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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 2 juillet 2009, n° 07/11566

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Nesri

Défendeur :

Nesri, Nesri (SNC), Meynet (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Monin-Hersant

Conseillers :

M. Loos, M. Picque

Avoués :

Me Teytaud, SCP Anne-Marie Oudinot, Me Flauraud

Avocats :

Me Postel Silvan, Me Delpoio-Fixe

T. com. Bobigny, 7e ch., du 11 mai 2001,…

11 mai 2001

Associé détenant 50 % du capital social depuis le 2 août 1965 de la société en nom collectif (SNC) NESRI, dont l’autre moitié est détenue par son père, qui en a toujours assuré la gérance. Monsieur Rachid NESRI a, le 7 septembre 2000, attrait Monsieur El Hadi NESRI et la société NESRI devant le tribunal de commerce de Bobigny aux fins de voir :

- condamner Monsieur El Hadi NESRI à lui payer 2.900.000 F (442.102,14 €) au titre des BIC non payés depuis 1970, majors des intérêts au taux légal depuis la même date,

- designer un expert financier avec essentiellement pour mission d’examiner les comptes sociaux des trente derniers exercices comptables de la SNC et de donner son avis sur la valeur de la société dans le cadre d’une cession totale du capital et sur la valeur du fonds de commerce en cas de vente de celui-ci.

Monsieur El Hadi NESRI et la société NESRI s’y sont opposés en prétendant essentiellement que la SNC était fictive et que Monsieur Rachid NESRI, qualifié de "prête nom", n’avait pas la qualité d’associé. Ils ont reconventionnellement demander de constater, et en tant que de besoin de prononcer, la dissolution de la SNC NESRI avec les conséquences de droit.

Par jugement contradictoire du 11 mai 2001, tout en réténant notamment que Monsieur Rachid NESRI était propriétaire de 90 parts (sur 180) du capital social de la SNC lui dormant droit à la fraction des bénéfices et réténant l’application de la prescription décennale commerciale, le tribunal a :

- dit n’y avoir lieu à prononcer la dissolution ni à rechercher la valeur de la société,

- commis un huissier de justice avec mission de lui communiquer le montant des BIC déclarés par la SNC NESRI au titre des années 1991 à 2000 incluses.

Monsieur El Hadi NESRI et la société NESRI ont interjeté appel le 3 juillet 2001,

Monsieur Rachid NESRI ayant formulé, quant à lui, un appel incident.

Relevant que le gérant a admis tant qu’aucune rémunération ne lui était due en cette qualité, qu’aucun bénéfice n’avait été distribué à Rachid NESRI et retenant notamment que :

- d’une part, la prescription quinquennale de l’article 2270 du code civil était applicable en estimant que les bénéfices distribués s’analysent en des fruits civils qui se perçoivent au jour le jour,

- d’autre part, qu’il existait de justes motifs de prononcer la dissolution de la société, de sorte qu’en considération de cette dissolution, il n’y avait pas lieu de faire droit à la demande en paiement des bénéfices,

la cour d’appel de Paris (25eme chambre B) a, par arrêt contradictoire du 27 juin 2003 :

- prononcé la dissolution anticipée amiable et la liquidation amiable de la SNC NESRI en commettant un administrateur judiciaire en qualités de liquidateur amiable avec mission de procéder aux opérations et de faire le compte entre les parties,

- et a rejeté le surplus des demandes.

Monsieur El Hadi NESRI et la société NESRI ont formé un pourvoi en cassation.

Monsieur Rachid NESRI a, quant à lui, formé un pourvoi incident.

Entre temps, le liquidateur amiable désigné par la cour d’appel a été remplacé par ordonnance du 10 mars 2005 du magistral délégué du président du tribunal de commerce de Bobigny, Maitre MEYMET, administrateur judiciaire à Annecy, étant désigné.

Rejetant les moyens de cassation soutenus par Monsieur El Hadi NESRI et la société NESRI, mais retenant le premier moyen du pourvoi incident soutenu par Monsieur Rachid NESRI, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a, dans un arrêt du 19 septembre 2006, cassé et annulé l’arrêt rendu le 23 juin 2003, mais “seulement en ce qu’il a rejeté la demande de Monsieur Rachid NESRI en paiement des dividendes de la société NESRI ” et, remettant les parties dans leur état antérieur sur ce point, a renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Paris autrement composée.

Monsieur Rachid NESRI a saisi la cour de renvoi selon déclaration remise au greffe le 8 juin 2007.

Assigné le 8 décembre 2008 en intervention forcée, Maitre MEYMET, pris en sa qualité de liquidateur amiable de la SNC NESRI, n’a pas constitué avoué devant la cour de renvoi. Par lettre du 9 décembre 2008 adressée à la cour avec copie aux avoués constitués dans la cause, il a notamment précisé “qu’il ne disposait d'aucune trésorerie et qu’il ne s’en dégagera vraisemblablement aucune de la liquidation de la SNC NESRI qui n’a plus d 'actif ” en précisant, dans un rapport du 22 février 2008 au président du tribunal de commerce de Bobigny, qu’il était dans l’impossibilité d’exécuter sa mission de procéder à la liquidation de la SNC et de faire les comptes entre les parties et, en conséquence, qu’il demandait à en être déchargée.

Vu les ultimes écritures signifiées le 23 avril 2009 par Monsieur Rachid NESRI réclamant 3.000 € de frais irrépétibles à Monsieur El Hadi NESRI et à la société NESRI, cette dernière prise en la personne de Maitre MEYMET, son liquidateur, en invoquant, en sa qualité de bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, le bénéfice de l’article 37 de la loi du 16 juillet 1991, et :

- priant la cour de dire que Maitre MEYMET, en sa qualité de liquidateur amiable de la SNC KESRI, procèdera aux opérations de dissolution et de liquidation en considération de ce que Monsieur Rachid NESRI est créancier de la quote part des bénéfices lui revenant depuis le 2 août 1965, majorés des intérêts à compter de la première mise en demeure et anatocisme,

- sollicitant la condamnation de Monsieur El Hadi NESRI “au paiement, en deniers ou quittances, de la créance de Monsieur Rachid NESRI telle que Maître MEYMETI « aura déterminée » ;

Vu les dernières conclusions signifiées par Monsieur El Hadi NESRI, défendeur à la saisine, s’opposant à toutes les demandes de Monsieur Rachid NESRI et priant la cour de constater que :

- l’arrêt du 19 septembre 2006 de la Cour de cassation est, selon lui, inopposable à la SNC NESRI et à Maitre MEYMET en ce que « la première a perdu toute capacité et pouvoir à agir seule et le second n'y a pas été partie »,

- aucune demande en paiement de bénéfices sous forme de dividendes n’est fondée en l’absence de décision d’assemblée générale des associés de la SNC,

- le liquidateur ne peut procéder aux opérations de dissolution et de liquidation, ni faire le compte entre les parties ;

Vu l’assignation en intervention forcée de Maitre MEYMET, es qualités de liquidateur amiable de la SNC NESRI, suivant acte délivré le 8 décembre 2008 à personne présent à son étude ;

SUR CE, la cour :

Considérant que Monsieur El Hadi NESRI expose :

- qu’initialement, la moitié du capital social de la SNC NESRI était détenue par ses trois frères et que ceux-ci ont cédé leurs parts en 1964 contre l’abandon de ses droits sur des biens détenus en Algérie,

- que “confronté alors aux formalités et à l’impact fiscal d’une dissolution de la SNC” il a été souscrit, le 2 août 1965, en « matérialisation » de l’accord avec ses frères restés en Algérie, un acte de cession de parts au nom de Rachid NESRI, son fils ainé ;

Que qualifiant l’assignation introductive de la présente instance par Monsieur Rachid NESRI “d'acte de rébellion empreint d’ingratitude”. Monsieur El Hadi NESRI, aujourd’hui âgé de 86 ans, subodore que Rachid NESRI tente ainsi « de se créer des privilèges » au dépens “de ses frères et soeurs” ;

Que soutenant que la SNC NESRI n’était pas régulièrement représentée devant la Cour de cassation, il en déduit que l’arrêt de cassation du 19 septembre 2006 est inopposable à celle-ci et qu’en conséquence, l’arrêt du 23 juin 2003 de la cour d’appel “est aujourd’hui définitif et ne peut plus être remis en cause” rendant Rachid NESRI mal fondé dans toutes ses demandes ;

Que subsidiairement, constatant que la Cour de cassation n’a pas remis en cause le prononcé de la dissolution et de la liquidation de la SNC, il fait valoir qu’aucune décision collective, conforme à l’article 27 des statuts, n’a déterminé les bénéfices à distribuer en leur dormant une “existence juridique” pour en déduire qu’aucune distribution de dividende ne peut intervenir ;

Considérant que Monsieur El Hadi NESRI fait aussi valoir que le créancier d’une dette sociale ne peut en poursuivre le paiement contre un associé qu’après avoir vainement mis en demeure la société en nom collectif ce qui implique, selon le défendeur à la saisine, une condamnation définitive préalable de la société ;

ceci avant été rappelé.

Considérant liminairement que la Cour de cassation ayant prononcé une cassation partielle, la dissolution anticipée de la S.N.C. NESRI et la mission du liquidateur amiable ne sont pas remises en cause ;

Que Monsieur El Hadi NESRI n’étant plus l’organe représentant la S.N.C. NESRI depuis la mise en liquidation amiable de celle-ci par l’arrêt précité 27 juin 2003 de la cour d’appel de Paris, il n’est pas recevable à présenter une fin de non-recevoir au nom de la S.N.C., laquelle est défaillante devant la présente cour de renvoi ;

Sur la distribution des dividendes des exercices sociaux antérieurs

Considérant que la prescription quinquennale de l’article 2270 du code civil ne commence à courir que du jour de l’assemblée générale des associés décidant la distribution du dividende et qu’il n’est pas contesté qu’aucune assemblée d’associés n’a été réunie de ce chef, depuis le 2 août 1965, date à laquelle Monsieur Rachid NESRI est devenu associé porteur de la moitié du capital social de la S.N.C. NESRI ;

Que des lots que la prescription n’a pas commencé à courir, Monsieur Rachid NESRI est fondé à réclamer le paiement des dividendes correspondant aux résultats distribuables de chaque exercice social échu depuis cette date, majores des intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure et application de leur capitalisation annuelle, dans les conditions de l’article 1154 du code civil, à partir du 23 avril 2009, date de la demande judiciairement formulée ;

Que la S.N.C. NESRI étant désormais en liquidation amiable, il appartient au liquidateur d’établir les bénéfices distribuables de chaque exercice échu depuis le 2 août 1965, de réunir une assemblée générale d’associés pour lui soumettre la décision éventuelle de mise en distribution et d’en tenir compte dans l’établissement des comptes de liquidation et de répartition éventuelle du boni de liquidation entre les associés, après règlement du passif éventuel de la société ;

Sur la demande de condamnation personnelle de Monsieur El Hadi NESRI au paiement des dividendes

Considérant qu’en sollicitant la condamnation de Monsieur El Hadi NESRI « au paiement , en deniers ou quittances, de la créance de Monsieur Rachid NESRI telle que Maitre MEYMETI aura déterminée », le demandeur à la saisine sollicite la condamnation de Monsieur El Hadi NESRI à lui payer le montant des dividendes qui lui sont éventuellement dus par la S.N.C. NESRI ;

Mais considérant que si les associés d’une société en nom collectif répondent tous indéfiniment et solidairement des dettes sociales, il convient de distinguer l’obligation aux dettes sociales, qui concerne les rapports de la société avec les tiers, et la contribution aux pertes concernant les rapports des associés entre eux ;

Que dès lors, Monsieur Rachid NESRI n’est pas fondé à demander le paiement de sa part des éventuels dividendes à l’autre associé, seule la contribution aux éventuelles pertes sociales étant susceptibles d’être réparties entre les associés ;

Sur la désignation du liquidateur amiable et les frais irrépétibles

Considérant par ailleurs que Maitre MEYMET, actuel liquidateur amiable en fonction a demandé d’être déchargé de sa mission ;

Qu’il n’est pas contesté qu’il n’a pas été défrayé des diligences accomplies et que compte tenu du caractère éminemment familial de la S.N.C. NESRI, il apparait qu’il convient de designer l’un des associés à la fonction de liquidateur amiable de la société, avec la mission antérieurement prévue ;

Qu’il serait inéquitable de laisser à Monsieur Rachid NESRI la charge définitive des frais irrépétibles qu’il a exposés ;

PAR CES MOTIFS, la cour :

Statuant dans les limite de sa saisine, Dit que le liquidateur amiable de la S.N.C. NESRI:

- établira le montant des bénéfices distribuables de chaque exercice échu depuis le 2 août 1965,

- réunira une assemblée générale des associés de la S.N.C. pour lui soumettre la décision éventuelle de mise en distribution des dividendes annuels qui auront été déterminés,

- en tiendra compte dans l’établissement des comptes de liquidation et de répartition éventuelle du boni de liquidation entre les associés après règlement de l’éventuel passif de la S.N.C. NESRI,

Dit que les dividendes dus à Monsieur Rachid NESRI, seront majorés des intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure délivrée à la S.N.C. NESRI, avec capitalisation annuelle, dans les conditions de l’article 1154 du code civil, à partir du 23 avril 2009,

Rejette la demande de condamnation personnelle de Monsieur El Hadi NESRI au paiement des dividendes éventuellement dus à Monsieur Rachid NESRI par la S.N.C. NESRI,

Met fin à la mission de Maitre MEYMET de liquidateur amiable de la S.N.C. NESRI,

Désigne Monsieur Rachid NESRI nouveau liquidateur amiable de la S.N.C. NESRI à compter de ce jour avec les pouvoirs légaux en la matière et la mission précédemment définie par l’arrêt du 27 juin 2003 de la cour d’appel de Paris (25eme chambre B),

Condamne Monsieur El Hadi NESRI aux dépens d’appel devant la cour de renvoi et dit qu’ils seront recouvrés conformément à la loi sur l’aide juridictionnelle,

La condamne en outre, à verser trois mille euros (3.000 €) de frais irrépétibles à Monsieur Rachid NESRI,

Admet les avoués de la cause, chacun pour ce qui le concerne, au bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile.