CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 18 mai 2017, n° 16/24712
PARIS
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Franchi
Conseillers :
Mme Picard, Mme Rossi
La société Renouvo a été créée en 2005 par son associé unique, monsieur Eric M. G., et exerçait une activité de ravalement et de rénovation.
Le 2 avril 2015, monsieur M. a déposé une déclaration de cessation des paiements sollicitant la mise en liquidation judiciaire immédiate de sa société et en indiquant une date de cessation des paiements au 31 mars 2013.
Le 7 avril 2015, le tribunal de commerce de Meaux a ouvert une procédure de liquidation judiciaire et a désigné la Selarl G.-G., mission conduite par maître Sophie G., aux fonctions de liquidateur judiciaire. Ce même jugement a fixé la date de cessation des paiements au 9 octobre 2013.
Le 25 mai 2016, le Juge-Commissaire, dans son rapport général sur l'opportunité de poursuite à l'encontre du dirigeant, a conclu :
- Qu'il était opportun de poursuivre ce dernier, non seulement en responsabilité pour insuffisance d'actif, mais aussi en faillite personnelle,
- Qu'il convenait de condamner monsieur M. à supporter l'insuffisance d'actif dans son intégralité, soit à hauteur de 2.18l.093,00 Euros,
- Qu'il convenait de condamner monsieur M. à une sanction de faillite personnelle durant une durée de 10 ans, ou à défaut, à une interdiction de gérer de 10 ans également.
Par jugement du 14 novembre 2016, le tribunal de commerce de Meaux, au visa des articles L. 653-4 et L. 653-5 du Code de Commerce, a prononcé à l'égard de monsieur Eric M. G., une mesure de faillite personnelle pour une durée de dix ans, condamné monsieur Eric M. G. à payer à la selarl G.-G., ès-qualités, la somme de 400.000 euros au titre du comblement du passif, condamné monsieur Eric M. G. à payer à Selarl G.-G., ès-qualités, la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et prononcé l'exécution provisoire de la présente décision.
Monsieur M. a relevé appel de ce jugement selon déclaration du 9 décembre 2016.
Dans ses dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 1er mars 2017, monsieur M. G. demande à la cour d'appel, au visa des articles L651-2 et suivants et L. 653-3 et suivants du Code de commerce, ensemble le principe de proportionnalité, de :
- Recevoir Monsieur Éric M. G. en son appel et l'y déclarer bien fondé,
- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Meaux le 14 novembre 2016’ ;
Statuant à nouveau,
- Dire n'y avoir lieu à sanction personnelle à l'encontre de Monsieur Éric M. G.,
- Dire n'y avoir lieu à responsabilité pour insuffisance d'actif à l'encontre de Monsieur Éric M. G.,
- Condamner la selarl G.-G., en sa qualité de liquidateur judiciaire de la sarl Renouvo, à payer à Monsieur Éric M. G. la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamner la selarl G.-G., en sa qualité de liquidateur judiciaire de la sarl Renouvo, aux dépens.
Dans ses dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 22 février 2017, la Selarl G.-G., liquidateur judiciaire de la sarl Renouvo, demande à la cour d'appel, au visa des articles L.651-1 et suivants du Code de Commerce, des articles L.653-1 et suivants du Code de Commerce, de’ :
- Confirmer le jugement attaqué et de :
- Constater que monsieur M. G. a commis de nombreuses fautes de gestion dans le cadre de ses fonctions de gérant de droit de la société Renouvo ;
- Constater que ces fautes ont contribué à l'aggravation de l'insuffisance d'actifs et qu'elles le rendent par ailleurs éligible à la sanction de faillite personnelle ;
- Constater que l'insuffisance d'actif s'élève à 1.182.676,57 euros ;
En conséquence,
A titre principal :
- Condamner monsieur Eric M. G. à supporter l'insuffisance d'actifs de la société Renouvo, à hauteur de 400.000 € ;
- Prononcer la faillite personnelle de monsieur Eric M. G. pour une durée de 10 ans ;
A titre subsidiaire :
-condamner monsieur Eric M. G. à une interdiction de gérer de 10 ans ;
En tout état de cause :
- Condamner monsieur Eric M. G. à payer à la Selarl G.-G., ès-qualités, la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens.
Le ministère public a conclu à la confirmation du jugement et s'en remet à la cour sur l'exclusion de Cylobat du périmètre de l'interdiction de gérer
SUR CE
Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif
La Selarl G.-G. soutient que monsieur M. a commis de nombreuses fautes de gestion justifiant la mise en cause de sa responsabilité à ce titre.
Monsieur M. fait valoir que sa situation financière personnelle est fortement obérée, qu'il a dû vendre sa résidence principale, qu'une procédure de saisie-immobilière est en cours sur les locaux d'exploitation de la société Renouvo, qu'il a subi un infarctus du myocarde le 29 septembre 2015 et qu'il reste débiteur d'environ 30.000 euros envers le régime social des indépendants. Il précise qu'il n'avait pas d'avocat devant la juridiction de première instance.
Aux termes des dispositions de l'article L 651-2 du code de commerce'Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion.'
Il convient en conséquence d'examiner les fautes de gestion commises par monsieur M. qui ont contribué à l'insuffisance d'actif, étant précisé que l'insuffisance d'actif s'élève à 1.182.676, 57 euros.
- Sur l'absence de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal
La Selarl G.-G. fait valoir que la déclaration de cessation des paiements a été déposée le 2 avril 2015, que le tribunal a toutefois fixé la date de cessation des paiements à son délai maximum (9 octobre 2013) et que le délai de 45 jours est ainsi largement dépassé. Elle ajoute qu'il ressort de l'état des inscriptions, dont la première date du 22 février 2013, des déclarations de créances et des relevés de compte que l'état de cessation des paiements était bien constitué au 9 octobre 2013 voire auparavant.
Monsieur M. soutient que les premiers juges ont retenu que la première inscription en date du 22 février 2013, soit avant la date de cessation des paiements, et en ont déduit que monsieur M. avait connaissance de la situation.
Il fait valoir que l'existence des inscriptions ne permet en aucun cas de démontrer, d'une part, l'état de cessation des paiements, et d'autre part, que l'appelant aurait sciemment omis de le déclarer. Il ajoute que le montant des inscriptions (18.993 euros) est à relativiser compte du tenu du chiffre d'affaires réalisé la même année (1.727.726 euros), et que la société a toujours fonctionné avec un passif important.
Monsieur M. expose qu'il lui est reproché d'avoir commis une faute de gestion en procédant hors délai à la déclaration de cessation des paiements, ce qui aurait eu pour conséquence une aggravation du passif. Cependant, le montant du passif était évalué à 1.800.000 euros au 31 décembre 2013 et il ressort de l'ordonnance du juge-commissaire déposée au greffe le 4 janvier 2017 que le passif admis, qui s'élevait au jour d'ouverture de la procédure collective à 2.186.433,20 euros, s'élève aujourd'hui à 1.188.017,25 euros. Le passif n'a donc pas augmenté, mais au contraire fortement diminué depuis la date de cessation des paiements telle que retenue par le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire.
Selon lui le fait que certaines créances aient augmenté ne suffit pas à démontrer que le passif ait augmenté.
Monsieur M. conclut que si le passif a diminué, aucune « aggravation » du passif ne saurait lui être reprochée.
Il est constant que monsieur M. n'a pas déclaré la cessation des paiements de son entreprise dans le délai légal de 45 jours. La cour relève en effet qu'il existe 11 inscriptions de privilèges de sécurité sociale et un privilège du trésor, trois d'entre elles datant de 2013 la première inscription datant de février 2013 et que l'administration fiscale a déclaré une créance de TVA de 133.728 euros pour l'année 2013. Parallèlement depuis avril 2014 le compte de la société était constamment débiteur et aucune autorisation de découvert n'a été produite.
La cour constate que la créance Urssaf a augmenté de 97.164 euros entre le mois de septembre 2013 et la créance finale, que la créance du trésor public a augmenté de 53.378 euros, que le solde du compte courant auprès de la BNP a augmenté de 13.642 euros, que les salaires n'ont plus été réglés après décembre 2014 alors qu'au 31 décembre 2013 il n'y avait aucune dette de salaire, soit une augmentation de passif de 174.000 euros et enfin que la créance de PRO BTP a augmenté de 41.770 euros.
Au regard de ces éléments la cour considère que monsieur M. G. avait connaissance de la cessation des paiements de son entreprise puisqu'il ne payait plus les créanciers institutionnels et a sciemment omis de déposer son bilan, entraînant ainsi une augmentation du passif de la société Renouvo.
- Sur l'absence de tenue d'une comptabilité régulière
La selarl G.-G. soutient que la comptabilité de la société Renouvo n'a été tenue que jusqu'au 31 décembre 2013, ce qui pourrait expliquer le manque de recul de monsieur M. quant à l'état réel de sa société et la tardiveté de la déclaration de cessation des paiements.
Monsieur M. fait valoir que la comptabilité a toujours été tenue régulièrement, ce que le jugement a confirmé.
La cour relève que la comptabilité a été régulièrement tenue et que ce grief ne peut donc être retenu.
- Sur la soustraction d'actifs
La Selarl G.-G. fait valoir que le bilan clos au 31 décembre 2013 indiquait la présence dans la société de matériel et d'outillage pour 20.879 €, mais que le commissaire-priseur n'a retrouvé que six ordinateurs et deux imprimantes. Elle en déduit qu'ils seraient en la possession de l'entreprise Cylobat également gérée par monsieur M...
Elle ajoute que d'importants prélèvements ont été effectués au profit de monsieur M. peu de temps avant le dépôt de bilan’ : 21.000 euros le 26 février 2015, 2.800 euros le 31 mars 2015. Elle oppose à monsieur M., qui soutient avoir effectué ces prélèvements pour survivre, que ce dernier était gérant d'autres sociétés susceptibles de lui assurer un revenu. Elle ajoute que l'affirmation selon laquelle il ne s'est pas payé depuis fin 2013 est fausse dans la mesure où, d'avril 2014 à décembre 2014, il a été possible d'identifier des virements à son profit d'un montant de 26.354 €. Elle soutient que l'abandon de créance invoqué par l'appelant n'apparaît pas en comptabilité.
S'agissant du petit matériel de chantier qui aurait disparu, monsieur M. précise que le commissaire-priseur n'a à aucun moment dressé d'inventaire des biens, qu'il ne s'est pas déplacé dans l'entreprise, mais s'est contenté de lui téléphoner pour lui demander de rapporter le véhicule appartenant à la société.
S'agissant des prélèvements personnels à hauteur de 23.800 euros, monsieur M. fait valoir qu'il est père de deux enfants et qu'il avait besoin de cet argent pour survivre. Il ajoute que ces prélèvements sont très modestes en comparaison des sommes investies (augmentation de capital de 100.000 euros en 2012, et abandon de compte courant de 150.000 euros en 2011).
La cour relève en premier lieu que le commissaire-priseur n'a pas dressé d'inventaire des biens de la société de sorte qu'il n'est pas établi que monsieur M. a soustrait du matériel de la société Renouvo. Ce grief sera en conséquence écarté.
Pour ce qui est des prélèvements opérés par monsieur M. à hauteur de 23.800 euros peu de temps avant la déclaration de cessation des paiements la cour relève qu'il est exact qu'ils ont été modestes. Monsieur M. justifie une baisse de revenus à compter de l'année 2012. Il apparaît cependant sur ses avis d'imposition qu'il dispose d'autres revenus. Ainsi, au regard de la situation déficitaire de la société à compter de 2010 (à l'exception de l'année 2012) ces prélèvements n'auraient pas dûs être effectués et monsieur M. aurait dû déclarer sa cessation des paiements.
La cour retiendra donc partiellement ce grief.
- Sur la poursuite de l'activité dans un intérêt personnel
La Selarl G.-G. fait valoir que les locaux loués appartiennent à la Sci Dom-Imo dont monsieur M. est associé et gérant, que le passif admis dépasse les 2 millions d'euros, et que pourtant la Sci n'apparaît pas parmi les créanciers antérieurs, signe que les loyers ont été payés.
Elle soutient que monsieur M. a tardé à déposer le bilan, la société Renouvo lui assurant un revenu confortable (9.134 € mensuels en 2010, 7.806 € mensuels en 2011, 6.497 € mensuels en 2012) et lui permettant de se constituer un patrimoine via sa Sci. La Selarl G.-G. ajoute que les mesures prises ' diminutions de rémunérations et de loyers ' ont été tardives, ses revenus étant restés élevés alors que la société était déficitaire.
Monsieur M. fait valoir que les rémunérations qu'il a perçues sont sans commune mesure avec les sommes qu'il a investies dans la société, que ses rémunérations et les loyers perçus par la Sci Dom Imo ont fortement diminué et que cette dernière a renoncé au recouvrement de sa créance de 5.000 euros. Il soutient qu'il a donc déployé des efforts considérables pour redresser son entreprise. Il ajoute qu'il est absurde de le présenter comme une personne rompue à la pratique des affaires. Monsieur M. conclut que la décision de l'écarter de la vie des affaires apparaît comme une violation flagrante du principe de proportionnalité
Pour ce qui est de l'abandon de compte courant, la cour relève qu'il ne ressort pas des pièces comptables produites par monsieur M. qu'il l'aurait abandonné à hauteur de 150.000 euros.
Pour ce qui est des loyers dus à la Sci Dom Imo monsieur M. admet ne pas avoir déclaré la créance de la Sci, dont il est le gérant, mais il ne produit aucune pièce établissant que les loyers n'auraient pas été payés. La cour considère en conséquence que monsieur M. a continué à payer les loyers et qu'il avait donc intérêt à poursuivre l'activité de la société Renouvo afin de percevoir les loyers au titre de la Sci.
Enfin, monsieur M. produit une assignation devant le tribunal de commerce de Meaux établissant qu'il a été appelé en qualité de caution à payer la somme de 172.807 euros.
La cour retiendra donc partiellement ce grief.
- Sur le lien de causalité
La cour relève que les griefs qu'elle a retenus à l'encontre de monsieur M. G. ont tous contribué à l'insuffisance d'actif. Cependant la cour prendra en compte les engagements de caution de monsieur M. G. et la diminution qu'il a opéré sur ses revenus. Compte tenu de ces éléments il convient de le condamner à supporter l'insuffisance d'actif de la société Renouvo à hauteur de 100.000 euros;
Sur la faillite personnelle
La Selarl G.-G. demande le prononcé d'une mesure de faillite personnelle à l'égard de monsieur M.. Les fautes qui lui sont reprochées sont les suivantes, : absence de tenue de comptabilité depuis le 31 décembre 2013, déclaration tardive de cessation des paiements et poursuite d'une activité dans un intérêt personnel.
Monsieur M. soutient que la faillite personnelle est une sanction facultative, que sont pris en compte pour justifier l'absence de sanction les efforts déployés par le dirigeant pour tenter de sauver la société, et que cette sanction est soumise au principe de proportionnalité. Il soutient que la faillite personnelle est inopportune et hors de proportion.
La cour au regard des éléments produits et rappelés ci-dessus considère qu'il convient de condamner monsieur M. à une mesure d'interdiction de gérer pendant une durée de sept ans.
La société Cylobat sera exclue de l'interdiction de gérer.
Il serait inéquitable de laisser à la Selarl G.G., ès qualités, la charge des frais qu'elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens. Il lui sera donc allouée à ce titre la somme de 2.000 euros.
PAR CES MOTIFS,
Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Meaux le 14 novembre 2016 sauf sur le principe de la contribution à l'insuffisance d'actif,
Statuant à nouveau,
Condamne monsieur Eric M. G. à supporter l'insuffisance d'actif de la société Renouvo à hauteur de 100.000 euros,
Condamne monsieur M. G. à une mesure d'interdiction de gérer pendant une durée de sept années à l'exclusion de la société Cylobat,
Condamne monsieur Eric M. G. à payer à la Selarl G.G., ès qualités de mandataire liquidateur de la société Renouvo la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne monsieur Eric M. G. aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.