseil de la société Auto réserve;
Considérant que les courriels de transmission joints aux débats démontrent suffisamment que les pièces litigieuses ont été transmises dans les conditions décrites par le liquidateur judiciaire ; que maître L. de G. ne conteste pas que les pièces 12 à 17, à l'exception de la pièce n° 13 soient des pièces relatives à la conciliation comme en atteste notamment le courriel du 27 mars 2015 par lequel Mme P. transmet au liquidateur judiciaire 'l'ensemble des éléments concernant l'offre qu'il devait valider le 17 novembre 2014 et qui n'a pas abouti';
Considérant que la pièce n° 13 dont le liquidateur judiciaire demande qu'elle ne soit en tout état de cause pas écartée est un procès verbal de délibération du comité de direction de S'Energie du 22 octobre 2014 ; qu'elle n'a pas été échangée dans le cadre de la conciliation et n'est donc pas couverte par la confidentialité de l'article L 611-15 du code de commerce ; que le fait que ce procès verbal fasse état du cours de la conciliation n'en fait pas une pièce couverte par la confidentialité dès lors qu'elle n'émane pas du conciliateur ou du mandataire ad hoc et ne lui a pas été adressée dans le cadre de cette conciliation ;
Considérant que seules les pièces produites par le liquidateur judiciaire sous les n°12, 14 à 17 sont donc couvertes par la confidentialité et devront être écartées des débats ; que le jugement sera partiellement infirmé de ce chef ;
Sur la nullité de l'assignation :
Considérant qu'aux termes de l'article 114 du code de procédure civile 'aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public'et que 'la nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public' ; qu'aucun texte ne prévoit la nullité d'une assignation en raison de la production de pièces auxquelles celle-ci ferait référence ; que la sanction de la production des pièces litigieuses est leur mise à l'écart des débats ; qu'il n'y a pas lieu de prononcer la nullité de l'assignation ; que le jugement sera confirmé de ce chef ;
Sur le fond :
Considérant que la société S'Energie soutient qu'elle n'a reçu aucun paiement en qualité de créancière de la société Auto réserve ; qu'elle n'a qu'une activité de Centrale de référencement des pièces détachées, seuls ses adhérents achetant les pièces ; qu'elle n'est donc ni débitrice ni créancière de la société Auto réserve ou de ses adhérents et ne dispose que d'un mandat de recouvrement et de centralisation de la facturation qui doit être libellée 'pour le compte de' ; qu'elle n'a déclaré une créance que sous la pression des adhérents qui ont menacé de cesser toute livraison si le montant de leur créance sur la société Auto réserve n'était pas payée ; que la société S'Energie a donc procédé au règlement pour éviter l'arrêt des fournitures ;
Considérant que maître L. de G. fait valoir que la société S'Energie était directement facturée par les fournisseurs et facturait elle-même la société Auto réserve des livraisons effectuées par les fournisseurs ; qu'elle seule était donc partie au contrat ; que seul le contrat la liant à la société TMD pourrait être ambiguë mais qu'il n'est pas visé par la procédure ; qu'elle n'était pas un simple mandataire et a d'ailleurs déclaré sa créance sans aucune référence à une quelconque qualité de mandataire ;
Considérant que la déclaration de créance effectuée par la société S'Energie mentionne clairement qu'elle est créancière de la société Auto réserve et ne fait aucune référence à un quelconque mandat ; que dans les explications qu'elle a jointes par un courrier du 17 février 2015 la société S'Energie expose que 'lorsque début 2014 Auto réserve a éprouvé des difficultés financières et n'a pas pu honorer les appels de fonds de S'Energie M. Frank P. a obtenu que cette dernière règle les fournisseurs et qu'il lui soit consenti un échéancier de remboursement de 48 mensualités de la dette d'Auto réserve s'élevant à 997 071,61 euros (...) Pour le solde de leur créance les fournisseurs ont exigé que S'Energie procède au règlement à défaut de quoi ils auraient refusé de donner suite aux commandes des adhérents de la centrale. S'Energie n'a donc eu d'autre choix que de se plier à cette demande';
Considérant que la société S'Energie a déclaré deux créances l'une de 607 912,84 euros, l'autre de 1 563 070,90 euros ; qu'elle a joint à cette déclaration de créance un détail des sommes réclamées qui indique:
- 'prêt accordé par S'Energie à Auto réserve: 997 071,61 euros,
- intérêts 814,48 euros
- compensation ristournes 2013 non versées: - 223 658,93 euros
- déjà réglé mensualités de 20 789,29 euros : - 166 314,32 euros
607 912,84 euros
Considérant que cette déclaration est corroborée par la 'reconnaissance de dette avec échéancier de remboursement' versée aux débats, signée le 1er avril 2014 entre la société S'Energie, sans aucune mention d'un quelconque mandat, et la société Auto réserve ;
Que la seconde partie de sa déclaration de créances s'intitule : 'facture des fournisseurs d'Auto réserve payées par S'Energie : 1 563 070,90 euros ';
Considérant qu'il apparaît donc que c'est bien la société S'Energie qui a payé les fournisseurs et qui est créancière de la société Auto réserve ;
Sur la nullité des paiements en période suspecte:
Considérant qu'aux termes de l'article L 632-1 du code de commerce 'sont nuls, lorsqu'ils sont intervenus depuis la date de cessation des paiements, les actes suivants:
1° Tous les actes à titre gratuit translatifs de propriété mobilière ou immobilière ;
2° Tout contrat commutatif dans lequel les obligations du débiteur excèdent notablement celles de l'autre partie ;
3° Tout paiement, quel qu'en ait été le mode, pour dettes non échues au jour du paiement ;
4° Tout paiement pour dettes échues, fait autrement qu'en espèces, effets de commerce, virements, bordereaux de cession visés par la loi n° 81-1 du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises ou tout autre mode de paiement communément admis dans les relations d'affaires' ;
Que selon l'article L. 632-2 du code de commerce 'les paiements pour dettes échues effectués à compter de la date de cessation des paiements et les actes à titre onéreux accomplis à compter de cette même date peuvent être annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements';
Considérant que la date de cessation des paiements a été fixée au 31 décembre 2013 par le tribunal de commerce dans un jugement du 29 juillet 2015 qui a ainsi déterminé la période pendant laquelle les actes énumérés par les articles L. 632-1 et L. 632-2 du code de commerce doivent ou peuvent être annulés ; que le tribunal constate dans sa décision qu'à cette date le passif s'élevait à 7 500 000 euros pour un actif disponible de 162 735 euros ;
Sur les paiements intervenus en période suspecte
Considérant que la société S'Energie n'a pas contesté avoir reçu la somme de 3 863 743, 62 euros au cours de l'année 2014 comme en atteste le Grand livre versé aux débats et ce particulièrement au cours des trois mois précédant la déclaration de cessation des paiements, période pendant laquelle elle a perçu 1 517 408,40 euros, alors même qu'elle était en pleine négociation dans le cadre d'un mandat ad'hoc puis d'une conciliation à laquelle l'un de ses dirigeants a assisté ;
Que l'ensemble de ces paiements est intervenu en période suspecte ;
Considérant que cependant ces paiements ne peuvent annulés que s'il est établi que le bénéficiaire des paiements avait une connaissance personnelle de l'état de cessation des paiements de la société débitrice ; que M. P., qui a signé la 'reconnaissance de dette avec échéancier de remboursement' du 1er avril 2014 en tant que représentant de la société Auto réserve était aussi directeur général de la société S'Energie ; que la résolution de l'assemblée générale le nommant à cette fonction précise 'Le directeur général aura pour mission d'assister et de conseiller le président dans ses fonctions de gestion et d'administration de la société'; que M. V., qui était le président de la société S'Energie a signé pour cette dernière cet accord ; qu'il a donc eu connaissance de l'importance des difficultés de son co-contractant, la société Auto réserve, laquelle était aussi associée de la société S'Energie depuis 2012 ; que cependant ce seul élément ne saurait suffire à caractériser la connaissance précise qu'avait la société S'Energie de l'état de cessation des paiements de cette société qui a d'ailleurs bénéficié d'un mandat ad hoc en juillet 2014 ; que si la connaissance de 'difficultés'est avérée, les accords pris le 1er avril 2014 et le respect de plusieurs mensualités ne permet pas de retenir une connaissance certaine par la société S'Energie de l'état de cessation des paiements avant le mois d'octobre 2014 date à laquelle elle pouvait encore croire à son redressement à travers les procédures amiables entreprises ; que tel n'était plus le cas en octobre 2014 à compter duquel les paiements se sont multipliés de façon anormale pour atteindre 1 517 408,40 euros et alors que les moratoires n'étaient plus respectés ; que la connaissance par la société S'Energie de l'état de cessation des paiements de la société Auto réserve est donc suffisamment établie à cette date ; que le remboursement des sommes ainsi perçues au détriment des autres créanciers sera donc ordonné dans la limite de 1 517 408,40 euros représentant les paiements effectués d'octobre à décembre 2014 ; que la capitalisation des intérêts sera ordonnée dans la limite des dispositions de l'article 1154 du code civil à compter de la première demande qui en a été faite soit le 23 mai 2016 ;
Sur la reprise des marchandises :
Considérant que la société S'Energie fait valoir d'une part que ce n'est pas elle qui a procédé à la reprise des stocks mais les fournisseurs eux-mêmes avec l'accord des dirigeants de la société Auto réserve et dans la plupart des cas en application de clauses de réserve de propriété ; que c'est légitimement qu'elle a averti les membres de son réseau afin qu'ils limitent les pertes ; que n'étant pas créancière mais simple mandataire elle ne peut être condamnée à restituer les sommes ainsi compensées avec les marchandises restituées ; qu'il ne peut lui être reproché de n'avoir pas mis en oeuvre de procédure de revendication, celle-ci n'étant prévue qu'en cas de procédure collective ce qui n'était pas le cas en novembre et décembre 2014 ;
Considérant que le liquidateur judiciaire s'oppose à cette demande en faisant valoir que la reprise massive de marchandises facturées à la société Auto réserve et l'émission d'avoirs au profit de la société Auto réserve a non seulement rompu l'égalité des créanciers mais également mis à néant les espoirs de redressement de cette société ; qu'aucune clause de réserve de propriété n'a été stipulée entre la société S'Energie et la société Auto réserve, seules parties à considérer ; que l'accord du dirigeant de la société Auto réserve n'a aucune incidence sur le fait que ces reprises constituent des paiements nuls de plein droit en application de l'article L. 632-1 du code de commerce ;
Considérant que la société S'Energie reconnaît avoir incité ses adhérents à reprendre les marchandises livrées à la société Auto réserve et à établir des avoirs ; qu'ainsi dans un courriel du 27 novembre 2014 M. V. a adressé aux fournisseurs de la société Auto réserve la demande suivante: ' Nul ne peut ignorer la situation précaire dans laquelle se trouve la société Auto réserve (...)vous avez tous encore du stock chez Auto réserve. Nous pourrions si nous agissons tous ensemble faire baisser la dette de S'Energie dans vos comptes de façon significative en récupérant les marchandises chez AR (Auto réserve). Je vous demande par ce courriel d'entrer en contact avec les dirigeants pour prendre date et récupérer vos produits. Sans votre intervention c'est à dire aller récupérer vos produits sur place pour faire baisser le montant de la dette, S'Energie ne pourra pas payer les factures dues par Auto réserve' ; que des marchandises d'un montant total de 832 255,75 euros ont été reprises et des avoirs émis à hauteur de ces montants en décembre 2014 ;
Considérant que la société S'Energie fait valoir que les marchandises ayant été vendues avec clause de réserve de propriété, leur restitution et l'émission d'avoir ne constituent pas un paiement annulable de plein droit ;
Considérant que le bien vendu avec clause de réserve de propriété n'entre pas dans le patrimoine
de l'acheteur tant que le paiement intégral n'a pas été effectué, de sorte que la reprise de marchandises non payées en application d'une clause de réserve de propriété amiablement mise en oeuvre avant le jugement d'ouverture doit s'analyser, non pas comme un mode de paiement du prix, mais comme l'exercice par le propriétaire de son droit de propriété ;
Considérant que tel n'est pas le cas en l'espèce en l'absence de toute démonstration de l'existence d'une clause de réserve de propriété dans un contrat liant la société S'Energie à la société Auto réserve ; que, dès lors, la reprise de marchandises facturées à la société Auto réserve qui a donné lieu à des avoirs au profit de la société Auto réserve constitue bien un paiement anormal au sens de l'article L 632-1 du code de commerce dans la mesure où la société Auto réserve s'est défait d'une partie de son patrimoine en règlement de sa dette ; que ces paiements ont bien été faits au profit de la société S'Energie et non de ses fournisseurs comme cela a été jugé et comme en atteste d'ailleurs le mail qui évoque bien 'la dette de la société S'Energie' ;
Considérant que la société S'Energie soutient encore que les montants réclamés ne sont pas justifiés car les avoirs étaient très fréquents en raison des nombreux retours de marchandises ;
Considérant que la société S'Energie ne conteste pas que la somme de 832 255,75 euros représente le montant des avoirs admis dans le cadre de la déclaration de créance de la société S'Energie ; qu'aucun élément du dossier ne permet d'imputer les avoirs à d'autre raison que celle d'une reprise en période suspecte de marchandises facturées; que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu ce montant ; que la capitalisation des intérêts sera ordonnée dans la limite des dispositions de l'article 1154 du code civil ;
PAR CES MOTIFS:
La COUR,
Statuant par arrêt CONTRADICTOIRE,
Confirme le jugement en ce que:
- il a rejeté la demande de nullité de l'assignation du 3 novembre 2015,
- il a écarté des débats les pièces produites par maître L. de G. sous les n° 12, 14,15,16 et 17, sur le fondement de l'article L 611-15 du code de commerce,
- il a prononcé sur le fondement de l'article L 632-1 du code de commerce la nullité des restitutions de marchandises intervenues au cours de la période suspecte et condamné la société S'Energie plate-forme européenne de distribution de pièces automobiles à payer à maître L. de G. en qualité de liquidateur judiciaire de la société Auto réserve la somme de 832 255,75 euros à ce titre,
-il a condamné la société S'Energie plate-forme européenne de distribution de pièces automobiles aux dépens,
L'infirme pour le surplus, et, statuant à nouveau,
Dit n'y avoir lieu d'écarter la pièce n° 13 produite par maître L. de G. en qualité de liquidateur judiciaire de la société Auto réserve,
Prononce sur le fondement de l'article L. 632-2 du code de commerce la nullité des paiements intervenus au profit de la société S'Energie plate-forme européenne de distribution de pièces automobiles à compter du 1er octobre 2014 et jusqu'au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective,
Condamne la société S'Energie plate-forme européenne de distribution de pièces automobiles à payer à maître L. de G. en qualité de liquidateur judiciaire de la société Auto réserve la somme de 1 517 408,40 euros à ce titre,
Dit que les intérêts échus à compter du 23 mai 2016, produiront eux-mêmes intérêts au taux légal dès lors qu'ils seront dus depuis plus d'une année,
Condamne la société S'Energie plate-forme européenne de distribution de pièces automobiles à payer à maître L. de G. en qualité de liquidateur judiciaire de la société Auto réserve la somme totale de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande faite par la société S'Energie plate-forme européenne de distribution de pièces automobiles sur ce fondement,
Condamne la société S'Energie plate-forme européenne de distribution de pièces automobiles aux dépens d'appel et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.