Cass. crim., 19 novembre 2003, n° 02-83.123
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 432-11 et 432-17 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a reconnu Joseph X... coupable de corruption passive et l'a condamné à dix huit mois d'emprisonnement ;
"aux motifs que M. Y... a bien déclaré que c'est par M. Z..., directeur financier de la mairie, M. A..., adjoint du maire et M. B..., responsable habitat de la mairie de Saint-Pierre qu'il a été contacté pour recruter les artisans pour la réalisation des travaux des marchés Firinga et que M. A... lui avait expliqué qu'il fallait demander à chacun de ceux-ci une partie du montant du marché pour le comité de soutien à la candidature d'Elie X... en l'état de l'annulation des précédentes élections ; que le fait d'ailleurs que ce soit un simple artisan tel que M. Y... qui était sans lien officiel avec la mairie qui ai pu avec l'accord, même à le supposer, tacite du maire, être chargé de recruter et de faire signer les artisans et entrepreneurs choisis pour près d'une quarantaine de marchés portant sur des sommes importantes démontre le caractère pour le moins inhabituel de l'opération, de même que la précipitation avec laquelle celle-ci a été menée dès lors qu'il était de notoriété publique que le tribunal administratif qui devait rendre son jugement allait annuler les élections ; 28 mars : délibérations du conseil municipal autorisant le maire à signer les marchés Firinga et signature le même jour des 37 marchés ; 29 mars : annulation des élections ; 31 mars : arrivée de la délégation spéciale à la mairie de Saint-Pierre, qu'il est également établi que c'est M. B..., responsable habitat à la mairie de Saint Pierre qui a fourni à M. Y... la liste des artisans et entrepreneurs à contacter, ce qui avait évidemment pour avantage d'éliminer tous ceux d'entre eux dont on pouvait penser qu'ils n'avaient pas de sympathie particulière pour l'équipe municipale élue récemment et dont l'élection allait être invalidée ; que, tant le choix de M. Y... pour recruter les artisans et les entrepreneurs et effectuer ainsi un travail de prospection qui normalement relevait des services techniques de la mairie de Saint-Pierre, que la précipitation avec laquelle les marchés ont été préparés et signés la veille de l'annulation des élections démontrent quoiqu'en dise Joseph X... que la passation des marchés avait un lien avec ses activités politiques et la future campagne électorale qui se préparait ; que, par ailleurs, il est constant qu'ont été saisis deux exemplaires originaux en blanc signés de M. C..., troisième adjoint, lequel aurait été sollicité parce que le maire avait quitté la mairie au soir du 28 mars sans avoir pu signer tous les marchés ; que l'existence de marchés signés en blanc est en tout cas avérée, ce qui contredit les déclarations de Joseph X... qui prétend n'avoir signé les marchés le 28 mars qu'après que ceux-ci aient été signés par les entrepreneurs et les artisans ; que ces affirmations sont totalement contredites par M. Y... mais aussi par les deux employées de celui- ci qui ont apporté leur aide pour remplir les mentions apposées sur les marchés et faire des photocopies et ont relaté de façon très précise les conditions dans lesquelles les artisans et les entrepreneurs sollicités, après s'être entretenus avec M. Y... dans le bureau de celui-ci à la société Decobois, ont signé les exemplaires de marchés, déjà signés en blanc par le maire, ce qu'ont confirmé certains entrepreneurs attributaires ; que les déclarations de Mme D... qui dit avoir elle-même rempli vingt et un marchés qui lui ont été présentés et sur lesquels elle a reconnu son écriture sont formelles sur ce point ; qu'il est donc patent que les marchés préparés par les services de la mairie avaient été signés en blanc par lui à la date qu'ils portent, soit le 28 mars 1989, veille de l'annulation par le tribunal administratif des élections de Saint-Pierre et dans un deuxième temps mais avant l'arrivée de la délégation spéciale afin que tout soit terminé pour cette arrivée, par les entrepreneurs et artisans convoqués à tour de rôle par M. Y... dans son entreprise ; que les accusations de M. Y... selon lesquelles l'obtention des marchés par les artisans et entrepreneurs préalablement sélectionnés par les services de la mairie était conditionnée par leur engagement de verser une commission destinée à financer la future campagne électorale de Joseph X... sont confirmées par les déclarations de plusieurs d'entre eux ; qu'il résulte en effet de leur audition qu'ils avaient parfaitement compris que la commission ou participation qui leur était demandée par M. Y..., au cours de l'entretien confidentiel, pour pouvoir bénéficier d'un marché et qui représentait un certain pourcentage sur le montant de celui-ci, était, selon des formulations différentes, "pour le maire" "pour le comité de soutien Joseph X...", "pour la caisse", "pour financer la politique de la municipalité", "pour le parti", "pour les élections" ce qui établit clairement qu'il s'agissait bien des sommes recueillies au bénéfice de Joseph X... et dans le but de financer sa future campagne électorale, que le fait que certains de ceux qui, ayant promis de verser la commission ou la participation demandée par M. Y... ne l'aient pas fait malgré, pour quelques uns, l'existence de relances voire de menaces, ne fait nullement disparaître le caractère répréhensible de l'opération ; qu'il reste établi d'ailleurs que sur trente-sept entrepreneurs ayant obtenu un marché, neuf de ceux-ci ayant effectivement versé des sommes à M. Y... à titre de commission ou de participation figurent parmi les membres du comité de soutien de Joseph X... ; que les fonds ainsi recueillis ont effectivement servi à financer la campagne électorale de Joseph X... dont s'est chargé M. E... pour un montant total de 379.529, 82 francs sur lesquels 172 064 francs ont été réglés par M. Y... soit en espèces, soit par chèques remis sans nom de bénéficiaire par des entrepreneurs, soit par des chèques établis par M. Y... lui-même sur le compte ouvert au nom de Decobois ; que la société Seren, publicitaire ayant confectionné les affiches et les bandeaux publicitaires pour la campagne électorale de Joseph X... a ainsi été réglée de ses prestations d'un montant total de 70 215,70 francs par deux chèques Decobois et deux chèques tirés sur les comptes d'entrepreneurs attributaires de marchés Firinga ; qu'il apparaît donc établi par l'ensemble des éléments de preuve recueillis au cours de l'information et apportés par les débats que le délit de corruption passive prévu et réprimé par l'article 432-11 du Code pénal retenu à l'encontre de Joseph X... et celui de complicité dudit délit retenu à la charge de M. Y... sont bien constitués ; que la mission confiée à celui-ci de recruter à partir d'une liste fournie par les services de la mairie des artisans et entrepreneurs sympathisants de l'équipe municipale en place pour signer dans l'extrême urgence alors que les élections municipales de Saint-Pierre venaient d'être annulées, des marchés préalablement signés en blanc par le maire et ce, afin que par le biais de commissions ou de participations représentant un pourcentage de marché conditionnant l'attribution de ceux-ci des fonds soient recueillis pour la future campagne de Joseph X... et soient, pour partie, effectivement versés ultérieurement et utilisés à cette fin avec l'accord du candidat, constitue bien le mécanisme d'un pacte de corruption conclu alors que Joseph X... était maire et qui s'est ensuite poursuivi par la perception des avantages en exécution du pacte initial, que l'attribution des marchés datés du 28 mars 1989 et signés par Joseph X..., alors maire en exercice de Saint-Pierre, est bien un acte de sa fonction, la sollicitation ou pour le moins l'agrément c'est à dire l'acceptation volontaire de dons précédant la signature par les artisans et entrepreneurs des contrats effectués par M. Y... agissant sur instruction de Joseph X... et au bénéfice exclusif de ce dernier dans le but de financer la nouvelle campagne électorale rendue inéluctable par l'annulation prévue des élections municipales constituent les éléments constitutifs du délit de corruption passive à la charge de Joseph X... et de complicité à la charge de M. Y... ;
"alors que le délit de corruption passive exige que la personne investie d'un mandat électif public sollicite ou agrée des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour accomplir un acte de sa fonction ; que la sollicitation d'un don implique une initiative de l'intéressé, directe ou par personne interposée dûment mandatée ; que l'agrément suppose tout à la fois l'acceptation par le corrompu des offres qui lui sont faites et la réception des dons ou présents promis ; que la chambre des appels correctionnels a relevé que M. Y..., artisan, avait été contacté par M. Z..., directeur financier de la mairie, par M. A..., adjoint du maire, et par M. B..., responsable habitat de la mairie de Saint-Pierre, pour recruter des artisans pour la réalisation de travaux moyennant le reversement d'une partie du montant du marché au comité de soutien à la candidature de Joseph X... ; qu'elle a expressément souligné, d'une part, que M. B... avait fourni à M. Y... la liste des artisans et des entrepreneurs à contacter et que, d'autre part, c'est M. Y... qui, au cours d'un entretien confidentiel, demandait aux entrepreneurs leur participation financière ; que la chambre des appels correctionnels a encore retenu que l'intégralité des versements s'était réalisée entre les mains de M. Y... par chèques ou en espèces ; qu'en déclarant Joseph X... coupable du délit de corruption passive, la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Saint-Denis, qui, ce faisant, n'a pas caractérisé en quoi Joseph X... avait pris personnellement l'initiative de ce procédé frauduleux, fût ce par personne interposée, ou l'ayant connu, l'aurait approuvé, a privé sa décision de toute base légale" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable, et a ainsi justifié l'allocation, au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;