Cass. crim., 8 octobre 2003, n° 03-82.589
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
M. Samuel
Avocat général :
M. Mouton
Avocat :
SCP Piwnica et Molinié
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1907 du Code civil, 179 de l'ancien Code pénal, 433-1 du Code pénal, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré l'action publique non prescrite ;
"aux motifs, repris des premiers juges, d'une part, que Pierre X... fait valoir qu'aucune poursuite ne peut être exercée à son encontre dans la mesure où aucun acte de poursuite ou d'instruction n'a été exécuté dans les trois années qui ont suivi sa participation personnelle à un acte constitutif du prétendu délit de corruption, ayant cessé toute responsabilité au sein de la SDBO à compter du 30 juin 1992, la poursuite de l'exécution des contrats de prêts n'ayant aucune incidence sur la prescription de l'action publique ; que si le délit de corruption est un délit instantané qui se consomme lors de la conclusion du pacte de corruption, il se renouvelle dans ses éléments constitutifs à chaque moment d'exécution du pacte de corruption, en l'occurrence à chaque perception des dons, présents ou avantages qui ont été déterminés lors de sa conclusion ; que le dernier acte de perception marque l'ultime manifestation de la volonté coupable et l'achèvement du concert frauduleux et ainsi le point de départ du délai de prescription du délit (Cass. crim. 6 février 1969 ; Cass. crim. 27 octobre 1997 ; Cass. crim. 30 mai 2001 ; Cass. crim. 10 octobre 2001) ; qu'en l'espèce les pactes corruptifs qu'il est reproché à Pierre X... d'avoir conclu en qualité de directeur général de la SDBO avec divers mandataires judiciaires, mettaient à la charge dudit établissement de crédit l'octroi de prêts à des conditions tarifaires avantageuses ; que ces prêts ne peuvent être considérés comme don ou présent au sens de la loi pénale parce qu'ils ne s'analysent pas comme un procédé fictif destiné à masquer la nature réelle de la libéralité du versement opéré lors de la libération du capital emprunté (Cass. crim. 9 janvier 1989) ; que ces contrats constituent chacun un avantage au regard de leurs conditions particulières et spécialement du taux d'intérêt déterminé ; que cet avantage a été perçu par les mandataires judiciaires mis en examen non au moment de la libération du capital, mais à chaque échéance de remboursement des prêts litigieux, échéance calculée avec le taux d'intérêt "préférentiel", soit tout au long de leur amortissement ;
qu'ainsi l'avantage ne pouvait être entièrement perçu qu'au moment du remboursement intégral dès lors que le taux "préférentiel" était appliqué jusqu'à la dernière échéance ; qu'en conséquence le point de départ du délai de prescription ne saurait être fixé au jour du versement des fonds empruntés, mais doit être reporté au jour de règlement de la dernière échéance de remboursement calculée selon les modalités tarifaires arrêtées dans le cadre du pacte de corruption ; que le premier acte interruptif de prescription est intervenu le 15 avril 1996 ; qu'ainsi ne sauraient être couverts par la prescription que les délits de corruption consommés par la conclusion de contrats de prêts bancaires à taux "préférentiel", dont le complet amortissement est antérieur au mois d'avril 1993 ; qu'il est établi que Pierre X... a quitté ses fonctions au sein de la SDBO le 30 juin 1992 pour prendre sa retraite ; que si des pactes de corruption scellés par lui-même lorsqu'il assumait la direction générale de l'établissement bancaire ont été exécutés en partie durant la gestion de son successeur, il peut légitimement être poursuivi comme auteur desdits délits, dans la mesure où il a accompli personnellement un des éléments constitutifs desdits délits ;
"et aux motifs propres, d'autre part, que les dons, présents ou avantages acceptés par une personne investie d'une mission de service public, postérieurement à l'accomplissement de l'acte de la fonction, permettent de retenir que le délit de corruption, consommé dès la conclusion du pacte entre le corrupteur et le corrompu, se renouvelle à chaque acte d'exécution dudit pacte ; que tel pourrait être le cas des prêts dont ont bénéficié les mandataires de justice, l'information ayant notamment pour but de vérifier la réalité de l'absence d'intérêt perçu par la banque ou de la perception par elle d'un taux inférieur à celui prévu par chacun des contrats de prêt, en contrepartie de l'apport des fonds de leurs administrés, étant observé que certains des documents appréhendés laissent craindre que la banque se soit ménagé la possibilité de réclamer les intérêts contractuels, ou de revoir les taux consentis, en cas de cessation de ces apports de fonds, ainsi que l'a reconnu Pierre X... (cf. D. 3188 à 3180 et D. 3176 à 3170) ;
"1 ) alors que lorsque le délit de corruption est caractérisé par l'attribution d'un prêt à taux conventionnel préférentiel, à supposer que l'attribution de ce taux constitue l'avantage entrant dans les prévisions de l'article 433-1 du Code pénal, c'est au jour où le taux de l'intérêt conventionnel a été fixé par écrit, conformément à l'article 1907 du Code civil, que court le délai de prescription, le versement des échéances minorées du prêt n'étant que la conséquence des stipulations du contrat initial ;
"2 ) alors qu'il est de principe que le pacte initial de corruption entre le corrupteur et le corrompu et chacun des actes de renouvellement de ce pacte constituent autant d'infractions instantanées distinctes les unes des autres, n'ayant entre elles aucun lien d'indivisibilité et faisant courir des délais de prescription distincte ; que la thèse de l'arrêt consiste à considérer que chacun des versements des échéances des prêts consentis à des taux minorés constituant des actes d'exécution des pactes initiaux de corruption concrétisés par la conclusion de ces prêts entraîne automatiquement un report du point de départ du délai de prescription à l'encontre du banquier signataire de ses pactes initiaux quand bien même il est constaté que celui-ci n'a pu prendre aucune part à la perception du remboursement des échéances de prêt, les pactes initiaux de corruption étant considérés comme des éléments constitutifs des actes d'exécution de ceux-ci ; que cette opinion procède d'une confusion manifeste, le pacte de corruption initial étant une condition de l'existence des actes d'exécution subséquents et non un élément constitutif de ceux-ci conformément aux principes susvisés et qu'en cet état, la chambre de l'instruction, qui constatait implicitement mais nécessairement que la prescription était acquise à Pierre X... en ce qui concerne la signature des prêts prétendument constitutifs de pactes de corruption et que celui-ci n'avait pu participer à aucun acte de perception des remboursements des échéances des prêts en raison de son départ de la banque, ne pouvait, sans méconnaître le principe susvisé, déclarer la prescription de l'action publique non acquise en ce qui le concerne ;
"3 ) alors que les remboursements, par son bénéficiaire, des échéances d'un prêt conclu à un taux préférentiel ne sauraient être assimilés à la remise de sommes par l'auteur de la corruption active et par conséquent à des actes d'exécution du pacte initial impliquant la réitération d'actes de volonté de sa part" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Pierre X... a été mis en examen du chef de corruption active pour avoir, de 1983 à fin décembre 1992 et ultérieurement, en sa qualité de directeur général de la Société de banque occidentale (SDBO), proposé à des mandataires de justice des prêts à taux réduit en contrepartie de l'ouverture, dans cet établissement, de comptes au nom de sociétés placées sous administration judiciaire ;
que le premier acte interruptif de prescription est intervenu le 15 avril 1996 ;
Attendu que le mis en examen, qui a quitté ses fonctions au sein de la SDBO le 30 juin 1992, a invoqué la fin de non-recevoir tirée de la prescription au motif que la date de commission des faits qui lui sont reprochés était antérieure au 30 juin 1992 et donc au 15 avril 1993 ;
Attendu que, pour écarter la prescription pour les faits concernant les contrats de prêts à taux préférentiel dont l'amortissement s'est poursuivi au-delà du 15 avril 1993, l'arrêt, après avoir rappelé que le délit de corruption, consommé dès la conclusion du pacte entre le corrupteur et le corrompu, se renouvelle à chaque acte d'exécution dudit pacte, énonce que tel pourrait être le cas des prêts dont ont bénéficié les mandataires de justice, les documents saisis et les déclarations de Pierre X... faisant apparaître que la banque se serait ménagé notamment la possibilité de revoir les taux privilégiés qui leur avaient été consentis, en cas de cessation des apports de fonds initialement prévus ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que le maintien, par la banque, d'un taux privilégié aurait été subordonné à l'accomplissement, par les mandataires de justice, d'actes de leur fonction, constituant, à chaque échéance, un acte d'exécution du pacte de corruption, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;