CA Colmar, 1re ch. civ. A, 14 février 2012, n° 10/06398
COLMAR
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Audit Conseils (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Hoffbeck
Conseillers :
M. Cuenot, M. Allard
Des parts sociales d'une SNC NORD EST INVESTISSEMENT ont été fait l'objet de différentes cessions en 1998 et 2001, à la suite desquelles Monsieur et Madame Z sont devenus les détenteurs de l'ensemble du capital social.
A la suite de la mise en liquidation judiciaire de la société, le mandataire liquidateur s'est adressé aux associés, tenus indéfiniment et solidairement des dettes sociales.
Il a alors été constaté que les mesures de publicité des cessions au Registre du Commerce et des Sociétés n'avaient pas été réalisées, de sorte que Monsieur Y et Madame X figuraient toujours dans ce registre en tant qu'associés de la SNC NORD EST INVESTISSEMENT.
Les mentions figurant au RCS étant seules opposables aux tiers, le mandataire liquidateur s'est retourné contre Monsieur Y et Madame X, anciens associés ayant vendu leurs parts, mais dont les noms étaient seuls mentionnés dans le registre.
Sous la crainte de voir prononcer une extension de la liquidation judiciaire à leurs personnes, Monsieur Y et Madame X ont accepté de régler les dettes de la SNC NORD EST INVESTISSEMENT.
Par acte du 8 février 2007, Monsieur Y et Madame X ont fait assigner Monsieur et Madame Z, en tant qu'associés à de la SNC à l'ouverture de la procédure collective et débiteurs réels des montants que les demandeurs avaient été contraints de payer au liquidateur, ainsi que Maître W et la SA AUDIT CONSEILS en tant que rédacteurs des actes de cession respectivement passés, ayant engagé leur responsabilité professionnelle pour n'avoir pas assuré la publication des actes.
Maître W a formé un appel en garantie à l'encontre de Monsieur et Madame Z.
Par un jugement du 10 septembre 2010, le Tribunal de Grande Instance de MULHOUSE (Chambre civile) :
- a dit que Monsieur Y et Madame X étaient, à l'égard des créanciers, tenus de la dette de la SNC NORD EST INVESTISSEMENT ;
- a constaté que Monsieur Y et Madame X avaient payé pour le compte de Monsieur et Madame Z ;
- en conséquence, a condamné Monsieur et Madame Z in solidum à payer :
+ à Monsieur Y la somme de 50.542,76 Euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 14 juillet 2006 sur la somme de 33.695,15 Euros et du 5 octobre 2006 sur la somme de 16.847,57 Euros ;
+ à Madame X la somme de 50.542,76 Euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 29 juillet 2006 sur la somme de 33.695,15 Euros et du 17 octobre 2006 sur la somme de 16.847,57 Euros ;
- a condamné Monsieur et Madame Z in solidum à payer à chacun des demandeurs une somme de 1000 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux frais et dépens.
Statuant ensuite sur la demande de Monsieur Y et de Madame X à l'encontre de Maître W, le tribunal :
- a débouté Monsieur Y de ses prétentions dirigées contre Maître W;
- a cependant déclaré Maître W responsable du préjudice subi par Madame X ;
- en conséquence, a condamné Maître W à payer à Madame X, in solidum avec Monsieur et Madame Z, la somme de 50.542,76 Euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 29 juillet 2006 sur la somme de 33.695,15 Euros et du 17 octobre 2006 sur la somme de 16.847,57 Euros ;
- a également condamné Maître W à payer à Madame X une somme de 5000 Euros au titre du préjudice moral, augmentée des intérêts au taux légal à compter du jour du jugement ;
- a enfin condamné Maître W au paiement des deux tiers des frais et dépens de la demande diligentée par Monsieur Y et Madame X à son encontre, et Monsieur Y d'un tiers de ces mêmes frais et dépens.
Le Tribunal a débouté Monsieur Y et Madame X de leurs prétentions dirigées contre la SA AUDIT CONSEILS.
Statuant enfin sur l'appel en garantie formé par Maître W à l'encontre de Monsieur et Madame Z, il l'a débouté de cette action et condamné aux dépens.
Selon une déclaration enregistrée au greffe le 3 décembre 2010, Maître W a interjeté appel de ce jugement en intimant Monsieur Y et Madame X, Monsieur et Madame Z, ainsi que la SA AUDIT CONSEILS.
Par des conclusions déposées le 5 avril 2011, il demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris, de débouter les demandeurs de leurs prétentions, de condamner Monsieur Y et Madame X en tous les dépens, ainsi qu'au paiement d'une somme de 2500 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, subsidiairement, pour le cas où la Cour entrerait en voie de condamnation à son égard, de condamner Monsieur et Madame B. épouse V. à le garantir de toute condamnation susceptible d'intervenir en principal, intérêts et frais.
Par des conclusions déposées le 17 juin 2011, au visa des articles 1382 et suivants du Code Civil, des articles 15, 22 et 27 du décret 84-406 du 30 mai 1984, dans sa version en vigueur au jour de la cession des parts de Madame X, Monsieur Y et Madame X demandent à la Cour de confirmer le jugement entrepris et, y ajoutant, de condamner Maître W à payer à chacun des concluants la somme de 3000 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Monsieur V., bien que régulièrement assigné à personne par acte d'huissier délivré le 11 mai 2011, n'a pas constitué avocat.
Madame B. épouse V., bien que régulièrement assignée à domicile par acte d'huissier délivré le 11 mai 2011, n'a pas davantage constitué avocat.
La SA AUDIT CONSEILS a constitué avocat, mais n'a pas conclu.
SUR CE, LA COUR
Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles la Cour se réfère pour plus ample exposé des faits et moyens ;
Attendu qu'il sera préalablement constaté que Maître W ne conclut pas à l'encontre de Monsieur Y, de sorte qu'il convient d'en prendre acte et de condamner Maître W aux dépens d'appel exposés par cet intimé ;
Attendu qu'il en est de même à l'égard d'un autre intimé, la SA AUDIT CONSEILS, dont Maître W supportera donc également les dépens d'appel ;
Attendu que le litige porté devant la Cour concerne uniquement la suite donnée par le tribunal à la demande formée par Madame X à l'encontre de Maître W, qui a été condamné in solidum avec Monsieur et Madame Z à payer à la demanderesse la somme de 50.542,76 Euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 29 juillet 2006 sur la somme de 33.695,15 Euros et du 17 octobre 2006 sur la somme de 16.847,57 Euros ; que l'appelant fait grief aux premiers juges d'avoir retenu le principe de sa responsabilité, sans contester par ailleurs le fait qu'il ait pu être condamné in solidum avec Monsieur et Madame Z, et reprend subsidiairement son appel en garantie dirigé contre ces derniers;
Sur la demande formée par Madame X contre Maître W :
Attendu que Maître W, qui ne conteste évidemment pas être le rédacteur de l'acte du 29 mars 1988, par lequel Madame X avait cédé l'intégralité de sa participation à ses deux autres associés, Monsieur Y et Monsieur V., acte qui a ensuite été déposé au rang de ses minutes, fait grief aux premiers juges d'avoir retenu sa responsabilité ; qu'il fait valoir que l'article R.221-9 du Code de Commerce prévoit que la publicité de l'article L.221-14 est accomplie par le dépôt en annexe au RCS de deux expéditions de l'acte de cession si celui-ci a été établi dans la forme authentique ou de deux originaux s'il est sous seing privé ; qu'il est de jurisprudence que l'accomplissement de cette formalité suffit à rendre la cession opposable aux tiers, peu important à cet égard que les statuts aient été modifiés ou non ; qu'en l'occurrence, il ressort des pièces versées aux débats que Maître W avait satisfait à ces prescriptions légales, puisqu'il produit un certificat de dépôt de l'expédition de l'acte notarié du 29 mars 1988 auprès du tribunal d'instance de Mulhouse en date du 14 novembre 1997 ; que le fait qu'il ait tardé à déposer cet acte de cession est sans incidence, puisque le jugement d'ouverture est intervenu bien plus tard ; qu'il ne saurait en tout état de cause être chargé d'une mission de surveillance qui ne résulte d'aucun texte ;
Attendu cependant que l'article R.221-9 du Code de Commerce dont se prévaut l'appelant dit bien que la publicité est accompli par le dépôt, en annexe au Registre du Commerce et des Sociétés, de deux expéditions de l'acte de cession s'il a été établi dans la forme authentique, ou de deux originaux, s'il est sous seing privé ; qu'en l'occurrence, s'il ressort des pièces produites par l'appelant que Maître W a effectivement adressé au greffe du tribunal d'instance de Mulhouse une expédition de l'acte de cession des parts sociales, et que le greffier a certifié la réalité de ce dépôt intervenu le 14 novembre 1997, cela ne signifiait pas pour autant que 'le dépôt en annexe du registre du commerce et des sociétés' se trouvait pour autant réalisé ;
Attendu que Maître W, qui ne conteste pas avoir eu, en sa qualité de rédacteur d'un acte déposé au rang des minutes de son étude, tous les devoirs inhérents à sa fonction pour la rédaction d'un acte authentique, devait assurer l'efficacité entière de cet acte et notamment, dans la mesure où cet acte comportait, pour les parties concernées, une incidence en matière de registre, vérifier que les formalités correspondantes se trouvaient effectivement réalisées ; que pour le moins, en l'occurrence, dans la mesure où le dépôt de l'expédition de l'acte 'en annexe' du RCS dépendait de la diligence du greffe saisi, il appartenait au notaire de faire les rappels nécessaires auprès de ce service public ; qu'il apparaît en l'occurrence non seulement que Maître W a omis d'adresser l'acte de cession du 29 mars 1988 au greffe compétent après sa signature, puisqu'il a attendu le 14 novembre 1997 pour le faire, mais surtout qu'il n'a pas effectué ultérieurement la moindre vérification pour vérifier si la publication était effectivement intervenue ;
Attendu en tout état de cause que l'appelant ne saurait sérieusement prétendre qu'il lui suffisait de faire parvenir deux expéditions au greffe compétent pour être dégagé de toute responsabilité, alors que seule une publication régulièrement intervenue permettait de rendre l'acte de cession opposable aux tiers ; que pour remplir ses obligations légales, il devait donc s'assurer que l'acte avait été effectivement retranscrit sur le registre, afin que les cédants ne puissent plus être recherchés en paiement des dettes sociales ;
Attendu enfin que Maître W a encore fait valoir que Madame X, qui n'avait plus la qualité d'associé, avait sans raison cru devoir régler des montants qu'elle ne devait pas, et qu'il appartient en tout état de cause à la demanderesse de démontrer un préjudice présentant un lien direct et certain avec la faute ;
Attendu certes que Madame X, demanderesse, doit prouver un préjudice en lien de causalité avec le manquement fautif du notaire ;
Attendu qu'elle apporte cette preuve, puisqu'il faut retenir, avec le premier juge, que Madame X avait été contrainte de régler une partie des dettes de la SNC NORD EST INVESTISSEMENT en liquidation judiciaire, dans la mesure où sa qualité d'associé figurait toujours au RCS à la date du jugement d'ouverture, et alors que cette mention était opposable aux tiers, soit aux créanciers de la société débitrice ; qu'après avoir réglé sa part de dettes, elle se trouvait bien évidemment fondée à se retourner contre les détenteurs réels des parts sociales, tenus de supporter le passif de la société en nom collectif en liquidation;
Attendu que c'est donc à bon droit que le tribunal a condamné Maître W à payer à Madame X la somme de 50.542,76 Euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 29 juillet 2006 sur la somme de 33.695,15 Euros et du 17 octobre 2006 sur la somme de 16.847,57 Euros ;
Attendu que, s'agissant du principe de la condamnation de Maître W intervenue in solidum avec Monsieur et Madame Z, l'appelant ne le remet pas en cause ;
Attendu en dernier lieu que la condamnation de Maître W à payer seul une somme de 5000 Euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi par Madame X, laquelle a dû céder aux menaces du mandataire liquidateur, n'est pas sérieusement remise en cause ni dans son principe ni dans son montant ;
Attendu dès lors que le jugement entrepris devra être confirmé en ce qui concerne la condamnation de Maître W au bénéfice de Madame X ;
Sur l'appel en garantie formé par Maître W contre Monsieur et Madame Z :
Attendu que, appliquant le principe de l'équivalence des causes, le tribunal a relevé que Monsieur Y et Madame X n'auraient pas fait l'objet de poursuites en paiement si Maître W s'était assuré de l'efficacité de la publicité au RCS ; que le dommage n'est que la suite nécessaire de la carence de Maître W ; qu'il convient dès lors de débouter Maître W de son appel en garantie dirigé contre Monsieur et Madame Z ;
Attendu cependant que le motif retenu par le premier juge n'est valable que pour la condamnation de Maître W à payer la somme de 5000 Euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi par Madame X ; que l'appelant ne peut évidemment demander que Monsieur et Madame Z soient condamnés à le garantir à cet égard, dans la mesure où le préjudice moral de Madame X a été exclusivement occasionné par les seuls manquements fautifs du notaire ;
Attendu par contre que, Maître W ayant été condamné in solidum avec les époux V. à rembourser à Madame X les sommes que celle-ci avait été contrainte de régler entre les mains du liquidateur aux lieu et place des époux V., seuls associés de la SNC NORD EST INVESTISSEMENT à la date du jugement d'ouverture, c'est bien naturellement que l'appelant en garantie est fondé à se retourner contre ces derniers, débiteurs de droit des dettes sociales de la société en nom collectif liquidée ;
Attendu qu'il convient dès lors de réformer sur ce point le jugement entrepris et d'accueillir partiellement l'appel en garantie de Maître W ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à Madame X la charge de ses frais relevant de l'article 700 du Code de Procédure Civile à hauteur de la somme de 2000 Euros ;
Attendu qu'il serait également inéquitable de laisser à Monsieur Y, contre lequel Maître W n'a formulé aucune prétention dans l'instance d'appel, une somme de 1000 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Reçoit l'appel, régulier en la forme ;
Au fond :
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la responsabilité de Maître W, l'a condamné à payer divers montants à Madame X, et a statué sur les dépens afférents ;
Confirme également le jugement entrepris en ce qu'il rejeté l'appel en garantie de Maître W dirigé contre Monsieur et Madame Z, mais uniquement en ce qui concerne la condamnation à payer la somme de 5000 Euros au titre du préjudice moral ;
L'infirmant cependant sur le surplus de l'appel en garantie formé par Maître W à l'encontre de Monsieur et Madame Z, ainsi que sur les dépens afférents à l'appel en garantie, et statuant à nouveau dans cette limite,
Condamne Monsieur et Madame Z à garantir Maître W de sa condamnation à payer la somme de 50.542,76 Euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 29 juillet 2006 sur la somme de 33.695,15 Euros et du 17 octobre 2006 sur la somme de 16.847,57 Euros ;
Condamne Maître W à payer à Madame X une somme de 2000 Euros (deux mille euros) au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Le condamne à payer à Monsieur Y une somme de 1000 Euros (mille euros) au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Le condamne aux entiers dépens de l'instance d'appel dans ses rapports avec Madame X et Monsieur Y ;
Partage la charge des dépens de première instance et d'appel relatifs à l'appel en garantie formé par Maître W contre Monsieur et Madame Z à raison d'un quart pour le premier et de trois quarts pour les seconds, et les y condamne en tant que de besoin.