Cass. com., 10 février 2015, n° 14-10.612
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Spinosi et Sureau
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 novembre 2013), que la société en nom collectif Retiro La Courtine I (la SNC), constituée en 2002 en vue d'acquérir une galerie marchande, a obtenu, pour ce faire, le concours d'un établissement de crédit (la banque) sous la forme de prêts devenus exigibles le 30 octobre 2007 ; qu'après avoir acquis la créance de la banque pour un montant en principal de 4 241 850 euros, la société CFA, titulaire de 50,1 % des parts représentant le capital de la SNC, a, par acte extra-judiciaire du 9 juin 2008, mis en demeure cette dernière de lui régler la somme de 2 205 602 euros correspondant à une fraction de la créance ainsi acquise, égale à la participation de la société Mureville dans le capital de la SNC, soit 49,8 % ; que l'administrateur provisoire chargé de la gestion de la SNC lui ayant répondu, le 4 juillet 2008, que, celle-ci ne pouvant faire face à cette obligation, il était contraint de régulariser une déclaration de cessation des paiements, la société CFA l'a informé, le 16 juillet 2008, que les effets de la sommation précédemment délivrée étaient « suspendus » ; que, par acte du 4 août 2008, la société CFA a saisi la juridiction des référés afin d'obtenir la condamnation de la société Mureville, en qualité d'associée, au paiement de la somme objet de la mise en demeure du 9 juin 2008, actualisée au 1er février 2009 ; que le juge des référés ayant accueilli cette prétention, la société Mureville a assigné la société CFA devant le juge du principal afin qu'elle soit déclarée irrecevable en sa demande en paiement de la créance née des prêts accordés à la SNC ;
Attendu que la société Mureville fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes alors, selon le moyen :
1°/ que les créanciers de la société en nom collectif ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé, simple débiteur subsidiaire, qu'après avoir vainement mis en demeure la société par acte extrajudiciaire ; qu'en retenant que l'assignation en paiement adressée par la société CFA à la société Mureville, était régulière dans la mesure où elle serait intervenue après que le créancier a vainement mis la SNC en demeure de payer sa dette sociale, tandis qu'elle relevait expressément que les effets de la mise en demeure de la SNC, intervenue le 9 juin 2008, avaient été suspendus le 16 juillet 2008, ce dont il résultait que l'action introduite par l'assignation délivrée à la société Mureville le 4 août 2008 était irrecevable, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 221-1 et R. 221-10 du code de commerce ;
2°/ que la déclaration du créancier de suspendre ses poursuites envers une société en nom collectif emporte renonciation temporaire à l'exercice de son droit de créance envers la société ; qu'en conséquence de cette renonciation, le créancier ne peut, pendant le temps de cette suspension, agir en paiement à l'encontre des associés, tenus subsidiairement des dettes sociales ; qu'en retenant néanmoins que, s'agissant d'une simple suspension et non d'une renonciation à l'exercice des poursuites à l'encontre du débiteur principal, il ne pouvait être utilement soutenu que la poursuite des associés minoritaires devenait impossible, la cour d'appel a violé l'article L. 221-1 du code de commerce ;
3°/ que les créanciers de la société en nom collectif ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé, simple débiteur subsidiaire, qu'après avoir vainement mis en demeure la société par acte extrajudiciaire et en l'absence de paiement huit jours au moins après cette mise en demeure ; que pour juger régulière l'assignation en paiement adressée par la société CFA à la société Mureville, la cour d'appel a considéré que le recours en paiement engagé contre les associés de la SNC n'est pas subordonné, à la différence du recours contre les associés d'une société civile, à la condition de vaines poursuites exigée par l'article 1858 du code civil ; qu'en statuant ainsi, tandis que les articles L. 221-1 et R. 221-10 du code de commerce subordonnent la recevabilité de l'action du créancier de la SNC contre les associés de cette dernière à de vaines poursuites contre la SNC, la cour d'appel a violé ces textes ;
4°/ que le créancier d'une SNC ne peut agir contre les associés de celle-ci sans avoir vainement agi contre la SNC ; que la société Mureville faisait valoir que la société CFA avait éludé cette règle impérative, résultant du caractère par essence subsidiaire de l'engagement des associés de la SNC à l'égard des créanciers de la société, en n'agissant que formellement contre la SNC, pour n'agir effectivement que contre son seul associé minoritaire ; que la société Mureville faisait ainsi valoir que la société CFA avait suspendu ses poursuites contre la SNC Retiro mais agi en paiement contre son associée minoritaire ; que pour juger que l'action dirigée contre la société Mureville ne constituait pas une fraude, la cour d'appel a considéré que le rachat de la créance de la banque par CFA était régulier et que la société CFA avait régulièrement exercé les droits attachés à la créance cédée, disposant d'un recours à hauteur du montant nominal de la créance transférée avec tous ses accessoires ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la poursuite dirigée contre la seule société Mureville, sans que le paiement de la créance cédée soit poursuivi effectivement contre la SNC, en suite de la suspension de la mise en demeure adressée à celle-ci, ne constituait pas une fraude à l'article L. 221-1 du code de commerce, la cour d'appel a violé ce texte, ensemble le principe fraus omnia corrumpit ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant exactement énoncé que l'exercice d'une action en paiement des dettes sociales contre l'associé d'une société en nom collectif n'est pas subordonné à la condition de vaines poursuites applicable aux associés d'une société civile mais seulement d'une vaine mise en demeure de la société, et relevé qu'il n'y avait eu ni paiement ni constitution de garanties par la SNC dans les huit jours de la mise en demeure qui lui avait été régulièrement délivrée par la société CFA, la cour d'appel en a justement déduit que celle-ci était recevable en sa demande formée contre la société Mureville après l'expiration de ce délai, le 18 juin 2008 ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt retient à bon droit que la déclaration du créancier qui avait, après cette date, indiqué à la SNC que les effets de la sommation précédemment délivrée étaient suspendus, n'emportant pas remise de dette, ne faisait pas obstacle aux poursuites du créancier contre la société Mureville ;
Et attendu, enfin, qu'après avoir constaté que le rachat par la société CFA de la créance de la banque avait permis de préserver le seul actif de la SNC, dont le sort était alors discuté entre les associés qui souhaitaient chacun l'acquérir pour son propre compte, et retenu que la société CFA avait régulièrement exercé les droits attachés à la créance cédée, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.