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Décisions

CA Papeete, ch. com., 2 juillet 2020, n° 19/00179

PAPEETE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Fenua Fish (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ripoll

Conseillers :

Mme Szklarz, M. Sekkaki

T. com. du 30 nov. 2018

30 novembre 2018

Exposé du litige’ :

Faits’ :

La Sarl Fenua Fish a été créée au mois de mai 2001 associant M. Jean- Louis B. (125 parts), M. Éric M. (250 parts) et M. Vincent B. (125 parts) avec pour activité le conditionnement et la vente en Polynésie française de poissons frais ou congelés.

Au mois de novembre 2001'des cessions de parts sociales sont intervenues, entraînant une répartition nouvelle du capital social entre M. Éric M. (249 parts), M. Jérôme M. (1 part) et M. Vincent B. (250 parts) et M. Vincent B. a été désigné seul gérant.

M. Éric M. et son fils M. Jérôme M. sont partis vivre en Nouvelle-Calédonie.

Les relations entre les associés se seraient alors détériorées.

Une assemblée générale mixte a été organisée le 19 avril 2012 puis, faute de quorum en l'absence de MM. Éric et Jérôme M., une seconde le 10 mai 2012, au cours de laquelle était notamment décidée une augmentation de capital et une réduction concomitante, entraînant la possession des 500 parts de la Sarl par M. Vincent B. seul.

Procédure’ :

Par requête du 24 janvier 2018, M. Éric M. et M. Jérôme M., ci-après dénommés « les consorts M. » ont saisi le tribunal mixte de commerce de Papeete aux fins de voir’ :

Constater que le procès-verbal d'assemblée générale du 10 mai 2012 et les statuts mis à jour à cette date n'ont pas été valablement adoptés,

Condamner M. Vincent B. et la société Fenua Fish à réparer le préjudice résultant de la perte de leurs parts sociales et des gains manqués s'ils n'en avaient été privés,

Désigner un expert pour évaluer le montant des 150 parts sociales détenues au 10 mai 2012 et les gains manqués,

Condamner M. B. et la société Fenua Fish à leur payer la somme de 220'000 FCP au titre de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.

Par jugement n°2018/000085 en date du 30 novembre 2018, le tribunal mixte de commerce de Papeete, soulignant sur le fondement de l'article 1844-14 du code civil la prescription de l'action en nullité des actes de l'assemblée générale du 10 mai 2012 entreprise a':

Débouté les consorts M.,

Condamné les consorts M. à payer à M. B. et la société Fenua Fish la somme de 200.000 FCP pour les frais irrépétibles,

Condamné les consorts M. aux dépens.

Les consorts M. a relevé appel de ce jugement par requête enregistrée au greffe le 16 mai 2019.

Prétentions et moyens des parties’ :

Les consorts M., appelants, demandent à la Cour par dernière conclusions régulièrement déposées le 16 janvier 2020, de’ :

- Infirmer le jugement entrepris,

Et statuant de nouveau :

- Constater que le procès-verbal d'assemblée générale du 10 mai 2012 et les statuts mis à jour à cette même date n'ont pas été valablement adoptés ;

- Condamner solidairement la société Fenua Fish et M. Vincent B. à réparer le préjudice subi par MM. Éric et Jérôme M., à savoir la perte de leurs parts sociales et les gains manqués qu'ils auraient obtenus s'ils n'avaient pas été privés de leurs parts sociales.

- Désigner tel expert avec pour mission d'évaluer le montant des 250 parts sociales détenues par MM. Éric et Jérôme M. au 10 mai 2012, ainsi que les gains manqués qu'ils auraient obtenus s'ils n'avaient pas été privés de leurs parts sociales.

- Condamner solidairement la société Fenua Fish et M. Vincent B. à payer aux demandeurs la somme de 400 000 FCP au titre de l'article 407 du code de procédure civile ;

- Condamner solidairement la société Fenua Fish et M. Vincent B. aux dépens.

La Sarl Fenua Fish et M. Vincent B., intimés, par dernières conclusions régulièrement déposées le 21 novembre 2019 demandent à la Cour de’ :

- Débouter M. Éric M. et M. Jérôme M. de l'ensemble de leurs moyens, fins et prétentions,

- Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- Condamner M. Éric M. et M. Jérôme M. à payer chacun une amende civile de 200.000 FCP,

- Condamner M. Éric M. et M. Jérôme M. à payer à chacun des intimés la somme de 500.000 FCP à titre de dommages intérêts,

- Condamner M. Éric M. et M. Jérôme M. à payer à la Sarl Fenua Fish et à M. Vincent B. la somme de 300 000 FCP en application de l'article 407 du code de procédure civile,

- Condamner M. Éric M. et M. Jérôme M. aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits de la cause, des procédures, des prétentions et moyens dont la Cour est saisie, il est renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions d'appel des parties. L'exposé des moyens des parties, tel que requis par les dispositions de l'article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française, sera renvoyé à la motivation ci-après à l'effet d'y répondre.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 février 2020, puis l'affaire fixée le 14 mai 2020 selon la procédure sans audience conformément à l'article 11 de la délibération n°2020-14/APF du 17 avril 2020, les parties en ayant été avisées par envoi du rôle d'audience à l'ordre des avocats et ne s'étant pas opposées dans le délai de 15 jours.

A la date de fixation de l'affaire, les parties ont été informées que la décision, mise en délibéré, serait rendue le 2 juillet 2020 et adressée par tous moyens conformément à l'article 13 de la délibération susvisée.

Motifs de la décision’ :

1. Sur le fond’ :

Les consorts M., adoptant l'analyse du premier juge sur la prescription de l'action en nullité principale, mais la contestant pour le reste, entendent en appel se prévaloir des dispositions de l'article 235-13 du code de commerce prévoyant que l'action en responsabilité fondée sur l'annulation des actes ou délibérations de la société se prescrit par trois ans à compter du jour où la nullité a été couverte, ce qui est le cas avec la prescription. Ils considèrent que si l'action en nullité est prescrite depuis le 10 mai 2015, l'action en réparation subsistait jusqu'au 10 mai 2018. Son action ne serait pas prescrite pour avoir été initiée le 22 février 2018.

Ils avancent que l'assemblée générale du 10 mai 2012 est entachée de nullité, l'article 17 des statuts de la Sarl Fenua Fish prévoyant que les décisions extraordinaires, soit celles modifiant les statuts, doivent être adoptées par les associés représentant au moins les trois quarts des parts sociales, ce qui n'a pas été le cas, M. B. ayant voté seul en l'absence des autres associés.

Ils n'avancent plus cependant, comme dans la requête d'appel initiale, que l'acte et les délibérations sont entachés de nullité en raison de la non-convocation des associés.

Ils considèrent dès lors la Sarl Fenua Fish et M. Vincent B., gérant responsable par application de l'article 223-22 du code de commerce, entièrement responsables du préjudice qu'ils ont subi correspondant à la perte de leurs parts sociales et des gains qu'ils auraient obtenu s'ils n'en avaient pas été privés.

M. Vincent B. et la Sarl Fenua Fish répliquent au visa des articles 1844-14 du code civil et L.223-27 et L.235-13 du code de commerce, que les consorts M. a bien été convoqués à la première assemblée générale mixte du 19 avril 2012, où l'absence de quorum a dû être constaté, avant d'être de nouveau convoqués pour celle du 10 mai 2012, aucun quorum n'étant alors requis.

Selon les intimés, il n'existe donc aucune cause de nullité de l'assemblée qui permettrait aux appelants de demander des dommages et intérêts.

Ils concluent enfin que le préjudice n'est pas démontré, la valeur des parts des consorts M. étant nulle en raison des pertes cumulées de la société.

Sur ce,

Il résulte des articles 1844-14 et 1844-17 du code civil applicables en Polynésie française et de l'article 235-13 du code de commerce résultant de l'ordonnance n°2000-912 du 18 septembre 2000, que si l'action en nullité des actes ou délibérations de la société se prescrivent par trois ans à compter du jour où la nullité est encourue, l'action en dommages et intérêts tendant à la réparation du préjudice causé par le vice dont l'acte ou la délibération était entachée se prescrit par trois ans à compter du jour où la nullité a été couverte.

L'article 17 des statuts de la Sarl Fenua Fish en date du 21 mai 2001, non modifié depuis, est ainsi rédigé':

«1 - Les décisions collectives statuant sur les comptes sociaux sont prises en assemblée générale. Sont également prises en assemblée générale les décisions soumises aux associés, à l'initiative soient de la gérance, soit du commissaire aux comptes s'il en existe un, soit d'associés, soit enfin d'un mandataire désigné par justice, ainsi qu'il est dit à l'article 18 des présents statuts.

Toutes les autres décisions collectives peuvent être prises par consultation écrite des associés ou peuvent résulter du consentement de tous les associés exprimés dans un acte.

2 - Les décisions collectives sont qualifiées d'ordinaires ou d'extraordinaires.

Elles sont qualifiées d'extraordinaires lorsqu'elles ont pour objet la modification des statuts. Elles sont qualifiées d'ordinaires dans tous les autres cas.

3 - Les décisions ordinaires doivent être adoptées par un ou plusieurs associés représentant plus de la moitié des parts sociales.

Si, en raison d'absence ou d'abstention d'associés, cette majorité n'est pas obtenue à la première consultation, les associés sont consultés une seconde fois et les décisions sont prises à la majorité des votes émis, quelle que soit la proportion du capital représenté, mais ces décisions ne peuvent porter que sur les questions ayant fait l'objet de la première consultation.

Toutefois, les décisions relatives à la nomination ou à la révocation de la gérance doivent toujours être prises par des associés représentant plus de la moitié des parts sociales.

4 - Les décisions extraordinaires doivent être adoptées par des associés représentant au moins les trois quarts des parts sociales. Toutefois, l'agrément des cessions ou mutations de parts sociales, réglementé par l'article 11 des présents statuts, doit être donné par la majorité des associés représentant au moins les trois quarts des parts sociales.

Par ailleurs, l'augmentation du capital social par incorporation de bénéfices ou de réserves est valablement décidée par les associés représentant seulement la moitié des parts sociales.

La transformation de la société est décidée dans les conditions fixées par l'article 69 de la loi.

La transformation de la société en société en nom collectif, en société en commandite simple ou par actions, en société par actions simplifiée, le changement de nationalité de la société et l'augmentation des engagements des associés exigent l'unanimité de ceux-ci. »

Ainsi, contrairement à ce qu'indiquent M. B. et la Sarl Fenua Fish, si les statuts prévoient la possibilité d'un vote à la majorité des votes émis pour les décisions ordinaires en cas d'absence ou d'abstention d'associés faisant obstacle à l'obtention de la majorité absolue lors d'une première consultation, aucune disposition similaire n'est prévue pour les décisions extraordinaires.

Or l'assemblée générale dite « mixte » du 10 mai 2012 prévoyait à la fois un vote sur des décisions ordinaires et des décisions extraordinaires, ces dernières comprenant l'ensemble des délibérations ayant conduit à l'éviction des consorts M. de la Sarl Fenua Fish.

Faute pour M. B. et la Sarl Fenua Fish d'avoir pris ces décisions en accord avec les statuts, c'est-à-dire par des associés représentant au moins les trois quarts des parts sociales, les actes et délibérations de l'ordre du jour extraordinaire sont entachés de nullité, laquelle ne peut se résoudre en une action le constatant, prescrite faute d'avoir été initiée avant le 10 mai 2015, mais uniquement en une action en dommage et intérêts tendant à la réparation du préjudice causé par ces actes et délibérations viciées.

Or, ainsi que la succession des évènements, non contestée, mise en exergue par M. B., les consorts M. se sont manifestement placés dans une perspective de blocage du fonctionnement de la société, nécessitant plusieurs actions en justice au terme desquelles ils ont été condamnés selon les intimés, et se manifestant selon eux par leur refus de participer aux assemblées générales convoquées pendant plusieurs années.

Les éléments relevés dans les actes non viciés de l'assemblée générale du 10 mai 2012, permettent aussi de constater la situation particulièrement obérée de la Sarl Fenua Fish et la nécessité d'y remédier, les pertes successives relevées dans les comptes arrêtés au 31 mai 2009 (4.867.131 FCP) et au 31 mai 2010 (5.325.346 FCP) justifiant une opération capitalistique qui nécessitait des décisions extraordinaires que l'absence durable et de réponse des coassociés empêchait le gérant M. B. de mener à bien.

Il en résulte que l'opération mise en oeuvre par le gérant, même entachée de nullité, était faite dans l'intérêt social, et non dans le but de nuire aux consorts M. ou les évincer, lesquels ne peuvent se prévaloir d'un préjudice, inexistant en l'espèce, qu'ils auraient contribué à faire naître en s'excluant eux-mêmes de toute participation à la société.

Ils doivent donc être déboutés de leurs demandes d'indemnisation, tout comme de la demande d'expertise tendant à l'évaluation de leur préjudice qui en est l'accessoire.

Il convient par conséquent, par motifs propres substitués à ceux des premiers juges, de confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté les consorts M. de l'intégralité de leurs demandes.

2. Sur la demande d'amende civile et de dommages intérêts pour procédure abusive':

Les intimés jugent la procédure d'appel abusive et demandent, au visa de l'article 1 du code de procédure civile de la Polynésie française, la condamnation des époux M. à une amende civile de 200.000 FCP.

Ils sollicitent également, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, leur condamnation à leur payer la somme de 500.000 FCP en réparation du préjudice subi du fait du caractère abusif de la procédure.

Il résulte de l'article 1 du code de procédure civile de la Polynésie française que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile de 20.000 à 200.000 francs.

Il découle de l'article 1382 du code civil ancien que le justiciable qui a exercé son droit d'agir en Justice de manière fautive doit réparation à celui qui en a subi un dommage.

Cependant, même si la cour les déboute, l'action en justice des consorts M. a été articulée selon des moyens qui, pour certains, ont été jugés pertinents, excluant toute mauvaise foi, toute volonté dilatoire, l'absence manifeste de fondement, le caractère malveillant de l'action, l'intention de nuire, ou tout comportement permettant de considérer que leur droit d'agir en Justice a dégénéré en abus.

Il convient par conséquent de débouter la Sarl Fenua Fish et M. B. se leurs demandes.

3. Sur les frais et dépens’ :

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la Sarl Fenua Fish et M. B. les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, il convient par conséquent de condamner les consorts M. à leur payer la somme de 300.000 FCP par application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.

Les dépens de première instance et d'appel seront supportés par les consorts M. qui succombe conformément aux dispositions de l'article 406 du code de procédure civile de la Polynésie française.

PAR CES MOTIFS’ :

La Cour, statuant par mise à disposition, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort ;

CONFIRME le jugement n°2018/000085 en date du 30 novembre 2018 du Tribunal Mixte de Commerce de Papeete en ce qu'il a débouté M. Éric M. et M. Jérôme M. de leurs demandes ;

Y ajoutant’ :

CONDAMNE M. Éric M. et M. Jérôme M. à payer à la Sarl Fenua Fish et M. Vincent B. la somme de 300.000 FCP (trois cent mille francs pacifique) par application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

CONDAMNE M. Éric M. et M. Jérôme M. aux dépens de première instance et d'appel.

Prononcé à Papeete, le 2 juillet 2020.