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Décisions

Cass. crim., 1 avril 2020, n° 18-85.381

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

M. Pauthe

Avocat général :

Mme Moracchini

Avocat :

SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel

Colmar, du 24 juill. 2018

24 juillet 2018


Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. E... W... a porté plainte à l'encontre de M. C... pour falsification de documents médicaux portant sur leur date et l'ajout de certaines mentions, notamment dans des arrêts de travail établis par le docteur R..., produits lors de l'audience du 24 novembre 2015 du tribunal correctionnel de Strasbourg devant lequel l'un et l'autre ont comparu pour violences réciproques commises le 2 janvier 2015.

3. Le tribunal correctionnel, saisi des faits de violences, a, par jugement du 5 janvier 2016, déclaré coupable chacun des deux prévenus des violences commises sur l'autre en retenant une durée de six semaines d'incapacité totale de travail résultant des blessures dont souffrait M. C..., telle que déterminée par le docteur F..., médecin-légiste à l'Institut médico-légal de Strasbourg.

4. Le 7 avril 2017, à l'issue de l'enquête diligentée sur les faits dénoncés par M. W..., M. C... a reçu convocation à comparaître devant le tribunal correctionnel de Colmar sous la prévention d'escroquerie.

5. Par jugement du 17 octobre 2017, ce tribunal, après avoir requalifié les faits en usage de faux en écriture, a déclaré M. C... coupable et l'a condamné à la peine de cent jours-amende d'un montant unitaire de huit euros.

6. M. C... et le procureur de la République ont interjeté appel.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Mais sur le deuxième moyen pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. Le moyen est pris de la violation des articles 441-1, 441-10 et 441-11 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale.

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a requalifié les faits d'escroquerie commis le 2 janvier 2015 à Fegersheim reprochés à M. C... en usage de faux en écriture commis le 24 novembre 2015 à Strasbourg, faits prévus par l'article 441-1 du code pénal et réprimés par les articles 441-1, alinéa 2, 441-10 et 441-11 du code pénal et déclaré M. C... coupable d'usage de faux en écriture commis le 24 novembre 2015 à Strasbourg, alors :

« 1°/ que pour constituer un faux, l'altération de la vérité doit affecter une mention substantielle de l'acte ; qu'un arrêt de travail a pour but essentiel de constater une incapacité de travail et d'en déterminer la période, qu'en revanche les raisons pour lesquelles l'arrêt est intervenu en sont des mentions secondaires ; que la mention « agression » ajouté dans l'arrêt de travail ne constituait pas l'altération d'une mention substantielle de ce document ; que, bien qu'ayant constaté que la mention erronée avait trait à la cause de l'arrêt, soit qu'il s'agissait d'une mention secondaire du document, en affirmant cependant que l'arrêt de travail litigieux constituait un faux, la cour d'appel a violé les articles 441-1 et suivants du code pénal. »


Réponse de la Cour

Vu les articles 441-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :

10. Aux termes du premier de ces textes, constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice, accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques.

11. Il résulte du second texte que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction équivaut à leur absence.

12. Pour déclarer le prévenu coupable d'usage de faux, l'arrêt attaqué et le jugement qu'il confirme énoncent que le jugement du 5 janvier 2016 s'est fondé sur le certificat médical du docteur F... qui avait évalué à six semaines d'incapacité totale de travail les conséquences des blessures subies par M. C..., que la plainte de M. W... vise la falsification de documents médicaux, concernant des arrêts de travail établis par le docteur R..., et les incohérences de diverses pièces médicales produites.

13. Les juges relèvent que le docteur R..., entendu au cours de l'enquête, n'a évoqué qu'une seule falsification dans un arrêt de travail, qu'il a lui-même daté par erreur du 3 janvier 2014 au lieu du 3 janvier 2015, soit l'ajout du mot agression et n'a pas été entendu sur les autres ajouts révélés par la présence au dossier de deux versions distinctes du même arrêt de travail et que selon l'enquête, le même médecin a établi un certificat médical mentionnant un commémoratif d'agression.

14. Les juges ajoutent que M. C... a déclaré qu'il s'était estimé apte à travailler, et n'a, en fait, bénéficié d'aucun arrêt de travail ni perçu d'indemnité journalière, que, si la reprise d'un travail en dépit d'arrêts de travail médicalement autorisés n'est pas constitutive d'une infraction pénale, en revanche, la production devant un tribunal d'une pièce délibérément modifiée est constitutive d'un usage de faux et que le préjudice caractérisant le faux est constitué par l'atteinte à la force probante de la pièce médicale elle-même.

15. En statuant ainsi, sans établir que l'altération reprochée portait sur une mention substantielle du document argué de faux et était de nature à causer un préjudice, la mention litigieuse n'intéressant pas la substance du document en cause qui avait pour seule fonction de décrire les conséquences corporelles des violences alléguées et d'indiquer la durée de l'arrêt de travail qui en est résulté, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés.

16. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.


PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les trois autres branches du deuxième moyen et le troisième moyen proposés, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Colmar, en date du 24 juillet 2018, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Colmar, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Colmar, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.