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Décisions

Cass. crim., 29 juin 2005, n° 05-82.265

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

M. Challe

Avocat général :

M. Davenas

Avocats :

SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Choucroy, Gadiou et Chevallier

Douai, du 11 fév. 2005

11 février 2005

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-1 et 433-1 du Code pénal, 7, 8, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande de constatation de la prescription des faits de corruption ;

"aux motifs que, "suivant l'article 8 du Code de procédure pénale, en matière de délit, le délai de prescription est de 3 ans, celui-ci ne commençant à courir que le lendemain du jour où l'infraction a été commise ; que le délit de corruption, infraction instantanée, consommé dès la conclusion du pacte entre le corrupteur et le corrompu se renouvelle à chaque acte d'exécution dudit pacte ; qu'il est reproché en l'espèce à la Banque Hervet d'avoir cédé à la demande de Bernard X... la créance hypothécaire qu'elle détenait sur la SCCV Vendôme et d'avoir réalisé cette cession à un prix avantageux pour Bernard X..., lequel intervenait sous couvert d'une SCI "BD", aux fins d'obtenir de ce dernier qu'il la favorise, ou à tout le moins ne la défavorise pas, dans les intérêts financiers qu'elle détenait sur la liquidation d'Eric Y... et de la SA Z... ; qu'en l'espèce, le 6 juillet 1994, le tribunal de commerce de Lille prononçait la liquidation judiciaire d'Eric Y... et désignait Bernard X... en qualité de liquidateur ;

que, selon le rapport d'enquête établi le 25 avril 1994 par Bernard X..., la créance de la Banque Hervet sur Eric Y... se chiffrait à 5 116 400 francs ; que le 21 juin 1995, Bernard X... versait à la Banque Hervet une somme de 2 millions de francs à titre de provision sur les 2 685 000 francs obtenus de la cession des immeubles appartenant à Y... ; que le 23 octobre 1996 se tenait à la Banque Hervet une réunion entre les représentants de la banque et Bernard X... ; de la note établie sur cette réunion par Arnaud A... de B..., cadre à la banque, et saisie au cours de la procédure, il résulte que Bernard X... avait fait à la banque une proposition chiffrée de rachat de la créance concernant la SCCV Vendôme et également proposé d'ouvrir des comptes à la banque et annoncé le versement d'un complément de fonds provenant de la liquidation Y... ; que le 7 novembre 1996, une seconde réunion se tenait entre Bernard X... et la Banque Hervet ; que le compte-rendu écrit de cette réunion indique qu'au cours de celle-ci, trois dossiers avaient été évoqués, celui de la cession de créance Vendôme et ceux des liquidations Y... et Z... ;

que le 13 novembre 1996, la Banque Hervet mettait Bernard X... en demeure de lui payer le solde des sommes dues au titre du dossier Y... (685 000 francs), ce versement était ensuite autorisé par décision rendue par le juge commissaire le 22 novembre 1996, sur proposition de Bernard X... ; que s'agissant de la SA Z..., celle-ci était placée le 17 juin 1996 en liquidation judiciaire, le tribunal désignait Bernard X... en qualité de liquidateur ; le 3 octobre 1996 la SCI Résidence des Comtes du Hainaut, détenue à 99% par la SA Z... était à son tour placée en liquidation judiciaire et Bernard X... était désigné en qualité de liquidateur ; que le 28 novembre 1996, Bernard X... contestait la créance déclarée par la banque Hervet au passif de la SA Z... pour un montant de 8 510 879, 69 francs ; que le 20 janvier 1997, le juge commissaire rendait une ordonnance de sursis à statuer concernant l'admission de la créance de la banque Hervet dans le cadre de la liquidation de la SA Z... ; que, si par décision du 3 avril 1997, le tribunal de grande instance de Lille remplaçait sur sa demande Bernard X... par Philippe C... en qualité de liquidateur de la SCI Résidence des Comtes du Hainaut, ce remplacement ne concernait pas la SA Z... qui conservait Bernard X... comme liquidateur ; que par décision du 18 mai 1998, le juge commissaire admettait la créance de la banque Hervet à propos de la liquidation Z... pour un montant de 8 037 308 francs ; qu' " il résulte de ces éléments que si le pacte de corruption qu'il est reproché à la Banque Hervet d'avoir conclu avec Bernard X..., sous le couvert de la société immobilière " BD ", a été signé le 13 février 1997, le dernier acte d'exécution de ce pacte doit être fixé le 18 mai 1998, date à laquelle sa créance sur la liquidation Z..., qui constituait l'un des éléments indissociable du pacte, fut admise et fixée à l'initiative de Bernard X..., liquidateur de ladite société ; que " le délai de prescription de l'action publique du fait de corruption reproché à la Banque Hervet a par conséquent commencé à courir à compter du 18 mai 1998 ; qu' " à la réception des investigations diligentées consécutivement au dépôt, en juillet et septembre 1998 par Robert D..., de plaintes pour violation du secret professionnel, le procureur de la République de Lille ordonnait des investigations nouvelles ; que, dans ce cadre, Robert D..., entendu par les services de police de Saint-Maur des Fossés le 7 juin 2000, remettait aux enquêteurs des documents évoquant de manière précise la question du rachat par Bernard X... de la créance hypothécaire de la Banque Hervet ;

qu' " à partir de ces documents et faits nouveaux, le parquet de Lille demandait, le 28 juin 2000, au parquet de Chalons-sur-Marne, de faire entendre Patrice E..., rédacteur d'une des pièces, concernant la cession de créance ; celui-ci devait confirmer le 21 septembre 2000 aux policiers le contenu de son attestation " ;

que " les investigations ainsi diligentées sur instruction du procureur de la République de Lille constituent des actes ayant interrompu, à compter de leur date d'exécution respective, le délai de prescription concernant les faits de corruption active reprochés à la banque Hervet, de sorte que la prescription de l'infraction de corruption active reprochée à la Banque Hervet ne se trouvait pas acquise le 6 novembre 2002 au moment de l'ouverture, par le procureur de la République de Lille, d'une enquête préliminaire sur les conditions du rachat de la créance de la Banque Hervet ;

"alors, d'une part, qu'en vertu de l'article 7 du Code de procédure pénale, la prescription court du jour de la commission de l'infraction ; qu'en vertu de l'article 433-1 du Code pénal, la corruption active se réalise par le fait de proposer un avantage à un agent public afin qu'il accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte de sa fonction ou facilité par sa fonction ; qu'elle se réalise également par le fait de céder à la demande d'un agent public un tel avantage dans un tel but ; qu'ainsi, seule la proposition du pacte corrupteur par le corrupteur ou le fait pour celui-ci de céder à proposition en ce sens du corrompu, en lui fournissant un avantage dans le but précité, sont constitutifs de l'infraction ; qu'ainsi, le fait pour le corrompu d'accomplir ou de s'abstenir d'accomplir un acte de sa fonction ou facilité par sa fonction, n'étant pas un élément constitutif de l'infraction, ne peut être le point de départ de la prescription, et encore moins un quelconque acte obtenu d'un tiers par le corrompu ; qu'en décidant que l'ordonnance d'admission d'une créance de la Banque Hervet dans la procédure collective concernant la société Z... par le juge commissaire en date du 18 mai 1998 constituait le point de départ de la prescription, la cour d'appel a violé les articles précités ;

"alors, qu'en tout état de cause, l'article 433-1 du Code de procédure pénale définissant le but de la corruption comme le fait d'obtenir que l'agent public accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte de sa fonction ou facilité par sa fonction, seul un tel acte pourrait éventuellement constituer le point de départ de la prescription ; que, par conséquent, l'ordonnance d'admission d'une créance par le juge commissaire serait-elle rendue à la demande du représentant des créanciers ou du liquidateur, ne peut pas constituer un acte d'exécution du pacte de corruption, et ne peut d'ailleurs être imputée au représentant des créanciers ou au liquidateur ; qu'elle ne peut donc constituer le point de départ de la prescription ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a en tout état de cause violé les articles précités ;

"alors, d'autre part, que la chambre de l'instruction n'est pas compétente pour statuer sur les éléments constitutifs de l'infraction ; qu'en considérant pour se prononcer sur la prescription de l'action publique que l'ordonnance du juge commissaire était l'un des actes d'exécution du pacte de corruption, la chambre de l'instruction a nécessairement excédé ses pouvoirs ;

"alors, de troisième part, qu'en vertu de l'article 7 du Code de procédure pénale, sont interruptifs de prescription les actes d'information ou d'instruction ; que de tels actes ne peuvent être interruptifs de prescription lorsqu'ils n'interviennent pas dans le cadre d'une enquête ou d'une instruction concernant les faits dont la prescription est invoquée ; qu'en indiquant que l'audition de M. E... à la demande du parquet de Lille, le 28 juin 2000, avait interrompu la prescription pour les faits de corruption active, alors qu'une enquête ne serait ouverte concernant les faits de corruption résultant de la cession de créance de la société Hervet Crediterme à Bernard X... que le 6 novembre 2002, et que cet acte intervenait après une plainte pour violation du secret professionnel, la chambre de l'instruction a violé l'article précité ;

"alors, enfin et en tout état de cause, qu'un acte d'enquête ne peut interrompre la prescription de l'action publique concernant une infraction déterminée que s'il est constaté que cet acte d'enquête portait effectivement sur des faits pouvant constituer une telle infraction ; que, faute pour la chambre de l'instruction d'avoir précisé en quoi la demande d'audition de M. E... portait sur les conditions dans lesquelles Bernard X... avait obtenu la cession par la banque Hervet de sa créance sur la société Vendôme, la chambre de l'instruction n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de s'assurer que cette audition avait pu interrompre la prescription pour les faits qualifiés de corruption active" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la banque Hervet a été mise en examen le 29 juin 2004, du chef de corruption active, pour avoir cédé, le 13 février 1997, à Bernard X..., mandataire-liquidateur, la créance hypothécaire qu'elle détenait sur la société civile immobilière Vendôme à un prix avantageux pour ce dernier, lequel intervenait sous le couvert d'une société Blaringhem-Dubuy, pour obtenir de lui qu'il agisse conformément aux intérêts financiers de la banque dans les procédures de liquidation judiciaire d'Eric Y... et de la société Z... ;

Attendu que, pour rejeter la requête aux fins de constatation de la prescription présentée par l'avocat de la banque Hervet, l'arrêt relève que si le pacte de corruption a été conclu entre la banque et Bernard X... le 13 février 1997, le dernier acte d'exécution de ce pacte doit être fixé au 18 mai 1998, date à laquelle sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Z... fut admise et fixée par le juge commissaire, à l'initiative de Bernard X..., liquidateur de cette société;

que les juges ajoutent que les instructions du procureur de la République, en date du 28 juin 2000, aux fins d'entendre Patrice E..., gérant de la société Vendôme et rédacteur d'une des pièces concernant la cession de créance, ainsi que l'audition de ce dernier le 21 septembre 2000, constituent des actes d'instruction ayant interrompu le délai de prescription du délit de corruption active reproché à la banque Hervet ;

Attendu qu'en prononçant ainsi la chambre de l'instruction a justifié sa décision, sans excéder ses pouvoirs ;

Que, d'une part, l'accomplissement par le corrompu d'un acte de sa fonction ou facilité par sa fonction constitue un acte d'exécution du pacte conclu entre le corrupteur et le corrompu renouvelant le délit de corruption ;

Que, d'autre part, il n'importe que le corrompu n'ait pas accompli lui-même ledit acte dès lors qu'il entrait dans ses attributions d'en proposer ou préparer la réalisation ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;